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Date: 19991122


Dossier: A-687-98

     OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI, 22 NOVEMBRE 1999



PRÉSENT(S):      LE JUGE DÉCARY

             LE JUGE LÉTOURNEAU

             LE JUGE NOËL


ENTRE:

     LISE BOUCHARD

     Appelante

ET:

     MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

     - et -

     GÉNÉRAL MAURICE BARIL

     CHEF D'ÉTAT MAJOR DE LA DÉFENSE NATIONALE

     Intimés



     JUGEMENT



         L'appel est rejeté sans frais.


     "Robert Décary"

     j.c.a.




Date: 19991122


Dossier: A-687-98

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL



ENTRE:

     LISE BOUCHARD

     Appelante

ET:

     MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

     - et -

     GÉNÉRAL MAURICE BARIL

     CHEF D'ÉTAT MAJOR DE LA DÉFENSE NATIONALE

     Intimés




     Audience tenue à Montréal (Québec), le mercredi, 10 novembre 1999


     Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le lundi, 22 novembre 1999




MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE DÉCARY

     LE JUGE NOËL





Date: 19991122


Dossier: A-687-98

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL



ENTRE:

     LISE BOUCHARD

     Appelante

ET:

     MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

     - et -

     GÉNÉRAL MAURICE BARIL

     CHEF D'ÉTAT MAJOR DE LA DÉFENSE NATIONALE

     Intimés





     MOTIFS DU JUGEMENT



LE JUGE LÉTOURNEAU



[1]      Le juge de la Section de première instance (le juge) était-il justifié de conclure que l'appelante n'avait pas choisi le bon véhicule procédural pour faire réviser sa décision de démissionner de la Fonction publique fédérale? De même, avait-il raison de conclure que la Cour fédérale n'avait pas juridiction, puisqu'il ne s'agissait pas d'une "décision" au sens de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, pour contrôler l'annonce faite à l'appelante, par le bureau du juge-avocat général de la Défense nationale, qu'elle ne pouvait être réintégrée dans ses fonctions?

[2]      Voilà les deux questions qui nous sont soumises mais qui, pour leur compréhension et celle de la conclusion à laquelle nous en sommes venus, requièrent une énonciation minimale de certains faits et de la procédure qui leur a servi de véhicule.

Faits et procédure

[3]      L'appelante qui se représente seule a démissionné du poste de magasinier de groupe qu'elle occupait au sein de la Défense nationale. Le 27 novembre 1997, elle a informé son employeur qu'elle se portait volontaire pour bénéficier de l'un des programmes de retraite anticipée offert par le gouvernement fédéral, ce qui fut effectivement fait. Son poste a été éliminé et elle a été rayée des effectifs de la Fonction publique le 1er avril 1998.

[4]      Durant sa période d'emploi, elle s'est plainte à maintes reprises de harcèlement par ses compagnons de travail et sur les lieux de travail. Elle prétend que c'est de guerre lasse, désespérée et à cause d'une santé chancelante due au harcèlement et au climat malsain de travail qu'elle s'est résignée à prendre une retraite anticipée. Un rapport d'enquête interne du Ministère de la Défense nationale (Ministère) confirme la vraisemblance du lien entre les événements et l'état de santé précaire de l'appelante (Dossier d'appel, page 93, paragraphe d.).

[5]      Sortie d'un milieu qu'elle considérait hostile, menaçant et angoissant, elle a, le 15 mai 1998, soit 15 jours après l'abolition de son poste, demandé à être réintégrée dans ses fonctions en alléguant que sa décision de prendre une retraite anticipée n'était pas libre et éclairée et qu'elle n'avait pas la capacité mentale de prendre une telle décision compte tenu des événements ci-auparavant décrits.

[6]      Suite à sa demande de réintégration, elle reçoit, le 10 juillet 1998, du lieutenant-colonel Crowe du Bureau du juge-avocat général, une lettre de refus dont l'extrait suivant est particulièrement pertinent au litige:

     J'ai discuté le cas de Mme Bouchard avec les responsables du bureau du personnel civil de la Fonction publique fédérale. Je dois à regret vous informer que je viens d'apprendre que les autorités du ministère de la défense régissant l'emploi du personnel civil m'ont avisé qu'il n'est pas question de réintégrer Mme Bouchard dans la fonction publique fédérale, ni de lui payer une compensation.

     (le souligné est de moi)

[7]      Le 27 juillet 1998, l'appelante présente une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de ce refus exprimé dans la lettre du 10 juillet par laquelle elle demande la réintégration dans ses fonctions, une indemnité pécuniaire pour les dommages subis et une compensation pour la perte d'emploi.

[8]      Les intimés contre-attaquent immédiatement en déposant une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire faite par l'appelante. Le protonotaire, Me Morneau, accueille en partie la requête des intimés. Il conclut, à l'encontre des prétentions des intimés, que la lettre du 10 juillet 1998 informant l'appelante du refus du Ministère de la réintégrer dans ses fonctions est une décision au sens de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale sujette à une procédure de contrôle judiciaire.

[9]      Toutefois, à bon droit, il ordonne que soient rayées de la demande de contrôle judiciaire les conclusions de l'appelante relatives à la compensation monétaire pour le dommage subi et la perte d'emploi.

[10]      Les intimés ont porté cette décision en appel et le juge a accueilli celui-ci, étant d'avis que ladite lettre du 10 juillet 1998 ne contenait pas de décision au sens de l'article 18.1. Conséquemment, le Cour fédérale n'avait pas compétence ratione materiae pour entendre la demande de contrôle judiciaire.

[11]      En outre, il était d'avis que l'appelante n'avait pas utilisé le véhicule procédural approprié pour faire réviser et annuler sa décision de démissionner.

Analyse de la décision

[12]      Une demande de radiation d'une demande de contrôle judiciaire est une procédure qui doit être utilisée dans des cas très exceptionnels et la Cour ne peut rejeter sommairement une demande de contrôle judiciaire que si celle-ci est manifestement irrégulière au point de n'avoir aucune chance de succès (David Bull Laboratories c. Pharmacia Inc. [1995] 1 C.F. 588, à la p. 600 (C.A.F.)). C'est dans ce contexte bien étroit et bien restrictif que doit se décider le présent appel.

[13]      J'ajouterais qu'au surplus, les intimés n'ont pas plaidé devant nous qu'il y avait lieu de rejeter la demande de contrôle judiciaire au motif qu'elle ne révélait aucune cause d'action et que, par conséquent, elle était vouée à l'échec et devait donc faire l'objet d'une radiation immédiate. Ils s'en sont tenus aux deux motifs retenus par le juge pour rejeter l'appel.

[14]      Il ne nous appartient pas à ce stade de décider du mérite même de la demande de contrôle judiciaire de l'appelante. Le fait que celle-ci se représente seule dans un tel méandre procédural rend l'exercice entrepris particulièrement et inutilement périlleux. Ceci dit, je crois qu'elle a raison lorsqu'elle prétend que le juge s'est mépris quant à la nature et la portée de la lettre du 10 juillet 1998 l'informant du refus du Ministère de la réintégrer dans ses fonctions.

[15]      Tout d'abord, il ne fait aucun doute que cette lettre emporte une décision négative quant à la demande de réintégration de l'appelante qui peut affecter ses droits.

[16]      Deuxièmement, cette décision n'émane pas du lieutenant-colonel Crowe agissant à titre d'office fédéral comme ont semblé le croire le protonotaire et le juge, mais bien des autorités du Ministère régissant l'emploi du personnel civil après discussion et consultation avec les responsables du personnel civil de la Fonction publique fédérale. En d'autres termes, la décision a été prise par le Ministère de concert avec les autorités de la Fonction publique fédérale. Le Ministère est un office fédéral ou, selon la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale, un organisme exerçant ou censé exercer (purporting to exercise) une compétence prévue par une loi fédérale. Le refus de la division du personnel du Ministère de réintégrer l'appelante, même s'il peut s'avérer bien fondé, ne cesse pas pour autant d'être une décision d'un office fédéral.

[17]      En outre, contrairement à ce qu'a pu croire le juge, la décision du Ministère de ne pas réintégrer l'appelante dans ses fonctions n'en est pas moins une décision parce qu'elle a été ou a pu être induite par l'acte unilatéral de l'appelante de démissionner. En d'autres termes, ce n'est pas parce que le Ministère se croit justifié de ne pas réintégrer l'appelante vu qu'elle avait démissionné d'elle-même que la décision de ne pas la réintégrer n'est pas une décision.

[18]      Ceci m'amène à la deuxième conclusion prise par le juge, conclusion qu'il a énoncée sans explicitation, soit que la demande de contrôle judiciaire exercée par l'appelante n'est pas le bon véhicule pour faire déclarer nul et de nul effet son acte unilatéral de démission.

[19]      À cet égard, les intimés soutiennent que le recours approprié est une action en déclaration de nullité de la démission que l'appelante aurait dû prendre en Cour supérieure du Québec, ce qui exclut la Cour fédérale. Ils fondent leurs prétentions sur l'arrêt de la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Tardif c. Montréal (Ville)1 où une semblable poursuite fut intentée mais rejetée, l'employé n'ayant pu finalement établir son incapacité au moment où il a démissionné de ses fonctions.

[20]      Avec respect, je crois que la situation de l'appelante en l'espèce est différente car, contrairement à ce qui s'est passé dans l'affaire Tardif où M. Tardif a démissionné de son propre chef à cause de l'usage qu'il faisait de stupéfiants, l'appelante allègue que son incapacité de remettre une démission valable a été engendrée par la faute de son employeur, lequel aurait permis qu'elle soit victime de harcèlement par des personnes en autorité qui le représentent. Dans la mesure où la démission de l'appelante résulte de la faute de l'employeur et que l'appelante était une employée du Gouvernement fédéral, je ne doute aucunement que, s'il existe un recours judiciaire, celui-ci serait du ressort de la Cour fédérale.

[21]      Les intimés prétendent que, dans ce contexte, il n'existe pas de recours judiciaire puisque l'appelante était une employée de la Fonction publique à durée indéterminée, régie par une convention collective, et donc soumise au régime de griefs et d'arbitrage prévu aux articles 91 et suivants de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C., 1985, ch. P-35 (Loi). Je crois que sur ce point, les arrêts St. Anne Nackawic Pulp & Paper c. CPU, [1986] 1 R.C.S. 704, Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, Nouveau-Brunswick c. O'Leary, [1995] 2 R.C.S. 967 et Gendron c. SAS de l'AFPC, [1990] 1 R.C.S. 1298 leur donnent raison.

[22]      Il est vrai que, dans les affaires O'Leary et Weber, l'arbitre avait une compétence exclusive et que le recours à l'arbitrage était obligatoire alors qu'au niveau fédéral, la Loi parle en termes de droit d'un fonctionnaire de présenter un grief et de le renvoyer à l'arbitrage, rendant ainsi cette dernière procédure facultative. En fait, un fonctionnaire, et j'ajoute que ce n'est pas le cas de l'appelante, ne peut présenter un grief si un autre recours de réparation lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale. Il doit alors soumettre sa plainte à cette autorité qui, en vertu de la Loi, a compétence à son égard: Cooper (Re), [1974] F.C.J. no. 1016 (F.C.A. par le juge Pratte interprétant la réserve prévue au paragraphe 91(1) de la Loi)2.

[23]      Il est aussi vrai que la Loi ne contient pas de clause privative. De fait, le paragraphe 96(3) stipule que la décision rendue au dernier palier de la procédure de grief est finale et obligatoire, et, s'il ne s'agit pas d'un cas qui peut être renvoyé à l'arbitrage, aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la Loi à l'égard du grief ainsi tranché.



     Art. 96
     Décision définitive et obligatoire
     (3) Sauf dans le cas d'un grief qui peut être renvoyé à l'arbitrage au titre de l'article 92, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché.

[24]      Cette formulation n'exclut pas en soi le recours à des remèdes externes.

[25]      Mais selon l'approche moderne prévalant en matière de relations de travail, les litiges qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent aux tribunaux qui, toutefois, "possèdent une compétence résiduelle fondée sur leurs pouvoirs particuliers", tel par exemple le pouvoir d'émettre une injonction en cas de grève illégale (Weber, précité, à la page 957 et St. Anne Nackawic, précité, à la page 728). Se classent parmi les sujets à l'égard desquels les tribunaux n'ont pas de compétence: un congédiement déguisé ou injustifié, la mauvaise foi de la part du syndicat, une coalition et le préjudice à la réputation (Weber, précité, à la page 957).

[26]      Dans le cas qui nous est soumis, l'appelante a, selon ses allégations, démissionné suite au harcèlement dont elle était victime en milieu de travail de la part de ses supérieurs. Il serait certes possible pour un arbitre de conclure légalement que le refus des intimés, dans les circonstances, de réintégrer l'appelante dans ses fonctions constitue un congédiement déguisé (constructive dismissal). En conséquence, je crois que la Cour n'a pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire de l'appelante et que la requête en radiation de ladite demande est bien fondée.


[27]      Pour ces motifs, l'appel sera rejeté sans frais.




     "Gilles Létourneau"

     j.c.a.

"Je suis d'accord

     Robert Décary j.c.a."

"Je suis d'accord

     Marc Noël j.c.a."

__________________

1      [1990] A.Q. no. 471. Voir aussi Lamonde c. Brasserie Labatt Ltée, [1995] R.J.Q. 429 (C.S.).

2      L'article 91(1) se lit:      Droit du fonctionnaire      91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé:      a) par l'interprétation ou l'application à son égard:          (i) soit d'une disposition législative, d'un règlement - administratif ou autre -, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,          (ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;      b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

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