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Date : 19990209


Dossier : A-453-97

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

         LE JUGE NOËL

ENTRE :

     MICK CHONG, RAY BOWES et

     GUDRUN GOSEN,

     appelants,

     (demandeurs)

     et


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA représentée par LE CONSEIL DU TRÉSOR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimés.

     (défendeurs)

     Entendu à Ottawa (Ontario) le mardi 9 février 1999.

     Arrêt rendu à l'audience le 9 février 1999.

MOTIFS DE L'ARRÊT

DE LA COUR :      LE JUGE DÉCARY



Date : 19990209


Dossier : A-453-97

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

         LE JUGE NOËL

ENTRE :

     MICK CHONG, RAY BOWES et

     GUDRUN GOSEN,

     appelants,

     (demandeurs)

     et


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA représentée par LE CONSEIL DU TRÉSOR, et LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimés.

     (défendeurs)

     MOTIFS DE L'ARRÊT DE LA COUR

     (exposés oralement à Ottawa (Ontario)

     le mardi 9 février 1999)

LE JUGE DÉCARY

[1]      Le présent appel trouve son origine dans les griefs de classification formulés, par les appelants en 1994, conformément au Manuel du Conseil du Trésor et à la procédure du Conseil du Trésor en matière de griefs de classification. Les appelants étaient tous employés du ministère de l'Emploi et de l'Immigration (le Ministère)1 comme analystes du renseignement dans la région C.-B./Yukon. Ils occupaient un poste de niveau PM-03. C'est à tort d'après eux qu'ils étaient considérés comme des PM-03, et ils demandaient donc de passer à l'échelon PM-04.

[2]      Le 27 juillet 1994, une audience eut lieu conformément à la procédure prévue pour les griefs de classification. Selon le principal argument des appelants, leurs collègues de la région de l'Ontario occupant le même poste bénéficiaient de l'échelon PM-04. Le Comité des griefs de classification (le Comité) recommanda, à la personne qui au sein du Ministère était déléguée par le sous-ministre et chargée des griefs de classification, que les postes occupés par les auteurs des griefs en question demeurent à l'échelon PM-03. Le délégué du sous-chef s'en tint à cette recommandation.

[3]      Les appelants déposèrent une demande de contrôle judiciaire. Le 30 novembre 1995, le juge McKeown fit droit à leur demande2. Pour lui, il s'agissait d'une décision administrative qui ne relevait quant à sa procédure que de critères d'équité assez peu exigeants, estimant toutefois qu'en l'occurrence le vice de procédure était de nature à justifier l'intervention de la Cour. Il renvoya l'affaire au Comité afin qu'il " examine les différences entre le poste ontarien et celui de la C.-B. et du Yukon " lui demandant, de noter, dans ses motifs " le témoignage de M. John Kent "3.

[4]      Suite à l'ordonnance du juge McKeown et [traduction] " Afin de pouvoir examiner adéquatement les différences entre le poste en question dans la région de l'Ontario. [...] et le poste analogue dans la région de C.-B./Yukon [...], le Comité demanda que le service de la classification pour la région de l'Ontario du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration entame un examen indépendant de ce que comportait, en Ontario, le poste en question, et d'en rendre compte au Comité4.

[5]      En réponse, le service de la classification de l'Ontario procéda à un audit du poste dans la région de l'Ontario. On ne demanda pas aux appelants de participer à cet audit et ils n'y participèrent effectivement pas. Le 10 janvier 1996, un comité interministériel de classification décida de rétrograder le poste dans la région de l'Ontario qui passerait ainsi, à partir du 10 janvier 1996, de l'échelon PM-04 à celui de PM-03.

[6]      Le Comité des griefs de classification chargé de se pencher sur le cas du poste en question dans la région C.-B./Yukon se réunit à nouveau le 27 février 1996. Le Comité recommanda que le poste soit classé PM-03 à partir du 10 août 1993 étant donné, qu'en fait, les postes étaient, dans la région C.-B./Yukon [traduction] " suffisamment semblables [aux postes dans la région de l'Ontario] pour être considérés comme équivalents "5. Le délégué du sous-chef approuva la recommandation le 12 mars 1996.

[7]      Les appelants déposèrent, en avril 1996, une nouvelle demande de contrôle judiciaire. Dans un affidavit déposé par l'appelant Gosen, ils invoquaient une violation des principes régissant l'équité procédurale :6

         [traduction]         
         7.      N'a jamais été porté à l'attention des autres demandeurs ou de moi-même le fait que le Comité des griefs de classification ou que le délégué du sous-chef rendrait dans notre affaire une décision dépendant de la reclassification des postes en Ontario. Si nous avions été informés du fait que le Comité des griefs de classification entendait se fonder sur la reclassification des postes en Ontario, nous aurions étoffé le dossier que nous avions soumis au Comité des griefs de classification ou au délégué du sous-chef, afin de faire valoir que, depuis 1992, d'importants changements étaient intervenus au niveau des postes en Colombie-Britannique, changements susceptibles d'influencer la classification du poste en question.         
         8.      Par exemple, depuis 1992, certaines modifications de la législation en vigueur ont eu pour résultat d'attribuer aux personnes titulaires, en Colombie-Britannique, d'un poste d'analyste du renseignement, des responsabilités supplémentaires. De plus, en raison d'un changement intervenu, en Colombie-Britannique, au niveau de l'organigramme, les analystes du renseignement ne relèvent plus d'un chef classé PM-05 mais, dorénavant relèvent directement d'un gestionnaire de programme de niveau PM-06.         

Ils faisaient également valoir que, contrairement à l'ordonnance rendue par juge McKeown, aucun rapport n'avait été produit concernant les observations de M. Kent.

[8]      N'ayant toujours pas donné suite à la disposition de l'ordonnance du juge McKeown concernant la déposition de M. Kent, le Comité se réunit à nouveau le 1re mai 1996, déposant un rapport complémentaire portant sur la déposition de M. Kent. Le délégué du sous-chef approuva le rapport complémentaire le 8 mai 1996.

[9]      Il ressort du contre-interrogatoire de Mme Linda Clément, membre du Comité, que celui-ci, lorsqu'il se réunit à nouveau le 27 février 1996, ne se pencha, pour aboutir à sa décision, que sur les éléments concernant la rétrogradation du poste en Ontario, et qu'il n'était nullement au courant des éléments de preuve évoqués au paragraphe 8 de l'affidavit de M. Gosen.

[10]      Le 16 juin 1997, le juge Joyal rejetait la demande, se fondant essentiellement sur le caractère peu exigeant des critères d'équité s'appliquant en l'occurrence, estimant qu'à moins de relever " une erreur ou un préjudice démontrable ", la Cour ne devrait pas s'immiscer dans " un processus purement administratif "7.

[11]      L'avocat des appelants demande à la Cour de dire que la procédure des griefs de classification constitue une procédure contradictoire à laquelle s'appliquent des critères d'équité davantage contraignants. L'avocat des défendeurs soutient, en ce qui le concerne, qu'il s'agit d'une procédure non contradictoire à laquelle ne s'appliquent que des critères d'équité d'une moindre exigence.

[12]      Selon moi, peu importe en l'espèce que la procédure en question soit considérée comme contradictoire ou non contradictoire. Il est clair qu'il existe un litige que la procédure des griefs vise à résoudre et il est clair que cette procédure doit être menée de façon équitable. La teneur de l'obligation d'agir de façon équitable sera plus ou moins étendue selon la nature des intérêts affectés par la décision et la nature de la procédure en question. En l'espèce, le degré d'équité qui s'impose se situe du côté d'une moindre exigence plutôt que de celui d'une norme plus contraignante et nous n'interprétons pas autrement les motifs exposés par Mme le juge Reed dans l'affaire Hale c. Canada (Conseil du Trésor)8. Si le juge Reed, dans l'affaire Hale, et le juge McKeown, dans l'affaire Chong 1, ont chacun retenu une démarche différente, nous ne relevons aucune différence notable au niveau de leurs conclusions quant à la teneur de l'obligation d'équité se rattachant aux griefs régis par la procédure des griefs de classification du Conseil du Trésor.

[13]      Où que l'on se situe sur l'éventail des critères applicables, il y a des exigences essentielles, parmi lesquelles figurent celle que le juge Reed exposait au paragraphe 20 de ses motifs :

         [...] lorsque le comité décide d'examiner un aspect de la classification que l'employé ne s'attendait pas à voir contester, et qu'il décide d'obtenir une preuve ayant trait à cet aspect et de s'appuyer sur celle-ci sans que l'employé n'en soit informé ou n'ait de renseignements à cet égard, l'équité exige que des renseignements soient fournis à l'employé et qu'il ait la possibilité de faire valoir ses arguments [...]         
              [non souligné dans l'original]         

[14]      Dans leurs griefs en l'espèce, les appelants s'appuyaient essentiellement sur l'équivalence entre le poste qu'ils occupaient eux et un poste similaire qui cependant était, dans la région de l'Ontario, classé à un échelon plus élevé, estimant donc que leur poste méritait lui aussi d'être classé PM-04. Le dossier avait été renvoyé au Comité par le juge McKeown afin qu'il " examine les différences entre le poste en Ontario et le poste dans la région C.-B./Yukon " et non pour qu'il se penche sur la classification du poste dans la région de l'Ontario. Conscients du fait qu'un grief de classification peut entraîner une rétrogradation de leur poste9,les auteurs des griefs pouvaient légitimement supposer que s'ils parvenaient à établir l'équivalence entre leur poste PM-03 et un poste d'échelon PM-04, dont la classification n'est pas en cause en l'espèce, leur poste, normalement, serait élevé à l'échelon PM-04. Les auteurs des griefs n'étaient pas impliqués, à juste titre d'ailleurs, dans l'examen de la classification du poste dans la région de l'Ontario. Dans la mesure où la rétrogradation du poste dans la région de l'Ontario est le fruit des griefs formulés par les appelants, et que cette rétrogradation a, à toutes fins utiles, entraîné le rejet de leurs griefs, on aurait dû leur faire savoir que les fondements de la comparaison qu'ils tentaient d'établir avaient été radicalement modifiés et on aurait dû leur donner la possibilité d'exposer les autres arguments qu'ils étaient susceptibles d'invoquer. Le jeu n'est pas loyal lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, on évacue unilatéralement une hypothèse essentielle du dossier sans donner à la partie que cela défavorise la possibilité de faire valoir d'autres motifs encore.

[15]      Le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu'il a omis de reconnaître que ce qui était en cause, c'était la violation d'une exigence essentielle du devoir d'équité.

[16]      Puisque nous estimons que l'appel doit être accueilli de ce seul fait, il n'y a pas lieu pour la Cour de se prononcer sur les autres arguments invoqués par les appelants.

[17]      L'appel sera accueilli avec dépens, le jugement de la section de première instance sera infirmé, la décision du délégué du sous-chef et la recommandation du Comité des griefs de classification sont annulées et les griefs des appelants seront renvoyés devant un comité des griefs de classification autrement constitué.

     Robert Décary

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      A-453-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MICK CHONG ET AUTRES c. LA REINE ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 9 février 1999

MOTIFS DE

L'ARRÊT :      LE JUGE DÉCARY

DATE :      le 9 février 1999

ONT COMPARU :

M. Andrew Raven      POUR LES APPELANTS

M. Harvey Newman      POUR LES INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Jewitt & Allen      POUR LES APPELANTS

Morris Rosenberg     

Sous-procureur général du Canada      POUR LES INTIMÉS

__________________

1      Maintenant appelé le ministère de la Citoyenneté et de l"Immigration.

2      Voir Chong et autres c. Canada (Procureur général) et autres (1995), 104 F.T.R. 253, ci-après désigné sous la forme l'affaire Chong 1).

3      Ibid. à la p. 266.

4      Dossier d"appel à la p. 54, affidavit de Linda Clément, member du Comité.

5      Dossier d"appel à la p. 14.

6      Dossier d"appel aux pp. 9 et 10.

7      Chong et autres c. Canada (Conseil du Trésor) et autres (1997), 133 F.T.R. 302 à la p 307.

8      [1996] 3 C.F. 3 à la p. 16 (1re inst.).

9      Voir. l"art. II,B,3 de la procédure des griefs de classification.

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