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Date : 20000614

Dossier : A-19-00

CORAM :        LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE McDONALD

Entre :

AVS Technologies Inc ; Fuji Photo Film Canada Inc. ; Kodak Canada Inc. ; Maxell Canada ; Sony of Canada Ltd. ; et Verbatim Corporation (aussi connue sous le nom de Canadian Storage Media Alliance (CSMA))

                                                                                                                                demanderesses

                                                                          - et -

Canadian Mechanical Reproduction Rights Agency (CMRRA), Neighbouring Rights Collective of Canada (NRCC) ; Société de gestion des droits des artistes-musiciens (SOGEDAM) ; Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) ; Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada (SOCAN) ; (aussi connue sous le nom de Canadian Private Copying Collective (CPCC)) ; Precision Sound Corporation, Summit Media Ltd., Western Imperial Magnetics Inc ; Evangelical Fellowship of Canada ; Camrose Church of God ; Grande Prairie Alliance Church ; First Church of the Nazarene ; United Church of God et MM. Ken Dahl, Al Schmalz et Greg Watrich (aussi connus sous le nom de Independent Canadian Recording Media Coalition (ICRMC)) ; First Evangelical Lutheran Church ; Bluebird Events et Studio A-Mirador ; le procureur général de la Colombie-Britannique ; Graham Newton ; et West Klause

                                                                                                                                         défendeurs

AUDIENCE TENUE à Ottawa (Ontario) le mercredi 14 juin 2000

JUGEMENT prononcé à l'audience le mercredi 14 juin 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :                                             LE JUGE LINDEN


Date : 20000614

Dossier : A-19-00

CORAM :        LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE McDONALD

Entre :

AVS Technologies Inc ; Fuji Photo Film Canada Inc. ; Kodak Canada Inc. ; Maxell Canada ; Sony of Canada Ltd. ; et Verbatim Corporation (aussi connue sous le nom de Canadian Storage Media Alliance (CSMA))

                                                                                                                                demanderesses

                                                                          - et -

Canadian Mechanical Reproduction Rights Agency (CMRRA), Neighbouring Rights Collective of Canada (NRCC) ; Société de gestion des droits des artistes-musiciens (SOGEDAM) ; Société

du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) ; Society of Composers, Authors and

Music Publishers of Canada (SOCAN) ; (aussi connue sous le nom de Canadian Private Copying Collective (CPCC)) ; Precision Sound Corporation, Summit Media Ltd., Western Imperial Magnetics Inc ; Evangelical Fellowship of Canada ; Camrose Church of God ; Grande Prairie Alliance Church ; First Church of the Nazarene ; United Church of God et MM. Ken Dahl, Al Schmalz et Greg Watrich (aussi connus sous le nom de Independent Canadian Recording Media Coalition (ICRMC)) ; First Evangelical Lutheran Church ; Bluebird Events et Studio A-Mirador ; le procureur général de la Colombie-Britannique ; Graham Newton ; et West Klause

                                                                                                                                         défendeurs


                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

                                         (prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario),

                                                         le mercredi 14 juin 2000)

LE JUGE LINDEN

[1]                La question qui se pose en l'espèce est de savoir si la présente Cour devrait modifier une décision de la Commission du droit d'auteur en date du 17 décembre 1999, interprétant une définition de la Loi sur le droit d'auteur, L. R.C. (1985), ch. C-42, qui dispose comme suit :

79. In this Part,

"audio recording medium" means a recording medium, regardless of its material form onto which a sound recording may be reproduced and that is of a kind ordinarily used by individual consumers for that purpose, excluding any prescribed kind of recording medium;

79. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

« support audio » tout support audio habituellement utilisé par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores, à l'exception toutefois de ceux exclus par règlement.

[2]                En particulier, la question est de savoir si des redevances peuvent être perçues sur certains CD au niveau des fabricants et des importateurs, ce qui serait le cas s'ils étaient « habituellement [utilisés] par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores » .

[3]                Les motifs de la Commission à ce sujet, qui font au total 69 pages et qui traitent de plusieurs autres questions, indiquent ce qui suit :

Bien que le terme « habituellement » soit large, qu'il dépende du contexte et soit « très fluide » , les dictionnaires et la jurisprudence sont d'une grande utilité pour aider à en comprendre le sens. Le terme « habituel » est utilisé pour décrire tout ce qui se fait de façon régulière, normale ou courante, et tout ce qui est simplement répétitif ou constant. En conséquent, le caractère habituel d'une chose ou d'un événement n'est pas nécessairement fonction de quantité, mais plutôt une question de constance. On peut passer habituellement Noël en famille, même si cet événement ne se produit qu'une fois par année ; la régularité de la visite d'une personne dans sa famille fait de l'événement un événement « habituel » .

Les décisions judiciaires tendent également à mettre l'accent sur la constance plutôt que sur la fréquence. Une activité habituelle n'est pas nécessairement l'activité principale d'une personne, dans la mesure où c'est une activité qui n'est pas rare, anormale ou peu fréquente, c'est-à-dire qu'elle n'est pas banale ou sans importance. L'utilisation d'une deuxième résidence par une famille doit être constante, et non pas fréquente, pour être habituelle.

L'interprétation moderne des lois donne généralement à une expression le sens qu'une personne raisonnable lui attribuerait, en tenant compte du contexte, des conventions linguistiques et de ce que nous connaissons du monde, y compris de l'objet de la loi dans laquelle se trouve l'expression et des considérations de politique qui en motivent l'emploi. L'objet du régime est donc de la plus haute importance pour interpréter une notion aussi fluide que le terme « habituel » . L'un des buts du régime est de légaliser la copie pour usage privé. Un deuxième est de rémunérer adéquatement les auteurs, artistes-interprètes et producteurs d'oeuvres musicales. Ce but ne sera pas atteint si la définition de l'expression « support audio vierge » est interprétée de façon restrictive. Une interprétation trop restrictive privera le régime de toute signification. Une interprétation large de la définition aide à circonscrire la population visée aux importateurs et aux fabricants en s'assurant que seuls les supports qui ne sont manifestement pas utilisés pour faire des copies à usage privé ne sont pas assujettis à la redevance. Donc, l'usage habituel, dans le sens où cette expression se retrouve dans la définition de « support audio » , devrait être interprété comme incluant toutes les utilisations non négligeables.

Par conséquent, une personne qui a fait deux copies d'enregistrements sonores sur un type de support au cours de chacune des dernières années utilise habituellement ce type de support pour la copie à usage privé, même si cette même personne peut fort bien utiliser de nombreux autres supports à d'autres fins : un support peut avoir plus d'un usage habituel.

En outre, puisque la définition parle d'un usage habituel par des consommateurs, l'analyse doit mettre l'accent sur la personne qui utilise le support pour son propre plaisir, à l'exclusion des autres. Par conséquent, le fait que 5 p. 100 seulement d'un type donné de support soit vendu à des consommateurs ne signifie pas qu'il doit être exclu. En fait, tous les supports, y compris les 95 p. 100 vendus à des « non-consommateurs » seront assujettis à la redevance tant et aussi longtemps qu'un nombre non marginal de consommateurs les utilisera à des fins de copie à usage privé, d'une façon qui n'est pas marginale.

Par contraste, les supports essentiellement réservés à des professionnels ou à des sociétés ne seront pas visés même si certaines personnes utilisent la technique pour faire des copies à usage privé d'oeuvres musicales. L' « utilisation par des consommateurs doit englober plus que quelques excentriques » .


[4]                La Cour doit maintenant décider s'il y a lieu de modifier cette décision. Je suis d'avis de n'en rien faire.


[5]                À notre avis, il s'agit principalement d'une question de droit, c'est-à-dire de l'interprétation de la loi que la Commission administre. Une telle détermination relève manifestement de la compétence de la Commission. C'est dans son champ d'expertise. Il s'agit d'une question polycentrique qui traite des intérêts des artistes, des fabricants, des importateurs, des consommateurs qui font des enregistrements sonores, des consommateurs qui ne le font pas et ainsi de suite. Le but de la Partie VIII de la Loi est principalement économique - c'est-à-dire qu'il vise à rémunérer de façon juste les artistes et autres créateurs pour leur travail en établissant des redevances justes et équitables. Ce sont des questions qui relèvent de l'expertise de la Commission à qui on a confié le pouvoir de décider, notamment, de la manière de fixer les redevances, des personnes qui doivent les acquitter, du montant de ces redevances, ainsi que des conditions de paiement (voir le paragraphe 83(8)). Par conséquent, la Commission doit connaître l'industrie qu'elle réglemente mieux que la Cour. Donc, en appliquant le critère « fonctionnel et pragmatique » de l'arrêt Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, et après avoir examiné les facteurs énoncés, la norme de contrôle appropriée sur cette question, même en l'absence d'une clause privative, est la norme de la décision manifestement déraisonnable, étant donné qu'il faut faire preuve d'une très grande retenue judiciaire à l'égard de la Commission sur cette question. (Autres causes dans lesquelles cette norme a été appliquée à la Commission sur d'autres questions techniques : SOCAN c. A.C.R., [1999] A.C.F. no 389 (C.A.F.) ; A.C. R. c. SOCAN, [1994] 58 C.P.R. (3d) 190 (C.A.F.) ; Réseau Premier Choix Inc. c. Association canadienne de télévision par câble, [1997] A.C.F. no 1723 (C.A.F.).

[6]                Le point principal est de savoir si la Commission avait à décider du sens du terme « habituellement » en tenant compte de l'ensemble des produits, comme le prétendait la demanderesse, ou en tenant compte de l'emploi de ce produit par les consommateurs. À mon avis, c'est l'emploi qu'en font les consommateurs qui doit être habituel, et non pas l'usage général du produit, à cause de l'ajout du mot « consommateurs » , qui doit avoir un certain sens. Si ce mot n'était pas là, la prétention des demanderesses aurait un fondement plus solide. La version anglaise est conforme à cette interprétation étant donné qu'elle fait uniquement référence à l'emploi « by individual consumers » qui sont généralement considérés comme étant des personnes, et non pas des sociétés ou des institutions.


[7]                Il faut se rappeler que l'intention du législateur était de rémunérer de façon équitable les artistes et autres créateurs contre la violation du droit d'auteur par ceux qui reproduisent illégalement leurs oeuvres. Ce n'était pas une mince tâche que d'imposer le paiement d'une redevance à des personnes, et c'est pourquoi un système a été élaboré pour que cette redevance soit imposée aux importateurs et aux fabricants des produits à partir d'une estimation de la valeur du droit d'auteur ayant été violé par des personnes qui reproduisent habituellement la musique à partir de ces produits. Ce régime ne peut être parfait ; il s'agit d'un calcul approximatif, qui suppose que certains seront surtaxés et d'autres pas assez. Le but principal est d'être aussi juste et équitable que possible autant pour les artistes et ceux qui apprécient leurs oeuvres et en tirent des bénéfices, que pour ceux à qui la redevance sera imposée et qui ne reproduisent pas ces oeuvres.

[8]                Les demanderesses font valoir que l'interprétation du terme « habituellement » devrait suivre les définitions que donne le dictionnaire d'expressions telles que « ordinairement » ou « communément » , être guidée par certaines autorités applicables à d'autres contextes qu'elles ont citées (par exemple, Healy c. La Reine, [1979] C.T.C. 44 ; R. c. Johnny (1983), 149 D.L.R. (3d) 710 (C.A.C.-B.) ; Grimard c. Berry [1991] S.J. no 290), qui indiquent que ce terme doit être défini comme signifiant « principalement » ou « particulièrement » . Par la suite, elles ont laissé entendre qu'un chiffre approchant de 50 pour cent des produits utilisés de cette façon pourrait être considéré comme un usage habituel. À mon avis, ces définitions et ces causes ne sont pas très utiles. Pas plus d'ailleurs que la méthode procentuelle, parce qu'elle est arbitraire. Qui plus est, elle signifierait que les artistes ne recevraient aucune rémunération en cas de violation de leurs droits d'auteur jusqu'à concurrence de près de la moitié de l'utilisation de ces produits. Cela serait difficilement compatible avec l'objet de la loi.

[9]                Bref, les demanderesses n'ont pas démontré que la méthode utilisée par la Commission était manifestement erronée ou qu'une autre méthode serait plus évidente.


[10]            Il faut se rappeler que la Commission, après avoir conclu que les produits en question sont visés par la définition, a réduit la redevance de près de 80 pour cent pour tenir compte du fait que, d'après les recherches, une faible proportion des produits est en fait utilisée pour copier de la musique. Un tel résultat semble plus en harmonie avec le régime législatif.

[11]            Par conséquent, je ne peux conclure que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable.

[12]            Donc, les demanderesses n'ont plus qu'un recours politique, aux termes de l'article 87, en vertu duquel elles peuvent demander d'être exemptées par règlement de payer les redevances sur les produits en question.

[13]            Je suis d'avis de rejeter la requête et d'adjuger des dépens de 5 000 $, comprenant tous les débours, en faveur des défendeurs.

                                                                                   « A.M. Linden »               

                                                                                                   JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Dossier : A-19-00

OTTAWA (ONTARIO) , LE 14 JUIN 2000

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE McDONALD

Entre :

AVS Technologies Inc ; Fuji Photo Film Canada Inc. ; Kodak Canada Inc. ; Maxell Canada ; Sony of Canada Ltd. ; et Verbatim Corporation (aussi connue sous le nom de Canadian Storage Media Alliance (CSMA))

                                                                                   demanderesses

                                                  - et -

Canadian Mechanical Reproduction Rights Agency (CMRRA), Neighbouring Rights Collective of Canada (NRCC) ; Société de gestion des droits des artistes-musiciens (SOGEDAM) ; Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) ; Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada (SOCAN) ; (aussi connue sous le nom de Canadian Private Copying Collective (CPCC)) ; Precision Sound Corporation, Summit Media Ltd., Western Imperial Magnetics Inc ; Evangelical Fellowship of Canada ; Camrose Church of God ; Grande Prairie Alliance Church ; First Church of the Nazarene ; United Church of God et MM. Ken Dahl, Al Schmalz et Greg Watrich (aussi connus sous le nom de Independent Canadian Recording Media Coalition (ICRMC)) ; First Evangelical Lutheran Church ; Bluebird Events et Studio A-Mirador ; le procureur général de la Colombie-Britannique ; Graham Newton ; et West Klause

                                                                                           défendeurs

                                           JUGEMENT

La requête est rejetée avec dépens en faveur des défendeurs ; ceux-ci, comprenant tous les débours, sont fixés à 5 000 $.

                                                                                  « A.M. Linden »

                                                                                                  JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

DIVISION D'APPEL

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                           A-19-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :               AVS Technologies Inc ; Fuji Photo Film Canada Inc. ; Kodak Canada Inc. ; Maxell Canada ; Sony of Canada Ltd. ; et Verbatim Corporation (aussi connue sous le nom de Canadian Storage Media Alliance (CSMA)) c. Canadian Mechanical Reproduction Rights Agency (CMRRA) et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le mercredi 14 juin 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR LE JUGE LINDEN, LE JUGE ROTHSTEIN ET LE JUGE McDONALD

DATE :                                                            le mercredi 14 juin 2000

ONT COMPARU :

E. Bradwood Smith, c.r.

Randall J. Hofley                                                                    POUR LES DEMANDERESSES

David R. Collier                                                                      POUR LES DÉFENDEURS

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman, Elliott

Ottawa (Ontario)                                                                     POUR LES DEMANDERESSES

Ogilvy, Renault

Montréal (Québec)                                                                  POUR LES DÉFENDEURS

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