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Date : 19991029


Dossier : A-570-98


CORAM : LE JUGE DÉCARY

     LE JUGE ROBERTSON

     LE JUGE NOËL

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE

     appelante

     - et -


     JENS LARSEN

     intimé



Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 28 octobre 1999.

Jugement prononcé à Vancouver (Colombie-Britannique) le 29 octobre 1999.





MOTIFS DU JUGEMENT PAR :      LE JUGE NOËL





Date : 19991029


Dossier : A-570-98


CORAM : LE JUGE DÉCARY

     LE JUGE ROBERTSON

     LE JUGE NOËL

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE

     appelante

     - et -


     JENS LARSEN

     intimé


     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE NOËL


[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision du juge Beaubier de la Cour canadienne de l'impôt dans laquelle il a accueilli l'appel de l'intimé concernant une nouvelle cotisation établie pour l'année d'imposition 19941.

[2]      Le litige découle d'un contrat par lequel l'intimé, ses deux frères et sa soeur ont donné à un marchand de bois le droit d'abattre des arbres sur leur propriété au cours d'une période de cinq mois en échange d'une contrepartie de 70 $ le mètre cube de bois coupé. Aux termes de ce contrat, quelque 9 200 mètres cubes de bois ont été enlevés, ce qui a donné lieu à une contrepartie en argent de 644 300 $ qui a été partagée également entre les frères et la soeur. La terre en question était utilisée comme terre agricole à des fins d'élevage et cet usage a été maintenu après la coupe du bois.

[3]      Dans sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition 1994, l'intimé a estimé que l'opération participait du capital et que les droits dont il avait disposé en vertu du contrat faisaient partie d'un " bien agricole admissible ". Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation pour la part du produit de vente déclarée par l'intimé au motif que ce produit avait été reçu à titre de revenu en s'appuyant sur l'alinéa 12(1)g ) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) :

12(1) There shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year as income from a business or property such of the following amounts as are applicable:

...

     (g) any amount received by the taxpayer in the year that was dependent on the use of or production from property whether or not that amount was an installment of the sale price of the property, except that an installment of the sale price of the agricultural land is not included by virtue of this paragraph;

12(1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d"une entreprise ou d"un bien, au cours d'une année d'imposition, les sommes appropriées suivantes:

[...]

     g) toute somme reçue par le contribuable dans l'année et qui dépendait de l'usage ou de la production de biens, que cette somme fût ou non un versement effectué à compte du prix de vente du bien (sauf qu'un paiement à compte du prix de vente d'un fonds de terre servant à l'agriculture n'est pas inclus en vertu du présent alinéa);

[4]      En appel, le juge Beaubier a statué que l'opération avait donné lieu à un gain en capital. Pour ce qui a trait à l'alinéa 12(1)g), le juge Beaubier a conclu que les sommes reçues ne " [dépendaient pas] de l'usage ou de la production de biens ". Subsidiairement, il a statué comme suit :

     [...] Quoi qu'il en soit, les versements effectués entrent dans le cadre de l'exception prévue à l'alinéa 12(1)g), car il s'agit de sommes versées en acompte sur le prix de vente d'un intérêt sur un fonds de terre servant à l'agriculture2.

Après avoir statué que les versements ne tombaient pas sous le coup de l'alinéa 12(1)g), le juge Beaubier a statué que les biens aliénés étaient des " biens agricoles admissibles " au sens du paragraphe 110.6(1), ce qui donnait en fait à l'intimé droit à la déduction accrue de gain en capital qui est prévue au paragraphe 110.6(2).

[5]      Selon le paragraphe 110.6(1) :

110.6(1) "qualified farm property" of an individual ... at any particular time means a property owned at that time by the individual, the spouse of the individual or a partnership, an interest in which is an interest in a family farm partnership of the individual or the individual"s spouse that is

     (a) real property that was used by
         (i) the individual,

...

in the course of carrying on the business of farming in Canada ...

110.6(1) " bien agricole admissible " S'agissant d'un bien agricole d"un particulier à un moment donné, [...] l'un des biens suivants appartenant à ce moment donné au particulier, à son conjoint ou à une société de personnes dont une participation est une participation dans une société de personnes agricole familiale du particulier ou de son conjoint :

     a) un bien immeuble qui a été utilisé dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise agricole au Canada :
         (i) soit par le particulier

[...]

[6]      Le paragraphe 110.6(2) prévoit ensuite une déduction précise des gains réalisés à la disposition de " biens agricoles admissibles " de la façon suivante :

110.6(2) In computing the taxable income for a taxation year of an individual (other than a trust) who was resident in Canada throughout the year and who disposed of qualified farm property in the year or a preceding taxation year ending after 1984, there may be deducted such amount as the individual may claim not exceeding the least of ... etc

110.6(2) Le particulier -- à l'exception d'une fiducie -- qui réside au Canada tout au long d'une année d'imposition donnée et qui dispose de biens agricoles admissibles au cours de cette année donnée ou d'une année d'imposition antérieure se terminant après 1984 peut déduire, dans le calcul de son revenu imposable pour l'année donnée, le montant qu'il peut demander et qui ne dépasse pas le moins élevé des montants suivants : [...] etc

[7]      L'appelante soutient que le juge Beaubier a commis une erreur en statuant que les sommes reçues ne " [dépendaient pas] de l'usage ou de la production de biens " au sens de l'alinéa 12(1)g ). L'appelante conteste également la conclusion subsidiaire du juge Beaubier selon laquelle ces montants entrent dans le cadre de l'exception prévue à l'alinéa 12(1)g). Finalement, l'appelante fait valoir que le juge de la Cour de l'impôt a également commis une erreur en statuant que les biens vendus constituaient " des biens agricoles admissibles ".

[8]      En excluant l'application de l'alinéa 12(1)g), le juge Beaubier s'est appuyé sur la décision du juge Strayer (plus tard juge à la Cour d'appel) dans La Reine c. Mel-Bar Ranches Ltd.3, et en particulier sur le passage suivant :

             [...] Il s'agissait d'un contrat unique relatif à l'enlèvement du bois à un endroit et dans un délai précis. Il était parfaitement raisonnable que le prix payé par l'acheteur, et reçu par la défenderesse, soit relié à la quantité de bois utilisable effectivement coupé et enlevé pour réaliser l'objectif que constituait l'enlèvement du bois [...] J'estime que, lors de la rédaction de la clause 1, tous les intéressés s'entendaient pour penser qu'il y avait environ 25 500 tonnes (bois) de billes qui pouvaient et devaient être enlevées de l'endroit indiqué dans le contrat. Vu la difficulté d'évaluer très exactement la quantité de bois disponible, il fut décidé d'un prix à la tonne (bois) effectivement coupée. Cependant, c'est l'objectif consistant à faire enlever de l'endroit indiqué tout le bois utilisable, dans le délai spécifié, qui est toujours ressorti le plus clairement. Que la défenderesse ait réalisé quelques profits, certainement bienvenus, tout en faisant déboiser son terrain pour le rendre apte au pâturage ne fait pas de ces profits des revenus " qui dépendai[ent] de l'usage ou de la production de biens ", selon mon interprétation de la jurisprudence4.

[9]      La jurisprudence à laquelle fait allusion le juge Strayer regroupe les décisions suivantes : Mowat c. M.R.N.5, Hoffman c. M.R.N.6 et Lackie c. La Reine7. Les décisions Mowat et Hoffman portaient sur la vente unique de bois sur pied. Dans l'arrêt Hoffman, le commissaire Weldon a exprimé l'opinion que le droit d'enlever des arbres par suite d'une simple autorisation limitée dans le temps devait être distingué d'une opération continue de " profit à prendre " dans laquelle un individu est autorisé à faire valoir son droit continu de prendre le produit ou le profit du sol8. Dans la décision Lackie, les paiements effectués en échange du droit continu d'extraire du gravier de la propriété ont été considérés comme tombant sous le coup de l'alinéa 12(1)g). En décidant ainsi, la Section de première instance de la Cour fédérale (le juge Dubé), s'appuyant sur la règle énoncée dans la décision Hoffman, a fait une distinction entre une concession perpétuelle d'utiliser le terrain et " une transaction unique et définitive portant transfert de tout le bien "9, sous réserve de l'autorisation :

             Je suis d'avis que si l'épouse du demandeur avait vendu tout le gravier, q ue le prix convenu ait été payé au moyen d'une somme globale ou par verseemnts échelonnés, cette transaction participerait du capital. (De l'aveu de tous, elle ne faisait pas le commerce du gravier.) Mais il s'agit en l'espèce de la vente d'une quantité de gravier durant une période continue, de l'usage du terrain et d'un profit à prendre s'étendant sur une période de plus de cinq ans10.

[10]      Dans la décision Mel-Bar, la Cour traitait d'un contrat unique d'enlèvement du bois dans une région précise à l'intérieur d'une période fixe contre une contrepartie calculée par référence au bois réellement enlevé. S'appuyant sur les autorités précitées, le juge Strayer a statué que les paiements en vertu de ce contrat ne " [dépendaient pas] de l'usage ou de la production de biens " au sens de l'alinéa 12(1)g ).

[11]      L'appelante nous demande de ne pas tenir compte de la décision Mel-Bar au motif que le mot " usage " utilisé à l'alinéa 12(1)g ) comprend nécessairement " l'usage " unique d'un bien pour ce qui a trait au mode de paiement. L'appelante concède que le versement d'une somme forfaitaire aurait pour effet d'exclure l'opération de la portée de l'alinéa 12(1)g ). Toutefois, le juge Strayer a conclu, comme l'a fait le juge de première instance en l'espèce, que les sommes payées étaient la contrepartie payée pour l'enlèvement de tout le bois précisé dans la région désignée malgré la manière dont les paiements ont été calculés. La jurisprudence a de façon constante exclu de la portée de l'alinéa 12(1)g) les sommes reçues dans le cadre d'un contrat unique pour l'enlèvement du bois ; je ne vois pas de raison de modifier ce courant de pensée.

[12]      Cela étant, il n'est pas nécessaire d'exprimer d'opinion concernant le motif subsidiaire du juge Beaubier qui a refusé d'appliquer l'alinéa 12(1)g), savoir que les paiements entraient dans le cadre de l'exception prévue dans les derniers mots de l'alinéa 12(1)g).

[13]      L'appelante conteste également la conclusion subséquente du juge Beaubier concernant le fait que le bien aliéné par l'intimé, ses frères et sa soeur constituait un " bien agricole admissible ". Selon le paragraphe 110.6(1), " bien agricole admissible " désigne " un bien immeuble " qui est utilisé dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise agricole. À cet égard, je ne doute aucunement qu"un droit de couper du bois est, au moment de la concession, un héritage incorporel de terrain qui, en tant que tel, constitue un bien immeuble comme l'a statué le juge Beaubier de la Cour de l'impôt11.

[14]      Néanmoins, l'appelante prétend que pour qu'un " bien immeuble " soit visé au paragraphe 110.6(1), il doit s'agir d'un bien immeuble réellement utilisé dans l'exploitation agricole, et que le bien particulier qui a été vendu par l'intimé, c'est-à-dire le bois sur pied, n'était pas utilisé comme tel au moment de la concession. À mon avis, cet argument fait intervenir une distinction que ne permet pas de faire le paragraphe 110.6(1). D'après le paragraphe 110.6(1), il suffit que le bien, même s'il s'agit de bois, ait été utilisé pour l'exploitation agricole à l'époque pertinente. Le juge de la Cour de l'impôt a jugé que tel était le cas. Étant donné que le bois sur pied constituait en soi un bien immeuble et qu'il faisait partie intégrante de l'entreprise agricole, il semble que cela soit suffisant pour qu'il tombe sous le coup du paragraphe 110.6(1).



[15]      Je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

" Je souscris à ces motifs "

Robert Décary, juge

" Je souscris à ces motifs "

J.T. Robertson, juge


                                     (Signé) " Marc Noël "

                                             JUGE


Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL. L.



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

DIVISION D'APPEL


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                      A-570-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :              Sa Majesté la Reine

                                         c.

                                         Jens Larsen


LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 28 octobre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE NOËL

DATE :                              le 29 octobre 1999


ONT COMPARU :

Brent Paris                          Pour l'appelante

Kenneth R. Hauser                      Pour l'intimé


PROCUREURS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada              Pour l'appelante

Kenneth R. Hauser

Law Corporation

Kamloops (C.-B.)                      Pour l'intimé

__________________

1      La décision est maintenant publiée à 98 D.T.C. 2193.

2      Motifs du jugement, Dossier d'appel, vol. I, p. 19.

3      89 D.T.C. 5189, " Mel-Bar ".

4      Ibid.

5      58 D.T.C. 694, " Mowat ".

6      65 D.T.C. 617, " Hoffman ".

7      78 D.T.C. 6128, " Lackie ".

8      Précité, note 6, pages 230 et 231.

9      Précité, note 7, page 6132.

10      Ibid.

11      Comparer avec La Reine (C.-B.) c. Tener, [1985] 1 R.C.S. 533, aux pages 540 et 541 ; Highway Sawmills Limited c. M.R.N., 66 D.T.C. 5116, page 5120 (C.S.C.). Voir également R.E. Megarry et W.R. Wade, The Law of Real Property, 5e éd. (1984), pages 11 et 814.

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