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Date : 20031027

Dossier : A-511-02

Référence : 2003 CAF 400

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                                                 BRUNO NADEAU

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                                      défendeur

                                     Audience tenue à Montréal, Québec, le 1er octobre 2003.

                                      Jugement rendu à Ottawa, Ontario, le 27 octobre 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                            LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                            LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20031027

Dossier : A-511-02

Référence : 2003 CAF 400

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                                                 BRUNO NADEAU

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                                      défendeur

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire dirigée à l'encontre d'une décision du juge Archambault de la Cour canadienne de l'impôt ([2002] A.C.I. No. 601) refusant au demandeur la déduction de frais judiciaires encourus pour contester une requête en augmentation de pension alimentaire présentée par son ex-épouse.


[2]                 En rendant cette décision, le juge Archambault s'est fondé sur sa décision antérieure dans Bergeron c. Canada, [1999] A.C.I. No. 510; 99 DTC 1265, laquelle est à la source d'une importante controverse qui perdure à la Cour canadienne de l'impôt quant au traitement fiscal des dépenses qui ont trait aux pensions alimentaires.

Les faits et le contexte procédural

[3]                 Les faits qui sous-tendent la présente affaire sont fort simples. Le demandeur a obtenu un divorce en juillet 1996 suite à un jugement rendu par la Cour supérieure du Québec. Le jugement lui ordonnait de verser une pension alimentaire à son ex-épouse pour le bénéfice des enfants du couple.

[4]                 Quelque temps plus tard, son ex-épouse a entamé des procédures judiciaires afin de faire augmenter la pension et l'étendre à elle-même. Le demandeur a contesté cette procédure devant la Cour supérieure et a eu gain de cause. Il a par la suite demandé la défiscalisation de la pension alimentaire avec comme résultat qu'elle fut réduite de moitié par la Cour d'appel. En 1999, le montant des frais judiciaires s'élevait à 4 284 $ et c'est la déduction de cette somme qui fait l'objet du présent litige.

[5]                 Le ministre du revenu national (le ministre ou le défendeur) a refusé au demandeur la déduction de cette dépense au motif qu'elle n'avait pas été encourue pour gagner du revenu provenant d'une entreprise ou d'un bien (confirmation de la cotisation, Dossier du demandeur, page 8).


[6]                 Par contre, l'ex-épouse du demandeur, en tant que récipiendaire de la pension alimentaire, aurait été assujettie à un traitement différent si l'on se fie à la politique ministérielle énoncée au bulletin d'interprétation IT-99R5, telle que modifié :

18. Les frais juridiques engagés pour faire respecter un droit déjà existant à une pension alimentaire provisoire ou permanente sont déductibles. Un droit déjà existant à une pension alimentaire peut résulter d'un accord écrit, d'une ordonnance d'un tribunal ... la mise en application d'un droit de ce type n'établit pas un nouveau droit (voir la décision rendue dans l'affaire La Reine c. Burgess, [1981] CTC 258, 81 DTC 5192 (CFSPI)). En outre, les frais juridiques engagés pour contester la réduction d'une pension alimentaire sont déductibles, étant donné qu'ils ne créent pas de nouveaux droits à un revenu (voir la décision rendue dans l'affaire Le Procureur général du Canada c. Norma McCready Sembinelli, [1994] 2 CTC 378, 94 DTC 6636 (CAF).

[7]                 Comme le fait remarquer le juge Archambault dans Bergeron (paragraphes 17 et 18), une récente jurisprudence de la Cour canadienne de l'impôt, qui a été acceptée par le ministre (voir les Nouvelles Techniques, no. 24, 10 octobre 2002), a étendu ce droit aux frais judiciaires encourus dans le but d'augmenter une pension alimentaire ou même pour en établir la reconnaissance puisqu'il s'agirait d'un droit déjà existant (St-Laurent c. Canada, [1999] 1 C.T.C. 2478; Donald c. Canada, [1999] 1 C.T.C. 2025; Nissim c. Canada, [1999] 1 C.T.C. 2119; [1998] 4 C.T.C. 2496; Gallien c. Canada, 2000 D.T.C. 2514). [J'accepte les conclusions de ces décisions aux fins de disposer de la présente demande sans pour autant me prononcer sur leur bien-fondé. Je crois utile de rappeler que cette jurisprudence est contraire à la décision de la Cour fédérale (Première instance) dans La Reine c. Burgess (supra), et que la question de savoir si le droit à une pension alimentaire prend naissance lors du jugement prononçant le divorce ou avant n'a pas, à ce jour, été considérée par la Cour d'appel.]


[8]                 Le demandeur a réclamé dans le cadre de son appel devant le juge Archambault le droit d'être traité de la même façon que le récipiendaire d'une pension alimentaire, soit de pouvoir déduire les frais judiciaires encourus. Ce faisant le demandeur, qui se représente lui-même, tentait d'invoquer la Charte sans toutefois avoir signifié l'avis de question constitutionnelle requis par l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale.

[9]                 S'éloignant de la jurisprudence, le juge Archambault en est venu à la conclusion que ni le payeur, ni le récipiendaire d'une pension alimentaire ne peut déduire les dépenses qui y sont afférentes. Avant de rejeter l'appel du demandeur au motif que le traitement dont il se plaignait était le même pour tous, il a tenu à préciser que (paragraphe 6) :

Si j'avais cru possible qu'il y ait discrimination dans les dispositions de la Loi, j'aurais accordé un délai à monsieur Nadeau pour lui permettre de donner avis aux procureurs généraux du Canada et des provinces.

Position des parties

[10]            À l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur prétend que le juge Archambault a eu tort de conclure qu'il n'était pas victime de discrimination. L'avis de question constitutionnelle qu'il a signifié et déposé pour la première fois devant nous mentionne l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi).


[11]            Le sens de la question constitutionnelle que le demandeur tente de soulever n'est pas facile à cerner. Mais en lisant entre les lignes, la position du demandeur semble indiquer que dans la mesure où l'alinéa 18(1)a) a pour effet d'empêcher le payeur d'une pension alimentaire de déduire les frais judiciaires encourus tout en permettant au récipiendaire de déduire les siens, il est discriminatoire et contraire à la Charte.

[12]            Le défendeur, pour sa part, prétend que la question constitutionnelle soulevée par le demandeur ne peut être résolue puisqu'aucune preuve contextuelle portant sur le paragraphe 15(1) de la Charte n'a été déposée. Par ailleurs, le défendeur nous rappelle que même s'il y a contradiction entre l'approche du ministre fondée sur la jurisprudence antérieure et celle du juge Archambault, la demande de contrôle judiciaire est vouée à l'échec sans égard à la solution retenue.

[13]            Le défendeur nous demande tout de même de trancher cette question afin de mettre fin à la controverse qui existe à la Cour canadienne de l'impôt depuis la décision Bergeron. À cet égard, le défendeur a cité les décisions des juges Tardif dans Mathieu c. Canada, [2001] A.C.I. No. 542; Lemieux c. Canada, [2001] A.C.I. No. 703 et Dussault dans Casavant c. Canada, [1999] A.C.I. No. 938 qui ont suivi le raisonnement de Bergeron et les décisions des juges Morgan, Rowe, Hamlyn, Bowie et Lamarre dans Ryan c. Canada, [2000] 2 C.T.C. 2329, Haley c. Canada, [2000] A.C.I. No. 233, McColl c. Canada, [2000] A.C.I. No. 335, Sabour c. Canada, [2001] A.C.I. No. 783 et Lanthier c. Canada, [2003] A.C.I. No. 149 respectivement, qui ont refusé de le faire.


Controverse devant la Cour canadienne de l'impôt

[14]            Une jurisprudence constante reconnaît depuis plus de quarante ans que le droit à une pension alimentaire lorsqu'établi par un tribunal est un "bien" au sens du paragraphe 248(1) de la Loi et que le revenu issu d'une telle pension constitue entre les mains de la personne qui la reçoit un revenu de bien (voir en particulier les affaires Jean Boos c. M.N.R. (1961), 27 Tax A.B.C. 283, La Reine c. Burgess, (supra); Bayer c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 2304, Evans c. M.N.R., [1960] S.C.R. 391 et Sembinelli c. Canada, (supra).

[15]            La définition de biens à l'article 248(1) se lit comme suit :

« biens » . - « biens » Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède:

a) les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

b) à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;

c) les avoirs forestiers;

d) les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale.

"property" means property of any kind whatever whether real or personal or corporeal or incorporeal and, without restricting the generality of the foregoing, includes

(a) a right of any kind whatever, a share or a chose in action,

(b) unless a contrary intention is evident, money,

(c) a timber resource property, and

(d) the work in progress of a business that is a profession;                                            

(Je souligne)


[16]            Ainsi, il est de jurisprudence constante que le revenu provenant d'une pension alimentaire est calculé en fonction du régime applicable au revenu tiré d'un bien (ou d'une entreprise) que l'on retrouve à la sous-section b de la Loi. Selon ce régime, une dépense encourue pour constituer une source de revenu est de nature capitale et sa déduction est prohibée (voir l'alinéa 18(1)b)). Par contre, une dépense encourue pour gagner un revenu issu de cette source (soit après qu'elle ait pris naissance), est dite "courante" et elle tombe sous l'exception prévue à l'alinéa 18(1)a) :

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

[...]

a) les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

18(1) In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of

...

(a) an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from the business or property;

(Je souligne)

[17]            Ce régime, tel qu'il fut appliqué par les tribunaux au cours des années fait en sorte que dans la perspective du récipiendaire, une dépense qui a comme but de donner naissance au droit à une pension alimentaire est de nature capitale et ne peut donc être déduite. Par contre, une dépense encourue pour recouvrer un montant dû en vertu d'un droit déjà existant est de nature "courante" et peut donc être déduite.

[18]            Inversement, les dépenses encourues par le payeur d'une pension alimentaire (soit pour empêcher qu'elle soit établie ou augmentée, ou soit pour la diminuer ou y mettre fin), ne peuvent être considérées comme ayant été encourues pour gagner un revenu et les tribunaux n'ont jamais reconnu de droit à la déduction de ces dépenses (voir, par exemple, Bayer supra).


[19]            Dans Bergeron, le juge Archambault, dans le but évident d'atténuer le traitement inégal des ex-conjoints qui découle de cette approche (Bergeron, paragraphe 19), a refusé de suivre la jurisprudence antérieure. Selon lui, personne ne peut déduire les dépenses afférentes à une pension alimentaire puisque le régime applicable est celui prévu aux sous-sections d et e de la Loi (à l'exclusion de la sous-section b) et aucun droit à la déduction n'y est prévu. Le juge Archambault reconnaît que le droit à une pension alimentaire est un "bien", mais affirme-t-il, cela ne signifie pas nécessairement que le revenu qui en découle est un revenu de "bien" (Bergeron, paragraphe 33).

[20]            La structure de la Loi suggère selon lui, l'interprétation contraire. "En effet" dit-il "la disposition portant inclusion de la pension alimentaire dans le revenu se trouve au paragraphe 56(1) à la sous-section d intitulée 'Autres sources de revenu'" (Bergeron, paragraphe 46). Comment peut-on déduire sous la sous-section b des frais judiciaires engagés pour recouvrer une pension alimentaire qui est incluse dans le revenu non pas comme revenu tiré d'un bien mais comme revenu tiré d'une autre source (Bergeron, paragraphe 47)? Le juge précise que c'est la sous-section d qui prévoit l'inclusion de la pension alimentaire dans le calcul du revenu et que les seules déductions autorisées sont celles prévues à la sous-section e. Selon lui, ces deux sous-sections "constituent un code complet sur le sujet" (Bergeron, paragraphe 51).


[21]            S'en remettant à différentes définitions du mot revenu que l'on retrouve dans les dictionnaires et chez les auteurs, le juge Archambault conclut que les sources visées à la sous-section b doivent être "productives de revenu". Une pension alimentaire n'est productive de rien et le droit de la recevoir est essentiellement personnel et non susceptible de cession (Bergeron , paragraphes 36 à 43). Le revenu qui en découle provient donc d'une source autre qu'un bien (Bergeron, paragraphes 45 et 46).

[22]            La Cour suprême, dans l'arrêt Stewart c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 645, a ajouté un certain poids à ce point de vue. Il est vrai que dans cette affaire, la Cour suprême cherchait surtout à contrer l'excès jurisprudentiel avec lequel avait été utilisé le critère de l'espoir raisonnable de profit pour juger de l'existence d'une source de revenu. Mais force est de reconnaître que pour déterminer si un contribuable a une source de revenu constituée d'un bien, l'on doit dorénavant déterminer si le comportement du contribuable (en principe commercial) dénote la recherche de profit ou s'apparente plutôt à une démarche personnelle (Stewart, supra paragraphe 56).


[23]            Quoiqu'il en soit, le raisonnement du juge Archambault a été rejeté par la majorité des juges de la Cour canadienne de l'impôt. Les motifs du juge Bowie dans Sabour (supra) illustrent bien le point de vue de ces juges. Selon le juge Bowie, "il est bien trop tard" pour conclure qu'un revenu issu d'une pension alimentaire n'est pas un revenu de bien (paragraphe 7); "les tribunaux ont rendu des décisions trop nombreuses pour être cataloguées en application de ce principe" (paragraphe 8). Selon le juge Bowie, un courant jurisprudentiel si bien établi devrait être suivi jusqu'à ce qu'il soit renversé par une cour supérieure ou jusqu'à ce que la Loi soit modifiée par le Parlement. Finalement dit-il, l'on ne peut ignorer le fait que la position élaborée par la jurisprudence a toujours été celle retenue par le ministre et qu'elle a comme effet de permettre une déduction que la décision Bergeron aurait l'effet d'écarter (paragraphe 10).

Analyse et décision

[24]            La question qui divise les juges de la Cour canadienne de l'impôt en est une d'interprétation statutaire : la volonté du législateur est-elle de considérer le revenu constitué par une pension alimentaire comme revenu tiré d'un bien étant assujetti, à ce titre, au calcul prévu à la sous-section b, ou plutôt de le traiter comme revenu provenant d'"Autres sources" assujetti au régime exclusif des sous-sections d et e?

[25]            L'approche qui doit guider les tribunaux face à ce genre de question a été énoncée à nouveau par le juge Iacobucci dans Entreprises Ludco Ltée c. Canada, [2001] S.C.R. 1082 :

36 La règle moderne en matière d'interprétation législative a été énoncée de manière succincte par E. A. Driedger dans l'ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87 :

[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur...

37 C'est cet extrait qui "résume le mieux" la méthode privilégiée aux fins d'interprétation d'une disposition législative : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21 et 23. Il en est ainsi pour l'interprétation de tout texte de loi et il convient de signaler que notre Cour a maintes fois cité et approuvé cet extrait célèbre, tant en matière fiscale que dans d'autres domaines (note en bas-de-page omise).

38 Par ailleurs, les tribunaux appelés à interpréter la Loi de l'impôt sur le revenu doivent se rappeler qu'ils jouent un rôle distinct de celui du législateur. En l'absence d'un texte législatif clair, il n'est pas souhaitable que les tribunaux innovent : Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, par. 112. La promulgation de nouvelles règles de droit fiscal doit plutôt être laissée au législateur : Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, par. 41.


[26] Selon le juge Archambault, le revenu tiré d'une pension alimentaire ne peut provenir de deux sources. Il s'agit selon lui d'un revenu provenant d'"autres sources" et puisque les règles applicables au calcul de ce type de revenu ne comportent aucune disposition permettant la déduction de frais judiciaires, personne n'y a droit.

[27] Je ne crois pas que les sources de revenu soient aussi étanches que le laisse entendre le juge Archambault. Autant il est vrai que la grande partie des "Autres sources" de revenu prévues à la sous-section d sont indépendantes des sources expressément reconnues à l'article 3 (emploi, entreprise ou bien), il est inexact d'affirmer que ces "Autres sources" ne peuvent jamais remonter à celles mentionnées à l'article 3 et être assujetties aux mêmes règles.

[28] Le revenu provenant d'une pension alimentaire illustre bien comment deux sources, distinctes en apparence, peuvent se confondre. Même si l'imposition des pensions alimentaires en tant que revenu est explicitement prévue à la sous-section d qui traite d'"Autres sources", il n'en demeure pas moins que le droit à une pension alimentaire est un "bien" selon la Loi. Si le droit à une pension alimentaire est un "bien", il est difficile de l'en dissocier du revenu qui découle de l'exercice de ce droit. C'est pourquoi les tribunaux se sont permis au cours des années d'accorder la déduction de frais afférents à une pension alimentaire dans les circonstances que nous avons vues en invoquant la sous-section b et en particulier l'alinéa 18(1)a).


[29] N'eut été de cette jurisprudence bien ancrée, la thèse développée par le juge Archambault serait fort défendable. Mais au point où nous en sommes, j'ai peu de difficulté à conclure qu'un revenu issu d'une pension alimentaire est un revenu de bien et qu'à ce titre, les dépenses encourues pour en obtenir le paiement peuvent être déduites en vertu des règles prévues à la sous-section b.

[30] Comme l'a rappelé le juge Bowie dans l'affaire Sabour (supra), il s'agit là du traitement que prône et applique le ministre depuis plus de 40 ans. Il est loisible de croire que si ce traitement était en quelque point contraire aux voeux du Parlement, une modification aurait été apportée.

[31] Du point de vue gouvernemental, le traitement des dépenses reliées aux pensions alimentaires ne revêt pas un intérêt passager. Cette façon de faire qui perdure depuis plus de 40 ans a un impact sur les finances publiques en plus de soulever d'importantes questions de politique sociale. L'état du droit en la matière n'est certes pas passé inaperçu. Malgré son ardent plaidoyer, le législateur ne peut manifestement pas avoir l'intention que lui attribue le juge Archambault.


[32] Les amendements à la Loi qui accompagnèrent la décision prise en 1997 de ne plus imposer les pensions alimentaires destinées aux enfants du mariage sont, à cet égard, sans équivoque. Cette décision aurait pu avoir un impact significatif sur la déduction que pouvaient réclamer les récipiendaires de pensions alimentaires sous l'alinéa 18(1)a) puisque l'alinéa 18(1)c) stipule qu'aucune dépense ne peut être déduite "à l'égard d'un bien dont le revenu serait exonéré".

[33] Afin de maintenir le droit à la déduction, le législateur a amendé la définition de "revenu exonéré" au paragraphe 248(1) en précisant que la partie de la pension destinée aux enfants, même si elle est dorénavant non-imposable, ne constitue pas un revenu exonéré. De toute évidence, cet amendement serait sans objet si le législateur considérait que le revenu provenant d'une pension alimentaire n'était pas un revenu de bien au sens de la sous-section b.

[34] Il ressort de ceci que non seulement le législateur s'est-il accommodé de la solution jurisprudentielle au cours des années, il est intervenu afin de la préserver face à un amendement qui aurait eu comme effet de l'écarter. Cette solution jurisprudentielle, je le rappelle, est fonction du fait que le revenu issu d'une pension alimentaire est un revenu de bien, et qu'à ce titre, les dépenses encourues pour gagner ce revenu peuvent être déduites.

[35] J'en viens donc à la conclusion à l'instar de la majorité des juges de la Cour canadienne de l'impôt que la thèse du juge Archambault doit être rejetée.


[36] Ceci nous mène à l'argument du demandeur selon lequel l'alinéa 18(1)a) serait contraire à la Charte. Le demandeur qui n'a pas signifié d'avis de question constitutionnelle devant la Cour canadienne de l'impôt a remédié à ce défaut devant nous. Tel que dit précédemment, le demandeur allègue que l'alinéa 18(1)a) est contraire à la Charte puisqu'il a comme effet de traiter de façon différente le payeur et le récipiendaire d'une pension alimentaire.

[37] L'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu peut conduire à une différence de traitement, mais ce ne sont pas toutes les distinctions qui sont discriminatoires. Dans l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, M. le juge Iacobucci a déclaré à la page 531 :

[...] Une analyse relative au par. 15(1) n'a pas pour objet de juger de l'égalité dans l'abstrait. Son objet est plutôt de déterminer si les dispositions législatives contestées créent entre le demandeur et les autres, sur le fondement des motifs énumérés ou de motifs analogues, une différence de traitement qui entraîne de la discrimination. [...]

Le demandeur n'a pas même tenté de démontrer que la distinction créée par l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu est fondée sur un motif énuméré ou sur un motif analogue comme l'exige le paragraphe 15(1) de la Charte. De plus, en l'absence de preuve contextuelle sur laquelle la Cour pourrait fonder sa décision, il serait inopportun de tenter de trancher cette question. Voir par exemple MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, et Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241.


[38] Les motifs du premier juge peuvent laisser sous-entendre que la discrimination dont se réclame le demandeur serait fondée sur la caractéristique personnelle qu'est le sexe. J'ai lu la transcription de l'audition devant la Cour canadienne de l'impôt ainsi que la preuve et la procédure écrite et nulle part n'y est-il fait mention de discrimination basée sur le sexe. Les prétentions du demandeur se limitent à dire que les frais judiciaires devraient être assujettis au même traitement pour chacun des ex-conjoints et que l'alinéa 18(1)a) est contraire à la Charte dans la mesure où il ne permet pas ce résultat.

[39] Même en inférant que l'argument de la Charte est fondé sur le sexe, rien ne suggère que le demandeur entendait ou aurait été en mesure de fournir une preuve de discrimination basée sur le sexe si le juge Archambault lui avait donné l'occasion de la faire. Comme le disait la Cour suprême dans Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695 (aux pages 764 et 765), l'on ne peut évidemment pas présumer qu'une disposition législative possède un effet discriminatoire fondé sur le sexe lorsque la preuve n'en est pas faite. L'attaque constitutionnelle ne saurait donc réussir.

[40] Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Étant donné les décisions contradictoires en Cour canadienne de l'impôt, je ne ferais aucune adjudication quant aux dépens malgré le rejet de la demande.

                    "Marc Noël"                     

j.c.a.

"Je suis d'accord.

J. Richard j.c."

"Je suis d'accord.

Gilles Létourneau j.c.a."



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