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                                                                                                                        Date : 20040630

Dossier : A-478-03

Référence : 2004 CAF 252

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                           TOMMY HILFIGER LICENSING, INC.,

                                              TOMMY HILFIGER CANADA INC.

                                                                                                                                          appelantes

                                                                             et

                                             INTERNATIONAL CLOTHIERS INC.

                                                                                                                                                intimée

                                    Audience tenue à Montreal (Québec), le 10 mars 2004.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 juin 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                           LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20040630

Dossier : A-478-03

Référence : 2004 CAF 252

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                           TOMMY HILFIGER LICENSING, INC.,

                                              TOMMY HILFIGER CANADA INC.

                                                                                                                                          appelantes

                                                                             et

                                             INTERNATIONAL CLOTHIERS INC.

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]                Il s'agit d'un appel de la décision du juge MacKay de la Cour fédérale dans l'affaire Tommy Hilfiger Licensing, Inc. et al. c. International Clothiers Inc., 2003 CF 1087, en date du 19 septembre 2003, laquelle a accueilli en partie la déclaration des appelantes, et a rejetée la demande reconventionnelle de l'intimée.


[2]                Plus précisément, le juge a : a) confirmé la validité des marques de commerce des appelantes constituées par un dessin d'écusson (Crest Design), l'une portant le numéro TMA 426,595 et enregistrée le 29 avril 1994, et l'autre portant le numéro TMA 430,112 et enregistrée le 8 juillet 1994 (les marques-écussons); b) reconnu le droit d'auteur des appelantes sur le dessin d'écusson enregistré sous le numéro 448,012 le 29 novembre 1995; c) accueilli l'allégation de violation du droit d'auteur des appelantes eu égard aux ventes par l'intimée d'ensembles shorts pour garçons en 1998; d) accueilli l'allégation de commercialisation trompeuse des appelantes en ce qui concerne les ventes par l'intimée de chemises en 1995 et celles d'ensembles shorts pour garçons en 1998; e) rejeté l'allégation des appelantes relative à la contrefaçon de leur marques-écussons déposées.

[3]                Dans le cadre du présent appel, les appelantes ne remettent en question que le rejet de leur allégation de contrefaçon des marques-écussons. La question soulevée par cet appel se rapporte au sens à donner aux mots « employée (...) pour distinguer, ou de façon à distinguer » que l'on retrouve dans la définition du terme « marque de commerce » à l'article 2 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi). Plus précisément, la Cour doit décider si l'intimée a employé son dessin d'écusson comme marque de commerce de manière à faire conclure, en vertu de l'article 20 de la Loi, qu'il y a contrefaçon.

La législation pertinente

[4]                Les articles 2, 4, 6, 7, 19 et 20 de la Loi, pertinents au regard du présent appel, sont rédigés comme suit :








2. [...]

« emploi » ou « usage » À l'égard d'une marque de commerce, tout emploi qui, selon l'article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

[,,,]

« marque de commerce » Selon le cas_:

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres; [Le souligné est le mien]

[...]

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

     (2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services.

     (3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.

[...]

6. (1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

     (2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

     (3) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec un nom commercial, lorsque l'emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à cette marque et les marchandises liées à l'entreprise poursuivie sous ce nom sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l'entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

     (4) L'emploi d'un nom commercial crée de la confusion avec une marque de commerce, lorsque l'emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à l'entreprise poursuivie sous ce nom et les marchandises liées à cette marque sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à l'entreprise poursuivie sous ce nom et les services liés à cette marque sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

     (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris_:

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

7. Nul ne peut_:

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde_:

(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

(ii) soit leur origine géographique,

(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d'exécution;

e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.

[...]

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l'enregistrement d'une marque de commerce à l'égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

20. (1) Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d'une marque de commerce ne peut empêcher une personne_:

a) d'utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque de commerce_:

(i) soit le nom géographique de son siège d'affaires,

(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à la marque de commerce.

(2) L'enregistrement d'une marque de commerce n'a pas pour effet d'empêcher une personne d'utiliser les indications mentionnées au paragraphe 11.18(3) en liaison avec un vin ou les indications mentionnées au paragraphe 11.18(4) en liaison avec un spiritueux.

2. [...]

"trade-mark" means

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others, [Emphasis added]

"use", in relation to a trade-mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with wares or services;

[...]

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

     (2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

     (3) A trade-mark that is marked in Canada on wares or on the packages in which they are contained is, when the wares are exported from Canada, deemed to be used in Canada in association with those wares.

[...]

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.      (2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

    (3) The use of a trade-mark causes confusion with a trade-name if the use of both the trade-mark and trade-name in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with the trade-mark and those associated with the business carried on under the trade-name are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

     (4) The use of a trade-name causes confusion with a trade-mark if the use of both the trade-name and trade-mark in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with the business carried on under the trade-name and those associated with the trade-mark are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

     (5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

7. No person shall

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, wares or services of a competitor;

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

(c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested;

(d) make use, in association with wares or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to

(I) the character, quality, quantity or composition,

(ii) the geographical origin, or

(iii) the mode of the manufacture, production or performance

of the wares or services; or

(e) do any other act or adopt any other business practice contrary to honest industrial or commercial usage in Canada

[...]

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

20. (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents a person from making

(a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or

(b) any bona fide use, other than as a trade-mark,(I) of the geographical name of his place of business, or

(ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services,

in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark.

(2) No registration of a trade-mark prevents a person from making any use of any of the indications mentioned in subsection 11.18(3) in association with a wine or any of the indications mentioned in subsection 11.18(4) in association with a spirit.

Contexte

[5]                Les faits sont clairement et exhaustivement énoncés dans les motifs du juge MacKay. Je limiterai donc mon examen aux faits qui sont nécessaires à la compréhension des présents motifs.

[6]                L'appelante Tommy Hilfiger Licensing, Inc. (THLI) détient tous les droits de propriété intellectuelle en litige. L'autre appelante, Tommy Hilfiger Canada Inc. (THC), titulaire d'une licence concédée par THLI, distribue et vend des articles de vêtements en liaison avec les marques de THLI, dont les marques-écussons pour un emploi en liaison avec les vêtements pour hommes et garçons, nommément chemises, chandails, manteaux sport, pantalons, shorts, vestons sport, parkas, pardessus et cols roulés (TMA 426,595) et pour un emploi en liaison avec les chapeaux, casquettes, blazers, maillots de bain, pulls d'entraînement et chaussettes (TMA 430,112).


[7]                En janvier 1990, THC a commencé à vendre des articles de vêtements, dont des chemises, affichant le dessin d'écusson des appelantes et destinées aux consommateurs au détail canadiens. Les appelantes ont conclu certaines ventes à partir de leurs propres magasins, mais principalement par l'intermédiaire de grands magasins à rayons ou d'autres détaillants qui répondaient à leurs normes de qualité, de prix et de présentation. Plusieurs magasins vendant des vêtements provenant des appelantes ont également employé des affiches ou accessoires spéciaux faits par ou pour les appelantes et sur lesquelles figuraient les marques Crest Design.

[8]                Entre 1990 et 1993, les marques-écussons figuraient sur environ 50 % des articles de vêtements de THC. Entre 1994 et 1996, les marques-écussons figuraient sur environ 35 % des vêtements THC alors qu'entre 1997 et 2000 la proportion était d'environ 20 %.

[9]                Voici le dessin des marques-écussons des appelantes :


[10]            L'intimée vend des vêtements au détail et exploite plusieurs magasins dans ce secteur d'activité sous le nom de INTERNATIONAL CLOTHIERS et sous d'autres noms. Elle détient la marque GARAGE U.S.A. Elle ne possède pas de licence pour vendre les marchandises des appelantes ou encore des marchandises qui sont liées aux marques des appelantes.

[11]            Les vêtements vendus par l'intimée dans ses magasins au détail sont des vêtements à la mode acheté à des fabricants qui lui fournissent des vêtements sur demande. De plus, l'intimée achète des lots de vêtements lorsque les ententes avec les fabricants pour la vente à des tierces parties ne se concrétisent pas.

[12]            À ce stade, signalons, comme l'a fait le juge de première instance au paragraphe 21 de ses motifs, que THLI a découvert au début de l'année 1994 que des chemises actuellement fabriquées au Pakistan portaient le dessin d'écusson des appelantes ainsi que des étiquettes de prix Wal-Mart. À la suite de cette découverte, THLI et TommyHilfiger USA, Inc. ont entamé des procédures judiciaires aux États-Unis à l'encontre de Wal-Mart : elles ont obtenu, entre autres, une injonction préliminaire restreignant la vente de chemises Wal-Mart. Avant le procès, les parties ont conclu un règlement confidentiel et la Federal Court for the Southern District of New York a délivré sur consentement une injonction permanente interdisant les ventes futures des chemises par Wal-Mart.


[13]            En novembre 1994, l'intimée a acheté des chemises destinées au départ à Wal-Mart. Ces chemises portaient une étiquette marquée « ASH CREEK » , étiquette de Wal-Mart selon Mme Claire Oziel, une employée de l'intimée dont les tâches comprenaient celle d'acheter les chemises. L'intimée a pris des dispositions pour remplacer les étiquettes « ASH CREEK » par des étiquettes portant la marque GARAGE U.S.A. Les chemises ont été reçues par l'intimée au début de 1995 et ont été vendues par l'intermédiaire des magasins INTERNATIONAL CLOTHIERS entre février ou mars et septembre 1995.

[14]            En avril 1995, les avocats américains de THLI ont envoyé à l'intimée une mise en demeure alléguant que les chemises importées du Pakistan violaient les droits de THLI en matière de marque de commerce, et exigeant que l'intimée mette fin immédiatement à la vente de ces chemises. L'avocat de l'intimée a répondu, entre autres, que les chemises avaient été achetées sans intention malicieuse, qu'aucune autre chemise portant les marques Crest Design ne seraient commandées, et que tout risque de confusion avait été évité par l'étiquetage bien apparent de la marque GARAGE U.S.A.

[15]            En juin 1995, une seconde mise en demeure a été envoyée à l'intimée, qui a répondu que les stocks restants étaient très limités et qu'ils seraient bientôt épuisés. En septembre 1995, les appelantes ont produit leur déclaration.


[16]            En 1998, après que les appelantes eurent introduit leur poursuite en Cour fédérale du Canada, l'intimée a acheté à un distributeur situé en Californie des ensembles shorts portant un écusson similaire à celui des marques-écussons des appelantes. Ces ensembles shorts pour garçons ont été vendus par l'intimée dans ses magasins au détail dans la première moitié de 1998.

[17]            Les marques consistant en des dessins d'écusson et apparaissant sur les chemises et ensembles shorts pour garçons de l'intimée sont reproduites ci-dessous :


(chemises)

(ensembles shorts pour garçons)

                                                     

La décison de première instance


[18]            J'aborderai maintenant l'objet du présent appel, soit les conclusions tirées par le juge MacKay quant à l'allégation de contrefaçon des marques des appelantes et la conclusion à laquelle il est arrivé à la suite de son raisonnement. Avant de trancher cette question, le juge de première instance a traité de la défense de l'intimée de même que de sa demande reconventionnelle portant que les marques-écussons des appelantes n'ont pas été valablement enregistrées du fait qu'elles n'ont pas été employées pour distinguer leurs marchandises de celles des autres.

[19]            Le juge de première instance n'a pas eu de difficultés à conclure que les marques de l'appelantes avaient acquis un caractère distinctif grâce à leur emploi prolongé et continu. Ainsi, au paragraphe 33 de ces motifs, il a rejeté la demande reconventionnelle de l'intimée dans les termes suivants :

[33] Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les marques de commerce relatives au dessin d'écusson des demanderesses ont été enregistrées de manière invalide ou avaient perdu leur caractère distinctif lorsque la validité de leur enregistrement a été mise en doute par la défense et la demande reconventionnelle d'INC. En conséquence, cette demande reconventionnelle doit être rejetée.

[20]            Le juge de première instance s'est ensuite penché sur l'allégation de contrefaçon des appelantes. Premièrement, il était d'avis que, avant de conclure à une contrefaçon de la part de l'intimée suivant les articles 19 et 20 de la Loi, il fallait démontrer que l'intimée avait employé son écusson à titre de marque de commerce, à savoir « pour distinguer ses marchandises de celles des autres » .                              


[21]            Le juge de première instance a estimé que rien n'indiquait que l'intimée avait employé son dessin d'écusson à titre de marque pour distinguer ses marchandises de celles des autres. En particulier, il a décidé que hormis le fait que les chemises achetées aux fins de vente en novembre 1994 et les ensembles shorts pour garçons achetés en 1998 portaient un dessin d'écusson similaire aux marques des appelantes, aucune preuve n'établissait que l'intimée avait employé sa marque à titre de marque de commerce. À son avis, l'intention de l'intimée d'employer ainsi son dessin d'écusson ne pouvait s'inférer sur la seule base des achats.

[22]            Selon le juge de première instance, il importait de considérer le fait que l'intimée n'avait pas participé à la création ou à la conception des chemises pour hommes ou de l'écusson apparaissant sur ces chemises, et le fait que l'intimée avait pris des dispositions pour que le fournisseur de chemises appose les étiquettes portant la marque GARAGE U.S.A. au lieu de l'étiquette Wal-Mart « ASH CREEK » .

[23]            Tout cela a amené le juge de première instance à conclure que les écussons figurant sur les chemises et les ensembles shorts pour garçons n'ont pas été apposés sur les vêtements et n'ont pas été employés « pour distinguer [ses marchandises] de celles d'autres commerçants » (paragraphe 40 des motifs). Conséquemment, il a conclu que le dessin d'écusson de l'intimée n'avait pas été employé à titre de marque de commerce. Ses conclusions sont clairement énoncées aux paragraphes 36 à 40 de ses motifs :


[36] La défenderesse ajoute qu'elle n'a pas porté atteinte aux droits des demanderesses qui découlent de l'article 19 ou 20, parce qu'elle n'a pas utilisé son écusson comme marque de commerce, mais plutôt comme un simple élément décoratif sur ses marchandises. De l'avis de la défenderesse, il ne s'agissait pas d'une utilisation visée par les articles 2 et 4 de la Loi, c'est-à-dire que l'écusson ne figurait pas sur ses marchandises comme marque de commerce et qu'il n'était pas destiné à faire la distinction entre les marchandises de la défenderesse et celles des autres. Pour qu'il y ait contrefaçon en vertu des articles 19 et 20, il est nécessaire de prouver qu'INC a employé l'écusson comme marque de commerce (voir Cie Générale des Établissements Michelin-Michelin & Cie c. T.C.A.-Canada et al. (1996), 71 C.P.R. (3d) 348, aux pages 357 à 362 (C.F. 1re inst.), décision du juge Teitelbaum).

[37] L'article 20 de la Loi prévoit que la contrefaçon d'une marque de commerce déposée est réputée survenir lorsqu'une « personne non admise à l'employer (...) vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion » (sous réserve de certaines exceptions qui ne s'appliquent pas en l'espèce). Pour que cette disposition s'applique, la défenderesse INC doit avoir employé son écusson, lequel créerait apparemment de la confusion avec la marque déposée, à titre de marque de commerce, c'est-à-dire à titre de marque pour « distinguer ou de façon à distinguer les marchandises d'INC de celles vendues ... par d'autres » (définition de la marque de commerce énoncée à l'article 2 de la Loi).

[38] À mon avis, il n'est pas établi que la société INC a employé son dessin d'écusson comme marque de commerce pour distinguer ses marchandises de celles des autres. Toute conclusion selon laquelle elle voulait que le dessin soit une marque de commerce ne peut être déduite que du fait que tant les chemises achetées à des fins de vente en 1995 que les ensembles shorts achetés en 1998 comportaient un dessin d'écusson similaire à celui qu'employaient les demanderesses sur des chemises pour hommes et ensembles shorts pour garçons généralement similaires. Cette déduction n'est pas appuyée par d'autres facteurs.

[39] Selon l'exposé conjoint des faits modifié, INC n'a pas participé à la création ou à la conception des chemises pour hommes ou de l'écusson brodé et elle a demandé au fournisseur de faire apposer des étiquettes comportant sa propre marque de commerce GARAGE U.S.A. après le retrait du nom commercial appartenant à Wal-Mart. La défenderesse n'a utilisé aucune marque comparable à d'autres marques des demanderesses, à l'exception de l'écusson. Aucun élément de preuve n'indique que le dessin d'écusson des demanderesses ou un dessin d'écusson pouvant être considéré comme un dessin prêtant à confusion avec celui-ci n'a été brodé ou apposé sur d'autres marchandises vendues par INC, exception faite des deux lots de chemises et d'ensembles shorts.

[40] J'en conclus que les écussons figurant sur les chemises et ensembles shorts en litige ne faisaient pas partie de ces marchandises et que la défenderesse INC ne s'en est pas servie dans le cadre de la vente desdites marchandises pour distinguer celles-ci de celles d'autres commerçants. La défenderesse n'a pas employé les marques à titre de marques de commerce.

                                                                                          [Non souligné dans l'original.]


[24]            En conséquence, puisque l'intimée n'avait pas employé son dessin d'écusson à titre de marque de commerce, le juge MacKay a conclu qu'elle n'avait pas contrefait les marques des appelantes. Dans l'hypothèse toutefois où il ferait erreur sur ces points, le juge de première instance s'est demandé si l'emploi par l'intimée de la marque-écusson sur des chemises et des ensembles shorts pour garçons causerait de la confusion avec les marques des appelantes.

[25]            Après un examen minutieux des circonstances de l'espèce, dont celles énoncées aux alinéas 6(5)a) à 6(5)e) de la Loi, le juge de première instance a tiré un certain nombre de conclusions qui l'ont mené à trancher que l'emploi par l'intimée du dessin d'écusson à titre de marque de commerce causerait vraisemblablement de la confusion pour les raisons suivantes :

1.         En novembre 1994, lorsque l'intimée a acheté les chemises de Wal-Mart, les marques-écussons des appelantes avaient acquis un caractère distinctif de par leur usage continu sur le marché depuis au moins dix ans.

2.         À quelques détails près, le dessin d'écusson figurant sur les chemises et ensembles shorts pour garçons achetés aux fins de vente par l'intimée était similaire à celui des marques-écussons des appelantes.

3.         La nature des marchandises portant les dessins d'écusson des appelantes et de l'intimée était similaire pour l'essentiel, et les parties exploitaient un seul et même commerce, à savoir la vente de vêtements pour hommes et garçons.


4.         Un consommateur connaissant les marques des appelantes, mais s'en souvenant avec peu de précision, considérerait que les deux marques créent de la confusion parce qu'il aurait l'impression initiale que les marchandises proviennent de la même source ou du même fournisseur, à savoir les appelantes.

[26]            Au paragraphe 45 de ses motifs, le juge de première instance formule ainsi sa conclusion :

[45] Comme je l'ai mentionné plus haut, eu égard à l'ensemble des circonstances, si la défenderesse a utilisé son dessin d'écusson comme marque de commerce à l'égard des chemises et ensembles shorts, cet emploi aurait créé un risque de confusion dans l'esprit du consommateur qui connaissait la marque de commerce correspondant au dessin d'écusson des demanderesses, mais ne se la rappelait pas de manière précise. À mon avis, le consommateur croirait, du moins dans un premier temps, que les marchandises de la défenderesse proviennent de la même source que celles des demanderesses.

                                                                    [Non souligné dans l'original.]

[27]            Le juge de première instance a également conclu que les appelantes avaient réussi à établir que l'intimée contrevenait à l'alinéa 7b) de la Loi en ce que l'intimée, entre 1996 et 1998, avait appelé l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses marchandises, ses services ou son commerce et ceux des appelantes. En tirant cette conclusion, le juge de première instance a formulé les remarques suivantes au paragraphe 51 de ses motifs :


[51] De plus, en utilisant un dessin d'écusson semblable de façon générale à celui des demanderesses sur les polos acquis et vendus en 1996 et semblable au dessin d'écusson enregistré des demanderesses sur les ensembles shorts acquis et vendus en 1998, la défenderesse a agi d'une manière susceptible de créer de la confusion dans l'esprit du consommateur qui connaissait le dessin de l'écusson des demanderesses, mais se le rappelait de façon imprécise. Je suis de cet avis pour les motifs exposés plus haut au sujet du risque de confusion concernant l'allégation de contrefaçon au sens de l'article 20.

[28]            Comme il ressort clairement du passage précité, le juge de première instance était d'avis que l'écusson apparaissant sur les chemises et ensembles shorts pour garçon de l'intimée causerait vraisemblablement de la confusion dans l'esprit du consommateur.

[29]            Je dois souligner que l'intimée n'a pas participé au présent appel, et n'a donc pas présenté de contestation. Ainsi la décision du juge de première instance quant au risque de confusion n'a pas été contestée.

La prétention des appelantes

[30]            Les appelantes soutiennent que le juge de première instance a fait erreur en concluant que l'intimée n'a pas employé son dessin d'écusson sur ses chemises et ensembles shorts à titre de marque de commerce. Elles affirment que le juge de première instance s'est trompé :

1)         en considérant que l'intimée n'a pas contrefait les marques de commerce des appelantes parce qu'elle n'avait pas l'intention d'employer son dessin d'écusson à titre de marque de commerce, soit pour distinguer ses marchandises de celles des autres;


2)         en considérant que l'intimée n'a pas employé son dessin d'écusson aux fins de vente de chemises et ensembles shorts pour garçons pour distinguer ses marchandises de celles des autres.

[31]            La prétention des appelantes repose essentiellement sur les paragraphes 28 à 30 de leur exposé des faits et du droit :

[traduction] 28. L'expression « pour distinguer » ne signifie pas « avec l'intention de distinguer » . Même si une marque est employée pour décorer ou enjoliver des marchandises, et qu'elle est considérée comme indiquant la provenance de celles-ci, elle est employée pour distinguer ces marchandises de celles des autres. [...]

29. Pour décider si une marque est employée comme « marque de commerce » , le message transmis au public par l'emploi de la marque est plus important que l'intention apparente de l'utilisateur. C'est le contexte dans lequel s'inscrit l'emploi de la marque qui permet au tribunal de décider quel est le message transmis au public. [...]

30. Pour qu'une marque soit employée « pour distinguer » les marchandises de l'utilisateur de celles des autres, il suffit que la marque distingue dans les faits les marchandises de l'utilisateur, ou qu'elle serve à indiquer la provenance des marchandises, et ce sans égard à l'intention de l'utilisateur. [...]

Analyse

[32]            Pour les motifs qui suivent, j'accueillerais le présent appel. À mon avis, le juge de première instance s'est trompé en concluant que l'intimée n'avait pas employé son dessin d'écusson à titre de marque de commerce.


[33]            Se fondant sur les articles 19 et 20 et sur la définition du terme « marque de commerce » à l'article 2 de la Loi, les appelantes prétendent que l'intimé a contrefait leurs marques de commerce. À l'article 2 de la Loi, le terme « marque de commerce » est défini comme une marque employée par une personne « pour distinguer, ou de façon à distinguer » les marchandises vendues par elle des marchandises vendues par d'autres. L'article 19 confère au propriétaire d'une marque de commerce le droit exclusif à l'emploi de celle-ci dans tout le Canada en ce qui concerne les marchandises pour lesquelles la marque a été déposée. L'article 20 prévoit que le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer et qui vend, distribue ou annonce des marchandises en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion.

[34]            La seule question en litige dans le cadre du présent appel est de savoir si l'intimée emploie son dessin d'écusson « pour distinguer » ses chemises et ensembles shorts pour garçons ou « de façon à distinguer » ces marchandises de celles des autres. Selon moi, on doit répondre à cette question par l'affirmative.

[35]            Dans la décision Meubles Domani's c. Guccio Gucci S.p.A. (1992), 43 C.P.R. (3d) 372, p. 379 (C.A.F.), la Cour a adopté la position élaborée dans Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition (3e édition, Toronto, Carswell Co. Ltd., 1972) à la page 22, soit qu'en décidant si une marque a été employée à titre de marque de commerce, l'intention de l'utilisateur et la renommée publique sont des considérations pertinentes, et que l'une ou l'autre pouvait suffire à établir que la marque a été employée à titre de marque de commerce.


[36]            Les auteurs de Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, (4e édition, Toronto, Thomson Carswell, 2002 et 2003) énoncent ainsi leur point du vue aux pages 3-12, 3-13 et 3-14 :

[traduction]

ii)             « Pour distinguer »

Les mots « pour distinguer » qu'on retrouve dans la définition du terme « marque de commerce » de l'article 2 ne signifient pas nécessairement, en toutes circonstances, « avec l'intention de distinguer » . Le lord-juge Romer a fait ce constat dans la décision Nicholson's Application où il a indiqué que, si un fabricant emploie une marque en liaison avec ses marchandises dans un but purement esthétique ou décoratif, ou encore dans un but d'entreposage, et que les marques reconnues par le public comme indiquant l'origine des marchandises, alors la marque a été employée d'une telle façon qu'elle a servi à indiquer l'origine de celles-ci et, conséquemment, elle tombe sous le coup de la définition.

Nous verrons plus tard que, même si des conséquences différentes découlent du choix de mots privilégiés dans la nouvelle définition par opposition à l'ancienne, l'objet, la fin recherchée d'une marque de commerce demeure identique, à savoir distinguer certaines choses, dont le propriétaire d'une marque a la charge, d'un certain nombre d'autres, dont il n'a pas la charge. La façon dont l'objet d'une marque peut être atteint a toutefois été modifiée par la nouvelle définition prévue par la loi de 1953, laquelle exige maintenant que l'on examine la qualité inhérente d'une marque seulement à partir du stade de l'opposition. Au stade de la demande, la nature d'une marque dépend uniquement de son objet ou de la conséquence de son emploi comme question de fait ou, en d'autres mots, de l'intention ou de la reconnaissance.

ii)             « De façon à distinguer »

Le type d'emploi suffisant pour répondre aux prescriptions de la définition d'une marque de commerce ne doit pas être interprété strictement. À la fois l'intention de l'utilisateur et la renommée publique sont des considérations pertinentes, mais il suffit de prouver une seule de ces considérations pour établir que la marque a été employée à titre de marque de commerce. Cette affirmation découle directement de l'utilisation du « ou » disjonctif dans la définition du terme « marque de commerce » , définition qui porte que la marque est employée « pour distinguer ou de façon à distinguer » . Par ailleurs, l'utilisation du mot « pour » ne suppose pas une volonté délibérée de la part de l'utilisateur de la marque. En pratique, il suffit que la marque soit employée de façon à indiquer l'origine des marchandises. Il n'est pas essentiel de prouver au surplus que le caractère distinctif de la marque est accepté commercialement; le facteur déterminant est l'adoption de la marque par le commerçant pour distinguer ses marchandises de celles des autres.


Sous le régime de la Loi sur les marques de commerce, l'intention de l'utilisateur, c'est-à-dire son but, suffit à faire en sorte qu'un mot ou une autre marque devienne une marque de commerce. Cela découle directement de la première partie de la définition contenue à l'article 2. Mais une telle intention n'est pas en soi suffisante pour rendre enregistrable une marque de commerce ou pour la protéger. L'intention du propriétaire d'employer une marque à titre de marque de commerce la rendra enregistrable seulement si la marque remplit les critères prévus dans les différentes dispositions de la loi. Si la marque ne remplit pas ces critères, alors il devient nécessaire de s'intéresser à la seconde partie de la définition pour déterminer que la marque a été employée « de façon à distinguer » ses marchandises ou services de ceux des autres commerçants. Cela signifie que, si l'on refuse l'enregistrabilité d'une marque en raison de sa nature, une enquête factuelle sera nécessaire pour déterminer que la marque a effectivement acquis un caractère distinctif. Cette enquête est nécessaire non seulement quant à l'enregistrabilité, mais également pour apprécier la validité au titre de la loi et, de plus, pour protéger une marque non enregistrée en common law.

[Notes infrapaginales omises.] [Non souligné dans l'original.]

[37]            En plus de leur opinion selon laquelle l'intention de l'utilisateur et la reconnaissance publique sont des facteurs à considérer, les auteurs de la 4e édition du Fox, précité, sont aussi d'avis que les mots utilisés à l'article 2 pour définir le terme « marque de commerce » ne requièrent pas la preuve de l'intention pour conclure qu'une marque a été employée à titre de marque de commerce. Pour appuyer leur position, les auteurs se reportent aux propos de lord-juge Romer à la page 260 de la décision Nicholson's Application (1931), 48 R.P.C. 227, 260, où il interprète l'article 3 de la Trade Marks Act britannique de la façon suivante :


[traduction] L'argument suivant des intimés a trait au sens à donner aux mots « employé à titre de marque de commerce » . Les intimés affirment que, pour être en présence d'un utilisateur d'une marque de commerce, deux éléments doivent coexister : 1) l'intention du propriétaire de la marque d'indiquer l'origine des marchandises sur lesquelles ou en liaison avec lesquelles la marque est employée; 2) la reconnaissance que la marque indique l'origine des marchandises pour la partie du public avec laquelle le propriétaire fait affaire. Pour ma part, je ne doute pas que, pour déterminer le type d'utilisateur d'une marque, il faille légitimement prendre en considération à la fois l'intention du propriétaire de la marque et l'effet qu'a eu l'utilisateur sur le public; en l'absence d'intention et de reconnaissance publique, il serait difficile, sinon impossible, de considérer l'utilisateur comme un utilisateur d'une marque de commerce. Mais je ne vois aucun motif de quelque nature que ce soit pour considérer à la fois l'intention et la reconnaissance publique comme des conditions essentielles à la reconnaissance d'un tel utilisteur. Si un commerçant emploie une marque sur ses marchandises ou en liaison avec ses marchandises en ayant l'intention d'en indiquer l'origine, assurément il emploie sa marque à titre de marque de commerce dès ce premier emploi, lequel a lieu probablement plusieurs mois avant que le public ait reconnu que la marque indique l'origine des marchandises. Si la reconnaissance publique est une exigence pour que l'on constate l'existence d'un utilisateur d'une marque de commerce, le propriétaire doit nécessairement demeurer dans l'ignorance quant à savoir s'il emploie ou non une marque de commerce jusqu'à ce que, par un moyen ou par un autre, il puisse vérifier l'opinion publique sur cette question. La façon dont il peut arriver à ce résultat ne m'a pas été expliquée, et j'avoue mon ignorance sur ce point. Mais il est assez évident qu'il ne peut jamais déterminer le moment où le public a, pour la première fois, considéré sa marque comme indiquant l'origine des marchandises; en effet, il ne pourra jamais répondre à la question suivante : « Quand avez-vous, pour la première fois, employé la marque à titre de marque de commerce? » À mon avis, un commerçant emploie, dans une certaine mesure, une marque à titre de marque de commerce lorsqu'il emploie, pour la première fois, cette marque sur ses marchandises ou en liaison avec ses marchandises avec l'intention d'en indiquer l'origine, en supposant, bien sûr, qu'il s'agisse d'une marque pouvant indiquer cette origine. En d'autres mots, l'intention sans la reconnaissance suffit. Mais, la reconnaissance publique sans intention peut-elle suffire? Supposons un fabricant, qui pour des raisons purement esthétiques ou décoratives, ou uniquement pour des raisons d'entreposage emploie une marque sur ses marchandises ou en liaison avec ses marchandises, et qu'en plus pareille marque acquiert la reconnaissance publique pour indiquer l'origine des marchandises, dans ce cas, la marque a-t-elle été employée à titre de marque de commerce? Je ne vois aucune raison de conclure par la négative. On dit que, dans une telle situation, la marque n'est pas visée par la définition du terme « marque de commerce » de l'article 3 de la Loi sur les marques de commerce, dont le passage pertinent est libellé comme suit : « Une marque employée sur des marchandises ou en liaison avec des marchandises pour indiquer qu'elles sont celles du propriétaire d'une telle marque du fait de l'origine de leur fabrication. » À mon sens, le mot « pour » n'a pas nécessairement le sens de « avec l'intention » . La définition englobe la situation où la marque a été employée, comme dans l'hypothèse invoquée, d'une telle façon qu'elle a servi à indiquer l'origine des marchanises. [...]

                                                                                          [Non souligné dans l'original.]


[38]            Considérant la conclusion du juge de première instance selon laquelle l'intimée n'a pas cherché à employer son dessin d'écusson à titre de marque de commerce, il reste à trancher si la marque de l'intimée sert à indiquer l'origine des marchandises. Comme l'a bien expliqué le lord-juge Romer dans les motifs de la décision Nicholson's Application, précitée, le fait que la marque figure sur les marchandises comme motif décoratif n'empêche pas de conclure que la marque a été employée à titre de marque de commerce.

[39]            Le juge de première instance a décidé qu'il n'y avait pas de preuve à l'appui de la prétention des appelantes selon laquelle l'intimée avait employé son dessin d'écusson à titre de marque de commerce. Après avoir relevé au paragraphe 36 de ses motifs que l'intimée soutenait que l'écusson n'était qu'un élément décoratif sur ses marchandises, le juge de première instance a expliqué au paragraphe 39 pourquoi il était convaincu que l'intimée n'entendait pas employer son dessin d'écusson à titre de marque de commerce. Par souci de commodité, je cite de nouveau le paragraphe 39 :

[39] Selon l'exposé conjoint des faits modifié, INC n'a pas participé à la création ou à la conception des chemises pour hommes ou de l'écusson brodé et elle a demandé au fournisseur de faire apposer des étiquettes comportant sa propre marque de commerce GARAGE U.S.A. après le retrait du nom commercial appartenant à Wal-Mart. La défenderesse n'a utilisé aucune marque comparable à d'autres marques des demanderesses, à l'exception de l'écusson. Aucun élément de preuve n'indique que le dessin d'écusson des demanderesses ou un dessin d'écusson pouvant être considéré comme un dessin prêtant à confusion avec celui-ci n'a été brodé ou apposé sur d'autres marchandises vendues par INC, exception faite des deux lots de chemises et d'ensembles shorts.


[40]            À mon avis, le juge de première instance s'est trompé en adoptant l'interprétation selon laquelle la loi requiert la preuve que l'utilisateur avait l'intention d'employer la marque pour distinguer ses marchandises de celles des autres. En toute déférence, je crois que le juge de première instance a manifestement omis de se poser la question essentielle, à savoir si, quelles qu'aient été ses intentions, l'intimée a employé l'écusson pour indiquer l'origine des chemises et ensembles shorts pour garçons ou de façon à indiquer l'origine des marchandises. À mon avis, il est fort à penser que le dessin d'écusson de l'intimée a effectivement servi à indiquer l'origine des marchandises et que, en conséquence, le dessin a été employé à titre de marque de commerce. Les motifs pour lesquels j'arrive à cette conclusion sont les suivants.

[41]            Il faut d'abord mentionner que, comme l'a constaté le juge de première instance, déjà en novembre 1994 et au début de 1995 les marques-écussons des appelantes avaient acquis un caractère distinctif en raison de leur usage continu sur le marché pendant au moins dix ans. Aussi les marques de commerce ont-elles servi à indiquer aux consommateurs que les articles de vêtements auxquels les marques étaient liées provenaient des appelantes.

[42]            Comme l'a également constaté le juge de première instance, à quelques menus détails près, le dessin d'écusson apparaissant sur les chemises et ensembles shorts pour garçons était pratiquement identique à celui des marques des appelantes. De plus, le dessin d'écusson de l'intimée apparaissant sur les chemises était placé au même endroit au niveau de la poitrine que celui apparaissant sur les chemises des appelantes. À cet égard, preuve a été faite devant le juge de première instance que l'intimée connaissait la pratique générale d'apposer un logo au niveau de la poitrine sur une chemise ou un pull dans l'intention d'identifier la provenance d'un vêtement et ce, indépendamment de la marque en cause.


[43]            Comme il a été indiqué plus tôt, ces faits ont permis au juge de première instance de conclure que les marques des appelantes et de l'intimée causeraient de la confusion auprès du consommateur en ce que celui-ci considérerait que les marchandises de l'intimée provenaient des appelantes et donc, pour reprendre les mots du lord-juge Romer, que l'écusson de l'intimée [traduction] « servait à indiquer la provenance ... » , à savoir indiquer que les chemises et les ensembles shorts pour garçons auxquels l'écusson de l'intimée était associé provenaient des appelantes.

[44]            En conséquence, le constat de confusion du juge de première instance signifie que le dessin d'écusson de l'intimée serait considéré par le public comme une indication que les vêtements associés au dessin sont ceux des appelantes. Ce constat est si patent que le juge de première instance a facilement conclu que l'intimée contrevenait à l'alinéa 7b) de la Loi, en ce qu'elle a fait passer ses marchandises pour celles des appelantes en appelant l'attention du public par l'emploi du dessin d'écusson de manière à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses marchandises et celles des appelantes. Aussi, en l'espèce, la question de savoir si l'intimée avait l'intention d'employer sa marque pour indiquer la provenance des marchandises n'est pas pertinente puisque, dans les faits, le dessin a eu cet effet.


[45]            Vu la conclusion du juge de première instance selon laquelle l'emploi par l'intimée de son dessin d'écusson à titre de marque de commerce causerait vraisemblablement de la confusion, l'on ne peut prétendre que les appelantes ont réussi à établir la violation de leur droit à l'emploi exclusif des marques-écussons.


Disposition

[46]            En conséquence, j'accueillerais le présent appel, j'annulerais l'ordonnance du juge MacKay, en date du 19 septembre 2003, rejetant l'allégation des appelantes quant à la contrefaçon de leurs marques-écussons et, rendant le jugement qu'il aurait dû rendre, je déclarerais que l'intimée a contrefait les marques-écussons des appelantes.

[47]            Pour ce qui est des dépens, la Cour a été informée avant l'audience que, vu la décision de l'intimée de ne pas contester l'appel des appelantes, celles-ci ne solliciteraient pas de dépens. En conséquence, je n'accorderais pas de dépens.

                                                                                                              « M. Nadon »

                                                                                                                             Juge

« Je souscris aux présents motifs.

      Robert Décary, juge »

« Je souscris aux présents motifs.

              Gilles Létourneau, juge »

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté, LL.B., D.E.S.S. trad.


                                        COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       A-478-03

INTITULÉ :                                      TOMMY HILFIGER LICENSING, INC.,

TOMMY HILFIGER CANADA INC.

                                                                                                                  appelantes

et

INTERNATIONAL CLOTHIERS INC.

                                                                                                                       intimée

                                                                 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    le 10 mars 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 le juge Nadon

Y ONT SOUSCRIT :                                                             les juges Décary et

Létourneau

DATE DES MOTIFS :                                                          le 30 juin 2004

COMPARUTIONS :

Glen A. Bloom

POUR LES APPELANTES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt

Ottawa (Ontario)

POUR LES APPELANTES

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

POUR L'INTIMÉE


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