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Date : 20180720


Dossier : A-352-16

Référence : 2018 CAF 137

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

QUINCO FINANCIAL INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 12 juin 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20180720


Dossier : A-352-16

Référence : 2018 CAF 137

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

QUINCO FINANCIAL INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  Notre Cour est uniquement saisie de la question de l’accumulation de l’intérêt lorsqu’une nouvelle cotisation est établie par suite de l’application de la disposition ou règle générale anti-évitement (DGAÉ ou RGAÉ) prévue à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Nous devons décider si les intérêts commencent à courir à compter de la date d’exigibilité du solde pour l’année en question ou à compter de la date de la nouvelle cotisation.

[2]  Le présent appel découle d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt qui porte sur la question relative à l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a (les « Règles ») que voici :

[traduction]

Si, comme en l’espèce, le ministre du Revenu national s’est fondé sur l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi ») pour rejeter des pertes en capital en établissant une nouvelle cotisation à l’égard de l’impôt sur le revenu de l’appelante pour une année d’imposition, les intérêts débiteurs payables prévus par le paragraphe 161(1) de la Loi peuvent-ils courir à l’égard de toute période allant de la date d’exigibilité du solde qui est applicable au contribuable pour l’année jusqu’à l’établissement de la nouvelle cotisation?

[3]  La Cour de l’impôt a répondu par l’affirmative à cette question et a donc conclu que l’intérêt s’accumulait à l’égard de la période allant de la date d’exigibilité du solde qui est applicable au contribuable pour l’année jusqu’à l’établissement de la nouvelle cotisation résultant de l’application de la DGAÉ.

[4]  Quinco Financial Inc. (Quinco) a porté cette décision en appel. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel. Dans les présents motifs, toute mention d’une nouvelle cotisation doit également s’entendre d’une cotisation, et vice versa.

I.  Rappel des faits

[5]  Selon l’exposé conjoint des faits déposé par les parties auprès de la Cour de l’impôt, la présente affaire se rapporte à deux sociétés ayant fusionné avec d’autres sociétés pour former Quinco le 27 août 2004. Les deux sociétés prédécesseures concernées en l’espèce sont Brick Warehouse Corporation/Entrepôt Brick Corporation (BWC) et Landex Investments Limited (LIL).

[6]  En produisant leurs déclarations de revenus pour l’année d’imposition ayant pris fin immédiatement avant la fusion, BWC et LIL ont déclaré des revenus fondés sur les gains en capital, pertes en capital, gains en capital nets et pertes en capital nettes qui suivent :

Blanc

BWC

LIL

Gain en capital

536 693 764 $

79 719 764 $

Perte en capital

(540 011 434 $)

(32 684 977 $)

Gain en capital net (Perte en capital nette)

(3 317 670 $)

47 034 730 $

[7]  L’exposé conjoint des faits ne décrit pas les transactions ou séries de transactions ayant occasionné les pertes en capital indiquées plus haut.

[8]  Les déclarations ont d’abord fait l’objet de cotisations telles qu’elles ont été produites. De nouvelles cotisations ont plus tard été établies afin d’ajuster les montants ainsi :

Blanc

BWC

LIL

Gain en capital

534 068 193 $

77 162 757 $

Perte en capital

(538 653 363 $)

(29 266 139 $)

Gain en capital net (Perte en capital nette)

(4 585 170 $)

47 896 618 $

[9]  Il ressort d’autres avis de nouvelle cotisation en date du 7 avril 2009 que le montant total des pertes en capital déclarées par BWC et par LIL a été rejeté, au motif que la DGAÉ s’appliquait aux transactions ayant occasionné ces pertes. Par conséquent, les pertes en capital déductibles ont été ramenées à zéro. Puisqu’il existait alors des gains en capital imposables importants, il a été établi que l’obligation fiscale de BWC et de LIL découlant de la Partie I de la Loi était beaucoup plus importante que ce qui avait été établi auparavant. Des intérêts ont alors été facturés à BWC et à LIL relativement à l’obligation fiscale majorée découlant de la Partie I pour la période débutant immédiatement après la date d’exigibilité du solde. Cette cotisation pour intérêts est à l’origine de la question relative à l’article 58 en cause en l’espèce.

II.  Décision de la Cour canadienne de l’impôt

[10]  Le juge de la Cour de l’impôt a examiné la nature d’une cotisation fondée sur la DGAÉ et a effectué une analyse factuelle, contextuelle et téléologique des articles 245 et 161 de la Loi. Il a conclu qu’une nouvelle cotisation fondée sur la DGAÉ ne créait pas d’obligation fiscale au moment de son établissement et que les intérêts, comme dans le cas de toute nouvelle cotisation établie à l’égard d’une obligation fiscale découlant de la Partie I, commençaient à courir immédiatement après la date d’exigibilité du solde pour l’année en question.

III.  Question en litige

[11]  La Cour doit décider en l’espèce si le juge de la Cour de l’impôt a correctement interprété les dispositions pertinentes de la Loi en concluant que les intérêts à payer en raison d’une nouvelle cotisation fondée sur la DGAÉ commencent à courir immédiatement après la date d’exigibilité du solde pour l’année à l’égard de laquelle la nouvelle cotisation est établie.

IV.  Norme de contrôle

[12]  La question en litige étant une question de droit, la norme de contrôle est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235).

V.  Analyse

[13]  Dans l’arrêt Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721 (Copthorne), la Cour suprême du Canada a donné l’aperçu général suivant de la DGAÉ :

66  La RGAÉ est un mécanisme juridique par lequel le législateur confie aux tribunaux la tâche inhabituelle d’aller au‑delà du texte de la disposition invoquée par le contribuable pour en déterminer l’objet ou l’esprit. Il se peut qu’une opération du contribuable respecte à la lettre la disposition en cause sans nécessairement être conforme à l’objet ou à l’esprit de celle‑ci. Dans ce cas, le ministre peut invoquer la RGAÉ, laquelle crée effectivement de l’incertitude chez le contribuable. Les tribunaux doivent toutefois se rappeler que l’art. 245 représente une « mesure de dernier recours » (Trustco, [Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601], par. 21).

[14]  La DGAÉ est une disposition de dernier recours qui est invoquée par le ministre lorsque les transactions respectent strictement la lettre de la Loi, mais que, de l’avis du ministre, elles ne respectent pas l’objet ou l’esprit des dispositions pertinentes. Si une nouvelle cotisation découlant de la DGAÉ est portée en appel, il appartient aux tribunaux de statuer sur l’applicabilité de la DGAÉ.

[15]  En l’espèce, le juge de la Cour de l’impôt a d’abord passé en revue la jurisprudence et le rôle de la DGAÉ dans l’économie de la Loi. Dans le cadre de son analyse, il a abordé la question de savoir si les contribuables devaient prévoir l’application de la DGAÉ et en tenir compte. Son analyse de cette question est présentée aux paragraphes suivants :

41  En bref, l’appelante, en l’espèce à titre de contribuable vraisemblablement soumise à la DGAÉ, aurait pu produire une déclaration déduisant la perte en capital future considérée, mais en appliquant la DGAÉ aux fins de la détermination de l’impôt à payer. À la suite de la cotisation fondée sur la DGAÉ, aucun intérêt ne courrait. En outre, par la suite l’appelante aurait pu s’opposer à la cotisation et interjeter appel. La Cour jugerait alors de l’application de la DGAÉ en première instance et du caractère raisonnable (y compris le synchronisme) des attributs fiscaux raisonnables tels qu’ils ont été déterminés par le ministre. Il est inexact de dire qu’une telle option n’est pas ouverte ou qu’elle est différente d’une option de dispositions faisant abstraction des dispositions établissant la DGAÉ.

42  Par sa décision, la Cour conclut implicitement que l’esprit de la DGAÉ est clairement que tous les contribuables directement assujettis aux cotisations fondées sur la DGAÉ, c’est-à-dire, les parties non tierces, doivent tenir compte de la DGAÉ et l’appliquer. Les contribuables qui sont ou qui peuvent être directement visés par l’annulation d’un avantage fiscal n’ont pas besoin de demander la permission du ministre pour appliquer la DGAÉ (S.t.b. Holdings Ltd., au paragraphe 23).

43  En conclusion, bien que cela ne soit pas simple, le contribuable est capable d’envisager la DGAÉ, de la prévoir ou d’en tenir compte, comme il se doit de le faire pour tout autre article de la Loi auquel la DGAÉ, nécessairement, doit se rattacher. Si le ministre établit une nouvelle cotisation, rien n’empêche le contribuable d’interjeter appel devant notre Cour.

[Non souligné dans l’original.]

[16]  Bien que le juge affirme, au paragraphe 42, que « tous les contribuables directement assujettis aux cotisations fondées sur la DGAÉ, c’est-à-dire, les parties non tierces, doivent tenir compte de la DGAÉ et l’appliquer », il serait plus exact à mon avis de dire que tous les contribuables qui envisagent une transaction ou une série de transactions susceptibles d’entraîner un avantage fiscal devraient envisager la possibilité que la DGAÉ s’applique et les prive de l’avantage fiscal. Si le contribuable effectue une transaction ou une série de transactions créant un avantage fiscal et produit une déclaration de revenus en s’appuyant sur le fait qu’il peut bénéficier de cet avantage fiscal, il s’ensuit que ce contribuable accepte le risque que le ministre ne soit pas d’accord et applique la DGAÉ. Comme dans le cas de toute autre position relative à une déclaration susceptible d’entraîner un différend avec le ministre, si le contribuable n’a pas gain de cause après avoir épuisé tous les recours et appels, alors ce contribuable doit payer l’impôt additionnel avec intérêts.

[17]  L’obligation de payer des intérêts est établie à l’article 161 de la Loi. Le paragraphe (1) de cette disposition est ainsi libellé :

161(1) Dans le cas où le total visé à l’alinéa a) excède le total visé à l’alinéa b) à un moment postérieur à la date d’exigibilité du solde qui est applicable à un contribuable pour une année d’imposition, le contribuable est tenu de verser au receveur général des intérêts sur l’excédent, calculés au taux prescrit pour la période au cours de laquelle cet excédent est impayé :

161(1) Where at any time after a taxpayer’s balance-due day for a taxation year

a) le total des impôts payables par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie et des parties I.3, VI et VI.1;

(a) the total of the taxpayer’s taxes payable under this Part and Parts I.3, VI and VI.1 for the year

b) le total des montants représentant chacun un montant payé au plus tard à ce moment au titre de l’impôt payable par le contribuable et imputé par le ministre, à compter de ce moment, sur le montant dont le contribuable est redevable pour l’année en vertu de la présente partie ou des parties I.3, VI ou VI.1.

exceeds

(b) the total of all amounts each of which is an amount paid at or before that time on account of the taxpayer’s tax payable and applied as at that time by the Minister against the taxpayer’s liability for an amount payable under this Part or Part I.3, VI or VI.1 for the year,

the taxpayer shall pay to the Receiver General interest at the prescribed rate on the excess, computed for the period during which that excess is outstanding.

(Non souligné dans l’original)

(emphasis added)

[18]  Les arguments de Quinco mettent l’accent sur la partie suivante de cette disposition : « la période au cours de laquelle cet excédent est impayé ». Quinco soutient que cet excédent ne devient exigible qu’à compter de la date d’établissement de la nouvelle cotisation fondée sur la DGAÉ et non à compter de la date d’exigibilité du solde pour l’année à l’égard de laquelle la nouvelle cotisation est établie.

[19]  Au paragraphe 10 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 (Canada Trustco), la Cour suprême du Canada a exposé la méthode d’interprétation de dispositions semblables à celle qui est en cause dans le présent appel :

10  Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[20]  En ce qui a trait à l’interprétation qui doit être donnée aux termes « la période au cours de laquelle cet excédent est impayé » lorsque l’obligation fiscale d’un contribuable augmente en raison de l’application de la DGAÉ, Quinco a fait valoir que la date de la nouvelle cotisation est la date pertinente, parce que le ministre doit déterminer les attributs fiscaux raisonnablement nécessaires conformément à la DGAÉ et parce qu’il incombe au ministre de délimiter les dispositions de la Loi qui auraient fait l’objet d’un usage abusif ainsi que d’en déterminer l’objet et l’esprit. Aucun de ces arguments n’est convaincant.

[21]  Bien que ce soit le ministre qui détermine les attributs fiscaux raisonnablement nécessaires lorsqu’il établit une nouvelle cotisation découlant de la DGAÉ, il s’agit à mon avis essentiellement du même rôle que joue le ministre chaque fois qu’il établit une nouvelle cotisation en vertu de la Loi, que ce soit au titre de la DGAÉ ou de toute autre disposition. Dans chaque cas, le ministre doit déterminer les attributs fiscaux (sans toutefois juger du caractère raisonnable dans le cas de toute autre nouvelle cotisation) découlant de l’établissement d’une nouvelle cotisation. Quinco a fait valoir qu’elle ne pouvait savoir quels attributs fiscaux le ministre jugerait raisonnablement nécessaires au titre de la DGAÉ, mais il n’en reste pas moins que BWC et LIL ont effectué certaines transactions (qui n’ont pas été divulguées) ayant entraîné de très importantes pertes en capital, de sorte qu’il est très difficile de comprendre pourquoi elles n’auraient pas pu prévoir que ces pertes en capital pourraient être refusées si la DGAÉ était appliquée. D’autres conséquences (comme des conséquences fiscales découlant de la Partie IV en cas de versement de dividendes) pourraient être imposées si le ministre devait invoquer la DGAÉ; or, l’exercice de déterminer l’ensemble des conséquences qui découleraient d’un rejet des pertes en capital déductibles serait alors plus complexe certes, mais il pourrait quand même être effectué.

[22]  En ce qui a trait à l’argument du fardeau imposé au ministre en lien avec une nouvelle cotisation résultant de l’application de la DGAÉ, Quinco s’appuie sur l’extrait suivant de l’arrêt Canada Trustco :

65  [...] Une fois qu’il a démontré qu’il respecte le libellé d’une disposition, le contribuable ne devrait pas avoir à prouver qu’il n’a pas, de ce fait, contrevenu à l’objet ou à l’esprit de la disposition. Il appartient au ministre qui tente d’invoquer la RGAÉ de décrire l’objet ou l’esprit des dispositions qui auraient été contournées, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi. Le ministre est mieux placé que le contribuable pour présenter des observations sur l’intention du législateur dans le but d’interpréter les dispositions de façon harmonieuse avec le régime législatif général qui s’applique à l’opération en cause.

[Non souligné dans l’original.]

[23]  La Cour suprême du Canada a fait un commentaire similaire dans l’arrêt Copthorne :

72  L’analyse fait conclure à l’évitement fiscal abusif lorsque l’opération (1) produit un résultat que la disposition législative vise à empêcher, (2) va à l’encontre de la raison d’être de la disposition ou (3) contourne l’application de la disposition de manière à contrecarrer son objet ou son esprit : Trustco, par. 45; Lipson [Lipson c. Canada, 2009 CSC 1, [2009] 1 R.C.S. 3], par. 40. Ces considérations ne jouent pas indépendamment les unes des autres, et elles peuvent se chevaucher. À cette étape, le ministre doit montrer clairement que l’opération a un caractère abusif, et le contribuable a le bénéfice du doute.

[...]

123 Bien que le législateur ait un souci d’uniformité, de prévisibilité et d’équité lorsqu’il légifère en matière fiscale, il faut reconnaître qu’en adoptant la RGAÉ, il a soumis les contribuables à une incertitude inévitable. Dès lors, le ministre a d’autant plus l’obligation de démontrer clairement l’abus allégué s’il veut satisfaire aux deux autres principes que sont l’uniformité et la prévisibilité.

[Non souligné dans l’original.]

[24]  Quinco soutient que, puisque le ministre doit « décrire l’objet ou l’esprit des dispositions qui auraient été contournées », toute obligation découlant d’une nouvelle cotisation résultant de l’application de la DGAÉ ne peut exister qu’à partir du moment où le ministre a établi la nouvelle cotisation.

[25]  Cependant, ces déclarations de la Cour suprême du Canada n’établissent que la responsabilité du ministre de décrire le présumé abus lorsqu’une nouvelle cotisation fondée sur la DGAÉ est établie.

[26]  Dans l’arrêt Canada Trustco, la Cour suprême du Canada a énuméré les responsabilités du contribuable et du ministre lorsqu’une cotisation basée sur la DGAÉ est en litige :

66  L’approche relative à l’art. 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu peut se résumer ainsi.

1.  Trois conditions sont nécessaires pour que la RGAÉ s’applique :

(1)  il doit exister un avantage fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations dont l’opération fait partie (par. 245(1) et (2));

(2)  l’opération doit être une opération d’évitement en ce sens qu’il n’est pas raisonnable d’affirmer qu’elle est principalement effectuée pour un objet véritable — l’obtention d’un avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

(3)  il doit y avoir eu évitement fiscal abusif en ce sens qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

2.  Il incombe au contribuable de démontrer l’inexistence des deux premières conditions, et au ministre d’établir l’existence de la troisième condition.

[27]  Cet extrait montre clairement que la Cour suprême du Canada traitait uniquement de la question du fardeau qui incombe au contribuable et du fardeau qui incombe au ministre. Elle ne traitait pas de la question du moment auquel naît l’obligation fiscale pour la cotisation basée sur l’application de la DGAÉ.

[28]  De même, l’exigence voulant que le ministre, dans les dossiers faisant intervenir la DGAÉ, établisse qu’un avantage fiscal n’est pas conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions sur lesquelles s’appuie le contribuable ne permet pas de conclure que l’obligation fiscale majorée ne naît le cas échéant qu’au moment de l’établissement de la nouvelle cotisation. Lorsque le ministre n’invoque pas la DGAÉ et s’appuie sur le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi pour établir une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, il incombe aussi au ministre d’établir les faits permettant de justifier cette nouvelle cotisation (Vine c. Canada, 2015 CAF 125, [2015] 4 R.C.F. 698, par. 24). Quinco n’a pas indiqué que les intérêts dans cette situation ne commenceraient à courir qu’au moment de l’établissement de la nouvelle cotisation, mais a plutôt tenté de distinguer cette situation de l’espèce en tenant compte du fait que la nouvelle cotisation serait une [traduction] « nouvelle cotisation établie dans le cours normal » et non une [traduction] « nouvelle cotisation découlant de l’application de la DGAÉ ».

[29]  Dans le cadre de l’examen de cet argument, il est important de tenir compte du contexte et du but de la DGAÉ en ce qui a trait aux nouvelles cotisations. Les paragraphes 245(2) et (5) de la Loi établissent les conséquences de l’application de la DGAÉ :

245(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

245(2) Where a transaction is an avoidance transaction, the tax consequences to a person shall be determined as is reasonable in the circumstances in order to deny a tax benefit that, but for this section, would result, directly or indirectly, from that transaction or from a series of transactions that includes that transaction.

[…]

(5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

(5) Without restricting the generality of subsection (2), and notwithstanding any other enactment,

a) toute déduction, exemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

(a) any deduction, exemption or exclusion in computing income, taxable income, taxable income earned in Canada or tax payable or any part thereof may be allowed or disallowed in whole or in part,

b) tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

(b) any such deduction, exemption or exclusion, any income, loss or other amount or part thereof may be allocated to any person,

c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

(c) the nature of any payment or other amount may be recharacterized, and

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

(d) the tax effects that would otherwise result from the application of other provisions of this Act may be ignored,

in determining the tax consequences to a person as is reasonable in the circumstances in order to deny a tax benefit that would, but for this section, result, directly or indirectly, from an avoidance transaction.

[30]  Lorsque la DGAÉ est appliquée, un avantage fiscal est refusé, notamment, comme ce fut le cas en l’espèce, par le rejet d’une déduction pour des pertes en capital déductibles. Le refus de l’avantage fiscal entraîne une augmentation de l’impôt exigible pour l’année d’imposition visée. Rien dans la Loi n’indique que l’obligation fiscale majorée résultant d’une nouvelle cotisation fondée sur l’application de la DGAÉ naît uniquement au moment de l’établissement de la nouvelle cotisation. Puisque le refus d’un avantage fiscal pour une année d’imposition donnée entraîne une augmentation de l’obligation fiscale pour cette année, la question est de savoir à quelle date cette obligation était exigible (ce qui permettrait de savoir la durée pendant laquelle l’excédent mentionné au paragraphe 161(1) de la Loi était impayé).

[31]  L’article 157 de la Loi (qui se trouve dans la Partie I) dispose que la totalité de l’impôt pour une année donnée est payable au plus tard à la date d’exigibilité du solde :

157(1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (1.5), toute société doit verser au receveur général, pour chacune de ses années d’imposition :

157(1) Subject to subsections (1.1) and (1.5), every corporation shall, in respect of each of its taxation years, pay to the Receiver General

a) l’un des montants suivants :

(a) either

(i) un montant égal à 1/12 du total des montants qu’elle estime être ses impôts payables en vertu de la présente partie et des parties VI, VI.1 et XIII.1 pour l’année, au plus tard le dernier jour de chaque mois de l’année,

(i) on or before the last day of each month in the year, an amount equal to 1/12 of the total of the amounts estimated by it to be the taxes payable by it under this Part and Parts VI, VI.1 and XIII.1 for the year,

(ii) un montant égal à 1/12 de sa première base des acomptes provisionnels pour l’année au plus tard le dernier jour de chaque mois de l’année,

(ii) on or before the last day of each month in the year, an amount equal to 1/12 of its first instalment base for the year, or

(iii) un montant égal à 1/12 de sa deuxième base des acomptes provisionnels pour l’année, au plus tard le dernier jour de chacun des deux premiers mois de l’année, et un montant égal à 1/10 du restant une fois déduit de sa première base des acomptes provisionnels pour l’année le montant calculé en vertu du présent sous-alinéa pour les deux premiers mois, au plus tard le dernier jour de chacun des 10 mois suivants de l’année;

(iii) on or before the last day of each of the first two months in the year, an amount equal to 1/12 of its second instalment base for the year, and on or before the last day of each of the following months in the year, an amount equal to 1/10 of the amount remaining after deducting the amount computed pursuant to this subparagraph in respect of the first two months from its first instalment base for the year; and

b) le solde de ses impôts payables pour l’année en vertu de la présente partie et des parties VI, VI.1 et XIII.1, au plus tard à la date d’exigibilité du solde qui lui est applicable pour l’année.

(b) the remainder of the taxes payable by it under this Part and Parts VI, VI.1 and XIII.1 for the year on or before its balance-due day for the year.

(Non souligné dans l’original)

(emphasis added)

[32]  En l’espèce, s’agissant des nouvelles cotisations, il y a eu rejet des pertes en capital déductibles réclamées pour l’exercice terminé le 27 août 2004. Du fait des nouvelles cotisations, les montants d’impôt dus au titre de la Partie I pour cette année ont été majorés pour chacune des deux sociétés prédécesseures. Comme les montants d’impôt à payer au titre de la Partie I étaient dus pour l’exercice terminé le 27 août 2004, ils étaient, conformément à l’article 157, dus à la date d’exigibilité du solde pour cette année. Par conséquent, ils devenaient exigibles immédiatement après cette date et les intérêts commençaient à courir immédiatement après la date d’exigibilité du solde et non à la date d’établissement des nouvelles cotisations.

[33]  Dans la décision La Reine c. Simard-Beaudry Inc., [1971] C.F. 396, p. 403, la Cour fédérale a aussi confirmé que « [l]a cotisation […] ne crée pas la dette, mais ne fait, tout au plus qu’en affirmer son existence ». Ce commentaire s’applique tout aussi bien à une nouvelle cotisation résultant de l’application de la DGAÉ, puisque cette nouvelle cotisation confirme simplement la dette fiscale exigible pour une année d’imposition donnée.

[34]  Pour ces motifs, je rejetterais le présent appel avec dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Andrée Morin, jurilinguiste

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE ORDONNANCE MODIFIÉE DATÉE DU 9 MARS 2017 DE

LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, No 2014-1744(IT)G

(ORDONNANCE INITIALE DATÉE DU 1er SEPTEMBRE 2016)

DOSSIER :

A-352-16

 

INTITULÉ :

QUINCO FINANCIAL INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juin 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Ken S. Skingle, c.r.

D. Brett Anderson

Pour l’appelante

QUINCO FINANCIAL INC.

Justine Malone

Pour l’intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Felesky Flynn LLP

Calgary (Alberta)

Pour l’appelante

QUINCO FINANCIAL INC.

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

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