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Date : 20020620

Dossier : A-611-00

TORONTO (ONTARIO), LE JEUDI 20 JUIN 2002

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                       JOHN R. LAVOIE

                                                                                                     appelant

                                                         et

                  LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

KAGIANO POWER CORPORATION et

LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS DE PIC RIVER

                                                                                                       intimés

                                              JUGEMENT

L'appel est rejeté, les dépens étant adjugés aux intimés dans les deux instances, selon la gamme habituelle; un seul mémoire de frais est adjugé aux ministres.

                        « J. Richard »                       

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20020620

Dossier : A-611-00

Référence neutre : 2002 CAF 268

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                       JOHN R. LAVOIE

                                                                                                     appelant

                                                         et

                  LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

KAGIANO POWER CORPORATION et

LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS DE PIC RIVER

                                                                                                       intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le mercredi 19 juin 2002.

Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le jeudi 20 juin 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                            LE JUGE MALONE


Date : 20020620

Dossier : A-611-00

Référence neutre : 2002 CAF 268

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                       JOHN R. LAVOIE

                                                                                                     appelant

                                                         et

                  LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

KAGIANO POWER CORPORATION et

LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS DE PIC RIVER

                                                                                                       intimés

                    MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(rendus à l'audience à Toronto (Ontario)

le jeudi 20 juin 2002)

LE JUGE MALONE


[1]                 Il s'agit d'un appel d'une ordonnance, [2000] A.C.F. no 1238, par laquelle Monsieur le juge Lemieux (le juge des demandes) a rejeté, le 31 juillet 2000, la demande de contrôle judiciaire qui avait été présentée à la suite de deux décisions fondées sur les articles 32 et 35 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, autorisant la destruction de poissons ainsi que la destruction et la perturbation de l'habitat du poisson par suite de la construction et de l'exploitation d'une centrale hydroélectrique sur la rivière Kagiano (le projet); l'appel est interjeté par John R. Lavoie (l'appelant). Plus précisément, l'appelant sollicitait l'examen d'une décision en date du 21 juillet 1998 du ministère des Pêches et des Océans (le MPO) selon laquelle, conformément à l'alinéa 20(1)a) de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (la LCEE), la réalisation du projet n'était pas susceptible d'entraîner des effets environnementaux négatifs importants. M. Lavoie sollicitait également l'examen de la décision en date du 21 septembre 1998 du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC), concernant les sommes accordées aux Ojibways de la Première nation de Pic River (la Première nation) à l'égard du projet.

[2]                 Un certain nombre d'intimés sont en cause dans cet appel, notamment le ministre de l'Environnement, le ministre des Pêches et des Océans et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (collectivement, les ministres); Kagiano Power Corporation (Kagiano), qui avait proposé, conçu et construit le barrage; et la Première nation.


[3]                 Dans cet appel, l'appelant sollicite le même redressement que celui qu'il demandait devant le juge des demandes, à savoir un bref de certiorari annulant la décision du MPO d'autoriser la réalisation du projet ainsi que la décision du MAINC relative au financement, en alléguant que la LCEE n'a pas été observée, un bref de mandamus portant que la LCEE doit être observée, et les dépens. Le juge Lemieux a entendu la demande au fond et a prononcé de longs motifs dans lesquels il expliquait pourquoi il refusait d'accorder pareil redressement.

[4]                 Ce litige découle de la construction et de l'exploitation d'une centrale hydroélectrique produisant 4,9 mégawatts sur la rivière Kagiano, à Twin Falls, dans le nord de l'Ontario. La rivière Kagiano est un tributaire de la rivière Pic, qui se jette dans le lac Supérieur. L'appelant réside à Manitouwadge; il pêche, fait du canot-camping et pratique la récolte commerciale des animaux sur cette rivière depuis plus de 30 ans. Il est également membre et secrétaire du Comité consultatif public (le CCP) de Twin Falls, qui a été créé en1992 par Kagiano et par le ministre des Richesses naturelles de l'Ontario (le MRNO). Le CCP devait agir comme conseiller sur les aspects environnementaux du projet.

[5]                 Au début de cet appel, Kagiano a plaidé avec succès qu'elle était autorisée à présenter de nouveaux éléments de preuve à l'appui d'une requête visant à faire déclarer que l'appel n'avait plus qu'un intérêt théorique. La question du caractère théorique est soulevée dans les exposés des faits et du droit de Kagiano et de la Première nation. Les nouveaux éléments de preuve établissent que les conditions dont étaient assorties les autorisations relatives à la construction ont été remplies, que le projet a presque toujours été exploité depuis le mois de décembre 1999 et que l'habitat du poisson qui déclenchait la compétence du MPO a été détruit ou perturbé. Une ordonnance annulant les autorisations serait donc inefficace.


[6]                 L'analyse à effectuer lorsque la question du caractère théorique est soulevée a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, et Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46. Dans l'arrêt Borowski, précité, au paragraphe 16, Monsieur le juge Sopinka a dit ce qui suit :

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. La jurisprudence n'indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s'applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s'il s'applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d'entendre. Pour être précis, je considère qu'une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel » . Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s'il estime que les circonstances le justifient.


[7]                 Le juge Sopinka a statué que l'affaire Borowski n'avait qu'un intérêt théorique étant donné que le substratum de ce pourvoi avait disparu après que les dispositions législatives en cause eurent été déclarées inopérantes. Toutefois, le fait qu'il n'existe plus de litige actuel entre les parties ne prive pas un tribunal de son pouvoir discrétionnaire d'entendre une affaire, même si elle est de nature théorique. En se fondant sur le raisonnement qui avait été fait dans l'arrêt Borowski, précité, la Cour suprême du Canada a exercé son pouvoir discrétionnaire pour entendre l'appel dans l'affaire J.G., précitée, même s'il n'y avait pas de litige actuel. Dans cet arrêt-là, au paragraphe 43, Monsieur le juge en chef Lamer a énoncé trois critères qu'un tribunal doit prendre en considération dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire: l'existence d'un débat contradictoire, le souci économique des ressources judiciaires et la nécessité pour la Cour de se montrer sensible à sa fonction juridictionnelle dans la structure politique.

L'appel n'a-t-il plus qu'un intérêt théorique?

[8]                 Le 25 août 1998, M. Lavoie a été débouté de la requête qu'il avait présentée en vue d'obtenir une injonction provisoire concernant les décisions du MPO; aucune injonction n'a été demandée à l'égard de la décision du MAINC. De fait, le dossier se rapportant à la demande modifiée de contrôle judiciaire de l'appelant en date du 1er septembre 1998 ne révèle aucune autre tentative visant l'obtention d'une réparation provisoire ou la tenue d'une audience accélérée, des questions actuelles pouvant être soulevées devant la Cour pendant la construction ou avant que le projet commence à être exploité au mois de décembre 1999.

[9]                 L'appelant a plutôt sollicité des ordonnances annulant les décisions des ministres d'autoriser la réalisation du projet et portant que la LCEE doit être observée. Dans le contexte de la présente espèce, toute ordonnance de ce genre n'a plus qu'un intérêt théorique puisque le substratum du litige, à savoir la construction proposée et l'impact écologique en résultant sur le milieu environnant, n'existe plus. Toute ordonnance prévoyant la consultation au sujet de la construction proposée serait également inutile et constituerait un gaspillage des ressources publiques. Le projet est maintenant exploité et il est inutile pour l'appelant de poursuivre l'affaire.


[10]            Nous notons en particulier que, si la Cour annulait maintenant l'autorisation délivrée conformément à l'article 35 de la Loi sur les pêches, le MPO ne serait pas en mesure d'assurer l'observation des conditions afférentes à cette autorisation, ou de refuser de délivrer une autre autorisation à cet égard, même si on lui demandait de le faire. Kagiano avait besoin d'une autorisation afin de détruire l'habitat du poisson et, en vertu de cette autorisation, des mesures d'atténuation ont été énoncées afin de minimiser les incidences environnementales de ces activités. Les activités qui entraîneraient la destruction de l'habitat du poisson sont déjà achevées et il n'y a plus rien que le MPO puisse approuver.

[11]            De même, la demande visant l'obtention d'un bref de certiorari annulant la décision de fournir des fonds à la Première nation n'a plus qu'un intérêt théorique puisque les sommes en question ont été remises à la Première nation au mois d'avril 1999, environ sept mois après l'évaluation environnementale effectuée par le MAINC. Ces sommes ont peut-être déjà été dépensées. L'octroi à l'appelant du redressement sollicité ne permettra pas de les recouvrer.

La cour devrait-elle entendre cet appel, qui n'a plus qu'un intérêt théorique?


[12]            Il a été satisfait à la première étape, dans l'analyse effectuée conformément à l'arrêt Borowski, précité, et l'appel n'a plus qu'un intérêt théorique. Toutefois, la deuxième étape de cette analyse exige que la Cour détermine maintenant s'il s'agit d'un cas dans lequel il convient d'exercer son pouvoir discrétionnaire et d'entendre l'affaire même si celle-ci n'a plus qu'un intérêt théorique, comme elle l'a fait en partie dans l'arrêt Air Canada c. Le Commissaire de la concurrence et I.M.P. Group Ltd. (Canjet Airlines), 2002 CAF 121. Il sera maintenant question de l'enquête à trois volets décrite dans l'arrêt Borowski, précité, et appliquée dans l'arrêt J.G., précité.

[13]            La première exigence est l'existence d'un débat contradictoire qui se poursuit même s'il ne reste plus de « litige actuel » . Au paragraphe 32 de l'arrêt Borowski, précité, le juge Sopinka a dit ce qui suit :

[...] cette exigence [peut] être remplie si, malgré la disparition du litige actuel, le débat contradictoire demeure. Par exemple, même si la partie qui a engagé des procédures en justice n'a plus d'intérêt direct dans l'issue, il peut subsister des conséquences accessoires à la solution du litige qui fournissent le contexte contradictoire nécessaire.

Dans l'arrêt J.G., précité, paragraphe 44, la majorité était convaincue qu'il existait un débat contradictoire parce que les parties et les intervenants avaient débattu l'appel à fond et avec vigueur. Il en va de même pour l'appelant en l'espèce. M. Lavoie s'est activement opposé au projet et, à notre avis, il a également été satisfait à cette exigence. Les intimés ont concédé le troisième élément de l'enquête prévue dans l'arrêt Borowski, à savoir que si la Cour entendait cet appel, elle n'usurperait pas les fonctions d'autres branches du gouvernement.


[14]            Il reste donc le deuxième élément du critère énoncé dans l'arrêt Borowski, à savoir l'examen de la question de l'économie des ressources judiciaires. Au paragraphe 34 des motifs qu'il a prononcés dans l'arrêt Borowski, précité, le juge Sopinka a noté qu'il sera satisfait à l'exigence relative à l'économie des ressources judiciaires en tant que facteur à prendre en compte dans la décision de ne pas entendre une affaire théorique si les circonstances particulières de l'affaire justifient que l'on consacre des ressources judiciaires restreintes à son règlement. Le juge a ensuite donné des exemples de pareilles circonstances, notamment :

a.          La décision de la cour aura des effets concrets sur les droits des parties même si elle ne résout pas le litige qui a donné naissance à l'action (paragraphe 34);

b.          La cause théorique est de nature répétitive et de courte durée. Pour garantir que sera soumise aux tribunaux une question importante qui, prise isolément, pourrait échapper à l'examen judiciaire, il n'est pas nécessaire d'appliquer strictement la doctrine du caractère théorique. Toutefois, il est préférable d'attendre et de trancher la question dans un véritable contexte contradictoire, à moins qu'il ne ressorte des circonstances que le différend aura toujours disparu avant d'être résolu (paragraphe 36); ou

c.          Le cas soulève une question d'importance publique qu'il est dans l'intérêt public de trancher, mais il faut mettre en balance la dépense de ressources judiciaires et le coût social de l'incertitude (paragraphes 37 à 39).

  

[15]            Quant au premier exemple, le redressement sollicité dans le présent appel n'aurait aucun effet concret sur les droits des parties parce que, selon la preuve, qui n'a pas été contestée, tout le mal a déjà été causé aux poissons et à l'habitat du poisson. Nous ne sommes pas convaincus que la preuve relative au débit variable de la rivière mine la preuve présentée par le déposant de Kagiano. Quant aux sommes versées par le MAINC, il existe peut-être en théorie une possibilité qu'elles puissent être recouvrées si la décision du MAINC est annulée, mais cela nous semble trop éloigné pour avoir un effet concret sur la réparation demandée. Par conséquent, l'annulation des décisions des ministres à ce stade ne servirait à rien; de plus, il ne servirait à rien d'obliger les ministres à observer la LCEE, à supposer bien sûr qu'ils ont omis de le faire. Pareilles ordonnances, si elles étaient rendues, ne constitueraient que de vaines déclarations.

[16]            Quant au deuxième exemple, les décisions qui sont ici contestées ne sont pas de nature temporaire et ne disparaîtront pas avant d'être résolues par les tribunaux. On ne saurait dire que les centrales hydroélectriques en général et le projet ici en cause en particulier échappent à l'examen. L'appelant a décidé de contester les décisions sous-jacentes et, puisqu'il a choisi ce recours, il ne peut pas maintenant affirmer que cet appel appartient à la catégorie de cas qui n'auraient en général qu'un intérêt théorique lorsque l'affaire serait examinée en appel. Ce deuxième exemple tiré de l'arrêt Borowski, précité, n'aide pas l'appelant.


[17]            En outre, nous ne sommes pas convaincus que cet appel soulève des questions touchant l'intérêt public. Toutefois, cela ne veut pas dire que l'observation de la LCEE par le gouvernement n'est pas une question importante. Suivant l'arrêt Borowski, précité, nous sommes plutôt convaincus qu'il est préférable d'attendre et de trancher la question dans un véritable contexte contradictoire. Nous tenons également à faire remarquer que la Cour a déjà examiné la question des obligations qui incombent au gouvernement en vertu de la LCEE dans l'arrêt Friends of the West Country Ass. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] 2 C.F. 263 (C.A.F.). Dans cet arrêt-là, Monsieur le juge Rothstein, au nom de la Cour, a énoncé les principes en vertu desquels les évaluations environnementales effectuées par le ministre devraient être examinés. Compte tenu de cette analyse, les questions soulevées dans le présent appel, y compris le présumé manquement à l'obligation d'équité procédurale, ne sont pas des questions nouvelles et n'ont pas une importance générale suffisante pour justifier l'audition de cet appel théorique. Comme le juge Lemieux l'a fait remarquer, le projet a déjà fait l'objet de longues consultations s'étendant sur plusieurs années.

[18]            Le juge des demandes a statué que l'arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, avait réglé la question du caractère théorique. Au paragraphe 84, il a dit ce qui suit : « Dans cette affaire, tout comme ici, le projet était à peu près complété. Toutefois, la Cour suprême du Canada a rejeté l'argument voulant que l'affaire soit devenue théorique, considérant qu'une ordonnance d'application aurait un certain effet sur les mesures susceptibles d'être prises pour atténuer toute incidence environnementale néfaste que pourrait avoir le projet. » Dans l'arrêt Oldman River, précité, paragraphe 109, Monsieur le juge La Forest a dit ce qui suit au nom de la majorité :

La délivrance d'un bref de prérogative devrait être refusée pour motif de futilité seulement dans les rares cas où sa délivrance serait vraiment inefficace. Par exemple, le cas où l'ordonnance ne pourrait pas être exécutée, savoir une ordonnance de prohibition à l'encontre d'un tribunal s'il ne lui reste rien à faire qui puisse être interdit; voir de Smith, op. cit. , aux pp. 427 et 428. Ce n'est pas du tout la même situation lorsque l'on ne peut déterminer a priori qu'une ordonnance de la nature d'un bref de prérogative n'aura aucune incidence sur le plan pratique. En l'espèce, [...] il n'est pas du tout évident que l'application du Décret sur les lignes directrices, même à cette étape tardive, n'aura pas un certain effet sur les mesures susceptibles d'être prises pour atténuer toute incidence environnementale néfaste que pourrait avoir le barrage sur un domaine de compétence fédérale. En conséquence, je conclus que la Cour d'appel n'a pas commis d'erreur en modifiant la décision du juge des requêtes de refuser, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le redressement.


[19]            Toutefois, nous voudrions souligner que le projet en cause dans l'affaire Oldman River, précitée, n'était pas achevé au moment où la Cour suprême du Canada a tenu l'audience. Le projet ici en cause lui non plus n'avait pas commencé à être exploité lorsque le juge Lemieux a entendu la demande. En outre, dans cette affaire-là il s'agissait de savoir si les autorités fédérales avaient procédé à une évaluation environnementale. Or, ce n'est pas ici le cas. En l'espèce, la question en litige porte sur le caractère exhaustif de cette évaluation et sur la suffisance de l'accès accordé au public. À notre avis, l'arrêt Oldman River, précité, ne s'applique pas, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, l'appelant a reçu les documents demandés, même s'il ne les a reçus qu'après que les autorisations relatives à la construction et au financement eurent été accordées. En second lieu, il est certain qu'une évaluation environnementale a été effectuée. L'appelant conteste la portée et le contenu de l'évaluation, mais ces facteurs rendent le bref de prérogative demandé inefficace, pour reprendre le terme employé par le juge La Forest. Le bref de prérogative sollicité, à savoir l'annulation des décisions des ministres, n'assurerait pas la prise de mesures d'atténuation ou de mesures correctives puisque le projet est exploité d'une façon presque continue depuis plus de deux ans.

[20]            Quant à la question des dépens, l'appelant soutient que sa qualité spéciale en tant que plaideur agissant dans l'intérêt public devrait le protéger contre l'adjudication de dépens dans cet appel. D'autre part, les intimés sollicitent leurs dépens devant les deux instances.

[21]            L'article 400 des Règles prévoit l'adjudication des dépens; les passages pertinents sont ainsi libellés :



400.(1) La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer.

400.(1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

(2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

(2) Costs may be awarded to or against the Crown.


(3) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants :

a) le résultat de l'instance;

[...]

c) l'importance et la complexité des questions en litige;

[...]

g) la charge de travail;

h) le fait que l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance justifie une adjudication particulière des dépens;

[...]

o) toute autre question qu'elle juge pertinente.

(3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

(a) the result of the proceeding;

...

(c) the importance and complexity of the issues;

...

(g) the amount of work;

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

...

(o) any other matter that it considers relevant.



[22]            Même si le juge Lemieux n'a pas précisé pourquoi il adjugeait les dépens, les motifs qu'il a prononcés à l'appui du rejet de la demande étayent pleinement l'application de la règle normale, selon laquelle les dépens suivent l'issue de la cause. Nous ne sommes pas non plus convaincus qu'une adjudication différente soit appropriée dans le cas de l'appelant. M. Lavoie agit dans l'intérêt public, mais le CCP, un groupe de défense de l'intérêt public créé expressément en vue d'étudier le projet, n'a pas poursuivi le litige. Comme nous en avons fait mention, nous sommes tous en outre convaincus que les questions juridiques soulevées par M. Lavoie ne sont pas si importantes qu'elles permettent de ne pas adjuger les dépens aux intimés.

[23]            L'appel sera rejeté, les dépens entre parties étant adjugés aux intimés selon la gamme habituelle, et ce, devant les deux instances. Les ministres auront droit à un seul mémoire de frais.

     

                                                                                                                                    « B. Malone »                 

                                                                                                                                                    Juge                       

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                           SECTION D'APPEL

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                                     A-611-00

INTITULÉ :                                    JOHN R. LAVOIE

et

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, KAGIANO POWER CORPORATION et LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS DE PIC RIVER

  

LIEU DE L'AUDIENCE :            TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :         LES MERCREDI 19 ET JEUDI 20 JUIN 2002

  

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE MALONE

MOTIFS RENDUS À L'AUDIENCE À TORONTO (ONTARIO)

LE JEUDI 20 JUIN 2002.

  

COMPARUTIONS :

M. Rodney Northey                                  POUR L'APPELANT

M. John McGowan                                    POUR L'INTIMÉE, KAGIANO POWER CORPORATION

M. Robert Edwards                                    POUR L'INTIMÉE, LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS DE PIC RIVER


Mme Valerie Andrerson                  POUR LES INTIMÉS, LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT, LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Birchall Northey                           POUR L'APPELANT

Avocats

36, rue Wellington est

Bureau 300

Toronto (Ontario)

M5E 1C7

Cassells, Brock et Blackwell         POUR L'INTIMÉE, KAGIANO POWER

Avocats                                           CORPORATION

Scotia Plaza, bureau 2100

40, rue King ouest

Toronto (Ontario)

M5H 3C2

Edwards et Carfagnini                    POUR L'INTIMÉE, LA PREMIÈRE

Avocats                                           NATION DES OJIBWAYS DE PIC

69, rue North Court                      RIVER

C.P. 2237

Thunder Bay (Ontario)

P7B 5E8

M. Morris Rosenberg                    POUR LES INTIMÉS, LE MINISTRE

Sous-procureur général du Canada        DE L'ENVIRONNEMENT, LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

  

Date : 20020620

Dossier : A-611-00

ENTRE :

JOHN R. LAVOIE

                                                 appelant

  

     et

  

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

KAGIANO POWER CORPORATION et

LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS DE PIC RIVER

  

                                                   intimés

  
  

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

  
  
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