Date : 20180726
Dossier : A-237-17
Référence : 2018 CAF 143
CORAM :
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LE JUGE PELLETIER
LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE DE MONTIGNY
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ENTRE :
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AKRAM BOUSALEH
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appelant
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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intimé
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Audience tenue à Toronto (Ontario), le 9 mai 2018.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2018.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE GAUTHIER
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE PELLETIER
LE JUGE DE MONTIGNY
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Date : 20180726
Dossier : A-237-17
Référence : 2018 CAF 143
CORAM :
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LE JUGE PELLETIER
LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE DE MONTIGNY
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ENTRE :
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AKRAM BOUSALEH
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appelant
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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intimé
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MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE GAUTHIER
[1]
M. Akram Bousaleh interjette appel d’une décision du juge Fothergill de la Cour fédérale (2017 CF 716). La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié présentée par M. Bousaleh. La SAI a confirmé la décision de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de rejeter la demande de M. Bousaleh visant à parrainer son frère au titre du regroupement familial au motif que ledit frère ne satisfaisait pas aux exigences définies à l’alinéa 117(1)h) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). La décision de la SAI est connue sous le nom de Bousaleh c. Canada ((Citoyenneté et Immigration) (24 janvier 2017), décision de la SAI TB6-15340, 2017 CanLII 7587 (motifs de la SAI).
[2]
La Cour fédérale a certifié la question suivante :
Afin de décider si une personne est admissible à parrainer un membre de sa parenté au titre de l’alinéa 117(1)h) du [le Règlement], faut-il d’abord examiner si une demande de parrainage d’une personne énumérée à l’alinéa 117(1)h) a une chance raisonnable d’être accueillie?
[Non souligné dans l’original.] (Motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 34)
[3]
Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel, sans dépens.
I.
CONTEXTE
[4]
M. Bousaleh est citoyen canadien d’origine libanaise. Entre 2002 et 2012, il a vécu avec son ex-femme et depuis lors, il vit seul. Il n’a pas d’autres parents au Canada.
[5]
En décembre 2015, M. Bousaleh a présenté une demande en vue de parrainer son frère au titre du regroupement familial. CIC a rejeté la demande pour deux motifs. Tout d’abord, le frère de M. Bousaleh, dont la femme était enceinte, n’a pas satisfait à tous les critères pour être admissible en tant que frère en vertu de l’alinéa 117(1)f) du Règlement (âgé de moins de dix-huit ans, deux parents sont décédés et n’a jamais été marié ni été en union de fait). Deuxièmement, M. Bousaleh ne pouvait pas parrainer son frère aux termes de l’alinéa 117(1)h) parce qu’il pourrait par ailleurs parrainer sa mère et son père, qui daient au Liban à l’époque, aux termes de l’alinéa 117(1)c).
[6]
Malgré l’opinion de CIC selon laquelle le frère de M. Bousaleh n’était pas admissible au titre du regroupement familial, la demande de résidence permanente de son frère a été transmise à un agent des visas affecté à l’ambassade du Canada au Liban. Cela aurait été fait pour préserver le droit d’appel de M. Bousaleh. Son frère a également été invité à demander que la demande soit étudiée pour des considérations d’ordre humanitaire (aux termes de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27) (la LIPR).
[7]
Le 4 août 2016, M. Bousaleh et son frère ont envoyé à l’agent des visas une preuve médicale à l’appui de leur affirmation selon laquelle une demande de parrainage de leurs parents était illusoire puisque son père était probablement inadmissible en raison de sa santé et que sa mère ne l’abandonnerait pas. L’agent des visas a également été invité à examiner la possibilité d’accorder un visa de résidence permanente au frère de M. Bousaleh (il serait accompagné de sa femme et de son enfant) pour des considérations d’ordre humanitaire.
[8]
Le 28 septembre 2016, l’agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente pour deux motifs. D’abord, comme M. Bousaleh « [pourrait] par ailleurs parraine[r] »
selon l’alinéa 117(1)c) ses parents, qui vivaient encore au Liban et son frère n’était pas admissible au titre de la catégorie du regroupement familial en application de l’alinéa 117(1)h). Deuxièmement, l’agent des visas n’a trouvé aucun motif d’ordre humanitaire justifiant la dérogation aux exigences de l’alinéa 117(1)h); l’agent n’était pas convaincu que les parents seraient inadmissibles au Canada, car ils n’avaient pas été examinés par un groupe de médecins aux fins d’un examen médical d’immigration (dossier d’appel, onglet 11, p. 183).
[9]
Le 14 octobre 2016, M. Bousaleh a présenté une demande de réexamen de la décision de l’agent des visas à la suite du décès de son père et a produit des rapports médicaux supplémentaires concernant l’état de santé de sa mère. Il semble que la mère de M. Bousaleh souffre d’un vertige positionnel paroxystique de haute intensité et d’hypertension artérielle, de sorte qu’elle éprouve de la difficulté à marcher et craint de sortir de sa maison. Son médecin lui a recommandé de ne pas voyager sans surveillance (dossier d’appel, onglet 11, pages 166 et 167). Le 4 novembre 2016, l’agent des visas a maintenu son refus.
[10]
M. Bousaleh a interjeté appel devant la SAI du refus d’accorder à son frère un visa de résident permanent. Le 24 janvier 2017, la SAI a confirmé le refus de l’agent des visas et a rejeté l’appel. La SAI a interprété la jurisprudence Sendwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 216 (décision Sendwa), invoquée par M. Bousaleh, comme signifiant [traduction] « qu’une fois l’admissibilité à parrainer établie [conformément à l’article 130 du Règlement], c’est la question de savoir si le répondant admissible satisfait aux exigences de parrainage que la SAI doit examiner (article 133), et non celle de savoir si le membre de la famille est ou non par ailleurs interdit de territoire »
(motifs de la SAI, au paragraphe 15). En d’autres termes, selon cette jurisprudence, seules les exigences applicables au répondant sont pertinentes, et non celles relatives à la personne susceptible d’être parrainée.
[11]
En l’espèce, aucun élément n’a prouvé que M. Bousaleh ne répondait pas aux exigences des articles 130 et 133 du Règlement. La SAI a conclu qu’il avait le droit et la capacité de parrainer un membre de la famille aux termes de l’alinéa 117(1)c). Sa mère était vivante et peu importe qu’elle soit ou non admissible, il ne pouvait pas parrainer un autre membre de la famille en vertu de l’alinéa 117(1)h). Il ressort clairement du paragraphe 17 des motifs de la SAI qu’elle a interprété les mots « soit une personne susceptible de voir sa demande d’entrée et de séjour au Canada à titre de résident permanent par ailleurs parrainée par le répondant »
comme signifiant que pour qu’un répondant puisse parrainer un membre de sa famille en vertu de l’alinéa 117(1)h), il fallait impérativement qu’il n’ait aucun membre de la famille énuméré qui pourrait par ailleurs être parrainé à titre de membre de la catégorie du regroupement familial aux termes des alinéas 117(1)a) à g). Bien que M. Bousaleh ait remis en question l’utilisation de l’expression [traduction] « susceptible d’être parrainé »
devant nous, je note qu’il a utilisé cette expression dans son affidavit et dans sa correspondance avec le CIC.
[12]
La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire, car elle a conclu que l’interprétation de la SAI était raisonnable, étant fondée sur le texte clair de la disposition, ainsi qu’il est interprété par la jurisprudence de la Cour fédérale, notamment les décisions Sendwa et Jordano c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1143 (décision Jordano). La Cour fédérale a ajouté que peu importe l’issue sévère découlant d’une interprétation stricte de l’alinéa 117(1)h), il n’appartient pas à la Cour de réécrire cette disposition, d’autant plus que les motifs d’ordre humanitaire demeurent un autre moyen de contourner une telle issue (article 25 de la LIPR).
II.
QUESTIONS EN LITIGE
[13]
Voici les questions qui nous sont déférées :
1.
La décision de la SAI est-elle raisonnable?
2.
Question certifiée :
A) La question certifiée devrait-elle être reformulée?
B) De quelle manière faut-il y répondre?
[14]
En ce qui concerne ces questions, M. Bousaleh s’appuie largement sur la jurisprudence Sendwa. Il affirme qu’elle enseigne que [traduction] « la décision relative à la question de savoir […] si un répondant peut par ailleurs parrainer […] une demande de résidence permanente présentée par un parent [en vertu de l’alinéa 117(1)h)] ne doit pas seulement se limiter à savoir si le membre de la famille énuméré aux alinéas (a à g) est vivant »
(Mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 53). L’admissibilité de la personne parrainée ou la probabilité que la demande parrainée ne soit pas accueillie, par exemple, en raison de l’état de santé de la personne parrainée, doit également être prise en compte.
[15]
M. Bousaleh soutient que la jurisprudence antérieure de la Cour fédérale, comme Nguyen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CFPI 325 (Nguyen), et le courant jurisprudentiel qui en est issu, qui interprète plus restrictivement une version antérieure de cette disposition comme signifiant que le parrainage en vertu de l’alinéa 117(1)h) n’est possible que si le répondant n’a aucun membre de la famille vivant énuméré dans les alinéas 117(1)a) à g), ne devraient pas être suivis.
[16]
Il n’est pas nécessaire, à ce stade, de donner plus de détails sur les moyens de M. Bousaleh, car ils seront examinés dans le cadre de l’interprétation de la disposition en cause.
[17]
L’intimé s’appuie essentiellement sur l’interprétation retenue par la jurisprudence Nguyen, mais affirme que, de toute manière, compte tenu de la jurisprudence Sendwa, l’interprétation retenue par la SAI dans cette affaire est raisonnable et appartient aux issues possibles justifiables selon le principe moderne en matière d’interprétation des lois.
III.
CADRE LÉGISLATIF
[18]
Voici le texte de l’alinéa 117(1)h) du Règlement, qui est en cause dans le présent appel :
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[19]
Vu que l’esprit de la LIPR et l’esprit du Règlement sont pertinents quant à l’analyse téléologique de l’alinéa 117(1)h), j’ai reproduit dans l’annexe les dispositions les plus pertinentes de la LIPR et du Règlement (alinéa 3(1)d), les articles 11, 12 et 13, le paragraphe 25(1), l’article 38, les paragraphes 63(1) et (2), l’article 65 de la LIPR, les paragraphes 70(1) et (2), l’article 116, les paragraphes 117(1) et (9), les articles 130, 133 du Règlement).
[20]
Il est également utile de définir brièvement le cadre législatif pour mieux comprendre l’objectif de la définition de « regroupement familial »
. Je reviendrai sur l’esprit, l’objectif et l’objet généraux de la LIPR et du Règlement plus loin dans mon analyse.
[21]
L’article 12 de la LIPR crée trois catégories dans lesquelles un étranger peut demander à être sélectionné comme résident permanent : 1) regroupement familial; 2) immigration économique; 3) réfugié au sens de la Convention ou personne en situation semblable.
[22]
Ces trois catégories correspondent chacune à des objectifs distincts qui sont reflétés à l’article 3 de la LIPR. Comme il est mentionné dans la note marginale du paragraphe 12(1) de la LIPR, la catégorie du regroupement familial vise à promouvoir la réunification des familles (voir aussi l’alinéa 3(1)d) de la LIPR), et un étranger est sélectionné dans cette catégorie en fonction de la relation qu’il a avec un citoyen canadien ou un résident permanent, « à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement »
.
[23]
Le paragraphe 70(1) du Règlement, figurant à la section 6 de la partie 5 intitulée « Visa de résident permanent »
énonce les exigences relatives à la délivrance d’un visa de résident permanent. L’une de ces exigences est que l’étranger appartienne à la catégorie au titre de laquelle il a fait la demande (alinéa 70(1)c) et paragraphe 70(2)). Ce texte prévoit aussi, entre autres, l’exigence que ni l’étranger ni les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, ne soient interdits de territoire (alinéa 70(1)e)).
[24]
La partie 3 du Règlement porte sur l’interdiction de territoire tandis que la partie 7 du règlement porte sur les questions relatives à la catégorie du regroupement familial.
[25]
Dans la section 1 de la partie 7, et comme l’indique l’article 116 du Règlement, la catégorie du regroupement familial visée au paragraphe 12(1) de la LIPR est définie sur le fondement des exigences prévues dans cette section. Le paragraphe 117(1) détermine les membres appartenant à la catégorie du regroupement familial en fonction de la relation qu’ils ont avec le répondant. Il est à noter qu’un membre compris dans la catégorie du regroupement familial au paragraphe 117(1) peut très bien être exclu si sa relation relève du paragraphe 117(9).
[26]
L’article 118 porte sur l’exigence particulière concernant un enfant à charge adoptif ou un membre de la famille qui est visé aux alinéas 117(1)f) ou g).
[27]
Les articles 119 et 120 portent sur l’incidence du retrait de la demande de parrainage sur la demande de résidence permanente et de ce qui doit être confirmé avant la délivrance du visa. Les articles 121 et 122 énoncent les exigences applicables aux membres de la famille qui accompagnent la personne qui a présenté une demande au titre de la catégorie du regroupement familial.
[28]
La section 2 crée une sous-catégorie appelée « Époux ou conjoints de fait au Canada »
. Les membres de cette sous-catégorie peuvent présenter une demande de résidence permanente en étant déjà au Canada. Il s’agit d’une exception aux règles générales énoncées aux paragraphes 11(1) de la LIPR et 11(1) du Règlement, selon lesquelles la demande d’établissement et de résidence permanente doit être déposée à l’étranger et un visa délivré avant d’entrer au Canada.
[29]
La section 3 porte sur les répondants d’une personne appartenant à la catégorie du regroupement familial, y compris la sous-catégorie susmentionnée. Elle définit qui peut intervenir à titre de répondant. Elle prévoit également les détails concernant l’engagement de parrainage et les exigences auxquelles doit satisfaire le répondant le jour du dépôt de la demande de parrainage et à compter de ce jour jusqu’à la date à laquelle une décision est prise concernant la demande de parrainage.
[30]
La demande de parrainage doit être précédée ou accompagnée de la demande de résidence permanente (paragraphe 10(4) du Règlement). Cependant, la demande de résidence permanente présentée par une personne appartenant à la catégorie du regroupement familial est toujours assujettie au paragraphe 11(1) de la LIPR. Cela signifie que, ainsi qu’il est mentionné à l’alinéa 70(1)e) du Règlement, l’agent qui l’examine doit être convaincu que, par ailleurs, le demandeur n’est pas interdit de territoire au Canada aux termes de l’une des dispositions générales de la LIPR qui pourraient s’appliquer, comme les articles 34 à 39 (interdiction de territoire fondée sur des motifs tels que la santé, la criminalité, la sécurité, etc.) C’est là que la partie 3 du Règlement entre en jeu.
[31]
Le lien étroit entre le répondant et la personne appartenant à la catégorie du regroupement familial est réaffirmé par le fait que le répondant peut interjeter appel de la décision de l’agent des visas de ne pas délivrer le visa de résident permanent à l’étranger conformément au paragraphe 63(1) de la LIPR.
[32]
Enfin, il est important de noter qu’en ce qui concerne les personnes appartenant à la catégorie du regroupement familial, la SAI a non seulement le droit d’examiner les décisions de l’agent des visas portées en appel (article 63 de la LIPR), mais elle a également le droit d’exempter le membre de la catégorie du regroupement familial de certaines exigences de la LIPR et du Règlement sur la base de motifs d’ordre humanitaire (article 65 de la LIPR).
[33]
Concernant les étrangers qui peuvent ne pas être admissibles au titre de la catégorie du regroupement familial ou lorsque le répondant ne peut être admis à titre de répondant au sens du Règlement, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) peut déroger à certaines exigences énoncées dans la LIPR ou dans le Règlement en application du paragraphe 25(1) de la LIPR pour des motifs d’ordre humanitaire.
IV.
DISCUSSION
A.
Observations préliminaires
[34]
Comme nous l’expliquerons plus loin dans la présente analyse, le texte de la disposition en cause et que l’on trouve maintenant au sous-alinéa 117(1)h)(ii) est sensiblement le même depuis 1974 (la version française du texte a changé au fil du temps, sans modifications correspondantes dans la version anglaise). Néanmoins, M. Bousaleh, qui a présenté un argumentaire bien documenté devant nous, n’a pu trouver aucune jurisprudence d’un décideur administratif ou de la Cour fédérale concluant que l’inadmissibilité d’une mère ou d’un autre membre de la famille énuméré était pertinente pour déterminer si un répondant pouvait invoquer l’alinéa 117(1)h) pour parrainer un membre la famille de son choix. Ainsi, bien que M. Bousaleh ait fait valoir devant nous que la jurisprudence est divisée quant à l’interprétation de l’alinéa 117(1)h), il n’existe pas une telle division quant à la seule question déterminante dont nous sommes saisis : déterminer s’il faut tenir compte de l’interdiction de territoire potentielle d’un membre de la famille énuméré afin de déterminer si un autre membre de la famille appartient à la catégorie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(1)h).
[35]
La seule division possible dans la jurisprudence est relativement nouvelle (depuis la décision Sendwa en 2016). Elle est relative à la question de savoir si une personne peut parrainer un membre de la famille de son choix aux termes de l’alinéa 117(1)h) si cette personne pourrait ne pas satisfaire aux exigences financières plus importantes énoncées à la division 133(1)j)(i)(B) du Règlement pour parrainer sa mère ou son père, mais satisfaire aux exigences financières [traduction] « régulières »
énoncées à la division 133(1)j)(i)(A) pour parrainer d’autres membres de sa famille. Cependant, cette question n’a rien à voir avec l’affaire de M. Bousaleh dont est saisie la SAI et ne peut donc être déterminante pour le présent appel.
[36]
Cela dit, je conviens qu’il y a peu de jurisprudence portant sur une interprétation complète de la loi (voir Nguyen et dans une certaine mesure, Jordano et Sendwa). La rareté de la jurisprudence peut facilement s’expliquer par le fait que les affaires où l’on invoque cette disposition semblent être relativement rares. Comme l’a signalé la SAI dans la décision Ende c Canada (Citoyenneté et Immigration) (6 juillet 2017), décision de la SAI MB6-07260, 2017 CanLII 42825 (décision Ende), cette disposition a seulement été invoquée dans 298 affaires au cours des 13 années précédant cette décision, en dépit du fait que plusieurs milliers d’appels ont été interjetés pendant cette période devant la SAI (décision Ende, au paragraphe 37). L’arriéré de 10 000 affaires auquel est actuellement confrontée la SAI donne une idée du nombre de milliers d’appels interjetés au cours de cette période (Ende, au paragraphe 53).
[37]
La Cour est consciente du fait que la SAI a des doutes quant à l’interprétation du sous-alinéa 117(1)h)(ii) adoptée par la Cour fédérale à l’occasion de l’affaire Sendwa et que la SAI a l’intention de régler cette question. Ainsi, le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait initialement ordonné la constitution d’une formation composée de trois commissaires à cette fin à l’occasion d’une autre affaire (voir l’affaire citée dans Sendwa c Canada (Citoyenneté et Immigration) (21 juillet 2016), décision de la SAI TB4-06660, 2016 CanLII 97227, au paragraphe 9) (Sendwa en réexamen), mais l’appel a été déclaré abandonné avant l’audience.
[38]
De plus, la Cour sait que la SAI a effectué le réexamen de l’affaire par la décision Sendwa et a rejeté l’appel de la décision de l’agent d’immigration rejetant la demande de résidence permanente de la nièce adulte de l’appelant (Sendwa en réexamen). Cette décision a été attaquée et la Cour fédérale a récemment rejeté la demande de contrôle judiciaire (Sendwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 569). À la suite de la décision sur le fond, les parties ont soumis des questions à certifier et la Cour fédérale devrait trancher cette question sous peu. La Cour devrait donc veiller à ce que sa décision dans le présent appel ne porte pas atteinte au droit d’appel dans cette affaire, compte tenu en particulier du fait qu’elle n’a pas bénéficié d’arguments sur la situation factuelle particulière en jeu dans l’affaire Sendwa.
B.
Normes de contrôle
[39]
Lorsque la Cour examine une décision de la Cour fédérale portant sur une demande de contrôle judiciaire, elle doit rechercher si la juridiction inférieure a utilisé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 45). Cela signifie que notre Cour se substitue à la juridiction inférieure et se concentre sur la décision de la SAI.
[40]
Bien que notre Cour n’ait pas encore décidé quelle norme de contrôle s’applique à l’interprétation et à l’application de cette disposition particulière du Règlement par la SAI, la jurisprudence de la Cour fédérale enseignant que la norme de la décision raisonnable s’applique est tout à fait satisfaisante. Elle est compatible avec la présomption de déférence applicable lorsque la SAI interprète sa loi constitutive et, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44 (arrêt Kanthasamy), une question certifiée en vertu de l’alinéa 117(1)h) de la LIPR n’appartient à aucune catégorie de questions pouvant donner lieu à l’application de la norme de la décision correcte la plus stricte.
C.
La décision de la SAI est-elle raisonnable?
[41]
Le droit est bien fixé : l’alinéa 117(1)h) doit être interprété par tous les décideurs, y compris la SAI, conformément au principe moderne d’interprétation des lois; en effet, il faut lire le texte de cette disposition au regard de son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit du Règlement et de la LIPR, l’objet du Règlement et de la LIPR et l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21).
[42]
Devant nous, M. Bousaleh a mis l’accent sur le sens des mots «
may »
et « susceptible de »
figurant dans les versions anglaise et française du sous-alinéa 117(1)h)(ii). Il a déclaré que la SAI n’avait pas donné le sens approprié à ces termes.
[43]
Comme on le sait, «
may »
est un mot anglais qui peut avoir différentes significations selon le contexte. Au sens ordinaire en anglais du dictionnaire de langue anglaise Canadian Oxford Dictionary, par exemple :
may[… ] 1 […] expressing possibility (it may be true; I may have been wrong; you may well lose your way). 2 expressing permission (you may not go; may I come in?). Both can and may are used to express permission; in more formal contexts may is usual since can also denotes capability […]. 3 expressing wish (may he live to regret it). 4 expressing uncertainty or irony in questions […]
(Canadian Oxford Dictionary, éd. 2004)
[44]
Au sens juridique, le mot «
may »
est défini ainsi en anglais :
may, vb. (bef. 12c) 1. To be permitted to <the plaintiff may close>. 2. To be a possibility <we may win on appeal>. […]
(Black’s Law Dictionary, 9e éd.)
[45]
Selon l’article 11 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, l’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir »
et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions. Comme il est signalé dans Sullivan on Construction of statutes, 5e éd. (Toronto: LexisNexis Canada, 2008), à la page 68, cette disposition est d’une utilité limitée et le contexte demeure important. La doctrine professée par cet auteur aux pages 69 et 70 peut être résumée brièvement ainsi : [traduction] « pouvoir »
est utilisé i) pour octroyer une autorisation ou conférer un pouvoir ou ii) octroyer un droit qui peut être assujetti ou non à des conditions suspensives ou à des limitations procédurales, et iii) pour indiquer que le législateur a autorisé une personne ou une catégorie de personnes à faire quelque chose, mais en usant des prérogatives discrétionnaires.
[46]
Le mot «
may »
, en anglais, est utilisé dans de nombreuses dispositions en anglais faisant partie du contexte législatif pertinent quant à cette analyse, comme au paragraphe 12(1) (sélection des étrangers en fonction de la catégorie, en particulier au titre du regroupement familial) et 13(1) (peuvent parrainer des étrangers) de la LIPR. Dans ces dispositions, le sens de «
may
»
, en anglais, semble être compris dans la gamme de sens mentionnés au paragraphe 45 ci-dessus. Il est à noter que l’article 116 du Règlement dispose également que la catégorie du regroupement familial est une catégorie réglementaire de personnes qui « peuvent »
devenir résidents permanents.
[47]
En français, l’expression « susceptible de »
signifie :
susceptible de… […]Qui a la capacité de, une capacité latente, une possibilité latente d’utilisation occasionnelle […]
(Le Petit Robert 1, 1992 ed., s.v. “susceptible”)
susceptible de… […]Qui peut éventuellement
(Le Petit Robert, 2018 ed., s.v. “susceptible”
[48]
Bien que M. Bousaleh nous ait renvoyé à la traduction de « susceptible de »
dans d’autres lois, je ne pense pas qu’il soit nécessaire, ni même approprié, de nous pencher sur ces lois particulières. Nous avons suffisamment de contexte pour examiner la LIPR et le Règlement afin de déterminer si l’interprétation retenue par la SAI fait partie des interprétations possibles qui sont défendables au regard de la loi. En particulier, je conclus que ces mots ne sont pas utilisés dans l’ensemble de la LIPR et du Règlement dans un sens particulier uniquement, car ils sont utilisés dans le contexte de versions anglaises qui diffèrent considérablement. Cette expression n’est utilisée dans aucune autre disposition faisant partie du contexte le plus pertinent.
[49]
Tel que mentionné, il ressort de l’histoire de la disposition figurant maintenant à l’alinéa 117(1)h) que, à l’occasion, une partie de la version française de cette disposition a évolué, alors que la version anglaise n’a pas évolué. Par exemple, alors que le libellé anglais en cause est demeuré constant, la version française du sous-alinéa 117(1)h)(ii) a changé ainsi :
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[50]
M. Bousaleh a soutenu que le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR) joint à la publication de la version DORS/2004-167 signalait que les modifications apportées à la version française étaient destinées à corriger les divergences avec la version anglaise (Partie II de la Gazette du Canada, 2004, à la page 1098), il résulte de l’absence d’un tel avis dans le REIR joint aux autres versions où des modifications ont été apportés, que ces modifications visaient nécessairement à modifier la portée de la disposition. Je ne pense pas que le législateur doive fournir un tel avis chaque fois qu’il apporte des modifications de forme. La version française était, au mieux, maladroite et je vois dans la dernière formulation une tentative de préciser que l’accent est mis sur les membres de la famille ou les personnes énumérées à l’alinéa 117(1)h) plutôt que sur la demande de résidence permanente en soi. Cela ne pouvait pas modifier la portée de la disposition.
[51]
M. Bousaleh soutient que, vu que la version française utilise une expression plus large que la version anglaise, à savoir « susceptible de, »
la Cour devrait interpréter le sens commun des deux versions du sous-alinéa 117(1)h)(ii) de la manière le plus large possible, de sorte que le critère reviendrait à savoir si une demande de résidence permanente est susceptible d’être accueillie; le fait que cette interprétation soit ou non comprise dans le sens ordinaire et grammatical du terme anglais «
may »
lu dans son contexte est, à son avis, dénué de pertinence. Je rejette cette thèse; lorsque l’une des deux versions a un sens plus étroit, c’est ce sens qui est privilégié comme sens commun, sauf preuve du contraire selon les règles ordinaires d’interprétation (Pierre-André Côté avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, The Interpretation of Legislation in Canada, 4e éd. (Toronto : Thomson Reuters, 2011), aux paragraphes 344 à 348). Cette thèse quelque peu extraordinaire repose presque entièrement sur le fait que les mots « susceptible de »
sont utilisés à l’article 203 du Règlement comme pendant français des mots «
likely to »
dans la version anglaise. Je note qu’en raison de la longueur de cette disposition, les mots « susceptible de »
sont utilisés sept fois, mais cela ne lui donne pas plus de poids que tout autre cas où elle est utilisée dans le Règlement. À mon avis, la SAI pouvait raisonnablement interpréter les mots « susceptible de »
et le mot anglais «
may »
comme ayant un sens commun.
[52]
Il n’est pas controversé que les mots « par ailleurs »
figurant au sous-alinéa 117(1)h)(ii) signifient qu’il existe d’autres dispositions que l’alinéa 117(1)h) ou que l’on y renvoie. En l’espèce, la SAI a interprété cela comme incluant les autres alinéas du paragraphe 117(1), comme l’alinéa 117(1)c) et, selon la jurisprudence Sendwa, les articles 130 et 133 du Règlement.
[53]
Le paragraphe 117(1) définit précisément le type de relation que l’étranger doit avoir avec le répondant pour être admissible au titre de la catégorie du regroupement familial. La seule exception à cette règle est l’alinéa 117(1)h). Je ferai donc référence aux parents visés par les alinéas 117(1)a) à g) à titre de membres de la famille énumérés et aux parents auxquels seul l’alinéa 117 (1)h) s’applique à titre de membres de la famille non énumérés.
[54]
Je passerai maintenant à l’autre texte de l’alinéa 117(1)h) qui fait partie du contexte et qui, à mon avis, est très clair.
[55]
Aux termes du sous-alinéa 117(1)h)(i), le membre de la famille non énuméré n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial si le répondant a une mère ou un autre parent énuméré à l’alinéa 117(1)h) (membre de la famille énuméré) qui est soit un citoyen canadien, un Indien ou un résident permanent.
[56]
En application du sous-alinéa 117(1)h)(i), la seule chose à examiner est si un tel membre de la famille existe ou non. Il n’est pas pertinent de rechercher si ce membre de la famille entretient en fait une relation véritable avec le répondant, c’est-à-dire s’ils se parlent ou vivent dans la même région du pays, ou si un tel membre de la famille énuméré vit même encore au Canada. Je dis cela pour répondre à certains arguments qui nous ont été présentés à l’audience concernant la manière dont on devrait satisfaire à l’objectif particulier de l’alinéa 117(1)h).
[57]
Ainsi, lorsque M. Bousaleh dit que l’interprétation du sous-alinéa 117(1)h)(ii) par la SAI ne permet pas d’assurer la réalisation de l’objectif de réunification des familles consacré par l’alinéa 3(1)d) de la LIPR, il est donc absurde de rechercher dans quelle mesure la condition claire énoncée au sous-alinéa 117(1)h)(i) vise également à promouvoir l’objectif général de la réunification des familles ou l’objectif précis de l’alinéa 117(1)h) (voir paragraphe 66 ci-dessous).
[58]
Il est important de comprendre que le législateur a toujours défini les personnes appartenant à la catégorie du regroupement familial de manière à exclure toute personne que l’on considérerait normalement comme un « membre de la famille »
dans d’autres contextes ou dans différentes cultures. Il est évident que, depuis la fin des années 1960, le législateur a progressivement élargi sa définition de la catégorie du regroupement familial, tout en prévoyant des exclusions telles que celles du paragraphe 117(9) du Règlement.
[59]
Par exemple, en 1978, un père, une mère, un grand-père ou une grand-mère devait avoir 60 ans ou plus pour être admissible à titre de membre de la famille énuméré. S’ils avaient moins de 60 ans, ils étaient seulement admissibles à titre de personnes appartenant à la catégorie du regroupement familial s’ils étaient incapables d’exercer un emploi rémunéré ou s’ils étaient veufs (alinéas 4c) et d) du Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172). Il n’y a plus de telles restrictions aux alinéas 117(1)c) et d).
[60]
Un autre exemple : un frère ou une sœur n’est membre énuméré de la catégorie du regroupement familial que si cette personne est orpheline, âgée de moins de 18 ans et célibataire ou sans conjoint de fait (alinéa 117(1)f) du Règlement).
[61]
Cela peut s’expliquer par le fait que le législateur doit concilier la priorité accordée aux demandes des membres de la famille en vue du regroupement familial et les autres objectifs énoncés au paragraphe 3(1) de la LIPR. Il faut rappeler que les personnes appartenant à la catégorie du regroupement familial ne sont pas tenues de satisfaire aux critères applicables à l’immigration économique et que, lorsqu’ils sont admis à titre de résidents permanents de cette catégorie, elles peuvent être accompagnées de membres de leur famille immédiate qui ont aussi reçu un visa de résidence permanente, sauf si elles sont visées par certaines exclusions ou sont interdites de territoire.
[62]
En 1976, le but du regroupement familial a été inclus comme objet de la loi (voir Canada, ministère de l’Emploi et de l’Immigration, Immigration Act Regulations: Information Kit (loi sur l’immigration et son règlement : trousse d’information) (8 mars 1978), aux paragraphes 3, 5, et article 3 de la Loi sur l’immigration de 1976, L.C. 1976-77, ch. 52). Mais en même temps, et depuis lors, le législateur a expliqué de façon constante ce qu’il entendait par « regroupement familial »
en définissant qui appartient à la catégorie du regroupement familial au sens de la LIPR et du Règlement. Dans cette optique, la définition de la catégorie du regroupement familial a évolué au fil des ans. Le législateur l’a revue régulièrement et a mené d’intenses consultations dès le début (voir la trousse d’information ci-dessus).
[63]
À mon avis, il ressort de tout cela que la mise en garde du juge Cullen de la Cour fédérale en 1995 et reprise par la juge Gibson à l’occasion de l’affaire Nguyen est toujours particulièrement pertinente : [TRADUCTION]
« Il n’incombe pas à la Cour d’étendre la portée de la notion de la famille, aux fins de l’immigration, au-delà de ce que le législateur a jugé opportun. »
(Rafizade c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1995), 92 F.T.R. 55, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.); Nguyen, au paragraphe 15).
[64]
Cela vaut particulièrement étant donné que le législateur est présumé avoir été au courant de la façon dont cette disposition était appliquée (voir, par exemple, Mlinarich c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 58; Sarmiento c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (2002), 26 Imm. L.R. (3d) 235); il a opté pour les mots « soit une personne susceptible de voir sa demande [...] par ailleurs parrainée par le répondant »
dans le sous-alinéa 117(1)h)(ii) lorsqu’il a modifié le Règlement.
[65]
En outre, il est pertinent de considérer que l’objectif de l’alinéa 117(1)h) (et ses itérations précédentes) est quelque peu différent du reste de cet alinéa.
[66]
En 1967, lorsque la première version de l’actuel paragraphe 117(1) a été adoptée, elle ne visait que les proches parents les plus proches lorsque le répondant n’avait pas de parents énumérés aux alinéas 31c) à f) (alinéa 31(1)h) du Règlement sur l’immigration, Partie I, modifié, D.O.R.S./67-434). En 1974, cette disposition a été modifiée afin d’englober tous les membres de la famille énumérés (liste plus large que celle des membres de la famille énumérés aux autres alinéas du paragraphe 31(1)) qui pourraient être soit citoyens canadiens ou résidents et dont la demande d’entrée au Canada pourrait être par ailleurs parrainée par le répondant (alinéa 31(1)h) du Règlement sur l’immigration, Partie I, modifié, D.O.R.S./74-113). Bien qu’il ne soit plus nécessaire pour le membre de la famille non énuméré d’être le parent le plus proche, la liste plus large des membres de la famille énumérés et les sous-alinéas supplémentaires de l’alinéa 31(1)h) (qui se trouvent maintenant aux sous-alinéas 117(1)h)(i) et (ii)) restreignent les membres de la famille non énumérés qui pourraient appartenir à la catégorie du regroupement familial.
[67]
Comme l’a signalé le juge Evans à l’occasion de l’affaire Mahmood c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 CF 563 (1re inst.), politique sous-jacente à cette disposition, qui figurait alors à l’alinéa 2(1)h) du Règlement sur l’immigration de 1978, modifié, DORS/92-101, [traduction] « semble viser principalement l’amélioration de la situation d’une personne qui n’a pas de parent au Canada »
(au paragraphe 16). En ce qui concerne l’affaire Ende, la SAI qualifie l’alinéa 117(1)h) de disposition concernant le « répondant canadien seul »
(au paragraphe 32). Cela dit, comme il est expliqué dans la discussion précédente concernant le sous-alinéa 117(1)h)(i), elle ne vise pas à garantir qu’une personne ne sera jamais seule au Canada, même si elle peut souhaiter parrainer d’autres membres de sa famille. C’est pourquoi le juge Evans a parlé d’améliorer la situation d’une personne et non de s’assurer qu’une personne ne serait jamais seule au Canada.
[68]
En outre, l’application de cette disposition, qui a été incluse sous une forme ou une autre dans les lois et règlements relatifs à l’immigration depuis plus de 40 ans, a toujours été subordonnée au fait que le répondant n’avait pas d’autres membres de la famille énumérés.
[69]
La thèse de M. Bousaleh, portant qu’il n’y a pas de hiérarchie parmi les membres de la famille est correcte en ce qui concerne les membres de la famille énumérés aux alinéas 117(1)a) à g). Elle ne vaut pas en ce qui concerne les membres de la famille énumérés et non énumérés. Un membre de la famille non énuméré peut seulement appartenir à la catégorie du regroupement familial à défaut d’un autre membre de la parenté du répondant énuméré dans l’introduction de l’alinéa 117(1)h) qui est soit citoyen canadien, Indien ou résident permanent, soit une personne susceptible de voir sa demande par ailleurs parrainée par le répondant.
[70]
Le texte en cause devant nous désigne les membres de la famille que M. Bousaleh ne doit pas avoir si son frère doit appartenir à la catégorie du regroupement familial en application de l’alinéa 117(1)h).
[71]
D’après le REIR publié en 2002 avec le nouveau règlement, je crois comprendre que la partie 7 intitulée « Regroupements familiaux »
visait à fournir aux agents un fondement objectif pour identifier les étrangers pouvant être sélectionnés comme personnes appartenant à la catégorie « regroupement familial »
(Partie II de la Gazette du Canada, 2002, à la page 255 (Édition spéciale publiée le 11 juin 2002)).
[72]
Il ressort également de l’esprit de la LIPR et de celui du Règlement (voir les paragraphes 23 à 25 ci-dessus) que la sélection de la catégorie au titre de laquelle la personne fait sa demande et l’évaluation pour déterminer si cette personne appartient à cette catégorie constituent une étape distincte de l’évaluation permettant de déterminer si le demandeur qui soumet une demande de visa de résident permanent est interdit de territoire ou non.
[73]
Ayant examiné cette analyse téléologique, à mon avis, il était raisonnable que la SAI conclue que le sous-alinéa 117(1)h)(ii) vise à établir un critère objectif pour déterminer si le parent sélectionné par le répondant appartient à la catégorie du regroupement familial. Le sous-alinéa 117(1)h)(ii) évoque une caractéristique des membres de la famille énumérés. Cette caractéristique consiste à savoir si le membre de la famille énuméré est une personne qui peut déposer une demande de résidence permanente à titre de personne appartenant à la catégorie du regroupement familial, car ce n’est que la demande d’un tel membre qu’un répondant peut par ailleurs parrainer en application de la partie 7 du Règlement. Comme il ressort clairement de la version française, l’accent n’est pas mis sur le bien-fondé de la demande de résidence permanente, mais sur la personne qui peut la déposer.
[74]
Je trouve peu d’appui dans le texte du sous-alinéa 117(1)h)(ii), lu au regard du contexte de manière harmonieuse avec l’esprit de la LIPR et celui du Règlement, et leur objectif relativement à la proposition de M. Bousaleh selon laquelle « pourrait par ailleurs parrainer »
(ou sa version anglaise) signifie qu’un agent doit déterminer si un membre de la famille énuméré serait interdit de territoire en raison de son état de santé présumé s’il demandait un visa de résident permanent pour déterminer si un membre de la famille non énuméré peut présenter sa demande à titre de personne appartenant à la catégorie du regroupement familial. Par conséquent, je ne puis conclure que l’interprétation avancée par M. Bousaleh est la seule qui pouvait être retenue en appliquant le principe moderne d’interprétation des lois. Il a soutenu que la décision de la SAI était déraisonnable au motif qu’il n’y avait qu’une seule issue possible acceptable. Je ne puis tout simplement pas abonder dans ce sens.
[75]
Comme l’a conclu la SAI en l’espèce et dans la grande majorité des affaires qui lui sont soumises, le sous-alinéa 117(1)h)(ii) porte sur la question de savoir si le répondant a un membre de la famille énuméré qu’il a par ailleurs le droit de parrainer à titre de personne appartenant à la catégorie du regroupement familial aux termes des alinéas 117(1)a) à g), compte tenu du paragraphe 117(9). Par conséquent, si la jurisprudence Sendwa enseigne que cette interprétation est déraisonnable, elle est erronée.
[76]
Cependant, comme nous l’avons déjà signalé, il n’appartient pas à notre formation de déterminer si, comme il est conclu dans la décision Sendwa, il est raisonnable d’interpréter le sous-alinéa 117(1)h)(ii) comme exigeant également la prise en compte des critères consacrés par l’article 133 du Règlement, lesquels sont essentiels à l’approbation d’une demande de parrainage. Cette affaire fera probablement l’objet d’un autre appel concernant Mme Sendwa.
[77]
Je souligne également qu’il est évident que si la mère de M. Bousaleh avait été déclarée interdite de territoire par un agent qui avait examiné sa demande de résidence permanente, la SAI aurait eu compétence pour renoncer à l’exigence relative à son état de santé en appel pour motifs humanitaires (article 65 de la LIPR).
[78]
De la même manière, il semble que l’agent des visas en l’espèce aurait examiné la demande du frère de M. Bousaleh aux termes de l’article 25 de la LIPR s’il avait été établi que la mère était effectivement interdite de territoire. D’après mon examen des rares éléments de preuve médicale au dossier, il n’est pas évident qu’une telle conclusion aurait pu être tirée. Quoi qu’il en soit, le droit de demander une dispense au ministre en vertu de l’article 25 de la LIPR n’est pas un lettre morte ou injuste, surtout si l’on tient compte des derniers enseignements de la Cour suprême du Canada professés par l’arrêt Kanthasamy.
D.
Question certifiée
[79]
M. Bousaleh a proposé de reformuler la question certifiée de la manière suivante :
[traduction] Lorsqu’il détermine si le répondant a recours à l’alinéa 117(1)h) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, D.O.R.S./2002-227, le ministre doit-il tenir compte, lorsqu’il recherche si le répondant « peut par ailleurs parrainer » un membre de la famille énuméré à l’alinéa 117(1)h), si une demande de résidence permanente présentée par un parent vivant énuméré aux alinéas 117(1)a) à g) est probable?
(Mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 103)
[80]
À mon avis, la question soumise par M. Bousaleh ne constitue une simple modification du libellé pour le rendre plus conforme au libellé du Règlement, comme il l’a soutenu. Au contraire, cela modifie le thème de la question quant à ce que le ministre doit considérer. Dans la question certifiée par la Cour fédérale, l’idée principale est de savoir si une demande de parrainage de l’un des parents énumérés à l’alinéa 117(1)h) a une chance raisonnable d’être accueillie, tandis que dans la question reformulée, le but est de déterminer s’il est ou non probable que cette personne dépose une demande de résidence permanente.
[81]
Cela signifie que la question proposée engloberait, par exemple, celle de savoir si la SAI devrait déterminer s’il est probable que la mère de M. Bousaleh dépose une demande de résidence permanente parce qu’elle ne veut pas quitter son mari, comme c’était apparemment le cas avant le décès du père de M. Bousaleh (et dans d’autres affaires similaires entendues par la SAI et la Cour fédérale, où des membres de la famille énumérés ne souhaitaient pas immigrer au Canada). De plus, dans son autre mémoire déposé à la Cour fédérale, M. Bousaleh mentionne même que le fait qu’un répondant n’ait pas de relation étroite avec ses parents ou un membre de sa famille devrait également être pris en considération (dossier d’appel, onglet 9, aux paragraphes 5 et 7). Cela pourrait vraisemblablement signifier qu’à son avis, le libellé devrait également être interprété comme exigeant que l’on considère si un parent énuméré a un intérêt à venir au Canada (par exemple, parce qu’il préfère donner cette chance à un autre membre de la famille plus jeune avec une famille immédiate élargie qui aimerait également immigrer) ou même si le répondant a intérêt à parrainer un membre de la famille énuméré (par exemple, parce qu’il préfère un autre membre de la famille non énuméré ou que cet autre membre de la famille est davantage susceptible de travailler et d’être indépendant financièrement).
[82]
L’intimé s’est opposé à cette reformulation de la question, affirmant que cela n’était pas conforme à l’affaire telle qu’elle avait été présentée devant la Cour fédérale, où la seule question sans doute déterminante était que M. Bousaleh n’avait aucune possibilité réelle de parrainer sa mère en vertu du paragraphe 117(1)c) en raison de son état de santé. Selon l’intimé, cela explique pourquoi la Cour fédérale a délibérément choisi d’inclure dans la question certifiée une référence à la « chance raisonnable d’être accueillie »
de la demande.
[83]
Cependant, la demande à laquelle la Cour fédérale se réfère dans sa question certifiée est la demande de parrainage et, ainsi qu’il a été mentionné, il n’y avait aucune preuve ni même aucun argument selon lesquels la demande de M. Bousaleh visant à parrainer sa mère ne serait pas approuvée, étant donné qu’il semble satisfaire à toutes les exigences des articles 130 et 133 du Règlement. La Cour fédérale a-t-elle tenu pour acquis que l’approbation de la demande de parrainage dépend en quelque sorte de l’accueil de la demande de résidence permanente? Si cela signifiait que le ministre devait déterminer si un visa de résidence permanente serait éventuellement accordé, la question certifiée serait trop générale et large. Cela inclurait l’examen de tout ce qui pourrait arriver avant qu’un tel visa ne soit délivré, par exemple, le retrait de l’engagement ou le manquement du répondant aux exigences financières lorsque la décision d’accorder le visa est prise. Comment le ministre peut-il avoir une idée de ce qui pourrait arriver au répondant dans les mois qu’il faut pour prendre une décision à l’égard d’un tel visa? Cela est particulièrement vrai si, par exemple, des questions relatives à l’admissibilité sont soulevées et qu’une décision négative entraîne un appel et un contrôle judiciaire.
[84]
Dans ces circonstances, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de modifier la question certifiée (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, au paragraphe 17; Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au paragraphe 47). En l’espèce, la seule question à certifier en fonction du fondement factuel du présent appel est la suivante :
Pour déterminer si un demandeur appartient à la catégorie du regroupement familial, conformément à l’alinéa 117(1)h) du Règlement, le ministre doit-il tenir compte de la probabilité qu’une hypothétique demande de résidence permanente que pourrait présenter un membre de la parenté visé par cette disposition soit accueillie, compte tenu d’un état de santé allégué qui pourrait entraîner une interdiction de territoire de cette personne?
[85]
La réponse imposée par la norme de contrôle consacrée par la jurisprudence Kanthasamy, est la suivante : concernant l’interprétation raisonnable de l’alinéa 117 (1)h) faite par la SAI, la réponse est négative.
V.
CONCLUSION
[86]
À la lumière de ce qui précède, je rejetterais l’appel, sans dépens.
« Johanne Gauthier »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Yves de Montigny, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme,
François Brunet, réviseur
ANNEXE
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
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Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
APPEL D’UN JUGEMENT PRONONCÉ PAR L’HONORABLE JUGE FOTHERGILL LE 24 JUILLET 2017, DOSSIER NO 2017 FC 716
DOSSIER :
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A-237-17
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INTITULÉ :
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AKRAM BOUSALEH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 9 mai 2018
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE GAUTHIER
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE PELLETIER
LE JUGE DE MONTIGNY
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DATE DES MOTIFS :
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Le 26 juillet 2018
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COMPARUTIONS :
Shannon Black
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Pour l’appelant
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Ian Hicks
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Pour l’intimé
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Shannon Black
Toronto (Ontario)
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Pour l’appelant
|
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
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Pour l’intimé
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