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     Dossier : A-804-99

    

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 AVRIL 2000


EN PRÉSENCE DU JUGE ROTHSTEIN




ENTRE :


     NU-PHARM INC.,

     appelante

(défenderesse),

     - et -


     MERCK & CO., INC. et

MERCK FROSST CANADA & CO.,

         intimées

(demanderesses),


- et -

    

LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

intimé

(défendeur).





AUDIENCE TENUE à Ottawa (Ontario), le mardi 18 avril 2000

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L"ORDONNANCE prononcés à Ottawa, le jeudi 20 avril 2000





     Dossier : A-804-99

    

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 AVRIL 2000


EN PRÉSENCE DU JUGE ROTHSTEIN




ENTRE :


     NU-PHARM INC.,

     appelante

(défenderesse),

     - et -


     MERCK & CO., INC. et

MERCK FROSST CANADA & CO.,

         intimées

(demanderesses),


- et -

    

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

(défendeur).




MOTIFS DE L"ORDONNANCE






COMPÉTENCE

1.      Par la présente requête, Nu-Pharm demande à la Cour de surseoir, pendant l"appel interjeté devant la Cour suprême du Canada, à l"exécution d"une décision rendue le 13 mars 2000. Bien que Nu-Pharm ait invoqué la règle 398 des Règles de la Cour fédérale pour asseoir la compétence d"un juge de la Cour d"appel fédérale de surseoir à l"exécution du jugement en l"espèce, il me semble que cette compétence découle plutôt du paragraphe 65.1(1) de la Loi sur la Cour suprême , selon lequel :

65.1 (1) The Court, the court appealed from or a judge of either of those courts may, on the request of the party who has served and filed a notice of application for leave to appeal, order that proceedings be stayed with respect to the judgment from which leave to appeal is being sought, on the terms deemed appropriate.

65.1 (1) La Cour, la juridiction inférieure ou un de leurs juges peut, à la demande de la partie qui a signifié et déposé l"avis de la demande d"autorisation d"appel, ordonner, aux conditions jugées appropriées, le sursis d"exécution du jugement objet de la demande.

2.      L"objet premier de la règle 398 est de préciser quelle section de la Cour fédérale peut accorder ou annuler un sursis lorsque l"appel dont est saisie la Section d"appel vise une décision de la Section de première instance. La règle 398 prévoit ce qui suit :

398. (1) On the motion of a person

against whom an order has been made,

(a) where the order has not been

appealed, the division of the Court that

made the order may order that it be

stayed; or

(b) where a notice of appeal of the order

has been issued, a judge of the division of

the Court that is to hear the appeal may

order that it be stayed.

398. (1) Sur requête d"une personne contre laquelle une ordonnance a été rendue :

a) dans le cas où l"ordonnance n"a pas été

portée en appel, la section de la Cour qui a

rendu l"ordonnance peut surseoir à l"ordonnance;

b) dans le cas où un avis d"appel a été délivré,

seul un juge de la section de la Cour saisie de

l"appel peut surseoir à l"ordonnance.

(2) As a condition to granting a stay under subsection (1), a judge may require that the appellant

(a) provide security for costs; and

(b) do anything required to ensure that the

order will be complied with when the stay

is lifted.

(3) A judge of the division of the Court that is to hear an appeal of an order that has been stayed pending appeal may set aside the stay if the judge is satisfied that the party who sought the stay is not expeditiously proceeding with the appeal or that for any other reason the order should no longer be stayed.

2) Le juge qui sursoit à l"exécution d"une ordonnance aux termes du paragraphe (1) peut exiger que l"appelant :

a) fournisse un cautionnement pour les dépens;

b) accomplisse tout acte exigé pour garantir, en

cas de confirmation de tout ou partie de l"ordonnance, le respect de l"ordonnance.

(3) Un juge de la section de la Cour saisie de l"appel d"une ordonnance qui fait l"objet d"un sursis peut annuler le sursis, s"il est convaincu qu"il n"y a pas lieu de le maintenir, notamment en raison de la lenteur à agir de la partie qui a demandé le sursis.

La règle 398(3) n"a pour effet que d"accorder à un juge de la section de la Cour saisie de l"appel la compétence d"annuler le sursis. Un juge de la Section d"appel n"est évidemment pas le juge saisi de l"appel lorsqu"il est interjeté appel d"un arrêt de la Cour d"appel devant la Cour suprême du Canada. Par conséquent, il n"a pas la compétence voulue, suivant la règle 398(3), pour annuler le sursis accordé jusqu"à ce que la Cour suprême statue sur le pourvoi. Compte tenu du contexte, je suis convaincu que la règle 398 ne peut s"appliquer à l"appel interjeté à l"encontre d"un jugement de la Cour d"appel devant la Cour suprême du Canada.

3.      Par contre, le paragraphe 65.1(1) de la Loi sur la Cour suprême confère clairement à un juge de la juridiction inférieure la compétence d"ordonner le sursis. Il semble que ce dernier reste investi de cette compétence jusqu"à ce que la Cour suprême ait accordé l"autorisation de se pourvoir. Voir l"arrêt M & D Farm Ltd. c. Société du crédit agricole du Manitoba. , [1998] 1 R.C.S. 1074, au paragraphe 3. C"est donc le paragraphe 65.1(1) qui confère à la Cour la compétence de se prononcer en l"espèce.

PROCÉDURE

4.      La décision rendue par la Cour le 13 mars 2000 a confirmé le jugement prononcé le 23 novembre 1999 par Madame le juge McGillis de la Section de première instance, selon lequel le ministre de la Santé n"aurait pas dû délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm pour sa version de maléate d"énalapril, le Nu-Enalapril, un inhibiteur de l"enzyme de conversion de l"angiotensine utilisé dans le traitement de l"hypertension.

5.      Le 6 décembre 1999, le juge McGillis a sursis à l"exécution de son jugement du 23 novembre 1999, permettant ainsi à Nu-Pharm de continuer à vendre le Nu-Enalapril jusqu"à ce que la Cour statue sur l"appel. Le juge McGillis a conclu non seulement que Nu-Pharm avait prouvé l"existence d"une question sérieuse à juger et que la prépondérance des inconvénients penchait en sa faveur, mais également que cette société avait établi, par une preuve claire et convaincante, que les conséquences financières de son retrait du marché pendant l"appel lui infligeraient un préjudice irréparable. Parmi ces conséquences financières figurait la perte, par Nu-Pharm, de la totalité ou d"une bonne partie de la charge décaissée relativement au Nu-Enalapril, une perte compromettant la survie même de l"entreprise.

6.      Devant notre Cour, Nu-Pharm fait valoir sensiblement le même argument. Les chiffres ne sont plus les mêmes, et les difficultés de trésorerie semblent s"être résorbées. Elle prévoit tout de même connaître une importante insuffisance de trésorerie au cours des 90 prochains jours.

QUESTION SÉRIEUSE

7.      La première condition de l"octroi du sursis est l"existence d"une question sérieuse à juger. Il ne s"agit pas d"un critère auquel il est difficile de satisfaire. Voir l"arrêt RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) , [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 337.

8.      En l"espèce, le sursis est demandé pendant l"appel interjeté devant la Cour suprême du Canada. En Cour suprême, une partie doit au préalable convaincre la Cour que l"autorisation d"en appeler devrait lui être accordée parce que, compte tenu de l"importance de l"affaire pour le public, ou de l"importance des questions de droit ou des questions mixtes de droit et de fait qu"elle comporte, ou de sa nature ou importance à tout égard, elle devrait en être saisie. Le paragraphe 40(1) de la Loi sur la Cour suprême est ainsi rédigé :

40. (1) Subject to subsection (3), an appeal lies to the Supreme Court from any final or other judgment of the Federal Court of Appeal or of the highest court of final resort in a province, or a judge thereof, in which judgment can be had in the particular case sought to be appealed to the Supreme Court, whether or not leave to appeal to the Supreme Court has been refused by

any other court, where, with respect to the particular case sought to be appealed, the Supreme Court is of the opinion that any question involved therein is, by reason of its public importance or the importance of any issue of law or any issue of mixed law and fact involved in that question, one that ought to be decided by the Supreme Court or is, for any other reason, of such a nature or significance as to warrant decision by it, and leave to appeal from that judgment is accordingly granted by the Supreme Court.

40. (1) Sous réserve du paragraphe (3), il peut être interjeté appel devant la Cour de tout jugement, définitif ou autre, rendu par la Cour d'appel fédérale ou par le plus haut tribunal de dernier ressort habilité, dans une province, à juger l'affaire en question, ou par l'un des juges de ces juridictions inférieures, que l'autorisation d'en appeler à la Cour ait ou non été refusée par une autre

juridiction, lorsque la Cour estime, compte tenu de l'importance de l'affaire pour le public, ou de l'importance des questions de droit ou des questions mixtes de droit et de fait qu'elle comporte, ou de sa nature ou importance à tout égard, qu'elle devrait en

être saisie et lorsqu'elle accorde en conséquence l'autorisation d'en appeler.

9.      Selon un courant jurisprudentiel, la personne qui demande le sursis pendant un appel interjeté devant la Cour suprême du Canada doit établir l"existence d"une question sérieuse qui répond aux critères énoncés au paragraphe 40(1), c"est-à-dire une question sérieuse qui revêt une importance pour le public. Dans l"arrêt Turf Masters Landscaping Ltd. v. T.A.G. Developments Ltd. and Dartmouth (City) (1995), 144 N.S.R. (2d) 326; 416 A.P.R. 326, le juge Freeman déclare ce qui suit à la page 332 :

     [TRADUCTION] Lorsqu"une cour provinciale est saisie d"une demande de sursis pendant l"audition d"une requête en autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême, l"auteur de cette demande doit pouvoir établir l"existence non seulement d"une question défendable quant au fond, mais également d"une question défendable quant aux critères applicables aux appels interjetés devant la Cour suprême du Canada qui sont énoncés au paragraphe 40(1) et selon lesquels l"importance de l"affaire pour le public, ou l"importance des questions de droit ou des questions mixtes de droit ou de fait qu"elle comporte, ou sa nature ou son importance à tout égard exigent que la Cour soit saisie. Il n"est pas nécessaire de faire des conjectures sur l"issue de l"instance en autorisation de se pourvoir, il suffit seulement d"établir que la partie appelante est en mesure de présenter des arguments sérieux étayant l"octroi d"une autorisation.

Ces propos sont repris par le juge Glube, juge en chef de la Nouvelle-Écosse, dans l"arrêt Barrett v. Reynolds et al. (1999), 173 N.S.R. (2d) 133, au paragraphe 11.

10.      Le juge Hollinrake adopte le même point de vue dans l"arrêt Salama Enterprises (1988) Inc. v. Grewal (1992), 12 B.C.A.C. 112 :

     [TRADUCTION] Dans le cas d"une demande de sursis comme celle dont je suis saisi, ce sont les principes qui s"appliquent à une demande d"injonction interlocutoire qui doivent guider la Cour. Ainsi, il faut commencer par se poser la question suivante : y a-t-il une question importante à juger? Cette question convient plus ou moins lorsque, comme en l"espèce, la Cour a prononcé un jugement et que la Cour suprême du Canada est saisie d"une demande d"autorisation d"en appeler. Dans les circonstances de l"espèce, j"interprète la question " y a-t-il une question importante à juger? " comme signifiant qu"il faut déterminer s"il existe ou non une possibilité que la Cour suprême du Canada accorde l"autorisation de se pourvoir.

La Haute Cour d"Australie semble adopter le même point de vue. Voir, par exemple, la décision Bryant v. Commonwealth Bank of Australia (1996), 70 A.L.J.R. 306, aux pages 308 et 309.

11.      Bien que tenir compte des critères énoncés au paragraphe 40(1) de la Loi sur la Cour suprême place les juges de la Cour d"appel dans une situation quelque peu difficile, étant donné que ce n"est pas notre Cour qui statuera en fin de compte sur la demande d"autorisation d"en appeler, les précédents cités sont convaincants. Il faut donc se demander si la partie qui sollicite le sursis a établi l"existence d"une question sérieuse à juger compte tenu des critères applicables à l"autorisation d"interjeter appel devant la Cour suprême prévus au paragraphe 40(1).

12.      À mon avis, Nu-Pharm n"a pas satisfait au critère de la question sérieuse à juger dans le contexte du paragraphe 40(1). Aucun argument valable n"a été avancé pour soutenir que la question en litige est d"une telle importance pour le public que la Cour suprême devrait en être saisie.

13.      Même si elle était juste, l"interprétation que préconise Nu-Pharm à l"égard du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) , DORS/93-133, 12 mars 1993, et sur laquelle porte l"appel interjeté, a été écartée par les modifications apportées au Règlement, plus précisément par le nouveau libellé du paragraphe 5(1) et le nouveau paragraphe 5(1.1) entrés en vigueur le 1er octobre 1999 (DORS 99/379). Par conséquent, la décision que la Cour suprême pourrait rendre relativement à cet appel, bien qu"elle soit importante pour les parties, n"aurait pas une portée générale ou ne serait pas applicable à long terme.

14.      Nu-Pharm ne conteste pas que la modification du Règlement vise à supprimer toute ambiguïté antérieure. Elle avance plutôt que le présent litige résulte de la tension qui existe entre les titulaires de brevets et les fabricants de produits pharmaceutiques génériques et qu"il est possible que la Cour suprême veuille préciser la portée de la concurrence intertype sur le marché des produits pharmaceutiques. Je crois que la Cour suprême préférerait se prononcer, le cas échéant, dans une affaire portant sur l"interprétation d"une disposition en vigueur.

15.      C"est pour cette raison que je ne suis pas convaincu qu"il y a une question sérieuse à juger en l"espèce selon les critères énoncés au paragraphe 40(1) de la Loi sur la Cour suprême . Par conséquent, Nu-Pharm n"est pas parvenue à satisfaire au premier des trois critères applicables en matière de sursis.

PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

16.      Même si l"omission de satisfaire à un seul des trois critères est suffisante pour entraîner le rejet d"une demande de sursis, il appert que Nu-Pharm ne respecte aucune des conditions. En ce qui concerne le préjudice irréparable, il s"agit de se demander si, pour que Nu-Pharm puisse se tirer de la situation financière difficile où elle se trouve, la Cour devrait ordonner le sursis afin qu"elle puisse continuer à vendre le Nu-Enalapril jusqu"à ce que la Cour suprême du Canada statue sur sa demande d"autorisation d"en appeler ou sur son appel, si cette autorisation lui est accordée. Le préjudice irréparable qui serait infligé à Nu-Pharm si le sursis n"était pas ordonné est la cessation de ses activités. Les arguments relatifs au préjudice irréparable ne me convainquent pas et ce, pour plusieurs raisons.

17.      En premier lieu, Nu-Pharm a admis qu"après l"ordonnance de sursis du juge McGillis datée du 6 décembre 1999 elle a affecté 1 500 000 $ à l"achat de matières premières destinées à la fabrication de comprimés de Nu-Enalapril.

18.      Nu-Pharm n"a donné aucune explication pour justifier cette acquisition de matières premières, qui en est apparemment toujours au stade de la commande et qui, bien sûr, augmente son passif à court terme. Selon moi, il ressort de ses motifs que le juge McGillis a ordonné le sursis parce que la preuve qui lui était présentée établissait que Nu-Pharm devait demeurer sur le marché pour ne pas avoir à reprendre les produits qu"elle avait déjà vendus et pour pouvoir écouler le Nu-Enalapril qu"elle avait en stock.

19.      En l"absence de preuve contraire, Nu-Pharm semble avoir assimilé l"ordonnance de sursis à une invitation à poursuivre ses activités comme avant, même si, dans sa décision rendue le 23 novembre 1999, le juge McGillis avait conclu que le ministre de la Santé n"aurait pas dû délivrer l"avis de conformité qui permettait à Nu-Pharm de vendre le Nu-Enalapril. Nu-Pharm ne s"est pas contentée d"essayer de surmonter ses difficultés. Elle a accru son passif en faisant l"acquisition d"autres matières premières et elle avance maintenant, devant notre Cour, le même argument que celui qu"elle a fait valoir devant la Section de première instance. Jusqu"à un certain point du moins, il semble que, par ses agissements pendant le sursis accordé par la Section de première instance, Nu-Pharm soit responsable de la crise de trésorerie à laquelle elle fait face actuellement. Elle devait savoir que son appel devant notre Cour pouvait échouer et, pourtant, elle a agi comme si ce risque n"existait pas.

20.      En deuxième lieu, selon la preuve avancée par Nu-Pharm, si la Cour ordonnait le sursis, elle essaierait de faire inscrire ou réinscrire le Nu-Enalapril sur les listes des provinces où il n"était pas déjà inscrit ou avait été radié. Si elle venait à manquer d"une concentration donnée du médicament, elle se réapprovisionnerait en matières premières et si elle n"avait plus suffisamment de Nu-Enalapril pour répondre à la demande d"un marché, elle commanderait encore plus de matières premières.

21.      Cette preuve n"est pas compatible avec l"objectif à court terme de remédier à un problème de trésorerie. Elle indique la poursuite des activités commerciales habituelles en dépit des jugements de la Section de première instance et de la Cour d"appel qui statuent que Nu-Pharm ne devrait plus désormais faire le commerce de l"énalapril. Je suis conscient que le sursis vise à protéger la position de la partie qui le demande afin de permettre à la Cour saisie de l"appel de rendre un jugement qui ait un certain sens. Cependant, l"argument avancé relativement au préjudice irréparable se fonde sur le problème de trésorerie à court terme de Nu-Pharm et non sur la nécessité que cette dernière poursuive indéfiniment le commerce de l"énalapril.

22.      En l"espèce, il ne s"agit pas d"une entreprise qui ne vend qu"un seul produit et qui, s"il lui est interdit de le vendre, devra fermer ses portes. Avant de mettre en marché le Nu-Enalapril il y a un peu plus d"un an, Nu-Pharm était déjà un fabricant de médicaments génériques rentable sur le marché. Le Nu-Enalapril est un produit important pour elle, mais elle vend aussi d"autres produits qui lui assurent de bonnes rentrées de fonds. Elle n"a présenté aucune preuve démontrant qu"elle doit continuer indéfiniment à vendre du Nu-Enalapril pour ne pas être obligée de cesser ses activités.

23.      En troisième lieu, je ne suis pas convaincu que Nu-Pharm se soit montrée suffisamment franche lors du contre-interrogatoire sur affidavits portant sur ses sources possibles de financement. Elle a alors été interrogée quant à savoir si ses actionnaires avaient un lien quelconque avec Apotex, qui vend également des produits pharmaceutiques génériques et qui est un fournisseur de Nu-Pharm. Elle a refusé de répondre à la question, ainsi qu"à une série de questions dans la même veine qui lui ont été posées par la suite, contestant leur pertinence. Il me semble que dans la mesure où Nu-Pharm prétend que ses fournisseurs sont à l"origine des difficultés financières qui fondent ses allégations de préjudice irréparable, il est pertinent de savoir si ces fournisseurs ont un lien quelconque avec ses actionnaires. On peut à tout le moins supposer qu"un fournisseur lié à un actionnaire soit moins enclin à exiger un paiement qu"un fournisseur totalement indépendant.

24.      Je peux comprendre qu"une société privée ne tienne pas à rendre publiques ses opérations financières. Il reste que, lorsqu"elle demande un redressement extraordinaire comme le sursis, elle doit être prête à divulguer de tels renseignements s"ils se rapportent à sa prétention de préjudice irréparable. Tel est particulièrement le cas lorsque, comme en l"espèce, les parties ont signé une ordonnance de confidentialité, qu"elles ont elles-mêmes conçue et à laquelle elles ont donné leur consentement. Suivant cette ordonnance, Nu-Pharm peut faire en sorte que certains renseignements soient tenus " confidentiels " ou soient " réservés à la consultation des avocats et des experts indépendants ". Une partie ne peut prétendre qu"elle subira un préjudice irréparable parce que ses fournisseurs sont à ses trousses, puis adopter une attitude technique pour refuser de divulguer des renseignements susceptibles d"indiquer dans quelle mesure ces fournisseurs représentent une menace réelle pour la survie de l"entreprise, surtout lorsque des mesures jugées satisfaisantes par la partie ont été prises pour protéger le caractère confidentiel de ces renseignements.

25.      En quatrième lieu, la preuve du préjudice irréparable doit être claire et ne pas reposer sur des conjectures. Voir l"arrêt Centre Ice Inc. c. Ligue nationale de hockey (1994), 53 C.P.R. (3d) 50, à la page 55 (C.A.F.). En l"espèce, Nu-Pharm demande à la Cour de déduire de la preuve que l"entreprise devra cesser ses activités si le sursis lui est refusé. La preuve qu"elle a produite fait allusion à la précarité de sa survie en tant qu"entreprise en exploitation et au fait que le maintien de son existence reste précaire. La précarité, par définition, renvoie à un état d"incertitude, à savoir que Nu-Pharm est appelée à survivre ou à disparaître. Même si je reconnais que l"incapacité de vendre le Nu-Enalapril aura des répercussions financières négatives sur Nu-Pharm, je ne suis pas convaincu que la preuve me permette de conclure, selon la probabilité la plus forte, que cette société devra cesser ses activités si elle ne peut plus vendre ce produit. De plus, Nu-Pharm fait état de moyens de régler ses difficultés financières, dont la mise à pied de certains employés et la fermeture d"un entrepôt. La rationalisation, même si elle ne représente pas la solution de prédilection, ne constitue pas un préjudice irréparable et si elle est une solution envisageable, alors il est impossible de conclure que Nu-Pharm devra cesser ses activités si le sursis est refusé. Le sursis ne vise pas à atténuer les difficultés financières d"une entreprise ou à la maintenir dans sa forme actuelle lorsqu"il existe d"autres solutions pour assurer sa survie.

PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

26.      Merck s"est engagée à payer des dommages-intérêts à Nu-Pharm si le sursis est refusé et que cette dernière a gain de cause devant la Cour suprême du Canada. Personne n"a laissé entendre que Merck ne respectera pas cet engagement.

27.      De son côté, Nu-Pharm a offert de verser au greffe de la Cour 10 % des recettes tirées de ses ventes de Nu-Enalapril pour garantir les dommages-intérêts payables à Merck dans le cas où le sursis serait ordonné, mais où la Cour suprême n"autoriserait pas Nu-Pharm à interjeter appel ou rejetterait le pourvoi.

28.      Lorsque le demandeur allègue la précarité de sa situation financière, il faut se demander si le défendeur pourra effectivement toucher les fonds versés au greffe de la Cour. Il ressort de la preuve que Nu-Pharm doit de l"impôt au ministre du Revenu national et qu"elle a des créanciers garantis. Ces créances pourraient bien avoir priorité sur celle de Merck et ce, même si des fonds étaient versés au greffe de la Cour. Voir les décisions Stewart v. Hoch (1999), 43 O.R. (3d) 286 et Bank of Montreal v. Faclaris (1984), 48 O.R. (2d) 348.

29.      Si elle obtient le sursis, Nu-Pharm soutient qu"elle sera en mesure de surmonter ses difficultés financières et que les intimées n"auront rien à craindre. Cependant, pour qu"elle y parvienne, il faudrait d"abord que la Cour suprême ne statue pas rapidement sur sa demande d"autorisation d"en appeler ou qu"elle lui accorde cette autorisation de manière qu"elle reste sur le marché assez longtemps pour pouvoir résoudre ses problèmes de trésorerie. Il faudrait aussi que les ventes de Nu-Enalapril rapportent suffisamment d"argent pour qu"elle puisse redresser sa situation financière et payer d"éventuels dommages-intérêts à l"intimée. Il faudrait en outre qu"aucune autre crise financière ne vienne bouleverser ses prévisions. Dans un cas où il ne fait pratiquement aucun doute que Merck respectera son engagement, mais où il n"est pas certain que Merck puisse toucher les fonds versés pour garantir ses dommages-intérêts, la prépondérance des inconvénients penche en faveur de Merck.

30.      À l"audition de la demande de sursis, Nu-Pharm a proposé que le sursis ne soit ordonné que pour lui permettre de vendre les comprimés de Nu-Enalapril déjà fabriqués. En d"autres termes, elle n"achèterait pas d"autres matières premières ou ne transformerait pas celles en stock pour en faire des comprimés.

31.      Bien qu"une telle proposition soit plus conforme à la preuve offerte par Nu-Pharm relativement au redressement de sa situation, je ne suis pas convaincu qu"elle soit indiquée dans les circonstances. Elle ne correspond pas à la preuve produite par Nu-Pharm quant aux activités commerciales qu"elle entend mener. De plus, il est évident que le prix de vente des comprimés en stock, même s"il n"est pas précisé dans la preuve, est beaucoup plus élevé que le coût des stocks et qu"il pourrait bien produire une somme supérieure à celle qui est nécessaire pour permettre à Nu-Pharm de redresser sa situation financière. Pour respecter la proposition de redressement, Nu-Pharm devrait se contenter de vendre une quantité de produits suffisante pour lui permettre de résoudre son problème de trésorerie. Une telle façon de procéder entraînerait des complications, sur le plan de la surveillance par exemple, de sorte que je ne la juge pas acceptable pour les besoins d"un sursis.

DÉCISION

32.      Pour tous ces motifs, j"estime que Nu-Pharm n"a pas satisfait aux exigences applicables à l"ordonnance de sursis. La demande de sursis est rejetée avec dépens.

     " Marshall Rothstein "

     Juge

Traduction certifiée conforme

__________________________

Claire Vallée, LL.B.



     Dossier : A-804-99

    

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 AVRIL 2000


EN PRÉSENCE DU JUGE ROTHSTEIN


ENTRE :

     NU-PHARM INC.,

     appellante

(défenderesse),

     - et -

     MERCK & CO., INC. et

     MERCK FROSST CANADA & CO.,

         intimées

(demanderesses),


- et -

    

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

(défendeur).




ORDONNANCE


     La demande de sursis est rejetée avec dépens.



     " Marshall Rothstein "

     Juge

Traduction certifiée conforme

_____________________________________

Claire Vallée, L.L.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N" DE DOSSIER :                  A-804-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Nu-Pharm Inc. c. Merck & Co. et autres
LIEU DE L"AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :              le 18 avril 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE ROTHSTEIN en date du 18 avril 2000.


ONT COMPARU :

Me William H. Richardson

Me Andrew Reddon      POUR L"APPELANTE

Me Harry B. Radomski

Me Daniela Bassan      POUR LES INTIMÉES

     MERCK & CO. INC. ET AUTRE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodman Phillips & Vineberg

Toronto (Ontario)      POUR L"APPELANTE

McCarthy Tétrault                     

Toronto (Ontario)      POUR LES INTIMÉES

     MERCK & CO. INC. ET AUTRE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada      POUR L"INTIMÉ

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

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