Décisions de la Cour d'appel fédérale

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                                                                                                                 A-315-96

 

 

 

OTTAWA (ONTARIO), le 3 février 1997

 

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

                        LE JUGE PRATTE

                        LE JUGE STONE

 

 

Entre :

 

                                         SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                             requérante,

 

 

                                                             - et -

 

 

HAZEL SCHNURER, EXÉCUTRICE DE

LA SUCCESSION DE JOSEPH SCHNURER,

 

                                                                                                                   intimée.

 

 

 

 

 

 

                                                     JUGEMENT

 

 

 

                                    La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre juge de la Cour de l'impôt pour une nouvelle audition tenant compte des plaidoiries initialement déposées.

 

 

                                                                                    «Julius A. Isaac»

                                                                       

 

                                                                                JUGE EN CHEF

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                       

 

                                                                        L. Parenteau


 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                 A-315-96

 

 

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

                        LE JUGE PRATTE

                        LE JUGE STONE

 

 

Entre :

 

                                         SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                             requérante,

 

 

 

                                                             - et -

 

 

 

HAZEL SCHNURER, EXÉCUTRICE DE

LA SUCCESSION DE JOSEPH SCHNURER,

 

                                                                                                                   intimée.

 

 

 

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le lundi 20 janvier 1997.

 

 

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le lundi 3 février 1997.

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR                LE JUGE EN CHEF

 

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :                                      LE JUGE PRATTE

                                                                                                   LE JUGE STONE

 


 

 

 

 

 

 

                                                                                                                 A-315-96

 

 

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

                        LE JUGE PRATTE

                        LE JUGE STONE

 

 

Entre :

 

                                         SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                             requérante,

 

 

 

                                                             - et -

 

 

 

HAZEL SCHNURER, EXÉCUTRICE DE

LA SUCCESSION DE JOSEPH SCHNURER,

 

                                                                                                                   intimée.

 

 

 

                                         MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE EN CHEF

 

 

                                    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale[1], d'une décision d'un juge suppléant de la Cour canadienne de l'impôt, rendue le 20 mars 1996.  La décision a trait à un appel interjeté à l'encontre du règlement d'une question par le ministre du Revenu national (le «ministre») concluant que l'époux de l'intimée maintenant décédé, Joseph Schnurer, n'avait pas «d'emploi assurable» au sens de la Loi sur l'assurance-chômage[2].


LES FAITS

 

                                    Dans une lettre en date du 22 juillet 1994, un agent d'assurance de Développement des ressources humaines Canada a informé Kurves by Design Inc., la société payeuse, que l'emploi de Joseph Schnurer n'était pas assurable aux termes de la Loi sur l'assurance-chômage.  Le 10 août 1994, Kurves by Design Inc. a produit une formule CPT 101, demandant, conformément à l'article 61 de la Loi, que le ministre règle la question de savoir si M. Schnurer exerçait un emploi assurable au cours des périodes suivantes : du 1er juin au 30 octobre 1992; du 25 mai au 31 octobre 1993, et du 1er janvier au 8 mars 1994.

 

                                    Dans des lettres datées du 4 novembre 1994, le ministre a avisé Kurves by Design Inc. et M. Schnurer que l'emploi de celui-ci n'était pas assurable.  Le ministre a motivé son règlement par deux raisons.  Tout d'abord, le ministre a déclaré que M. Schnurer et Kurves by Design Inc. avaient entre eux un lien de dépendance.  Le ministre n'était pas convaincu qu'un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu si les deux parties n'avaient pas été liées.  Par conséquent, l'emploi de M. Schnurer était un «emploi exclu» au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage.  Deuxièmement, la définition de l'expression «emploi assurable» à l'alinéa 3(1)a) exige que l'emploi soit exercé en vertu d'un contrat de louage de services exprès ou tacite.  Le ministre a conclu que M. Schnurer n'avait pas été embauché en vertu d'un contrat de louage de services et qu'il n'exerçait donc pas un emploi assurable chez Kurves by Design Inc.  Les alinéas 3(1)a) et 3(2)c) de la Loi sont rédigés dans les termes suivants :

 

3.(1)  Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas :

 

a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

[...]

 

3.(2)        Les emplois exclus sont les suivants : [...]

 

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

 

(i)   la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

 

(ii)  l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

 

 

                                    Dans un avis d'appel déposé le 27 janvier 1995, M. Schnurer a contesté le règlement du ministre devant la Cour canadienne de l'impôt conformément à l'article 70 de la Loi.  L'appel a été entendu devant le juge suppléant de la Cour de l'impôt le 1er novembre 1995.  Avant d'entendre la preuve concernant l'appel, le juge suppléant de la Cour de l'impôt a soulevé une question préliminaire de droit quant à savoir si le ministre (maintenant la ministre) pouvait s'appuyer à la fois sur l'alinéa 3(1)a) et sur l'alinéa 3(2)c) de la Loi pour régler la question.

 

DÉCISION DE LA COUR DE L'IMPÔT

 

                                    Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a statué que, dans le cas d'un appel interjeté à l'encontre d'un règlement, le ministre ne peut faire valoir que son règlement se fonde à la fois sur l'alinéa 3(1)a) et sur l'alinéa 3(2)c) parce que, essentiellement, un tel règlement exige des conclusions de faits s'excluant mutuellement.  Selon lui, pour que le ministre puisse même se demander si l'emploi de M. Schnurer était ou non un «emploi exclu», au sens de l'alinéa 3(2)c), il doit avoir conclu (ou aurait dû conclure) que M. Schnurer avait été embauché en vertu d'un contrat de louage de services.  Par conséquent, le deuxième motif invoqué par le ministre pour conclure que l'emploi de M. Schnurer n'était pas assurable - c'est-à-dire qu'il n'avait pas été embauché en vertu d'un contrat de louage de services - n'est pas compatible avec le premier motif retenu selon lequel l'emploi de M. Schnurer était un emploi exclu aux termes de l'alinéa 3(2)c).  À mon avis, le passage suivant tiré des motifs de la décision du juge suppléant de la Cour de l'impôt résume bien le dispositif de la question :

 

[...]  je conclus que le ministre, dans le cas d'un appel interjeté à l'encontre d'un règlement, ne peut inclure des décisions fondées à la fois sur l'alinéa 3(1)a) et sur l'alinéa 3(2)c) dans le même règlement de la question dont il est saisi.  La raison de ma conclusion est que le ministre, pour pouvoir conclure que l'appelant occupait un emploi exclu parce qu'il n'avait pas été convaincu conformément au sous-alinéa 3(2)c)(ii), devait manifestement juger, pour les besoins de son analyse, qu'il existait un contrat de louage de services entre l'appelant et Kurves by Design Inc.  J'estime que, en droit, le ministre a ou aurait dû juger qu'il existait un contrat de louage de services, de manière que cela donne lieu à un emploi, lequel présentait certaines caractéristiques qu'il a examinées, puis comparées à une situation d'emploi hypothétique entre des personnes non liées.  Ayant procédé ainsi, ou en reconnaissant qu'il aurait dû procéder ainsi, le ministre ne peut plus ensuite, en droit, conclure qu'il n'y avait pas d'emploi assurable au motif qu'il n'existait pas de contrat de louage de services entre l'appelant et son employeur.[3]

 

 

                                    Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a ordonné que l'appel soit remis au rôle des audiences et a enjoint à la ministre de réexaminer sa position et, avant d'entendre la preuve, d'aviser l'intimée et la Cour de celui des deux motifs énoncés dans le règlement du 4 novembre 1994 sur lequel elle s'appuiera.  La requérante a ensuite présenté cette demande de contrôle judiciaire de la décision du juge suppléant de la Cour de l'impôt.

 

L'ANALYSE

 

                                    En l'espèce, il faut d'abord se demander si la décision contestée est susceptible de révision étant donné qu'il s'agit d'une décision sur une question de préliminaire de droit qui ne règle pas définitivement l'appel principal de l'intimée en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage.

 

                                    Avant les modifications de 1990[4], l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale précisait que les demandes de contrôle judiciaire pouvaient porter sur une «décision ou une ordonnance» d'un office, d'une commission ou d'un autre tribunal fédéral.  Dans l'arrêt National Indian Brotherhood c. Juneau (No. 2)[5], le juge en chef Jackett de la présente Cour a jugé que ces mots désignaient la décision ultime du tribunal, et non pas les nombreuses décisions ou ordonnances qu'un tribunal peut rendre pendant le déroulement de la procédure qui mène au règlement définitif d'une affaire.  Il a déclaré ce qui suit :

 

Je ne prétends pas avoir formulé d'opinion quant au sens des termes «décision ou ordonnance» dans le contexte de l'art. 28(1), mais il me semble que l'on peut dire qu'il s'agit d'une décision ou ordonnance ultime prise ou rendue par le tribunal en vertu de sa constitution et non pas la myriade d'ordonnances ou de décisions accessoires qui doivent être rendues avant de trancher définitivement l'affaire.[6]

 

 

 

                                    Dans l'arrêt Ferrow c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, la Cour a reconnu que l'interprétation donnée par le juge en chef Jackett des mots «décision ou ordonnance» était l'expression du droit en vigueur[7].  Des décisions subséquentes, toutefois, se sont écartées de cette interprétation relativement restreinte de la compétence conférée à la Cour par l'article 28.  Voir, par exemple, Via Rail Canada Inc. c. Butterill et al.[8], Armadale Communications Ltd. c. Arbitre (Loi sur l'immigration)[9] et Brennan c. La Reine[10].  Dans ces affaires, la présente Cour a émis l'avis que, lorsqu'une décision règle définitivement les droits fondamentaux d'une partie, la Cour peut entendre une demande de contrôle judiciaire concernant cette décision même s'il ne s'agit pas de la décision ultime du tribunal.  Dans l'arrêt Mahabir c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[11], le juge Mahoney a expliqué la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire dans les termes suivants :

 

Une décision est susceptible de révision aux termes de l'article 28 non seulement, comme la jurisprudence antérieure l'a énoncé, s'il s'agit d'une décision que, par ordre du Parlement, le tribunal est tenu de rendre, mais aussi s'il s'agit d'une décision définitive qui tranche une question fondamentale soumise au tribunal.

 

 

                                    Les mots «décision ou ordonnance» ne sont plus utilisés au paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale.  L'alinéa 28(1)l) indique simplement que la Cour «a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant [...] l) la Cour canadienne de l'impôt [...]».  Les mots utilisés à l'article 18.1, qui s'appliquent à la présente Cour du fait du paragraphe 28(2), ont un sens aussi large.  Le paragraphe 18.1(1) dispose comme suit : «Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande».  À mon avis, les articles 18, 18.1 à 18.5 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale actuellement en vigueur confirment l'opinion exprimée dans les autorités plus récentes selon laquelle la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire s'étend au-delà de la révision d'une décision finale d'un office fédéral.

 

                                    Malgré le sens large des termes utilisés dans la rédaction de ces dispositions, la Cour doit exercer sa compétence discrétionnaire pour entendre des demandes de contrôle judiciaire en se conformant strictement à l'objet des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale.  Les demandes de contrôle judiciaire ne doivent pas être accueillies pour entraver et retarder l'exercice approprié par les offices fédéraux de la compétence qui leur est conférée par la loi.  Bien qu'ils soient antérieurs aux modifications apportées en 1990, les propos suivants du juge en chef Jackett dans l'arrêt In re la Loi antidumping et in re Danmor Shoe Co. Ltd.[12] et réaffirmés par le juge MacGuigan dans Brennan c. La Reine[13], résument avec justesse les considérations de principes qui entrent en jeu :

 

À mon avis, le but des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale est de fournir un contrôle judiciaire rapide et efficace des travaux des offices, commissions ou autres tribunaux fédéraux avec une ingérence minimale dans ces travaux.  Si, en tenant compte de ce point de vue, on applique l'article 11 de la Loi d'interprétation à la question soulevée par les demandes fondées sur l'article 28, il faut reconnaître que le fait que la Cour n'a pas le pouvoir d'examiner la position prise par un tribunal quant à sa propre compétence ou quant à des questions de procédure au tout début de l'audience peut entraîner, dans certains cas, la tenue d'auditions coûteuses qui seraient sans issue.  Par contre, si une des parties, peu désireuse de voir le tribunal s'acquitter de sa tâche, avait le droit de demander à la Cour d'examiner séparément chaque position prise ou chaque décision rendue par un tribunal, lors de la conduite d'une longue audience, elle aurait en fait le droit de faire obstacle au tribunal.

 

 

 

                                    Ce sont ces considérations de principes qui ont amené la présente Cour, dans Szczecka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[14], à conclure qu'en l'absence de circonstances spéciales il ne doit pas y avoir d'appel ou de contrôle judiciaire immédiat d'une décision interlocutoire prise aux termes de l'article 28.  La décision Szczecka s'appuyait sur l'article 28 actuel.

 

                                    Toutefois, à mon avis, il est approprié en l'espèce que la Cour entende la demande de contrôle judiciaire de la décision du juge suppléant de la Cour de l'impôt.  Bien que cette décision n'ait pas réglé définitivement l'appel principal de l'intimée en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage, elle pourrait priver la requérante de la possibilité de présenter des arguments subsidiaires lors de l'audition de l'appel principal.  Par conséquent, cette décision a effectivement éliminé l'un des deux motifs fondamentaux invoqués par le ministre pour justifier son règlement.  Étant donné que l'issue de l'appel principal peut dépendre de l'un ou de l'autre de ces motifs, je suis d'avis qu'il est approprié à cette étape d'entendre la demande de contrôle judiciaire.

 

                                    La requérante allègue que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis plusieurs erreurs dans sa décision.  Tout d'abord, il a refusé à tort d'exercer sa compétence aux termes de l'article 70 de la Loi quand il a décidé de ne pas entendre les arguments et de ne pas trancher l'appel sur le fond, se contentant de statuer que la requérante n'était pas autorisée à présenter des observations fondées sur les deux motifs sur lesquels le ministre s'est appuyé pour conclure que l'emploi de M. Schnurer n'était pas assurable.  Deuxièmement, dans le cas d'un appel interjeté à l'encontre d'un règlement du ministre, le paragraphe 70(2) exige que le juge de la Cour de l'impôt infirme, confirme ou modifie le règlement en question.  Dans l'arrêt Tignish Auto Parts Inc. c. Ministre du Revenu national[15], la Cour a récemment confirmé que le paragraphe 70(2) ne permet pas à la Cour de l'impôt de renvoyer une question au ministre pour réexamen.  La requérante prétend donc que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a outrepassé sa compétence légale en l'espèce en déclarant, en fait, que le règlement de la question par le ministre était vicié et en enjoignant au ministre de réexaminer la question et de se représenter devant la Cour après avoir décidé de s'appuyer sur l'alinéa 3(1)a) ou sur l'alinéa 3(2)c), mais pas sur les deux.  Finalement, la requérante prétend que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en concluant que la requérante ne peut s'appuyer à la fois sur l'alinéa 3(1)a) et sur l'alinéa 3(2)c) pour contester un appel interjeté à l'encontre du règlement de la question par le ministre.

 

                                    Les arguments de la requérante concernant la compétence restreinte du juge suppléant de la Cour de l'impôt dans le cadre d'un appel fondé sur l'article 70 sont très convaincants.  Toutefois, au vu de ma conclusion sur l'erreur de droit, il n'est pas nécessaire de traiter de ces arguments pour régler le présent appel.

 

                                    Avec respect, je suis d'avis que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en concluant que la requérante ne pouvait s'appuyer à la fois sur l'alinéa 3(1)a) et sur l'alinéa 3(2)c) pour répondre à l'appel formé à l'encontre du règlement de la question par le ministre.  La jurisprudence établie par la présente Cour démontre clairement que, dans le cadre d'un appel fondé sur l'article 70, la Cour de l'impôt doit s'attacher à la validité du règlement du ministre et non pas à la validité des motifs précis invoqués par le ministre, ou aux paragraphes de la Loi sur l'assurance-chômage sur lesquels il s'appuie pour régler la question.  Comme l'a indiqué le juge Desjardins dans Procureur général du Canada c. Barrette, «Ce qui importe est la conclusion à laquelle en arrive le ministre et non les articles de la Loi sur lesquels il s'appuie»[16].  De même, dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Doucet, le juge Marceau déclare ce qui suit :

 

C'est la détermination du ministre qui était mise en cause devant le juge, et cette détermination était strictement à l'effet que l'emploi n'était pas assurable.  Le juge avait le pouvoir et le devoir d'examiner toute question de fait ou de droit qu'il était nécessaire de décider pour se prononcer sur la validité de cette détermination.  Ainsi le présuppose le paragraphe 70(2) de la Loi et le prévoit, dès après, le paragraphe 71(1) de la Loi qui le suit, et ainsi le veulent d'ailleurs les principes de révision judiciaire et d'appel qui exigent de ne pas confondre le dispositif d'une décision qui seul est directement remis en question et les motifs invoqués à son soutien.[17]

 

 

                                    Dans une procédure d'appel, le juge suppléant de la Cour de l'impôt est tenu d'examiner la validité du règlement du ministre en s'appuyant sur toutes les observations formulées par les parties.  Le règlement du ministre s'appuie sur les faits présumés tels qu'ils sont énoncés dans la réponse de la requérante à l'avis d'appel.  Ces faits, s'ils ne sont pas réfutés, peuvent amener la Cour de l'impôt à conclure en appel que l'emploi de M. Schnurer n'était pas assurable soit parce que M. Schnurer n'était pas un employé visé par un contrat de louage de services [alinéa 3(1)a)] soit parce que la nature du lien entre M. Schnurer et la société payeuse, même dans le cadre d'un contrat de louage de services, était telle que ce contrat n'était pas à peu près semblable à un contrat conclu entre des parties non liées et que cet emploi devrait donc demeurer «un emploi exclu» [alinéa 3 (2)c)].  La décision du juge suppléant de la Cour de l'impôt sur la question préliminaire de droit, toutefois, empêcherait la Cour de l'impôt de se prononcer sur tous les points de fait et de droit nécessaires pour évaluer la validité du règlement de la question par le ministre lorsque l'appel fondé sur l'article 70 sera entendu.  Pour ces motifs, je suis d'avis que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en concluant que la requérante ne pouvait défendre la manière dont le ministre a réglé la question en s'appuyant sur ces deux motifs subsidiaires.

 

                                    En arrivant à cette conclusion, je suis bien conscient que, en raison de la décision de la présente Cour dans Tignish, précité, les deux motifs invoqués par le ministre en l'espèce doivent être évalués selon des normes de révision différentes.  Dans l'arrêt Tignish, précité, la Cour a conclu que, lorsqu'un employeur et un employé sont des personnes liées, le règlement de la question par le ministre fondé sur le sous-alinéa 3(2)c)(ii) selon lequel ils n'auraient pas conclu un contrat de louage de services semblable s'il n'y avait pas eu de lien entre eux, est une décision discrétionnaire assujettie à une norme de révision élevée dans une procédure d'appel devant la Cour de l'impôt.  Essentiellement, si le ministre a accordé suffisamment de poids à tous les facteurs pertinents ayant trait au lien d'emploi, la Cour de l'impôt ne peut en toute liberté annuler la décision du ministre aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) simplement parce qu'elle en serait venue à une conclusion différente.  La décision du ministre en vertu de l'alinéa 3(1)a), par ailleurs, est une décision quasi judiciaire, et est donc assujettie à une révision de novo de la part de la Cour de l'impôt.  Les normes de révision différentes qui s'appliquent à ces articles, toutefois, n'empêchent aucunement la requérante de s'appuyer, subsidiairement, sur ces deux motifs pour justifier le règlement du ministre.  Dans une affaire de cette nature, le rôle de la Cour de l'impôt consiste à revoir l'ensemble de la preuve et à examiner toutes les observations formulées par les parties afin d'évaluer la validité du règlement du ministre, en tenant compte des normes de révision différentes qui s'appliquent aux motifs subsidiaires invoqués.

 

                                    En outre, à mon avis, l'affirmation du juge suppléant de la Cour de l'impôt selon laquelle le mot «emploi» utilité à l'alinéa 3(2)c) désigne nécessairement un emploi visé par un contrat de louage de services est trop restrictive, et n'est pas conforme à l'objet et à l'intention générale de la Loi sur l'assurance-chômage.  Je note que la définition du mot «emploi» à l'article 2 de la Loi n'est pas restreinte à des contrats de louage de services, mais s'étend de façon plus globale au «fait d'employer ou [à] l'état d'employé».  À mon avis, la Loi, aux articles 3 et 4, est conçue pour créer un régime d'assurance-chômage à l'intérieur duquel certains emplois de la nature des contrats de louage de services sont exclus des emplois assurables, alors que d'autres sont inclus dans cette catégorie même si ce n'est pas en vertu de contrats de louage de services.  Autrement dit, la Loi a pour objet de créer un régime d'assurance-chômage qui reconnaît que la ligne de démarcation entre les contrats de louage de services et les contrats de services est très souvent bien ténue.  Comme l'indiquait le juge Beetz dans l'arrêt Martin Service Station Ltd. c. M.R.N.[18], qui a été cité avec approbation par le juge MacGuigan dans Canada (P.G.) c. Skyline Cabs (1982) Ltd.[19] : «Qu'ils travaillent à leur propre compte ou en vertu d'un contrat de service, les conducteurs de taxi et d'autobus par exemple sont exposés au risque de manquer de travail.  À mon avis, c'est là un risque assurable [...]».

 

                                    Une fois que «l'emploi» est défini dans son sens le plus large, on peut constater que la décision du ministre de s'appuyer sur l'alinéa 3(1)a) et subsidiairement sur l'alinéa 3(2)c) n'appelle pas des conclusions de fait s'excluant mutuellement.  Dans ce genre d'affaire, la Cour de l'impôt doit procéder à une analyse en deux étapes.  Tout d'abord, y avait‑il un contrat de louage de services exprès ou tacite?  Si la réponse est négative, l'emploi n'est pas assurable à moins qu'il ne soit visé par l'une des dispositions du paragraphe 4(1) ou par un des règlements adoptés en vertu du paragraphe 4(2).  Deuxièmement, s'il s'agit d'un emploi en vertu d'un contrat de louage de services ou d'un emploi autrement assurable aux termes de l'article 4, s'agit-il d'un «emploi exclu» au sens du paragraphe 3(2)?  Voir, par exemple, la décision du juge Margeson de la C.C.I. dans Heather Maynard c. M.R.N.[20] et celle du juge Lamarre de la C.C.I. dans Vammen c. M.R.N.[21].  La présente Cour a utilisé la même démarche en deux étapes dans M.R.N. c. Visan[22], si ce n'est que l'ordre des questions était inversé.  Cependant, la démarche analytique que j'ai utilisée n'aboutit pas à mon avis à un résultat différent de celui auquel on serait parvenu au moyen de la démarche énoncée dans Visan.


DISPOSITIF

 

                                    Par ces motifs, je conclus que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en concluant que la requérante ne pouvait s'appuyer à la fois sur l'alinéa 3(1)a) et sur l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage pour contester, en appel devant la Cour de l'impôt, le règlement du ministre selon lequel l'emploi de M. Schnurer n'était pas assurable.  Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir la demande de contrôle judiciaire, et de renvoyer l'affaire devant un autre juge de la Cour de l'impôt pour une nouvelle audition tenant compte des plaidoiries initialement déposées.

 

 

 

 

 

                                                                                    «Julius A. Isaac»

                                                                       

 

                                                                                   JUGE EN CHEF

 

 

«Je souscris à ces motifs,

            Louis Pratte, juge»

 

 

«Je souscris à ces motifs,

            A.J. Stone, juge»

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                       

 

                                                                        L. Parenteau


 

 

 

 

 

 

 

              COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

 

 

                                                                 A-315-96

 

 

 

Entre :

 

 

                 SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                             requérante,

 

 

                                     - et -

 

 

HAZEL SCHNURER, EXÉCUTRICE DE

LA SUCCESSION DE JOSEPH SCHNURER,

 

                                                                    intimée.

 

 

 

 

 

                                                            

 

                 MOTIFS DU JUGEMENT

 

                                                            


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

DIVISION D'APPEL

 

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

N° DU GREFFE :A-315-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Sa Majesté la Reine c. Hazel Schnurer, exécutrice de la succession de Joseph Schnurer

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Calgary (Alberta)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :   le 20 janvier 1997

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR le juge en chef

 

 

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :       les juges Pratte et Stone

 

 

DATE :                                                    le 3 février 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Mme H.C. Turner                                                        POUR LA REQUÉRANTE

 

 

Personne n'a comparu                                     POUR L'INTIMÉE

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

M. George Thomson                                       POUR LA REQUÉRANTE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

MacLeod Dixon                                                          POUR L'INTIMÉE

Calgary (Alberta)



     [1]L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications [la «Loi sur la Cour fédérale»]

     [2]L.R.C. (1985), ch. U-1, et ses modifications [la «Loi sur l'assurance-chômage» ou la «Loi»]

     [3]Cour canadienne de l'impôt, motifs de la décision sur une question de droit en date du 20 mars 1996 (dossier no 95-181 (UI)), page 36.

     [4]L.C. 1990, ch. 8, articles 5 et 8.  Les modifications sont entrées en vigueur le 1er février 1992.

     [5][1971] C.F. 73 (C.A.)

     [6]Ibid., page 79

     [7][1983] 1 C.F. 679 (C.A.).  À la page 685, la Cour cite les nombreuses autorités appuyant cette proposition.  Voir Le procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A.); British Columbia Packers Limited et autres. c. Conseil canadien des relations du travail et autre, [1973] C.F. 1194 (C.A.); et In re la Loi antidumping et in re Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.)

     [8][1982] 2 C.F. 830 (C.A.)

     [9][1991] 3 C.F. 242 (C.A.)

     [10][1984] 2 C.F. 799 (C.A.)

     [11][1992] 1 C.F. 133, page 140 (C.A.)

     [12][1974] 1 C.F. 22, page 34 (C.A.)

     [13]Précité, note 10, page 832

     [14](1993), 116 D.L.R. (4th) 333, 24 Imm. L.R. (2d) 70, 170 N.R. 58 (C.A.F.)

     [15](1994), 185 N.R. 73 (C.A.F.) [«Tignish»]

     [16](Décision non publiée, 13 avril 1994, no de greffe A-187-93, page 2 (C.A.F.))

     [17](1993), 172 N.R. 374, pages 379-380 (C.A.F.) (pages 6 et 7, version française)

     [18][1977] 2 R.C.S. 996, page 1005

     [19][1986] 5 W.W.R. 16, page 18 (C.A.F.)

     [20](Décision non publiée, 30 octobre 1992, no de dossier 92-252 (UI) (C.C.I.))

     [21](Décision non publiée, 23 septembre 1994, no de dossier 93-1461 (UI) (C.C.I.))

     [22][1983] 1 C.F. 820 (C.A.) [«Visan»]

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