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Date : 19980226


Dossier : ITA-1384-97

         Dans l"affaire de la Loi de l"impôt sur le revenu,

et

         Dans l"affaire d"une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d"une ou plusieurs de lois suivantes : la Loi de l"impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l"assurance-chômage

CONTRE :


GILBERT GADBOIS


Débiteur-saisi


ET


TRANSPORT H. CORDEAU INC.,

J.-L. MICHON TRANSPORT INC.


Tierces-saisies


ET


2951-7539 QUÉBEC INC.


Mise en cause

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE NOËL

[1]      Il s"agit d"un appel par Sa Majesté à l"encontre d"une décision rendue par le protonotaire en date du 19 décembre 1997 à l"effet suivant :

Sa Majesté la Reine ne peut dans les circonstances du cas en l"espèce se considérer comme un tiers de bonne foi au sens de l"article 1452 C.c.Q. et, partant, elle ne peut s"en remettre audit article aux fins de se prévaloir de l"acte apparent, soit l"acte notarié, intervenu entre la tierce-saisie Cordeau et le débiteur Gadbois, et ce, sans égard à une entente différente intervenue entre les même parties au cours des mois précédent l"entente apparente.1

[2]      L"article en question se lit comme suit :

1452. Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s"il survient entre eux un conflit d"intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré.

Il y a aussi lieu de retenir le texte de l"article 1451 qui précise que :

1451. Il y a simulation lorsque les parties conviennent d"exprimer leur volonté réelle non point dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret, aussi appelé autre-lettre.

[3]      Les faits pertinents ne sont pas en litige. Le protonotaire les a résumés comme

suit :

Toute cette question de préséance d"un acte apparent sur une entente non dévoilée se rapporte au contexte suivant qui mérite d"être rappelé dans ses grandes lignes.

En tout temps pertinent, Cordeau se trouve impliqué dans le transport général et le déneigement.

En 1995, il accuse des problèmes de liquidités et de sérieuses difficultés à rencontrer ses obligations, notamment envers ses sous-traitants et ses fournisseurs.

Face à cette situation financière difficile, Cordeau obtient que le débiteur-saisi, Gilbert Gadbois, en sa qualité de président de 2951-7539 Québec Inc., lui consente entre février et mai 1996 des avances totalisant quelque 63 000$.2 (...)

Ces avances ou prêts de Gadbois auraient été consentis sur la base d"une entente verbale continue ne prévoyant pas de paiement d"intérêts ni de modalités de remboursement du capital.

Comme ces avances de Gadbois, ainsi que le financement obtenu par Cordeau de d"autres sources (...) s"avéraient insuffisantes, Cordeau, selon le paragraphe 21 de son affidavit au dossier, n"a alors eu d"autre choix que de se tourner à nouveau vers Gadbois pour obtenir des injections de fonds additionnelles sur la base de leur entente verbale.

C"est ici que survient l"acte apparent mentionné plus tôt, soit un acte notarié du 10 mai 1996 passé entre Gadbois et Cordeau (l"acte notarié).

Gadbois sentant Cordeau financièrement à sa merci imposa à ce dernier que l"acte notarié, en plus de prévoir un prêt à venir de 75 000$, fasse état également du fait que les avances passées étaient pour un montant de 250 000$ - au lieu de 63 000$ - et ce, afin qu"en cas de faillite de Cordeau, Gadbois puisse par cet acte jouir du contrôle dans ladite faillite. (...)

             Les extraits pertinents de l"acte notarié se lisent comme suit :             
                     1. PRÊT ET AVANCE DE FONDS                     
                     Le débiteur est ou sera redevable d"engagements financiers suivant (sic) envers le créancier, savoir :                     
                     - Une somme de DEUX CENT CINQUANTE MILLE DOLLARS ($250,000.00) représentant des avances déjà effectuées;                     
                     - Une somme de SOIXANTE-QUINZE MILLE DOLLARS ($75,000.00) qui sera déboursée d"ici le 14 mai 1996 entre les mains du notaire en fidéicommis pour être remise au débiteur.                     
                     Cette somme porte intérêt au taux de UN POUR CENT (1%) par mois, et ces intérêts sont payables mensuellement le premier de chaque mois jusqu"au remboursement final de la somme en capital.                     
                     Toute somme due et toute obligation due au créancier devront être remboursées au plus tard le ler mai 1997.                     
                     Il sera loisible au débiteur de rembourser par anticipation sans avis ni indemnité.                     
                     Au cas de vente des biens présentement hypothéqués en vertu des présentes, tout solde restant dû deviendra exigible à la discrétion du créancier.                     
                     Tout intérêt impayé à son échéance portera intérêt au même taux mais demeurera exigible en tout temps sans nécessiter d"avis ou de mise en demeure.                     
                     La présente est faite sans novation ni dérogation aux droits résultant en faveur du créancier en vertu de tout autres actes constitutifs de créances (sic).                     

                     2. HYPOTHÈQUE MOBILIÈRE SANS DÉPOSSESSION                     
                     [Description de l"hypothèque sur les équipements de Cordeau]                     
                     (mon souligné)                     

On constate donc que cet acte porte comme somme totale un montant de 325 000$. Il dispose, de plus, que cette somme portera intérêts et prévoit une date pour le remboursement de toute somme due. Finalement, il stipule implicitement qu"il est constitutif de créance.

Dans les faits et nonobstant l"acte notarié, il appert que Gadbois avança seulement à Cordeau en bout de course une somme de 160 300$. On doit tenir qu"en aucun temps les parties à l"acte notarié envisageaient qu"une somme de 325 000$ serait avancée par Gadbois.

Il ressort également que dans la foulée de l"entente verbale mentionnée précédemment, et de façon contemporaine, doit-on comprendre, à l"acte notarié, Gadbois fixa à 225 000$ la somme totale que Cordeau devait lui rembourser en vertu du contrat notarié. Contre toute attente, Cordeau ne fit pas faillite et Gadbois fut éventuellement remboursé d"un montant de 225 000$.

La Couronne a toutefois entrepris de saisir-arrêter entre les mains de Cordeau la différence existant entre le montant total de l"acte notarié et celui de l"entente verbale, soit une somme de 100 000$.

[4]      Dans son résumé, le protonotaire souligne aussi le fait qu"à l"origine le débat ne portait pas sur l"article 1452. En effet, Cordeau et Gadbois ont tout d"abord tenté de faire obstacle à la saisie en démontrant que selon leur entente secrète la dette en question était de l"ordre de 225 000 $ et non pas 325 000 $ comme le laissait croire l"acte notarié.

[5]      C"est alors que le procureur de la Couronne invoqua l"article 1452 et fit valoir que sa cliente était en droit de fonder ses procédures sur l"acte notarié sans égard à l"entente secrète dont Cordeau et Gadbois voulaient faire la preuve.

[6]      Face à ceci, il fut convenu que la question portant sur le droit de la Couronne de se prévaloir de l"article 1452 serait tranchée de façon préliminaire. Comme nous l"avons vu, le protonotaire a tranché la question en faveur des tierces-saisies au motif que la Couronne n"était pas un tiers de bonne foi au sens de l"article 1452 C.c.Q.

[7]      Dans son avis d"appel, la Couronne invoque les quatre motifs suivant :

             1.      Le protonotaire a erré en droit en déterminant (paragraphes 42 à 45 des motifs) que pour être considéré comme tiers de bonne foi au sens de l"article 1452 C.c.Q. et pouvoir se prévaloir de l"acte apparent, le tiers (créancier) doit avoir contracté ou transigé avec l"une des parties à l"acte apparent, excluant de ce fait Sa Majesté dont la créance provient de la loi seule (en l"occurrence la dette fiscale de Gilbert Gadbois);             
             2.      Le protonotaire a également erré en droit en déterminant (paragraphe 48 des motifs) que Sa Majesté n"était pas un tiers de bonne foi;             
             3.      Le protonotaire a aussi erré en droit en déterminant (paragraphe 43 des motifs) que pour se prévaloir de l"article 1452 C.c.Q. exige que le tiers démontre qu"il subirait un préjudice si on lui opposait l"acte secret;             
4.      Sa Majesté soutient au surplus (en relation avec la 3è question soulevée, mais non tranchée; voir paragraphe 50 des motifs) que la conséquence même de l"article 1452 C.c.Q. est de faire en sorte qu"on ne puisse opposer au tiers (créancier) qu"il n"aurait pas plus de droit que son débiteur en vertu de la convention secrète.

[8]      Quant au premier motif, je n"interprète pas les paragraphes pertinents des motifs du protonotaire de la même façon que l"appelante. Selon ma lecture, le protonotaire n"exclu pas les créances issues de la loi du cadre de l"article 1452. Le protonotaire reconnaît que lorsque la Couronne engage des mesures en se fiant sur un contrat apparent, elle peut, comme tout créancier, bénéficier de l"article 1452 sans égard au fait que sa créance ne soit pas d"ordre contractuel. Il laisse entendre cependant que dans l"instance, la Couronne ne se serait pas fié au contrat apparent.3

[9]      Quant au troisième motif invoqué par l"appelante, le protonotaire n"a pas exigé que pour se prévaloir de l"article 1452 le tiers, en l"occurrence la Couronne, démontre un préjudice face à l"acte secret. Les commentaires qu"il fait au paragraphe 43 de ses motifs sont fonction de la situation habituelle dans laquelle cet article se soulève à la lumière de certains arrêts qu"avait cités l"appelante.

[10]      Quant au quatrième motif, l"appelante a sûrement raison dans ce qu"elle avance, mais la question ne se posait pas puisque selon le protonotaire, la Couronne n"avait pas établi qu"elle était de bonne foi au sens de l"article 1452.

[11]      Ceci m"amène au deuxième motif d"appel qui selon moi soulève un problème plus sérieux. Le passage pertinent de la décision se lit comme suit :

En l"instance, il n"est pas établi, du moins de façon claire, que la Couronne connaissait l"existence de l"entente verbale au moment de la confection de l"affidavit à l"appui de la demande d"ordonnance provisoire de saisie-arrêt. Il est néanmoins difficile de croire face à la preuve au dossier que les discussions tenues par la Couronne en cours d"enquête n"aient pas amené le fonctionnaire en charge du dossier à apprendre positivement l"existence d"une telle entente. Puisque l"application de l"article 1452 fut soulevée par la Couronne, il m"appert que c"était à cette dernière que revenait le fardeau d"établir clairement les conditions d"application de cet article.4

C"est à partir de ce raisonnement que le protonotaire a conclu à la prochaine ligne de ses motifs que la Couronne n"était pas un tiers de bonne foi au sens de l"article 1452 C.c.Q.5

[12]      L"appelante s"en prend à l"ambiguïté de ce passage et en particulier au fait que le protonotaire semble reconnaître que selon la preuve la Couronne n"était pas au courant de l"entente secrète tout en suggérant qu"elle n"avait pas réussi à établir ce fait de façon claire. Selon l"appelante, ce passage révèle que le protonotaire a attribué à la Couronne le fardeau d"établir qu"elle ne connaissait pas l"entente secrète et que donc elle était "un tiers de bonne foi" au sens de l"article 1452.6

[13]      À mon avis le protonotaire s"est effectivement mépris quant au fardeau de preuve applicable en la matière. Pour donner ouverture à l"article 1452 la Couronne devait faire état de l"acte apparent et du geste qu"elle a posé conséquemment à cet acte. Je ne crois pas qu"elle avait, au delà de ceci, à prouver sa bonne foi face à l"acte apparent. La prétention contraire me semble nécessairement fonction d"une présomption de mauvaise foi, chose que l"article 2805 C.c.Q. exclue.6 Le qualificatif de "bonne foi" que l"on retrouve à l"article 1452 fait en sorte que seul un tiers qui possède cette qualité peut s"en prévaloir mais cet article ne présume d"aucune façon la mauvaise foi de celui qui l"invoque.

[14]      À prime abord, la Couronne, comme tous les tiers affectés, était en droit de se fier à l"acte apparent véhiculé par les parties dans le but de tromper et masquer la vérité. Le fait que cet acte aurait été constitué pour frauder les créanciers à la faillite et non pas le fisc ne change absolument rien puisque l"acte en question ne laisse paraître aucune telle restriction.7

[15]      Dans la mesure où les auteurs du stratagème prétendaient que la Couronne était de mauvaise foi face à l"acte apparent qu"ils ont concocté, la preuve leur en incombait. Or, il est clair à la lecture du dossier et des motifs que la preuve à cet égard ne permettait pas de conclure dans un sens ou dans l"autre et que c"est en présumant que la Couronne connaissait l"acte secret que le protonotaire a conclu qu"elle était de mauvaise foi. Ce faisant, le protonotaire a attribué à la Couronne un fardeau qui ne lui revenait pas.


[16]      Pour ces motifs, l"appel est accordé et l"affaire est retournée devant le protonotaire pour qu"il en dispose en prenant pour acquis que la Couronne est un tiers de bonne foi au sens de l"article 1452 C.c.Q.


Marc Noël

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 26 février 1998

__________________

1      Paragraphe 49 des motifs.

2      Le protonotaire précise ici que le voile corporatif ayant été levé, Gadbois et 2951-7539 Québec Inc. ne font qu"une personne aux fins de l"ordonnance provisoire de saisie-arrêt.

3      Paragraphe 45 des motifs in fine .

4      Paragraphe 48 des motifs.

5      Les mots exacts du protonotaire sont reproduits au paragraphe [1] ci-haut.

          Le "tiers de bonne foi" au sens de l"article 1452 est celui qui n"avait pas connaissance de l"acte secret au moment pertinent. Jean-Louis Baudoin explique l"effet de cet article en ces termes :
L"article 1452 C.c. reprend le principe exprimé malhabilement par l"ancien article 1212 C.c.B.-C. Ainsi les tiers de bonne foi (soit ceux qui n"avaient pas connaissance de l"existence de la contre-lettre au moment où ils ont contracté), ont droit de se fier aux apparences et de traiter l"acte apparent comme représentant la véritable convention intervenue entre les parties.          Jean-Louis Baudoin, Les Obligations, (4è édition) page 285, paragraphe 503.

6      2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n"exige expressément de la prouver.

          À cet égard, le protonotaire commet une erreur lorsqu"il dit au paragraphe 41 de ses motifs :
Ainsi donc si la simulation en l"instance avait été constituée pour frauder la Couronne, cette dernière aurait été autorisée à se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre. Toutefois, tel que nous l"avons vu, tant le contrat notarié que l"entente verbale apparaissent ne pas avoir été constitués pour frauder la Couronne dans ses efforts de collecter la dette fiscale accumulée par Gadbois.          Il est aussi utile de remarquer que l"acte apparent en plus d"attribuer au créancier une part indue des biens de la faillite aurait eu comme effet corrélatif de gonfler le prix de ces biens entre ses mains. Quoique puissent en dire Cordeau et Gadbois, il est faux de prétendre que cet acte tel que constitué excluait le fisc de sa visée.

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