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Date : 20031120

Dossier : A-45-03

Référence : 2003 CAF 435

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

                                                                                   

                                                                                   

MOHAMMED DEEN

                                                                                                                                                      défendeur

                                   Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 novembre 2003.

                                   Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 20 novembre 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE STRAYER

LA JUGE SHARLOW


                                                                                                                                           Date : 20031120

                                                                                                                                         Dossier : A-45-03

                                                                                                                         Référence : 2003 CAF 435

CORAM:        LE JUGE STRAYER

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

MOHAMMED DEEN

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                                   

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MALONE

Introduction

[1]                 Cette demande de contrôle judiciaire concerne les facteurs que doit appliquer la Commission canadienne de l'assurance-emploi (la Commission) lorsqu'elle impose une pénalité selon le paragraphe 38(2) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi).


[2]                 Le paragraphe 38(2) prévoit, dans les termes suivants, la pénalité maximale qui peut être imposée à quiconque fait sciemment une déclaration fausse ou trompeuse :

38(2) La pénalité que la Commission peut infliger pour chaque acte délictueux ne dépasse pas :

38(2) The Commission may set the amount of the penalty for each act or omission at not more than

a) soit le triple du taux de prestations hebdomadaires du prestataire;

(a) three times the claimant's rate of weekly benefits;

b) soit, si cette pénalité est imposée au titre de l'alinéa (1)c), le triple :

(b) if the penalty is imposed under paragraph (1)(c)

(i) du montant dont les prestations sont déduites au titre du paragraphe 19(3),

(i) three times the amount of the deduction from the claimant's benefits under subsection 19(3), and

(ii) du montant des prestations auxquelles le prestataire aurait eu droit pour la période en cause, n'eût été la déduction faite au titre du paragraphe 19(3) ou l'inadmissibilité ou l'exclusion dont il a fait l'objet;

(ii) three times the benefits that would have been paid t the claimant for the period mentioned in that paragraph if the deduction had not been made under subsection 19(3) or the claimant had not been disentitled or disqualified from receiving benefits; or

c) soit, lorsque la période de prestations du prestataire n'a pas été établie, le triple du taux de prestations hebdomadaires maximal en vigueur au moment de la perpétration de l'acte délictueux.

(c) three times the maximum rate of weekly benefits in effect when the act or omission occurred, if no benefit period was established.

Points en litige

[3]                 Deux points doivent être résolus. D'abord, quelle est la portée de l'enquête que fait la Commission lorsqu'elle détermine les facteurs à prendre en compte pour fixer dans chaque cas la pénalité? Deuxièmement, dans quelle mesure la Commission peut-elle recourir aux principes du droit criminel qu'appliquent les juges lorsqu'ils fixent des amendes à la suite de déclarations de culpabilité selon le Code criminel du Canada ou selon d'autres lois?


Les faits

[4]                 M. Deen a présenté une demande pour que lui soient versées des prestations à partir du 20 février 2000. Par la suite, et alors qu'il recevait des prestations, il a négligé de déclarer des gains tirés d'un emploi. Une enquête ultérieure de la Commission a révélé qu'il avait travaillé pour trois employeurs distincts durant plusieurs parties de la période de prestations. Selon ces trois employeurs, ses gains non déclarés totalisaient 9 622 $.

[5]                 M. Deen a eu l'occasion d'expliquer l'écart sur le formulaire de la Commission appelé Demande d'éclaircissements des renseignements d'emploi (la demande d'éclaircissements), mais il n'en a rien fait. La Commission est donc arrivée à la conclusion, au vu des renseignements disponibles, qu'il avait sciemment fait trois déclarations fausses ou trompeuses, et elle lui a imposé, pour chacune des périodes de prestations, une pénalité de 2 208 $, de 1 104 $ et de 4 416 $ respectivement, soit un total de 7 728 $.

[6]                 Ces pénalités ont été calculées de manière à équivaloir au trop-perçu des prestations pour les périodes d'emploi, conformément à la politique suivie par la Commission pour une première infraction. Comme M. Deen n'avait pas offert d'explications, il n'y avait pas de circonstances atténuantes dont la Commission eût pu tenir compte. Comme l'omission de M. Deen avait entraîné un trop-perçu de 7 728 $, la Commission a conclu qu'il avait commis une très grave violation au sens de l'article 7.1 de la Loi.


[7]                 La Commission a alors écrit à M. Deen pour l'informer de sa décision sur les pénalités imposées. Cette lettre type indiquait qu'aucune réponse n'avait été reçue à la suite de la demande d'éclaircissements, et elle l'invitait à communiquer des renseignements additionnels, ajoutant que, en cas de difficultés financières, d'autres dispositions pouvaient être envisagées.

[8]                 Environ deux semaines plus tard, le défendeur envoyait à la Commission une lettre dans laquelle il faisait état de difficultés financières, en donnant le détail de sa situation personnelle. La Commission a examiné le dossier, mais a refusé de modifier les pénalités.

[9]                 Le défendeur a alors fait appel de la décision de la Commission à un conseil arbitral (le conseil). Le conseil a unanimement rejeté l'appel, estimant que la décision de la Commission s'accordait avec l'esprit de la Loi, mais, eu égard à la situation financière du prestataire, il a recommandé à la Commission de réduire la pénalité.

[10]            La Commission a alors examiné la recommandation du conseil pour une réduction de la pénalité. Elle a considéré, ce faisant, les déclarations du prestataire : il disait que, s'il n'avait pas déclaré ses gains, c'était parce qu'il avait perdu son emploi à temps plein en février, et que, même s'il avait pu trouver un emploi temporaire, cet emploi ne lui permettait pas de subvenir aux besoins des cinq personnes de sa famille. Eu égard à ces facteurs, la Commission a réduit de moitié la pénalité, pour la fixer à 3 864 $.

[11]            M. Deen a alors fait appel de la décision du conseil à un arbitre.


[12]            L'arbitre a fait droit à l'appel, expliquant son raisonnement dans une décision désignée CUB55881, où l'on peut lire notamment ce qui suit :

[traduction] On ne sait pas quels facteurs la Commission a pris en considération lorsqu'elle a imposé une peine substantielle au prestataire, si ce n'est le fait que, puisqu'il s'agissait du premier cas de déclaration irrégulière, la pénalité était fixée à 100 p. 100 du trop-perçu...

Sur la question de savoir à qui devrait incomber la tâche de revoir les facteurs qu'il convient de considérer pour fixer une pénalité, notamment le facteur de la capacité du prestataire de payer, je crois que cette tâche devrait revenir à la Commission. Il appartient au conseil, de par son rôle de « protecteur des droits des personnes assurées » , ainsi que le décrivait la Cour d'appel fédérale, de s'assurer que la Commission a bien tenu compte de tous les facteurs importants lorsqu'elle a exercé son pouvoir de fixer une pénalité. Si les membres du conseil ne sont pas persuadés que c'est bien ce qui a été fait, le conseil doit alors effectuer sa propre enquête en la matière.

...

Je proposerais que, pour la fixation du quantum de la pénalité, l'on s'en rapporte à ce qui est exigé des juges lorsqu'ils fixent des amendes à la suite de déclarations de culpabilité selon le Code criminel ou selon d'autres lois fédérales... Dans l'arrêt R c. Savard (1998), 126 C.C.C. (3d) 562 (C.A.Q.), le juge LeBel écrivait :

[traduction] Je ne puis imaginer que le législateur ait pu vouloir que des amendes soient imposées à des gens qui n'ont pas de biens ou de sources de revenu qui leur permettraient de les payer. Avant de payer une amende, le contrevenant doit être en mesure de vivre, et, le cas échéant, de subvenir aux besoins de ceux qui sont à sa charge. Autrement, ce serait les condamner à l'oisiveté, ou les contraindre à obtenir de l'argent en se livrant à des activités criminelles. Ce ne peut être l'objectif recherché par le législateur.

Faisant écho aux observations du juge LeBel, je crois que, lorsque la Commission fixe une pénalité d'une certaine importance, il lui incombe de prendre en compte les moyens du prestataire et sa capacité de payer, de même que d'autres facteurs, par exemple la somme d'argent dont il s'agit, la question de savoir si l'infraction est une première infraction ou une récidive, enfin les circonstances dans lesquelles la fausse déclaration a été faite...

[13]            Le demandeur affirme aujourd'hui que l'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a accueilli l'appel et renvoyé l'affaire au conseil arbitral pour nouvelle décision concernant la pénalité.


Analyse

[14]            Le pouvoir d'un arbitre de modifier la manière dont un conseil arbitral a réformé la décision discrétionnaire de la Commission sur le quantum d'une pénalité au titre du paragraphe 38(2) est restreint. Tant que la Commission exerce judiciairement son pouvoir discrétionnaire, c'est-à-dire tient compte de tous les facteurs pertinents et ignore les facteurs hors de propos, ses décisions sont inattaquables (Canada (P.G.) c. Dunham, [1997] 1 C.F. 462 (C.A.)).

[15]            Selon mon analyse, ni l'article 38 ni l'économie générale de la Loi ne donnent à entendre que la Commission est de quelque manière tenue d'effectuer de sa propre initiative une enquête approfondie sur les facteurs à appliquer dans l'établissement initial d'une pénalité. La Commission est fondée à vérifier les contradictions évidentes en obtenant des prestataires des renseignements opportuns, et elle doit donner aux prestataires, ce qu'elle fait effectivement, l'occasion de produire des renseignements utiles, notamment des renseignements intéressant la question de la pénalité. En l'absence d'une réponse, la Commission est fondée à fixer la pénalité d'après le dossier existant. Par la suite, la pratique de la Commission ainsi que le Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332 (le Règlement) donnent au prestataire amplement l'occasion de faire valoir des circonstances atténuantes susceptibles de militer contre la pénalité imposée au départ.


[16]            En l'espèce, l'arbitre a estimé que, lorsqu'elle fixe le quantum de la pénalité, la Commission devrait s'inspirer des principes de droit criminel dont se servent les juges pour fixer les amendes prévues par le Code criminel ou d'autres lois fédérales. La Cour a déjà dit que les principes applicables au droit criminel ne devraient pas être transposés à l'aveuglette dans les directives administratives dont se sert la Commission dans ses délibérations, de peur que son pouvoir discrétionnaire de fixer les pénalités ne s'en trouve réduit (voir par exemple l'arrêt Turcotte c. Canada, [1999] A.C.F. n ° 311 (C.A.), au paragraphe 5; et l'arrêt Canada (P.G.) c. Lai [1998] A.C.F. n ° 1016 (C.A.), au paragraphe 4).

[17]            Ces précédents n'ont pas, semble-t-il, été portés à l'attention de l'arbitre, mais ils sont applicables ici. Les pénalités relevant du régime d'assurance-emploi établi par la Loi doivent être considérées non comme des sanctions donnant lieu à un casier judiciaire, mais comme des moyens de dissuasion incitant les prestataires à faire des déclarations volontaires et véridiques. Il se peut fort bien qu'il existe un chevauchement et que certains des facteurs employés dans un contexte pénal puissent se révéler utiles une fois portés à l'attention de la Commission. L'aspect des difficultés financières et de la capacité de payer est certainement un facteur que la Commission doit prendre en compte lorsqu'elle fixe ou modifie une pénalité, mais c'est au prestataire qu'il revient de porter les faits pertinents à l'attention de la Commission. La Commission ne commet pas une erreur de droit parce qu'elle ne tient pas compte de la « capacité de payer » comme facteur devant servir à fixer la pénalité si les faits ne sont pas portés à sa connaissance.


[18]            En l'espèce, le dossier dont disposait l'arbitre attestait que la Commission avait déjà réduit la pénalité à la suite de renseignements complémentaires intéressant la situation financière du défendeur. Ce fait a semble-t-il échappé à l'arbitre. L'arbitre a donc commis une erreur justifiant une révision, car, eu égard au dossier existant, il serait futile de renvoyer l'affaire au conseil arbitral pour nouvelle décision. S'il en est ainsi, c'est parce que, durant son examen de l'ensemble des faits, notamment la réduction de la pénalité, le conseil arbitral n'a pu conclure que la Commission avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière non judiciaire.

[19]            Nous sommes informés que M. Deen peut encore recourir à l'article 56 du Règlement, qui permet à la Commission de considérer davantage le facteur des difficultés financières excessives. Je recommanderais que cela soit fait pour les intérêts qui se sont accumulés depuis juillet 2001.


[20]            Je serais d'avis de faire droit à cette demande de contrôle judiciaire, d'annuler la décision de l'arbitre CUB55881 et de rétablir la décision du conseil arbitral. La pénalité réduite imposée par la Commission, pour la somme de 3 864 $, subsisterait donc. La présente affaire ne se prête pas à une adjudication de dépens.

                                                                                            _ B. Malone _                

                                                                                                             Juge                       

« Je souscris aux présents motifs

B.L. Strayer, juge »

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                         

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :              A-45-03

INTITULÉ :              LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                  demandeur

et

MOHAMMED DEEN

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 12 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :       LE JUGE STRAYER

LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :    LE 20 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Sadian Campbell                                                  POUR LE DEMANDEUR

Mohammed Deen                                                 POUR LE DÉFENDEUR

(autoreprésenté)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Brampton (Ontario)                                              POUR LE DÉFENDEUR

(autoreprésenté)


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