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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Annalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.) [2003] 1 C.F. 586

Date : 20020703

Dossier : A-453-00

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2002

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LINDEN

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                    THANALUXMY ANNALINGAM

ANNALINGAM SELLADURAI

                                                                                                                                                       appelants

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                            intimé

JUGEMENT

L'appel est rejeté sans adjudication de dépens.

                                                                                                                                        « Alice Desjardins »

                                                                                                                                                                 Juge           

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20020703

Dossier : A-453-00

Référence neutre : 2002 CAF 281

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LINDEN

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                    THANALUXMY ANNALINGAM

ANNALINGAM SELLADURAI

                                                                                                                                                       appelants

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                            intimé

                                       Audience tenue à Toronto (Ontario), le 10 juin 2002.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                               LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LINDEN


Date : 20020703

Dossier : A-453-00

Référence neutre : 2002 CAF 281

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LINDEN

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                    THANALUXMY ANNALINGAM

ANNALINGAM SELLADURAI

                                                                                                                                                       appelants

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                            intimé

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER


[1]                 Lorsqu'ils ont réclamé le statut de réfugié en 1992, les appelants, qui sont mari et femme, ont présenté séparément leur demande prétextant l'un et l'autre qu'ils s'étaient perdus de vue durant les hostilités qui avaient cours au Sri Lanka, leur pays natal. Par ailleurs, chacun d'eux a réclamé le statut de réfugié au sens de la Convention (tel que le définit l'article 2 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi) en raison d'actes de persécution survenus au Sri Lanka entre 1985 et 1991. Quand on s'est aperçu qu'ils avaient quitté le Sri Lanka en 1985 à destination de l'Allemagne, où ils ont vécu jusqu'à leur départ pour le Canada en 1992, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) a entamé des procédures devant la Section du statut de réfugié (la SSR) en vue de mettre fin à leur qualité de réfugiés au sens de la Convention du fait qu'ils avaient obtenu ce statut par de fausses indications en violation de l'article 69.2 de la Loi sur l'immigration, précitée.

[2]                 À l'audience visant à statuer sur l'annulation éventuelle du statut de réfugié des appelants (l'audience d'examen), ceux-ci ont reconnu qu'ils ont dû mentir après avoir appris de certains amis qu'ils seraient déportés si les autorités avaient vent de leur séjour en Allemagne. Ils ont soutenu que, nonobstant leurs déclarations mensongères, ils étaient en droit de réclamer le statut de réfugié au sens de la Convention en se réclamant de la preuve documentaire montrant que les tamouls de Jaffna, dont ils font partie, étaient la cible tant des forces de sécurité que des Tigres tamouls. Ils ont allégué que les documents remis en preuve au tribunal initial constituaient un point de départ à une éventuelle reconnaissance de leur qualité de réfugiés au sens de la Convention. Ils ont remis à la SSR une série de ses propres décisions montrant la fréquence d'octroi du statut de réfugié à des revendicateurs placés dans des circonstances semblables aux leurs. La SSR n'a pas voulu tenir compte de ces motifs parce qu'ils étaient déposés en tant que preuve des faits ayant servi de fondement à l'octroi du statut de réfugié et non en tant que précédents judiciaires illustrant les principes de droit ayant justifié cet octroi. Le tribunal d'examen était d'avis qu'il ne pouvait prendre en considération que les éléments de preuve soumis au tribunal initial.


[3]                 Il n'y a pas eu, en fait, de tribunal initial selon l'acception habituelle du terme. Les demandes des appelants ont été traitées par voie de processus accéléré. Lorsque le profil d'un revendicateur et son formulaire de renseignements personnels laissaient entrevoir une reconnaissance éventuelle du statut de réfugié, l'intéressé passait une entrevue avec un agent chargé de la revendication qui rédigeait ensuite un rapport. Si ce rapport concluait au bien-fondé de la revendication, une ordonnance en octroi du statut de réfugié était rendue sans aucune audition formelle. Or, les appelants en l'espèce ne se sont pas initialement présentés devant un tribunal de la Section du statut pour présenter leur demande de statut de réfugié. La décision les concernant s'est appuyée sur leur formulaire de renseignements personnels, sur la preuve documentaire relative aux conditions qui régnaient dans leur pays et sur le rapport de l'agent chargé de la revendication.

[4]                 Au terme de l'audience d'examen, la SSR a jugé que, abstraction faite des fausses indications des appelants, il ne restait aucune preuve qui eût porté le tribunal saisi de leur revendication à conclure qu'ils étaient des réfugiés au sens de la Loi.

[Traduction] Le tribunal estime qu'une formation précédente en 1992, s'appuyant uniquement sur le dossier de référence du pays pour déterminer s'il existait une possibilité sérieuse de persécution à l'égard de revendicateurs qui ont quitté le Sri Lanka, aurait bien pu examiner de près les documents présentés en vue d'évaluer le risque que couraient un mari et sa femme (avec enfants) respectivement âgés de 42 et de 40 ans en 1992. Nous ne sommes pas certains, vu les profils de ces revendicateurs, qu'on les aurait considérés, à ce moment-là, comme étant des réfugiés au sens de la Convention. Nous ne sommes pas persuadés que leurs profils, joints à une évaluation de la PRI, auraient, malgré tout, débouché sur une décision favorable à leur endroit.


[5]                 En raison de quoi, la demande du ministre a été accueillie et le statut de réfugiés des appelants, annulé.

[6]                 Ceux-ci ont alors présenté une demande de contrôle judiciaire alléguant que la SSR a commis l'erreur de se demander si, abstraction faite de leurs fausses indications, les éléments de preuve restants l'auraient (would) portée à conclure à leur qualité de réfugiés au sens de la Convention, alors qu'aux termes de la loi, elle devait simplement examiner s'ils pouvaient (could) bénéficier de ce statut. Ils ont soutenu qu'en employant le mot « could » dans la loi, le Parlement faisait allusion aux éléments de preuve qui auraient pu conduire à la reconnaissance de leur statut de réfugié au sens de la Convention, par opposition à une preuve qui aurait nécessairement débouché sur une telle conclusion. Les appelants ont également contesté le refus de la SSR de tenir compte de nouveaux éléments de preuve.

[7]                 Le juge Muldoon a rejeté la demande de contrôle judiciaire en question[1]. Il a conclu que même si la SSR a utilisé le verbe « would » au lieu de « could » , elle a quand même appliqué le bon critère. À son avis :

La norme applicable aux éléments de preuve contestés est essentiellement la même que celle qui est habituellement applicable pour l'examen des demandes de statut.


[8]                 À la demande de l'avocat des appelants, le juge Muldoon a certifié la question suivante :

Comment doit-on interpréter et appliquer l'expression « could have been based » dans la version anglaise du paragraphe 69.3(5) de la Loi sur l'immigration?

[9]                 L'exposé des appelants comporte les questions suivantes :

Question 1 :

Comment doit-on interpréter et appliquer l'expression « could have been based » dans le cadre d'application du paragraphe 69.3(5) de la Loi sur l'immigration?

Question 2 :

Le paragraphe 69.3(5) de la Loi sur l'immigration contrevient-il à l'article 7 de la Charte des droits et libertés en permettant de démontrer qu'une personne n'est pas une réfugiée au sens de la Convention, sans pour autant l'autoriser à présenter une nouvelle preuve quelconque?

Question 3 :

Une décision de la SSR qui annule le statut de réfugié au sens de la Convention, en omettant de reconsidérer précisément ce statut, donne-t-elle au revendicateur le droit se faire entendre une nouvelle fois par la SSR?


[10]            Les paragraphes 69.2(2) et 69.3 (5) de la Loi disposent comme suit :


69.2 (2) Avec l'autorisation du président, le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de réexaminer la question de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention accordée en application de la présente loi ou de ses règlements et d'annuler cette reconnaissance, au motif qu'elle a été obtenue par des moyens frauduleux, par une fausse indication sur un fait important ou par la suppression ou la dissimulation d'un fait important, même si ces agissements sont le fait d'un tiers.

69.2 (2) The Minister may, with leave of the Chairperson, make an application to the Refugee Division to reconsider and vacate any determination made under this Act or the regulations that a person is a Convention refugee on the ground that the determination was obtained by fraudulent means or misrepresentation, suppression or concealment of any material fact, whether exercised or made by that person or any other person.

69.3 (5) La section du statut peut rejeter toute demande bien fondée au regard de l'un des motifs visés au paragraphe 69.2(2) si elle estime par ailleurs qu'il reste suffisamment d'éléments justifiant la reconnaissance du statut.

69.3 (5) The Refugee Division may reject an application under subsection 69.2(2) that is otherwise established if it is of the opinion that, notwithstanding that the determination was obtained by fraudulent means or misrepresentation, suppression or concealment of any material fact, there was other sufficient evidence on which the determination was or could have been based.


  

[11]            Les appelants ont signifié un avis de question constitutionnelle portant sur l'invalidité du paragraphe 69.3(5). Il y a une difficulté qui découle du fait que cette question a été soulevée pour la première fois devant cette Cour. La jurisprudence de cette Cour et de la Cour suprême du Canada veut que des questions constitutionnelles ne soient pas initialement portées devant un tribunal d'appel. Voir Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, page 883, Halifax Longshoremen's Association, section locale 269 c. Offshore Logistics Inc., [2000] A.C.F. n ° 1155, [2000] 257 N.R. 338. Le juge Sopinka a justifié cette règle dans l'arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S., page 241, en disant ce qui suit :

Bien que les tribunaux aient reçu le pouvoir de déclarer invalides les lois qui contreviennent à la Charte et qui ne sont pas sauvegardées en vertu de l'article premier, c'est un pouvoir qui ne doit être exercé qu'après que le gouvernement a vraiment eu l'occasion d'en soutenir la validité. Annuler par défaut une disposition législative adoptée par le Parlement ou une législature causerait une injustice grave non seulement aux représentants élus qui l'ont adoptée mais également au peuple. En outre, notre Cour a la responsabilitéultime de déterminer si une loi contestée est inconstitutionnelle, et il est important que, pour rendre cette décision, la Cour dispose d'un dossier qui résulte d'un examen en profondeur des questions constitutionnelles soulevées devant les cours ou le tribunal dont les jugements sont portés en appel.


[12]            L'avocat des appelants a soutenu que l'avis de question constitutionnelle ne pouvait être donné plus tôt du fait que cette question a été soulevée suite à la décision du juge Tremblay-Lamer dans Ray c. Canada, [2000] A.C.F. n ° 849, par laquelle celle-ci a rejeté une demande visant à obtenir que la SSR fixe une date d'audience relative à la reconnaissance du statut de réfugié d'une personne dont ce statut avait été annulé. La distinguée juge a déterminé qu'il était possible de déduire d'une décision en annulation du statut de réfugié, que l'intéressé n'était pas en fait un réfugié au sens de la Convention. On avait considéré auparavant que le revendicateur frappé d'une telle annulation aurait l'occasion d'exposer son cas une nouvelle fois devant la SSR. C'est sur cette hypothèse que s'appuyait la demande présentée dans Ray en vue d'obtenir une nouvelle date d'audition. Le jugement prononcé dans cette cause a mis un terme à ce droit, donnant ainsi un caractère crucial à la question concernant la présentation de nouveaux éléments de preuve à la SSR. La décision Ray a été rendue le 9 juin 2000 alors que le présent litige a été plaidé devant la SSR le 8 avril 1999. La question n'aurait donc pu être soulevée devant cette instance. Vu les circonstances particulières de l'espèce et l'absence de toute indication de la part du ministre qu'il souhaitait invoquer l'article 1, la Cour a accepté d'entendre le moyen constitutionnel. Cependant, les cas qui dérogent à la pratique habituelle seront nécessairement peu fréquents.

[13]            La première question qui se pose est celle du sens qu'il faut donner à l'expression « could have been based » qui figure au paragraphe 69.3(5) de la Loi :


(5) La section du statut peut rejeter toute demande bien fondée au regard de l'un des motifs visés au paragraphe 69.2(2) si elle estime par ailleurs qu'il reste suffisamment d'éléments justifiant la reconnaissance du statut.

(5) The Refugee Division may reject an application under subsection 69.2(2) that is otherwise established if it is of the opinion that, notwithstanding that the determination was obtained by fraudulent means or misrepresentation, suppression or concealment of any material fact, there was other sufficient evidence on which the determination was or could have been based.


[14]            Les appelants on signalé que l'expression française « éléments justifiant la reconnaissance du statut » est plus vague et qu'elle diffère de la formulation anglaise « other sufficient evidence on which the determination was or could have been made » . Les appelants concluent en disant :

[TRADUCTION] Nous sommes d'avis que la version française n'étant pas aussi précise au regard de ce à quoi elle se rapporte, devrait être lue en cohérence avec le texte anglais qui l'explicite.

[...]

Si la version anglaise est plus avantageuse, nous pensons que les réfugiés devraient être en droit de s'en prévaloir.


[15]            La conclusion qui se dégage est que les appelants, après avoir signalé la différence qui existe entre les versions anglaise et française de la Loi, ont décidé qu'elle ne les avantage pas et ils se contentent dès lors de s'appuyer sur le texte anglais. J'estime, au contraire, que la version française de ce paragraphe nous renseigne sur l'intention du Parlement lorsqu'il a légiféré comme il l'a fait.

[16]            Il appert nettement que le texte anglais du paragraphe 69.3(5) envisage deux scénarios possibles où de fausses indications ont été données dans une revendication du statut de réfugié. Ces deux cas sont les suivants :

1.         Le tribunal initial de la SSR ne s'est pas fondé sur les fausses indications pour conclure que le revendicateur était un réfugié au sens de la Convention. Dans pareil cas, le tribunal qui instruit la demande du ministre pourrait conclure qu'en dépit des fausses indications, il restait « other sufficient evidence on which the determination was...made »

2.         Le tribunal initial s'est fondé sur les fausses indications, auquel cas, le tribunal de la SSR qui instruit la demande du ministre doit décider si, en dépit de cela, il reste « other sufficient evidence on which the determination ... could have been made »


[17]            La version française du texte autorise le tribunal à rejeter la demande ministérielle dont il est saisi si, une fois qu'il a reconnu le bien-fondé des allégations de fausses indications, il « estime par ailleurs qu'il reste suffisamment d'éléments justifiant la reconnaissance du statut » . Le Robert & Collins Super Senior : Grand Dictionnaire français-anglais/anglais-français, 2000, définit comme suit le terme justifier (dont justifiant est le participe présent) : « to justify, to bear out, vindicate, to prove » . Dans la mesure où l'on a affaire à une décision préexistante, tous ces équivalents possibles donneraient à entendre que les éléments restants suffiraient à fonder la décision.

[18]            La teneur de la version française ne reflète pas les deux scénarios qui découlent du texte anglais, ce qui signifie que la distinction entre « was » ou « could have been » ne se pose donc pas. Le texte français se contente d'exiger que des éléments de preuve suffisants confortent ou justifient la décision initiale en vertu de laquelle le revendicateur répondait à la définition légale de réfugié au sens de la Convention. Des éléments de preuve qui suffisent à conforter ou à justifier cette décision doivent également satisfaire ce même critère. Autrement dit, la norme applicable à l'audience initiale vaut également pour l'audience d'examen.


[19]            Il tombe sous le sens que l'interprétation du texte anglais mène à la même conclusion. La SSR peut rejeter la demande du ministre dans l'un ou l'autre cas visés par le paragraphe 69.3(5), c'est-à-dire lorsque les fausses indications n'ont pas servi, ou qu'elles ont servi, de fondement à la décision. Le rejet de la demande du ministre signifie que le revendicateur conserve le statut de réfugié. Dans le cas où les indications fausses n'ont pas servi, le revendicateur, ayant satisfait aux exigences de la loi, a obtenu le statut de réfugié. Il serait anormal qu'un requérant qui a obtenu ce statut au moyen de fausses indications, puisse le conserver en répondant à des critères différents de ceux que prescrit la loi. Il n'y a aucune raison légale ou logique d'en arriver à cette conclusion.

[20]            Cela nous amène à l'argument suivant qu'invoquent les appelants voulant qu'un revendicateur puisse, à l'audience d'examen, produire des éléments de preuve au sujet de la situation actuelle. Cependant, la jurisprudence antérieure, confirmée par cette Cour, limite la portée de l'examen en question aux seuls éléments de preuve dont le tribunal initial disposait. Le juge Rothstein (tel était alors son titre) en a ainsi conclu dans la cause Guruge c. Canada, [1998] A.C.F., n ° 1821 où il se prononce comme suit :

[ paragraphe 12] Le paragraphe 69.3(5) n'est pas une disposition en vertu de laquelle la section du statut reçoit un nouveau mandat pour déclarer qu'un individu est réfugié au sens de la Convention. Cependant, si des éléments de preuve additionnels visant à étayer la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention devaient être admis, c'est ce que le paragraphe 69.3(5) deviendrait. Je conviens avec le juge Richard dans l'affaire Bayat que la preuve mentionnée au paragraphe 69.3(5) doit être la preuve dont était saisi le tribunal initial. De nouveaux éléments de preuve visant à étayer la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention ne sont pas visés par ce paragraphe.

[21]            Cette conclusion a été confirmée par cette Cour dans l'arrêt Coomaraswamy c. Canada, [2002] CAF 253, [2002] A.C.F. n ° 603, où le juge Evans, au nom de la Cour, écrit ceci :


[paragraphe 14] À mon avis, l'expression « there was other sufficient evidence » , de la version anglaise, indique que le législateur souhaitait limiter la Commission, lors de l'audience d'annulation, à l'examen des documents dont elle disposait au moment où elle avait rendu une décision relative au statut de réfugié. En outre, si l'avocat des appelants avait raison, le législateur aurait utilisé le mot « evidence » dans deux sens différents : c'est-à-dire la preuve présentée lors de l'audience sur la reconnaissance du statut de réfugié « on which the decision was based » et les documents qui n'ont pas été présentés devant la Commission (et qui ne constituent donc pas une preuve au sens premier), mais qui étaient des documents « on which the decision could have been based » . Une interprétation qui accorde au même mot d'une disposition législative la même signification doit en général être préférée à celle qui lui accorderait un sens différent (R. Sullivan, éd. Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., Toronto, Butterworths, 1994, aux pages 163 et 164), particulièrement lorsque, comme en l'espèce, le mot en cause, « evidence » n'est en fait pas répété dans le texte.

[22]            Notons avec intérêt les motifs du juge Muldoon qui semblent indiquer que les appelants avaient concédé ce point devant lui :

[7] Il n'est pas contesté que lorsque la SSR rend une décision aux termes du paragraphe 69.3(5) de la Loi, elle ne peut tenir compte que des éléments de preuve qui ont été soumis à la formation antérieure de la section du statut de réfugié.

Les appelants ne peuvent avoir gain de cause sur ce point.


[23]            Le critère applicable et les éléments de preuve limités auxquels il peut s'étendre sont les deux moyens qu'invoquent les appelants pour dire que l'article 7 de la Charte leur accorde le droit à une seconde audition. C'est la décision en question qui déterminera leur statut à cet égard. Par l'arrêt Singh c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 177, la Cour suprême a statué que l'article 7, qui garantit à chacun le droit de ne pas être privé de la vie, de la liberté et de la sécurité sauf qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale, prescrit d'accorder une audition orale à qui revendique le statut de réfugié. Du fait que la décision qui sera prise en application du paragraphe 69.3(5) porte effectivement sur ce statut, elle jouit de la même protection constitutionnelle.

[24]            Cet argument a été également rejeté par le juge Evans dans l'arrêt Coomaraswamy, en ces termes :

[paragraphe 24] Je ne peux accepter cet argument. Il n'existe aucun précédent qui permette d'affirmer que l'article 7 garantit une nouvelle audition par la Commission à ceux qui ont fait l'objet d'une décision favorable relativement à leur statut de réfugié à la suite de leurs fausses indications. En outre, la décision de la Commission d'annuler la décision antérieure ne signifie pas nécessairement que les appelants seront expulsés. En conséquence, leurs droits garantis par l'article 7 n'entrent pas encore en jeu : Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1999] 1 C.F. 266, aux paragraphes 31 à 33 (1re inst.); conf. par (2000), 266 N.R. 355 (C.A.F.). Les appelants auront d'autres occasions de tenter convaincre le ministre, sur la base de nouveaux éléments de preuve, qu'ils ne devraient pas être renvoyés au Sri Lanka parce qu'il serait très probable, s'ils y retournaient, qu'ils seraient en danger.

[25]            Les autres occasions qu'évoque le juge Evans comprennent la présentation d'une demande d'admission pour des raisons d'ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi.


[26]            Les appelants soutiennent, en dernier lieu, que même en l'absence d'un droit constitutionnel à une audition, ils devraient malgré tout bénéficier d'une audition lorsque le tribunal d'examen annule leur statut de réfugié sans déclarer expressément que ce ne sont pas des réfugiés, car il y a lieu, avancent-ils, de distinguer entre l'annulation du statut de réfugié obtenu par fraude et une déclaration rejetant absolument le droit des appelants à ce statut. Cet argument serait plus probant n'eût été le fait que le tribunal d'examen est tenu d'appliquer, au regard de la preuve, la même norme que celle du tribunal initial. L'annulation du statut de réfugié survient lorsque le tribunal d'examen ne parvient pas à trouver un élément de preuve de nature à persuader une formation que les revendicateurs sont en fait des réfugiés au sens de la Convention.

[27]            C'est pour cette raison que le juge Tremblay-Lamer a conclu, comme elle l'a fait dans la décision Ray précitée, qu'on pourrait déduire de l'annulation du statut de réfugié, que le revendicateur n'était pas un réfugié au sens de la Convention :

[paragraphe 13] Bien qu'il ne reste aucun élément de preuve crédible permettant à une formation de conclure qu'une personne est une réfugiée au sens de la Convention, on peut certainement déduire qu'un demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[28]            Eu égard au critère que le tribunal d'examen doit appliquer pour savoir s'il lui faut accueillir la demande du ministre, la conclusion du juge Tremblay-Lamer est bien fondée.


[29]            La seule objection possible à cette conclusion est l'absence éventuelle de tout « élément de preuve crédible » du fait que l'intéressé n'a pas jugé bon de le produire, préférant s'en remettre au récit fabriqué dont il a fait part à la SSR. Bien que, de leur propre aveu, cela n'excuse pas les appelants d'avoir menti, il reste que le tribunal d'examen ne dispose pas de tous les éléments du dossier. Compte tenu des retombées que peut avoir une décision erronée, pour quelle raison la SSR ne serait-elle pas informée des faits véritables? C'est parce que, répond-on, les revendicateurs ont eu droit à une audience pour leur permettre d'exposer de vive voix leur cas à la SSR. S'ils ont choisi d'en profiter pour tromper celle-ci, ils peuvent difficilement prétendre ne pas avoir été entendus une fois leur supercherie découverte. Il ne s'agit pas de punir les menteurs, mais de chercher plutôt à ne pas créer les conditions qui encouragent les revendicateurs à mentir. Si l'on accepte l'argument des appelants, le mensonge ne comporterait pratiquement aucun risque. Il serait bien avantageux, par contre, d'y faire droit afin que la cause puisse être exposée librement à l'abri de toute restriction imposée par les faits. Il est naïf de penser, dans ces circonstances, que de nombreux revendicateurs, qui ont tant risqué et dépensé pour venir jusqu'ici, ne seront pas portés à mentir puisqu'ils y ont tout à gagner.

[30]            Il en va de même lorsque, comme c'est le cas ici, l'audition a eu lieu sous forme d'une entrevue avec un agent chargé de la revendication. On a renoncé à l'audience à laquelle les appelants avaient droit afin d'accélérer l'octroi du statut de réfugié sur la foi des renseignements qu'ils ont fournis. Cet avantage qu'on leur accordait les dégageait de l'obligation de plaider leur cause de vive voix devant un tribunal de la SSR. Comme l'a fait observer le tribunal d'examen, si les appelants avaient dit la vérité au sujet de leur séjour en Allemagne, il est vraisemblable qu'ils n'auraient pas eu accès à la procédure accélérée. Ayant ainsi échappé à l'audition orale grâce à leurs procédés mensongers, ils ne peuvent aujourd'hui invoquer le droit à une audition qu'ils auraient obtenue s'ils avaient dit la vérité.


[31]            Pour tous les susdits motifs, l'appel devrait être rejeté.

  

                                                                                                                                   « J.D. Denis Pelletier »         

                                                                                                                                                                 Juge                      

« J'y souscris.

Alice Desjardins, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

A.M. Linden, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                 SECTION D'APPEL

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  A-453-00

INTITULÉ :                                 Thanaluxmy Annalingam et al.

c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :         Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :       10 juin 2002

MOTIFS DU JUGEMENT :    Le juge Pelletier

Y ONT SOUSCRIT :                  Le juge Desjardins

Le juge Linden

DATE DES MOTIFS :              3 juillet 2002

COMPARUTIONS:

M. Raoul Boulakia                                                             POUR LES APPELANTS

M. Jerimiah Eastman                                                          POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. Raoul Boulakia                                                             POUR LES APPELANTS

Toronto (Ontario)

M. Morris A. Rosenberg                                                  POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



[1]Le juge Muldoon dit de la réclamation dont il est saisi qu'elle vise à obtenir l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, alors que cette autorisation a été précédemment accordée par un autre juge de la Section de première instance. Il s'agit clairement ici d'une inadvertance, vu que le juge Muldoon a examiné le bien-fondé des points en litige et certifié une question. La procédure d'appel s'est poursuivie, appuyée sur le fait que la décision du juge Muldoon portait sur le fond des questions en litige.

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