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     Date : 19991117

     Dossier : A-609-99

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE ISAAC

         LE JUGE SEXTON

ENTRE :


GORDON REZEK

     appelant

    


     et


     SA MAJESTÉ LA REINE

     intimée






Audience tenue à Toronto (Ontario), le mercredi 17 novembre 1999

Jugement prononcé à l'audience à Toronto (Ontario), le mercredi 17 novembre 1999








MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :      LE JUGE STONE





Date : 19991117


Dossier : A-609-99


CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE ISAAC

         LE JUGE SEXTON

ENTRE :


GORDON REZEK

     appelant

    

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE

     intimée


     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (prononcés à l'audience à Toronto (Ontario),

     le mercredi 17 novembre 1999)


LE JUGE STONE

[1]      Le présent appel est interjeté d'un jugement de la Cour canadienne de l'impôt du 28 septembre 1999, par lequel celle-ci rejette l'appel formé par l'appelant contre sa cotisation d'impôt. Des jugements identiques ont été prononcés par la Cour de l'impôt le même jour dans huit autres appels. Les neuf appels en question devaient être entendus à compter du 4 octobre 1999. Les appels portant sur les autres jugements ont été entendus aujourd'hui en même temps que l'appel en l'instance.

[2]      La réparation accordée dans les jugements de la Cour de l'impôt avait été demandée dans un avis de requête déposé par l'intimée le 15 septembre 1999. Dans cet avis, il est allégué que les divers appelants étaient d'accord pour passer à l'étape du procès le 4 octobre 1999, [traduction] " à condition que l'on fournisse tous les relevés de courtage relatifs à chaque opération de couverture en cause ". L'intimée soutient aussi que les appelants ont refusé de [traduction ] " fournir tous les documents pertinents ... et de ... respecter leurs engagements ... et de répondre, à l'interrogatoire préalable, à des questions légitimes ". L'intimée soutenait aussi que la production de documents pertinents " aussi tard " lui causerait un préjudice dans sa préparation pour le procès. Finalement, l'intimée se plaint du fait que les appelants n'avaient pas [traduction ] " poursuivi les appels avec promptitude ". L'avis de requête se fonde explicitement sur un certain nombre d'articles des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) , notamment les règles 64 et 110.

[3]      Le 15 septembre 1999, un deuxième avis de requête a été déposé à la Cour canadienne de l'impôt, cette fois par un autre appelant dans un des neuf appels. La requête, qui devait être entendue le même jour que les requêtes de l'intimée, demandait une ordonnance intimant à l'intimée de respecter plusieurs engagements et de répondre à plusieurs questions au cours de l'interrogatoire préalable, ainsi que certaines autres réparations qui ne sont pas directement pertinentes dans le cadre de la question posée à la Cour dans le présent appel et dans les huit autres. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt n'a pas statué sur cette requête et il n'a indiqué nulle part dans ses motifs de jugement les raisons pour lesquelles il ne l'avait pas fait. Il est probable que comme il accueillait les requêtes de l'intimée, il n'a pas trouvé nécessaire d'examiner la deuxième requête et d'y donner suite.

[4]      Les motifs invoqués par le juge de la Cour de l'impôt pour rejeter les neuf appels sont identiques. Ils sont notamment rédigés comme suit :

     Après avoir examiné l'avis de requête en date du 15 septembre 1999 visant à obtenir le rejet de l'appel, et après voir examiné la déclaration sous serment de Richard Holt et le dossier;
     Il est ordonné que l'appel soit rejeté, avec dépens en faveur de l'intimée, pour les deux motifs suivants :
     1.      Le refus de l'appelant de [traduction] " fournir tous les relevés de courtage mensuels relatifs à chaque opération de couverture en cause, pour la période allant du début jusqu'à la fin de chacune de ces opérations ". À mon avis, la position prise par la Couronne en demandant cette information est valablement fondée sur la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Schultz. C'est à l'appelant qu'incombe la charge de la preuve à cet égard. Il doit fournir l'information et est en mesure de le faire, ayant les connaissances ainsi que les documents nécessaires à cette fin.
     2.      Le refus de l'appelant de répondre, à l'interrogatoire préalable, à des questions concernant le fondement de la décision d'imputer les pertes sur le revenu et de déclarer les gains comme des gains en capital. Selon moi, ce concept de " fondement " est un concept de fait : sur quels faits se fonde l'assertion selon laquelle il est question de revenu dans un cas et de capital dans l'autre?

L'impact de cette décision est évidemment brutal. Il faut toutefois examiner s'il y a lieu d'intervenir dans ces jugements, étant donné qu'ils ont été rendus dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de l'impôt. On notera que les allégations de l'intimée quant au retard à procéder de chacun des appelants ne sont pas mentionnées dans les jugements en première instance.

[5]      Les neuf appels rejetés le 28 septembre 1999 avaient été choisis par les parties lors d'une conférence préparatoire le 10 mai 1999, à titre de " cas types " tirés d'un grand nombre d'appels analogues alors pendants devant la Cour canadienne de l'impôt, chacun soulevant la même question. Cette question porte sur le traitement approprié aux fins de l'impôt sur le revenu de certaines opérations de couverture, ainsi que des revenus et dépenses y afférents. Le montant total en cause dans ces appels, y compris les neuf qui ont été rejetés, serait supérieur à 160 millions de dollars.

[6]      Bien qu'une cour d'appel hésite à intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès, elle peut le faire pour des motifs appropriés. La norme de contrôle en appel a été exprimée de diverses façons par les tribunaux1. La Cour suprême du Canada nous fournit la définition la plus récente de la norme applicable dans Reza c. Canada2 comme suit :

         ... le critère en matière de contrôle par une cour d'appel de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge est de savoir si le juge a accordé suffisamment d'importance à toutes les considérations pertinentes...




Dans un arrêt plus ancien, Frank c. Alpert et autres3, la Cour suprême du Canada a fait exception à sa pratique ordinaire de ne pas intervenir dans les cas d'ordonnances discrétionnaires parce que, comme le dit le juge Hall, " il me paraît qu'il s'agit ici d'un cas spécial où il est dans l'intérêt de la justice que cette Cour examine ce qui a été fait dans les cours d'instance inférieure ". Bien que le retard de la demanderesse ait été " important ", soit quelque trois ans avant de mettre son action en instance, le juge Hall a conclu qu'il " n'était pas de nature à empêcher que la demande de l'appelante soit entendue au fond "4.

[7]      L'intimée soutient que l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans les affaires en cause ici est solidement ancré dans les dispositions du paragraphe 110b) des règles de la Cour canadienne de l'impôt5, puisqu'en l'instance il y a eu un refus des appelants de répondre à " une question légitime " et de " produire un document " lors de l'interrogatoire préalable. De plus, l'intimée a soutenu devant le juge de la Cour de l'impôt et devant la présente Cour que les appelants avaient convenu, et c'était là une condition pour que les neuf " cas types " passent à l'étape du procès le 4 octobre 1999, que les relevés de courtage mensuels cités au poste 1 de l'annexe B de la liste des documents de l'intimée seraient déposés avant le procès; or, les appelants n'auraient pas respecté cette entente. Selon l'intimée, il est devenu évident après le 13 août 1999, lorsque les appelants ont envoyé les réponses promises à l'interrogatoire préalable, qu'ils n'avaient pas l'intention de respecter cette entente. Ce refus a été confirmé plus tard, et ce n'est qu'après cette confirmation que l'intimée a décidé de demander le rejet des neuf appels dans son avis de requête du 15 septembre 1999. L'intimée soutient que cet aspect de la requête a été présenté au juge de la Cour de l'impôt le 24 septembre 1999, comme un motif additionnel de rejet des appels.

[8]      À supposer que cette entente ait existé, nous ne sommes pas convaincus que le défaut de la respecter ou de répondre à certaines questions contestées soit une base valable pour rejeter les appels et refuser de juger l'affaire au fond. Il est vrai que la date du procès approchait à grands pas et que l'intimée a pu sentir qu'il existait une possibilité réelle de préjudice dans sa préparation pour le procès en l'absence des réponses aux questions contestées et des documents contestés, ou alors que leur dépôt trop peu de temps avant la date du procès ferait qu'il ne serait pas vraiment possible de se préparer adéquatement. D'un autre côté, l'entente à laquelle les appelants auraient souscrit, si elle a vraiment existé, portait qu'ils déposeraient les relevés mensuels " pertinents ". De plus, ils n'étaient tenus de répondre qu'à des " questions légitimes ". Le refus des appelants de déposer les documents et de répondre aux questions au motif qu'ils n'étaient pas " pertinents " permettait à l'intimée de demander à la Cour de l'impôt la délivrance d'une ordonnance visant le dépôt de tous les documents contestés et de toutes les réponses aux questions contestées concernant le fondement de la décision d'imputer les pertes sur le compte de produits et les gains sur le compte de capital.

[9]      Il faut aussi se rappeler que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas examiné la deuxième requête qui lui était présentée le 24 septembre 1999, dans laquelle on alléguait que l'intimée non plus n'avait pas respecté ses engagements et répondu aux questions posées à son témoin lors de l'interrogatoire préalable. À notre avis, il s'agit d'une grave omission. Si le juge de la Cour de l'impôt avait examiné cette requête avant de rendre son jugement sur les requêtes visant le rejet des appels, il aurait bien pu arriver à une conclusion différente puisqu'il aurait dû déterminer non seulement si les appelants étaient fautifs dans le cadre de l'interrogatoire préalable, mais aussi si l'intimée était fautive dans ce même cadre.

[10]      Pour ces motifs, nous sommes convaincus que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas accordé suffisamment d'importance à toutes les considérations pertinentes dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire le 28 septembre 1999 et que, en conséquence, les appelants en l'instance se voient priver d'une audition de leurs appels au fond. Compte tenu des circonstances, il n'est pas dans l'intérêt de la justice, à notre avis, de priver les appelants d'un droit aussi important.

[11]      L'appel est accueilli avec dépens, le jugement de la Cour canadienne de l'impôt du 28 septembre 1999 est infirmé, et la requête du 15 septembre 1999 de l'intimée est rejetée. Une copie des présents motifs de jugement sera déposée dans chacun des huit autres dossiers de la Cour (A-601-99, A-602-99, A-603-99, A-604-99, A-605-99, A-606-99, A-607-99 et A-608-99) et deviendra les motifs de jugement dans chacune de ces affaires suite à ce dépôt.

     A.J. Stone

     J.C.A.






Traduction certifiée conforme



Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                  A-609-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          GORDON REZEK

     appelant

                         et

                         SA MAJESTÉ LA REINE

     intimée

DATE DE L'AUDIENCE :              LE MERCREDI 17 NOVEMBRE 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR PAR :              LE JUGE STONE

EN DATE DU :                  MERCREDI 17 NOVEMBRE 1999

ONT COMPARU                  M. Timothy Pinos
                             pour l'appelant
                         M me Katherine Philpott et
                         M. Paul Malette
                             pour l'intimée
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER      Cassels Brock & Blackwell
                         Avocats
                         Scotia Plaza, pièce 2100
                         40, rue King Ouest
                         Toronto (Ontario)
                         M5H 3C2
                             pour l'appelant
                         Morris Rosenberg
                         Sous-procureur général du Canada
                             pour l'intimée

                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA


                                 Date : 19991117

                        

         Dossier : A-609-99


                         Entre :

                         GORDON REZEK

     appelant

                         et


                         SA MAJESTÉ LA REINE

     intimée



                        


                         MOTIFS DU JUGEMENT

                         DE LA COUR

                            

                        

__________________

1      Visx Inc. c. Nidex Co. (1996), 206 N.R. 342 (C.A.F.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) et autres (1998) 229 N.R. 235 (C.A.F.).

2      [1994] 2 R.C.S. 394, à la p. 404.

3      [1971] R.C.S. 637, à la p. 640.

4      Ibid.

5      Le paragraphe 110b ) est rédigé comme suit :
         110. Si une personne ne se présente pas à l'heure, à la date et au lieu fixés pour un interrogatoire dans l'avis de convocation ou le subpoena, ou à l'heure, à la date et au lieu convenus par les parties, ou qu'elle refuse de prêter serment ou de faire une affirmation solennelle, de répondre à une question légitime, de produire un document ou un objet qu'elle est tenue de produire ou de se conformer à une directive rendue en application de l'article 108, la Cour peut :              ...              b) rejeter ou accueillir l'appel, selon le cas, si cette personne est une partie ou, dans le cas d'un interrogatoire préalable, une personne interrogée à la place ou au nom d'une partie;              ...

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