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Date : 1997/12/11


Dossier no : A-690-96


OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 11 DÉCEMBRE 1997

     CORAM :      LE JUGE STRAYER

             LE JUGE DESJARDINS

             LE JUGE McDONALD

     ENTRE :


LA BRITISH COLUMBIA MARITIME EMPLOYERS ASSOCIATION,


Requérante

- et -


CLIFF WELLICOME et

LE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


Intimés.


LE JUGEMENT

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du juge-arbitre est annulée, et l'affaire est renvoyée au juge-arbitre en chef ou à la personne désignée par lui, afin de rejeter l'appel, confirmant par là même la décision d'une majorité du conseil arbitral.

" B.L Strayer "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.


Date : 1997/12/11


Dossier no : A-690-96

         AFFAIRE INTÉRESSANT LA Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1
         ET AFFAIRE INTÉRESSANT un appel interjeté par Cliff Wellicome devant un juge-arbitre, conformément à l'article 80 de la Loi

     CORAM :      LE JUGE STRAYER

             LE JUGE DESJARDINS

             LE JUGE McDONALD

     ENTRE :


LA BRITISH COLUMBIA MARITIME EMPLOYERS ASSOCIATION,


Requérante


- et -


CLIFF WELLICOME et

LE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


Intimés.

     Appel entendu à Vancouver (Colombie-Britannique) le jeudi 6 novembre 1997
     Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le jeudi 11 décembre 1997
     MOTIFS DU JUGEMENT :                  LE JUGE DESJARDINS
     AUXQUELS ONT SOUSCRIT :                  LE JUGE STRAYER

                                     LE JUGE McDONALD


Date : 1997/12/11


Dossier no : A-690-96

         AFFAIRE INTÉRESSANT LA Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1
         ET AFFAIRE INTÉRESSANT un appel interjeté par Cliff Wellicome devant un juge-arbitre, conformément à l'article 80 de la Loi

     CORAM :      LE JUGE STRAYER

             LE JUGE DESJARDINS

             LE JUGE McDONALD

     ENTRE :


LA BRITISH COLUMBIA MARITIME EMPLOYERS ASSOCIATION,


Requérante


- et -


CLIFF WELLICOME et

LE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


Intimés.


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DESJARDINS

[1]      La présente requête tend au contrôle judiciaire d'une décision d'un juge-arbitre agissant en vertu des dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage1 (la Loi), décision selon laquelle le paragraphe 31(1) de la Loi2 n'aurait pas pour effet de rendre le demandeur non admissible aux prestations d'assurance-chômage à une époque où les autres débardeurs étaient en grève.

[2]      Il s'agit essentiellement de dire si la présente affaire se distingue de l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire White c. Canada (C.A.)3

Les faits

[3]      Le requérant est partie à une convention collective signée avec le International Longshoremen's and Warehousemen's Union (ILWU), qui représente les débardeurs employés par les entreprises membres de l'association requérante. Le contexte de la présente demande coïncide avec le long conflit qui a opposé le syndicat des débardeurs (le syndicat) et la British Columbia Maritime Employers Association (l'association des employeurs) dans les ports de la Colombie-Britannique au cours des années 1993-1994. Malgré de longues négociations, le contrat entre le syndicat et l'association des employeurs a pris fin le 31 décembre 1992, sans que les parties ne parviennent à un accord. En novembre 1993, lors d'un vote des membres du syndicat, 95 p. 100 d'entre eux ont voté la grève. La grève a fini par être décrétée dans plusieurs ports le 27 janvier 1994, après qu'un médiateur eut, sans succès, tenté de résoudre l'impasse, le mouvement s'étendant à l'ensemble des ports le jour suivant, c'est-à-dire le 28 janvier 1994. Le 9 février 1994, le Parlement adoptait des mesures mettant fin à la grève.

[4]      Le prestataire est débardeur, mais il ne fait pas partie d'une équipe régulière. Il n'est pas membre du syndicat car celui-ci limite le nombre de ses membres parmi les quelque quatre mille débardeurs travaillant dans le cadre de la convention collective dans les six zones portuaires de la province. Environ deux mille cent seulement sont membres du syndicat. Les autres sont des employés occasionnels. Les conditions de travail des employés occasionnels non syndiqués sont, cependant, tout de même régies par la convention collective. C'est ainsi que le prestataire a profité du règlement intervenu plus tard entre le syndicat et l'association des employeurs et qu'aux termes de la nouvelle convention collective, il a touché une rémunération rétroactive.

[5]      Les travailleurs occasionnels, tels que le prestataire, sont employés de manière assez régulière. Au fur et à mesure qu'ils prennent de l'ancienneté, ils finiront par devenir membres du syndicat. Cela comporte pour eux plusieurs avantages au niveau de la priorité de l'emploi, des droits à une retraite, etc. Les débardeurs occasionnels qui ont le plus d'ancienneté ont droit à un certain nombre d'avantages sociaux. Ils travaillent au moins mille deux cents heures par an. Ils ont droit aux mêmes prestations de santé que les membres du syndicat, c'est-à-dire qu'ils ont droit à une indemnité hebdomadaire, à des prestations d'invalidité de longue durée ainsi qu'aux prestations d'assurance-vie, à des prestations de santé élargies ainsi qu'aux soins dentaires et oculaires. À toute l'époque en cause, l'intimé, M. Wellicome, était un débardeur occasionnel ayant droit aux avantages sociaux.

[6]      Des quelque quatre mille débardeurs travaillant dans le cadre de la convention collective, environ cinq cents seulement sont affectés à une équipe régulière. Ils sont néanmoins considérés, eux et tous les autres débardeurs, aussi bien les travailleurs syndiqués que les travailleurs occasionnels, aux termes de l'article 9, paragraphe 3 de la convention collective, comme étant affectés au jour le jour à une tâche.

[7]      Les tâches accomplies dans le cadre de la convention collective consistent à charger et à décharger les navires ainsi qu'à effectuer divers travaux annexes. La charge de travail varie d'un jour à l'autre, d'une semaine à l'autre et d'une année à l'autre, en fonction des arrivages et des départs de bateaux. Le chargement et le déchargement des navires est assuré, vingt-quatre heures par jour, par trois équipes. Le taux de rémunération varie selon l'horaire de travail.

[8]      Le système d'affectation des travailleurs non syndiqués fonctionne de la manière suivante : chaque travailleur a une carte qu'il place sur le tableau au centre d'affectation des tâches. Il s'agit d'un travail posté, les équipes commençant le travail soit à sept heures du matin, soit à trois heures de l'après-midi, soit, en ce qui concerne l'équipe de nuit, à onze heures du soir. Cette carte est placée sur le tableau selon une sorte d'échelle prévue pour les travailleurs non syndiqués, et ce, dans les délais prévus pour chaque poste de travail. Dans une certaine mesure, les travailleurs sont libres de choisir leur horaire. Dans l'intervalle, s'ils sont sans travail suffisamment longtemps, ils ont droit à l'assurance-chômage. Ils sont donc toujours en cours de demande de prestations.

[9]      Le prestataire a déposé une demande de prestations d'assurance-chômage le 8 juillet 1993, avec effet au 4 juillet 1993, mais a continué à travailler jusqu'au 27 janvier 1994. Il travaillait comme débardeur depuis sept ans et, au cours des trente semaines précédant la grève, il avait perçu des prestations d'assurance-chômage pendant dix semaines. Lorsqu'il a quitté le travail dans la soirée du 27 janvier 1994, il a laissé au lieu de travail son outillage personnel. Le matin du 28 janvier 1994, il ne s'est pas présenté au bureau d'embauche pour poster sa carte et indiquer qu'il entendait travailler un des postes de jour. Il a déclaré devant le conseil arbitral que le 28 janvier 1994, il [Traduction] " allait travailler de nuit ". Il a expliqué à la Commission qu'il avait arrêté de travailler car [Traduction] " des piquets de grève occupaient les quais ". Jamais, ni le 28 janvier 1994, ni avant cette date, la requérante n'avait fait savoir au prestataire qu'il avait été mis à pied ou qu'il avait été mis fin à son emploi. S'il avait été mis fin à son emploi, le prestataire aurait reçu l'argent qui lui était dû au titre des congés payés. Son assurance-santé, son assurance-vie ainsi que les soins dentaires et le droit aux prestations d'invalidité de longue durée auxquels il avait précédemment droit ont été maintenus sans interruption pendant toute la durée de la grève.

[10]      La Commission a fait droit à la demande de prestations de l'intimé pour la période de la grève allant du 28 janvier 1994 jusqu'au 9 février 1994, estimant que le prestataire n'avait pas perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif.

[11]      La requérante a porté cette décision en appel, estimant que l'intimé avait effectivement perdu les journées de travail en question en raison de la grève. À la majorité, le conseil arbitral a accueilli l'appel. Une majorité a en effet estimé qu'en l'espèce le prestataire n'avait pas été licencié ou mis à pied par l'employeur avant l'arrêt de travail. Selon les registres de paye et d'autres pièces documentaires, le prestataire avait travaillé les 24 et 27 janvier, avait travaillé soixante-douze heures au cours des semaines allant du 2 au 8 janvier et du 9 au 15 du même mois, cela démontrant bien que le prestataire n'avait subi aucun arrêt de travail. Le conseil arbitral a estimé, à la majorité, que le prestataire avait effectivement un emploi antérieur. Selon son dossier, il avait travaillé de manière assez régulière. Les membres du conseil arbitral ont conclu que la perte d'emploi du prestataire était directement liée à un arrêt de travail dû à un conflit collectif. Le membre minoritaire du conseil a relevé trois faits que personne ne conteste : que la requérante est l'employeur en l'espèce; que la requérante ne fixait pas par avance les affectations de travail; et que, d'une semaine à une autre, elle ne garantissait du travail qu'aux employés constituant les [Traduction] " équipes de travail régulières ". Étant donné que l'employeur n'avait produit aucune preuve que, le 28 janvier, le prestataire avait en main une offre définitive d'emploi, le membre minoritaire a accepté la proposition de la Commission, fondée sur l'arrêt White , selon laquelle le prestataire n'était que disponible mais pas du tout certain qu'il aurait effectivement travaillé le 28 janvier 1994. Cela étant, on ne pouvait donc pas dire qu'il aurait perdu son emploi en raison d'un arrêt de travail.

[12]      L'intimé s'est pourvu devant le juge-arbitre.

La décision du juge-arbitre

[13]      Le juge-arbitre s'est longuement penché sur l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire White ainsi que sur le libellé du paragraphe 31(1) de la Loi, et notamment sur la question de savoir si le prestataire avait perdu son emploi " ...du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif... ". Sa conclusion a été la suivante :

     [Traduction]
     Si, selon la jurisprudence de la Cour d'appel, une mise à pied sans date précise de rappel au travail équivaut à une perte d'emploi et ouvre donc droit aux prestations de l'assurance-chômage, la démarche ne saurait tout bonnement être appliquée sans exception aucune à des métiers tels que celui de débardeur, d'ouvrier de la construction ou d'autres corps de métier dont les membres travaillent assez régulièrement, même si, au jour le jour, ils sont uniquement appelés en fonction des besoins; les dates de reconvocation au travail ne peuvent pas toujours être prévues de manière précise lors de la mise à pied. Il paraît peu réaliste au regard de ce genre d'emploi qui, même s'il n'est pas rare, fait tout de même figure d'exception, de dire qu'un tel employé aurait " perdu son emploi " après chaque mise à pied, alors que l'employé et l'employeur savent tous les deux qu'il sera convoqué pour travailler à nouveau. Le prestataire en pareil cas a plus qu'une simple " expectative d'être convoqué à nouveau au travail "; cette perspective est pour lui une quasi-certitude.         
     ...         
         En l'espèce, le conseil arbitral affirme sans ambages :                 
         " En l'occurrence, le prestataire n'a pas été licencié ou mis à pied par l'employeur avant l'arrêt de travail ".                 
         Les faits de cette affaire semble le confirmer, à moins que l'on puisse conclure que chaque mise à pied après une affectation professionnelle constitue en fait un licenciement. Après avoir conclu que le prestataire avait perdu son emploi au sens du paragraphe 31(1) de la Loi, c'est-à-dire en raison d'un conflit collectif, la Commission a également estimé qu'il n'avait pas droit aux prestations en question car il n'était pas en mesure de reprendre son emploi antérieur étant donné l'arrêt de travail dû à un conflit collectif. Cette conclusion est, encore une fois, fondée sur l'hypothèse, qui ne paraît pas déraisonnable au regard des faits de l'affaire, que le prestataire avait un emploi antérieur qu'il aurait été rappelé à occuper, comme d'habitude, si ce n'était cette grève.         
     ...
         Je ne conclus pas de cela que la décision de la Commission était arbitraire ou inconséquente au regard des faits de l'affaire ou des éléments du dossier. Au contraire, sa conclusion semble à la fois réaliste et inévitable en ce qui concerne les travailleurs exerçant ce type d'activité.         
         Cela dit, la décision n'est pas fondée en droit au regard de la jurisprudence White strictement interprétée, si aucune distinction ne peut être opérée entre les deux affaires. Si cette décision fait l'objet d'un appel, la Cour d'appel aura à nouveau l'occasion de dire si un emploi de ce genre constitue une exception et si les mises à pied sans date précise de reconvocation ne doivent pas être considérées comme un licenciement. Les conséquences d'une telle décision revêtent une très grande importance pour tous les travailleurs se trouvant dans une telle situation.         
         Lié comme je le suis par l'arrêt de la Cour d'appel, en l'absence d'un nouvel arrêt de la Cour adoptant une autre solution à l'égard des personnes occupant ce genre d'emploi, je dois faire droit à l'appel du prestataire.         

Analyse

[14]      La principale question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si le prestataire avait perdu son emploi ou s'il n'était pas en mesure de reprendre son emploi antérieur en raison d'un arrêt de travail lorsqu'il s'est présenté sur les quais le 28 janvier 1994.

[15]      Pour refuser d'accorder des prestations au titre du paragraphe 31(1) de la Loi, il faut établir

     a) qu'il y avait effectivement un conflit collectif sur les lieux de travail en question;
     b) que ce conflit collectif avait entraîné un arrêt de travail; et
     c) que le prestataire avait perdu son emploi en raison de cet arrêt de travail.

[16]      Le troisième point revêt en l'espèce une importance essentielle. Mais, étant donné que le prestataire a mis en doute, devant la Cour, la qualité d'employeur de l'association requérante, il y a lieu d'examiner ce point sans plus attendre.

[17]      Le prestataire fait valoir que si les arbitres n'avaient pas passé sur la distinction essentielle qu'il y a lieu de faire entre la requérante, qui agit en tant qu'agent de négociation au nom des divers employeurs, et tous les employeurs regroupés au sein de l'association, ils auraient nécessairement conclu à l'absence de toute preuve d'un emploi précis que le prestataire aurait pu perdre ou n'aurait pas été en mesure de reprendre le 28 janvier. Étant donné le nombre d'employés sur les quais, et la brièveté des périodes précises d'emploi, il aurait été impossible aux arbitres de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire aurait effectivement été reconvoqué par l'employeur pour lequel il avait travaillé le 27 janvier 1994.

[18]      D'après le prestataire, l'arrêt White et la plupart des autres jugements portant sur le paragraphe 31(1) permettent d'affirmer qu'il occupait bien un emploi continu auprès d'un employeur unique. Dans bon nombre de ces affaires, le dossier porte à dire que l'emploi se serait poursuivi si une grève n'était pas intervenue. Si un prestataire qui démissionne de son emploi en raison d'une grève imminente4, ou qui est mis à pied par l'employeur en raison d'une grève imminente5, ne peut pas se voir exclu des prestations de l'assurance-chômage au titre du paragraphe 31(1), il n'existe aucun motif rationnel d'exclure le prestataire qui n'occupait pas un emploi précis et qui n'était pas certain d'avoir un travail précis à l'avenir, même si une grève n'était pas intervenue.

[19]      Le prestataire souscrit aux observations faites à l'audience par le membre dissident du conseil arbitral, et selon lesquelles le travail sur les quais est organisé de telle manière qu'on ne saurait prétendre que la requérante a démontré que le prestataire avait effectivement un travail le 28 janvier 1994. La requérante avait décrit les pratiques d'embauche et le système d'emploi en vigueur, mais l'essentiel est que, le 28 janvier 1994, le prestataire n'avait reçu aucune offre définitive de travail.

[20]      La question de savoir si la requérante a effectivement la qualité d'employeur vis-à-vis du prestataire n'a pas été soulevée devant le conseil arbitral, ni au cours des plaidoiries devant le juge-arbitre. Il est donc un peu tard pour soulever cette question devant la Cour. Conformément à un principe bien établi, une partie ne saurait invoquer devant la Cour un argument qui n'a pas été invoqué en première instance et qui pourrait exiger la production de nouvelles preuves6. Dans son arrêt Mon-Oil Ltd. c. Canada7, cette Cour a déclaré qu'une cour d'appel ne doit donner suite à un nouvel argument qui n'a pas été invoqué en première instance que si elle estime qu'aucune explication raisonnable ou satisfaisante n'aurait pu être fournie en première instance même si la question avait effectivement été soulevée en temps utile8. On ne trouve pas dans le dossier, sous sa forme actuelle, les circonstances de fait et de droit applicables aux ports de la Colombie-Britannique et on ne peut surtout pas savoir si la requérante avait fait l'objet d'une désignation au titre des articles 33 ou 34 du Code canadien du travail9. Dans un dossier complémentaire déposé à l'appui de sa demande, la requérante a fait savoir à la Cour que la question de l'identité de l'employeur du prestataire a été en premier évoquée par le prestataire le 13 octobre 1995, c'est-à-dire environ un an après la décision du conseil arbitral. Le 13 octobre 1995, le prestataire écrivait au ministère du Développement des ressources humaines pour lui demander de dire, aux fins de sa demande d'assurance-chômage, quel ou quels étaient ses employeurs. Le 18 octobre 1995, le ministère du Développement des ressources humaines a rejeté sa demande. Le 9 novembre 1995, le prestataire a demandé à Revenu Canada, se fondant pour cela sur le paragraphe 61(3) de la Loi sur l'assurance-chômage, de dire que la requérante n'était pas son employeur. Le 7 mars 1996, cette demande a été rejetée par Revenu Canada. La requérante ne s'est vu signifier aucun avis d'appel de cette décision de Revenu Canada. Dans ces conditions-là, nous ne pouvons pas nous prononcer sur la qualité d'employeur. La requérante est désignée en tant qu'employeur dans la convention collective. Dans l'ensemble des procédures auxquelles a donné lieu cette affaire, la requérante a été considérée comme l'employeur, aussi bien devant la Commission que devant le conseil arbitral et le juge-arbitre. Par conséquent, la présente affaire ne peut être tranchée qu'au vu des faits constatés par ces divers organismes administratifs.

[21]      Dans l'affaire White, les prestataires avaient été mis à pied par leur employeur trois jours avant le début d'une grève que prévoyait l'employeur. Voyant venir cet événement, celui-ci avait en effet décidé de répartir le travail entre d'autres usines. Un avis de mise à pied avait été transmis aux prestataires avec effet au 27 juillet 1990. Entre temps, un vote avait été organisé par le syndicat les 24 et 25 juillet 1990, et, au vu du résultat, une grève avait été autorisée à partir du 30 juillet 1990. La grève a débuté le jour prévu. Au départ, les prestataires ont reçu des prestations d'assurance-chômage, mais on a plus tard prétendu qu'ils en étaient exclus, par le jeu du paragraphe 31(1) de la Loi, pendant toute la durée de la grève.

[22]      La Cour a estimé que les prestataires n'occupaient pas, à la suite de leur mise à pied, un emploi continu. Ils avaient, en fait, perdu celui-ci du fait du licenciement. Il y avait eu résiliation du contrat de travail. Par conséquent, les prestataires n'avaient pas perdu leur emploi " du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif ", mais plutôt en raison des mesures prises par leur employeur.

[23]      Ce qui importe en l'espèce c'est la répartition des journées de travail évoquée par le juge-arbitre dans l'extrait cité plus haut :

         Si, selon la jurisprudence de la Cour d'appel, une mise à pied sans date précise de rappel au travail équivaut à une perte d'emploi et ouvre donc droit aux prestations de l'assurance-chômage, la démarche ne saurait tout bonnement être appliquée sans exception aucune à des métiers tels que celui de débardeur, d'ouvrier de la construction ou d'autres corps de métier dont les membres travaillent assez régulièrement, même si, au jour le jour, ils sont uniquement appelés en fonction des besoins; les dates de reconvocation au travail ne peuvent pas toujours être prévues de manière précise lors de la mise à pied.         

[24]      Dans l'affaire White, la Cour a évoqué le recours régulier à des mises à pied et à des reconvocations au travail dans le contexte de deux affaires, Delmer Albright c. Emploi et Immigration Canada10, et Morrison c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration)11. Bien qu'il ait été décidé, dans ces deux affaires, que le paragraphe 31(1) interdisait l'octroi de prestations, la répartition des jours de travail était différente de ce que l'on constate en l'espèce. Dans les deux cas, lors de la grève, les prestataires avaient été mis à pied mais en même temps informés de la date de leur retour au travail.

[25]      En l'espèce, l'intimé n'avait pas été mis à pied lorsqu'il a quitté son emploi dans la soirée du 27 janvier 1994. Comme tous les autres débardeurs, à la fois les membres du syndicat et les travailleurs occasionnels, c'est au jour le jour qu'il était affecté à une tâche donnée, selon les travaux à effectuer et le lieu où l'on avait besoin de lui. On ne lui avait donc pas indiqué une date précise pour la reprise du travail. Mais il n'était pas sans emploi le 28 janvier 1994, si tant est qu'il y ait eu du travail. La répartition de ses journées de travail, telle qu'elle ressort des registres de paye et d'autres pièces, a convaincu une majorité du conseil arbitral que le travail ne manquait pas pour le prestataire. Si, le 27 janvier 1994, le prestataire ne s'était effectivement vu affecter aucun travail pour le jour suivant, le juge-arbitre a estimé qu'il était raisonnable de supposer que le prestataire avait effectivement un emploi dans le cadre duquel il aurait été convoqué comme d'habitude, si ce n'était cette grève. Il a conclu que l'intimé avait beaucoup plus qu'une simple " "expectative d'être à nouveau convoqué au travail" et qu'en fait il en avait une quasi-certitude "12. Le prestataire n'avait pas mis fin à la relation de travail l'unissant à son employeur, et n'avait pas rompu les liens qui l'unissaient à celui-ci. Il avait conservé tous les droit que lui donnait son ancienneté, dont le droit de travailler lorsqu'il y avait du travail et, en cas de non-respect de ce droit, la convention collective lui offrait la possibilité de former un grief. Étant donné qu'il n'appartenait pas au syndicat, il ne pouvait pas voter pour ou contre la grève, mais, lors de la signature de la nouvelle convention collective, il a touché une rémunération rétroactive. Tout cela indique que, aux dates en question, le prestataire a continué d'appartenir au bassin de main-d'oeuvre que constituaient les travailleurs syndiqués et les non-syndiqués, c'est-à-dire les débardeurs réguliers autant qu'occasionnels.

[26]      Plusieurs juges arbitres se sont penchés sur la situation des débardeurs syndiqués et occasionnels qui travaillent selon un système d'affectations quotidiennes que rend nécessaire la nature des tâches qu'ils assurent, et qui dépend essentiellement du nombre de navires, du volume et de la nature des cargaisons, tout cela variant d'un jour à l'autre et d'un quai à l'autre. Dans l'affaire Alain Migneault c. Ministère de l'Emploi et de l'Immigration du Canada13, le juge Dubé, siégeant en tant que juge-arbitre, a fait remarquer qu'un débardeur intérimaire, auquel ne s'applique pas le système d'ancienneté, n'est jamais certain de travailler le jour suivant puisque son retour au travail dépend d'une décision discrétionnaire de l'employeur, mais qu'il n'a tout de même pas droit aux prestations en cas de conflit collectif. Le juge Dubé a insisté sur le fait que, de par la nature même de leur travail, les débardeurs ne sont susceptibles d'être convoqués que lorsqu'il y a des navires à charger ou à décharger dans le port.

[27]      Les circonstances tout à fait particulières entourant le cas du débardeur occasionnel qui se voit convoquer au travail dans le cadre d'un système d'affectation des tâches ont été examinées dans l'affaire David H. Cameron14. Le juge Kerr, siégeant en tant que juge-arbitre, a, selon moi à bon droit, déclaré que :

     [Traduction]

         Si l'on dit qu'en raison du caractère occasionnel de son emploi, le prestataire n'avait en fait aucun travail auprès de l'employeur lorsque l'arrêt de travail s'est produit, l'on passe sur la répartition, l'importance et la régularité de son travail, le caractère constant de celui-ci, et la perspective immédiate de retravailler qui est la sienne lors d'un arrêt de travail. On peut imaginer des cas où l'on pourrait effectivement dire que des travailleurs occasionnels n'avaient aucun emploi lors de l'arrêt de travail se produisant dans les locaux d'un employeur qui leur offre du travail de temps en temps, mais ce n'est pas le cas en l'espèce.

[28]      Le cas qui nous retient ici peut donc, il est clair, faire l'objet d'une distinction par rapport à l'affaire Morissette c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration)15, affaire dans laquelle le requérant travaillait de manière épisodique, uniquement lorsqu'il choisissait de répondre à une convocation. Lorsqu'il a quitté le travail le jour avant que les employés se voient interdire l'accès des lieux de travail, il n'avait aucun droit d'être reconvoqué et ne savait pas à quelle date il le serait. La Cour a décidé que le jour où le personnel a fait l'objet d'un lock-out, le prestataire n'avait qu'une expectative d'emploi.

[29]      Il convient également d'opérer une distinction d'avec l'affaire Gionest c. Commission de l'assurance-chômage16. Dans cette affaire, la convention collective applicable à plusieurs ouvriers d'une usine de traitement du poisson prévoyait que, lors de la réouverture de l'usine chaque printemps, l'employeur offrirait du travail aux employés de l'année de précédente, en commençant par ceux qui avaient le plus d'ancienneté. La réouverture de l'usine où travaillaient les prestataires a été retardée le printemps suivant en raison de négociations devant aboutir à une nouvelle convention collective. L'usine n'a rouvert qu'après la signature de la nouvelle convention collective. Il a fallu décider si les employés en question avaient droit aux prestations d'assurance-chômage pendant la période de chômage correspondant à la décision, prise par l'employeur, de ne pas rouvrir à la date habituelle. La Cour a fait droit à la demande des prestataires, estimant que le paragraphe 44(1) (l'actuel paragraphe 31(1)) ne s'appliquait pas. Le droit à un emploi n'était pas, en ce qui concernait les employés, un droit irrévocable; il dépendait de l'ouverture de l'usine, et ne prenait naissance qu'avec la réouverture de celle-ci.

[30]      Le sous-procureur général intimé a fait valoir devant la Cour que le prestataire avait droit aux prestations d'assurance-chômage en raison du caractère occasionnel de son travail. Le sous-procureur général admet même la proposition voulant que tous les débardeurs, syndiqués ou non, aient droit à ces prestations en cas de grève étant donné qu'ils dépendent d'une convocation quotidienne au travail. Cette proposition va à l'encontre de la thèse bien connue de la neutralité de l'État en matière de conflit collectif, principe exposé dans l'arrêt Hills c. Canada (procureur général)17.


[31]      J'estime qu'il y a lieu d'accueillir cette demande de contrôle judiciaire, d'annuler la décision du juge-arbitre et de renvoyer la question au juge-arbitre en chef ou à la personne désignée par lui afin de rejeter l'appel, confirmant par là même la décision d'une majorité du conseil arbitral.


" Alice Desjardins "

J.C.A.

" Je souscris à ces motifs

     B.L. Strayer, J.C.A. "

" Je souscris à ces motifs

     F.J. McDonald, J.C.A. "

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

COUR D'APPEL FÉDÉRALE


NOM DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      A-690-96

INTITULÉ :      La British Columbia Maritime

         Employers Association c.

         Cliff Wellicome et autre.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :      Le jeudi 6 novembre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT :      Le juge Desjardins

AUXQUELS ONT SOUSCRITS :      Le juge Strayer

         et le juge McDonald

DATE :      Le jeudi 11 décembre 1997

ONT COMPARU :

Me R. Patrick Saul      pour la requérante

Me James F. Sayre      pour l'intimé, Cliff Wellicome     

Me Patricia A. Osoko      pour l'intimé, le sous-procureur

         général du Canada

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Alexander, Holburn, Beaudin & Lang

Vancouver (Colombie-Britannique)      pour la requérante

Community Legal Assistance Society

Vancouver (Colombie-Britannique)      pour l'intimé, Cliff Wellicome

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)      pour l'intimé, le sous-procureur          général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. U-1.

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31. (1) Subject to the regulations, a claimant who has lost an employment or is unable to resume a previous employment by reason of a stoppage of work attributable to a labour dispute at the factory, workshop or other premises at which the claimant was employed is not entitled to receive benefit until the earlier of      (a) the termination of the stoppage of work, and      (b) the day on which the claimant has become regularly engaged elsewhere in insurable employment 31. (1) Sous réserve des règlements, le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre son emploi antérieur du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations avant, selon le cas :a) la fin de l'arrêt de travail;b) le jour où il a commencé à exercer ailleurs d'une façon régulière un emploi assurable.
The term "labour dispute" (" conflit collectif ") is thus defined in subsection 2(1) of the Act:
"labour dispute" means any dispute between employers and employees, or between employees and employees, that is connected with the employment or non-employment, or the terms or conditions of employment, of any persons;[Emphasis added) " conflit collectif " Conflit, entre employeurs et employés ou entre employés, qui se rattache à l'emploi ou aux modalités d'emploi de certaines personnes ou au fait qu'elles ne sont pas employées.
[Je souligne]

3      [1994] 2 C.F. 233.

4      Létourneau c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, [1986] 2 C.F. 82. Il convient de noter que dans cette affaire, bien que la Cour ait décidé que le paragraphe 44(1) (l'actuel paragraphe 31(1)) ne s'appliquait pas, le prestataire a été soumis à une période de disqualification de dix semaines, comme le prévoit l'article 41. L'imminence d'une grève n'était pas un motif suffisant pour que l'employé quitte son emploi.

5      White c. Canada, [1994] 2 C.F. 233.

6      Perka c. La Reine [1984] 2 R.C.S. 232 à la p. 240.

7      (1993), 152 N.R. 210 à la p. 223.

8      SS. " Tordenskjold " c. SS. " Euphemia " (1980), 41 R.C.S. 154.

9      L.R.C. (1985), ch. L-2.

10      (9 mai 1989), CUB-16604.

11      (1990), 144 N.R. 272 (C.A.), 70 D.L.R. (4th) 559.

12      Dossier d'appel, page 280.

13      (22 mai 1986), CUB-14185.

14      (15 juin 1970), CUB-2968.

15      (21 mars 1991), A-692-90 (C.A.).

16      [1983] 1 C.F. 832.

17      [1988] 1 R.C.S. 513 à la p. 537.

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