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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. RhoxalPharma Inc. (C.A.F.) [2005] 3 C.F. 261

Date : 20050214

Dossier : A-213-04

Référence : 2005 CAF 11

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                        RHOXALPHARMA INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                                                                                   (défenderesse)

                                                                             et

                 NOVARTIS PHARMACEUTICALS CANADA INC. et NOVARTIS AG

                                                                                                                                              intimées

                                                                                                                                (demanderesses)

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

(défendeur)

                                   Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2004

                                     Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 février 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                   LA JUGE DESJARDINS

Y A SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NADON

MOTIFS DISSIDENTS :                                                                            LE JUGE PELLETIER


Date : 20050214

Dossier : A-213-04

Référence : 2005 CAF 11

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                        RHOXALPHARMA INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                                                                                   (défenderesse)

                                                                             et

                 NOVARTIS PHARMACEUTICALS CANADA INC. et NOVARTIS AG

                                                                                                                                              intimées

                                                                                                                                (demanderesses)

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                  intimé

                                                                                                                                         (défendeur)

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DESJARDINS

[1]                La présente instance a été introduite en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement).


[2]                Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. et Novartis AG (collectivement appelées Novartis) sont propriétaires du brevet no 1308656 (le brevet 656) qui vise une préparation pharmaceutique contenant un hydrosol, c'est-à-dire une dispersion de petites particules solides dans un liquide ( « hydro » veut dire « eau » et « sol » signifie « solide » ). Les petites particules solides sont des particules de cyclosporine, qui est l'ingrédient actif. (Dans la version anglaise des présents motifs du jugement, j'emploie le mot « cyclosporin » , qui est le terme utilisé dans le brevet 656, alors que le juge de première instance et les parties parlent de « cyclosporine » .)

[3]                Novartis reconnaît que les capsules de 25 mg et de 50 mg de cyclosporin commercialisées par RhoxalPharma Inc. (Rhoxal) ne contiennent pas d'hydrosol. Elle prétend néanmoins que la vente des capsules de Rhoxal contrefait le brevet 656 parce que les capsules en question forment un hydrosol dans l'organisme du patient une fois que la capsule est ingérée par celui-ci.

[4]                Le 17 mars 2004, le juge Lemieux a conclu (Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. RhoxalPharma (2004), 250 F.T.R. 218) que le brevet 656 visait effectivement un hydrosol généré après l'ingestion de la capsule. Il a fait droit à la demande de Novartis et a interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Rhoxal relativement à ses capsules de cyclosporine de 25 mg et de 50 mg.

[5]                La question en litige dans le présent appel porte sur la portée de la revendication 2a) du brevet 656 et sur la question de savoir si elle peut être interprétée comme englobant un hydrosol formé in situ, dans l'estomac humain.


LE JUGEMENT FRAPPÉ D'APPEL

[6]                Le 31 janvier 2002, Rhoxal a fait parvenir aux intimées un avis d'allégation portant sur des capsules de cyclosporine de 25 mg et de 50 mg sous forme de gel mou pour administration par voie orale. Rhoxal affirmait qu'elle ne contrefaisait pas le brevet 656 parce que sa préparation pharmaceutique, qui renferme une solution (la formulation de Rhoxal), ne contient pas l'hydrosol décrit et revendiqué dans le brevet 656. À l'appui de cette assertion, Rhoxal alléguait que ses capsules de 25 mg et de 50 mg étaient essentiellement identiques à ses capsules de 100 mg et que seule la quantité des ingrédients était différente. Or, ajoutait-elle, dans une décision visant les mêmes parties (Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. RhoxalPharma Inc. (2001), 194 F.T.R. 143), la juge Tremblay-Lamer avait conclu que les capsules de 100 mg ne contrefaisaient pas le brevet 656 de Novartis.

[7]                La revendication 2a) du brevet de Novartis, la seule revendication en litige, est ainsi libellée :

2. traduction] 1. Une préparation pharmaceutique dont l'agent actif contient une cyclosporine, ladite préparation renfermant :

a)             soit un hydrosol, dont les particules contiennent ledit agent actif sous forme solide, ont un diamètre de 1 à 10 000 nanomètres, et sont stabilisées de telle façon que leur distribution granulométrique demeure constante;

[Non souligné dans l'original.]

[8]                Le juge Lemieux a conclu, aux paragraphes 194, 221 et 237 de ses motifs, que la capsule de Rhoxal, une fois ingérée, forme inévitablement un hydrosol lorsqu'elle entre en contact avec l'eau et les sucs gastriques présents dans l'estomac.


[9]                Il a fait observer, au paragraphe 75 de ses motifs, que Novartis lui avait soumis une preuve abondante, par l'entremise de MM. Michael Ambühl et James McGinity, sur la façon dont la revendication 2a) du brevet 656 devait être interprétée eu égard au sens que des personnes versées dans l'art de la formulation des préparations pharmaceutiques donnent à l'expression « préparation pharmaceutique » . Il a signalé que ces éléments de preuve n'avaient pas été présentés à la juge Tremblay-Lamer, qui disposait uniquement du témoignage de M. Louis Cartilier lorsqu'elle a décidé que les capsules de 100 mg ne contrefaisaient pas le brevet de Novartis. Le juge Lemieux a accordé beaucoup de poids au témoignage de MM. Ambühl et McGinity et il a écarté celui de MM. Harry Brittain et Louis Cartilier, qui s'étaient présentés à la barre pour Rhoxal. En ce qui concerne le témoignage de M. Cartilier, voici ce que le juge Lemieux dit, au paragraphe 185 de ses motifs :

[185] ... il est clair qu'il a fourni ce témoignage du point de vue d'un pharmacien qui exécute des ordonnances et non d'une personne versée dans l'art de formuler un médicament.

[10]            Le juge Lemieux formule sa conclusion au paragraphe 221 de ses motifs :

[221] Interprétant la revendication 2a) du brevet 656 de façon téléologique par un examen de l'ensemble de la divulgation et des revendications et m'étant fait expliquer la signification des termes de la revendication par des experts versés dans l'art de la formulation des préparations pharmaceutiques, j'en ai conclu qu'une forme d'hydrosol in situ est comprise dans la portée de la revendication comme préparation pharmaceutique comprenant un hydrosol. Une « préparation pharmaceutique » , selon l'interprétation qu'il convient de lui donner, ne se limite pas à un hydrosol préparé avant l'ingestion, et la revendication 2a) ne se limite pas à des applications parentérales.

[Non souligné dans l'original.]


[11]            Il explique l'essence de l'invention dans les termes suivants :

[224] Je ne pense pas qu'on puisse remettre en question que l'essence de l'invention dont il est question dans le brevet 656 tient à la création d'un hydrosol de particules solides de cyclosporine sous une forme stable dont le diamètre en nanomètres se situe dans la fourchette de dimensions spécifiée. Le but de cet hydrosol est de faire en sorte que la cyclosporine du médicament soit plus solide et plus stable de façon à pouvoir être absorbée plus facilement dans l'organisme humain et être ainsi plus efficace.

[12]            Il a rejeté l'argument de Rhoxal suivant lequel l'expression « préparation pharmaceutique » devait se limiter aux préparations avant l'ingestion. Il a déclaré ce qui suit :

[236] Enfin, je trouve artificiel l'argument de Rhoxal selon lequel le terme « préparation pharmaceutique » devrait se limiter aux préparations avant l'ingestion; un tel argument privilégie la forme plutôt que la substance.

[237] Le témoignage de MM. Ambühl et McGinity montre clairement qu'une préparation pharmaceutique peut prendre plusieurs formes à cause des transformations qui s'opèrent. Les personnes versées dans l'art savent bien que ces transformations peuvent survenir in situ de façon que l'invention puisse exercer ses bienfaits in situ, c'est-à-dire remplir la fonction pour laquelle elle a été conçue. La capsule de Rhoxal, une fois ingérée, forme inévitablement un hydrosol lorsqu'elle entre en contact avec l'eau ou les sucs gastriques dans l'estomac.

[238] Je conclus qu'un hydrosol formé in situ est une préparation pharmaceutique visée par la revendication 2a) du brevet 656.

[Non souligné dans l'original.]

[13]            Il a également fait reposer sa conclusion sur la théorie des équivalents :

[247] Sur la foi de son témoignage, je conclus qu'un hydrosol de particules de cyclosporine dont le diamètre en nanomètres est dans la fourchette spécifiée et qui est formé in situ est équivalent àun hydrosol de particules de cyclosporine ayant les mêmes spécifications et formé à l'extérieur de l'organisme.


THÈSE DE RHOXAL

[14]            Rhoxal affirme que le juge de première instance a commis une erreur dans son interprétation du brevet 656. Elle soutient que le brevet n'englobe pas l'hydrosol formé dans l'estomac du patient après l'ingestion. À son avis, le brevet n'a pas pour objet de créer un hydrosol pour améliorer l'absorption de la cyclosporine, mais bien de créer un hydrosol stabilisé dont la taille des particules est fixe et qui peut être administré sans danger par injection, notamment par voie intraveineuse.

[15]            Rhoxal soutient que la revendication 2a) vise uniquement « une préparation pharmaceutique [...] renfermant [...] un hydrosol » . La revendication ne vise pas les préparations pharmaceutiques qui ne contiennent pas d'hydrosol et elle ne parle pas d'hydrosol formé in situ. Rhoxal soutient qu'il ressort des revendications, eu égard à la divulgation et aux exemples, que l'intention du titulaire du brevet était que l'hydrosol se forme avant l'ingestion.


[16]            Enfin, Rhoxal affirme que les capsules de 25 mg et de 50 mg sont identiques aux capsules de 100 mg qui ont fait l'objet de la décision rendue par la juge Tremblay-Lamer, laquelle lui a donné gain de cause. Dans cette affaire, Novartis avait interjeté appel de la décision, mais le ministre avait délivré l'avis de conformité avant que l'appel ne soit instruit. L'appel a par la suite été rejeté parce qu'il était devenu sans objet (Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. RhoxhalPharma Inc. (2001), 16 C.P.R. 4th 188 (C.A.F)). Dans le cas qui nous occupe, le ministre n'a pas encore délivré d'avis de conformité. Compte tenu toutefois du fait que, hormis la forme posologique, les capsules de 25 mg et de 50 mg en litige sont identiques aux capsules de 100 mg, Rhoxal fait valoir que la question a déjà été tranchée par la juge Tremblay-Lamer. En conséquence, soutient Rhoxal, le juge Lemieux aurait dû appliquer le principe de l'autorité de la chose jugée.

THÈSE DE NOVARTIS

[17]            La thèse des intimées repose sur la proposition que la situation qui nous occupe est différente de celle sur laquelle la juge Tremblay-Lamer était appelée à se prononcer. Non seulement la forme posologique des capsules dans le premier procès était-elle différente, mais la preuve était différente dans les deux cas. Novartis affirme qu'elle est maintenant en mesure de produire des éléments de preuve tendant à démontrer comment une personne versée dans l'art interpréterait l'expression « préparation pharmaceutique » et si cette personne estimerait que cette expression englobe l'hydrosol formé dans l'organisme.

QUESTION PRÉLIMINAIRE : le principe

de l'autorité de la chose jugée

[18]            Le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique-t-il en l'espèce?


[19]            Le juge Lemieux a refusé d'appliquer le principe de l'autorité de la chose jugée. Il a supposé, sans trancher la question, que les conditions d'application de l'irrecevabilité résultant de l'identité des faits générateurs du litige et celles de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige étaient réunies. Il a toutefois précisé que la Cour devait aussi décider, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, s'il y avait lieu de déclarer l'irrecevabilité. Cette proposition, a-t-il écrit, était fondée sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460 (Danyluk), dans lequel le juge Binnie, au paragraphe 63 de ses motifs, cite les propos tenus par le juge Finch de la Cour d'appel (devenu par la suite juge en chef de la Colombie-Britannique) dans l'arrêt Bugbusters Pest Management Inc. (1998), 50 B.C.L.R. (3d) 1, au paragraphe 32, où il explique que l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige est [traduction] « une doctrine issue de l'equity [qui] présente des liens étroits avec l'abus de procédure. Elle se veut un moyen de rendre justice et de protéger contre l'injustice. Elle implique inévitablement l'exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire pour assurer le respect de l'équité selon les circonstances propres à chaque espèce. »

[20]            Dans l'arrêt Danyluk, le juge Binnie précise bien, au paragraphe 33, que les règles relatives à l'irrecevabilité découlant de l'identité des questions en litige ne doivent pas être appliquées machinalement. Il énumère un certain nombre de facteurs que doit soupeser le juge, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, lorsqu'il doit se prononcer sur des décisions rendues par des tribunaux administratifs, comme c'était le cas dans l'affaire Danyluk. Le juge Lemieux a reconnu que certains de ces facteurs n'étaient pas pertinents lorsque la décision en cause est une décision judiciaire, comme celle qu'a rendue la juge Tremblay-Lamer en l'espèce. Il a retenu les deux facteurs suivants : existence d'un droit d'appel et risque d'injustice, ce dernier étant le facteur le plus important.


[21]            Le juge Lemieux a conclu (au paragraphe 192) qu'eu égard aux observations formulées par Rhoxal devant la Cour d'appel fédérale lors de l'appel interjeté à l'encontre de la décision de la juge Tremblay-Lamer, l'application de ces deux formes d'irrecevabilité créerait une injustice flagrante envers Novartis. Dans cette affaire, Rhoxal avait reconnu que, si elle devait envoyer des avis d'allégation pour des formes posologiques autres que celles de 100 mg, il faudrait nécessairement produire devant la Cour de nouveaux éléments de preuve portant sur ces formes posologiques (dossier d'appel, vol. II, aux pages 337 à 340).

[22]            Il semblerait que le juge Lemieux n'ait pas eu tort de supposer que les conditions d'application de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige étaient réunies (on trouve une énumération de ces conditions préalables dans l'arrêt Danyluk, précité, au paragraphe 25). La question opposait les mêmes parties. Elle était identique dans les deux cas. Et parce que l'appel formé contre la décision de la juge Tremblay-Lamer était devenu théorique, la décision de cette dernière est devenue définitive.

[23]            Il convient de donner quelques explications au sujet de l'identité des questions litigieuses soumises respectivement au juge Lemieux et à la juge Tremblay-Lamer.


[24]            Selon les sous-alinéas 5(1)b)(i) à (iv) du Règlement, la seconde personne doit alléguer, dans son avis d'allégation, une de quatre choses. En l'espèce, Rhoxal allègue, en ce qui concerne le sous-alinéa 5(1)b)(iv), qu'[traduction] « aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par nous de capsules molles contenant de la cyclosporine » . Ce sont pratiquement les mêmes mots que ceux que l'on retrouve dans l'avis d'allégation soumis à la juge Tremblay-Lamer.

[25]            L'avis d'allégation de Rhoxal renferme les renseignements exigés par les alinéas 5(3)a) et 5(3)c), y compris « un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels [l'allégation] se fonde » et « une description de la forme posologique, de la concentration et de la voie d'administration de la drogue » . Le fondement juridique et factuel de l'allégation relative au brevet 656 dans l'avis d'allégation soumis à la juge Tremblay-Lamer était identique.

[26]            Les renseignements soumis au juge Lemieux au sujet de la forme posologique, de la concentration et de la voie d'administration de la drogue indiquaient : « Les capsules, destinées à l'administration par voie orale, auront des concentrations de 25 mg et de 50 mg » , alors que l'avis d'allégation soumis à la juge Tremblay-Lamer portait : « Les capsules auront une concentration de 25 mg et de 100 mg et elles seront administrées par voie orale » . La juge Tremblay-Lamer ne s'est toutefois prononcée que sur les capsules de 100 mg.

[27]            Les deux avis d'allégation relatifs au brevet 656 diffèrent sur le plan de la forme posologique. Bien qu'elle puisse constituer une différence importante dans le contexte de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27, la forme posologique n'est pas importante dans le contexte du Règlement, comme on le constate à l'évidence lorsqu'on en examine l'objet.


[28]            Le Règlement a été pris en application du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4. Suivant ce paragraphe, le Règlement a pour objet « d'empêcher la contrefaçon d'un brevet d'invention par l'utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d'une invention brevetée au sens du paragraphe (1) » . La forme posologique n'est donc pertinente que dans la mesure où elle se rapporte à la contrefaçon d'un brevet déterminé. Dans le cas qui nous occupe, la forme posologique ne semble pas pertinente étant donné que le brevet 656, qui se rapporte à une formulation, n'est pas un brevet portant sur une forme posologique particulière.

[29]            En revanche, le Règlement sur les aliments et drogues (C.R.C., ch. 870) a été pris en application de l'article 30 de la Loi sur les aliments et drogues. Cet article habilite le gouverneur en conseil à prendre des règlements pour « prévenir » notamment « des risques pour la santé [des acheteurs et des consommateurs] » . On constate aisément que la forme posologique constitue dans bien des cas un facteur important pour se prononcer sur l'opportunité de délivrer un avis de conformité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues (voir le Règlement sur les aliments et drogues, alinéas C.08.002.(2)k) et l); C.08.003(2)h) et i); C.08.004(1)a) et b)).

[30]            La seule question qui était en litige devant la juge Tremblay-Lamer et devant le juge Lemieux était celle de savoir si la formation d'un hydrosol après ingestion de la capsule de Rhoxal contrefaisait le brevet 656 de Novartis. La forme posologique n'a rien à voir avec cette analyse.


[31]            Ayant supposé que les conditions d'application de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige étaient réunies, le juge Lemieux a décidé d'exercer son pouvoir discrétionnaire. Sa conclusion ne peut donc être infirmée que s'il a appliqué un mauvais principe, s'il a mal apprécié les faits ou si sa décision entraînerait une injustice flagrante (Jansen Phamaceutica c. Apotex Inc. (1998), 82 C.P.R. (3d) 574 (C.A.F.); Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.), à la page 213).

[32]            Le juge Lemieux a-t-il appliqué un mauvais principe?

[33]            C'est à bon droit que le juge Lemieux a signalé (au paragraphe 191 de sa décision) les deux facteurs les plus importants qui s'appliquent au cas qui nous occupe : l'existence d'un droit d'appel et le risque d'injustice. Le juge Lemieux était peut-être justifié de tenir compte des observations formulées par Rhoxal devant notre Cour dans le cadre de l'appel de la décision de la juge Tremblay-Lamer, mais en fin de compte, ces observations ont eu peu d'effet, si l'on considère que notre Cour a estimé que l'appel était devenu sans objet par suite de la délivrance de l'avis de conformité.

[34]            Le juge Lemieux était toutefois bien placé pour exercer son pouvoir discrétionnaire.


[35]            Il a signalé dans les motifs de son jugement (au paragraphe 22) que, le 27 mai 2002 (voir [2002] A.C.F. no 1006, paragraphes 23 à 26), il avait été saisi d'une requête présentée par Rhoxal en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement en vue d'obtenir une ordonnance rejetant la demande présentée par Novartis en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Rhoxal des avis de conformité pour les capsules de 25 mg et de 50 mg de Novartis. Rhoxal faisait valoir que la demande de Novartis était redondante, frivole et vexatoire ou qu'elle constituait par ailleurs un abus de procédure, en plus d'affirmer que le principe de l'autorité de la chose jugée devait s'appliquer. Lors des débats, Rhoxal a abandonné son moyen tiré de l'autorité de la chose jugée.

[36]            Le juge Lemieux a estimé que l'application de la doctrine de l'abus de procédure dépendait des circonstances. Il a statué que les circonstances entourant la demande de Novartis étaient uniques et qu'elles étaient nées lorsque Rhoxal avait réussi à faire rejeter pour absence d'objet l'appel formé par Novartis contre le jugement de la juge Tremblay-Lamer. En fin de compte, le juge Lemieux a rejeté la requête de Rhoxal, qui n'a pas fait appel.

[37]            C'est donc la seconde fois que Rhoxal invoque le principe de l'autorité de la chose jugée. Elle l'a soulevé la première fois dans le cadre de l'instance relative à l'abus de procédure, mais elle a abandonné ce moyen. De plus, elle n'a jamais interjeté appel de la décision par laquelle le juge Lemieux avait rejeté son moyen tiré de l'abus de procédure.


[38]            Force m'est donc de conclure que le juge Lemieux a exercé son pouvoir discrétionnaire dans le contexte de la présente affaire, sachant que le principe de l'autorité de la chose jugée avait été invoqué à deux reprises et que l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige est « une doctrine issue de l'equity [qui] présente des liens étroits avec l'abus de procédure » (le juge Binnie dans l'arrêt Daniluk, au paragraphe 63, précité).

[39]            Dans ces conditions, j'estime que nous ne sommes pas justifiés d'intervenir dans la façon dont le juge de première instance a exercé son pouvoir discrétionnaire.

[40]            Le présent appel devrait donc être jugé sur le fond.

ANALYSE DU FOND DE L'APPEL

[41]            La revendication 2a) ne se limite pas à l'administration par voie intraveineuse. Elle vise « une préparation pharmaceutique [...] ladite préparation renfermant soit [...] un hydrosol [...] » .

[42]            Le juge Lemieux s'en est remis à des experts versés dans l'art pour interpréter le sens de l'expression « préparation pharmaceutique » .

[43]            M. Michael Ambühl, expert de Novartis, a expliqué ce qui suit dans son affidavit (dossier d'appel, vol. II, à l'onglet 10, paragraphes 7 à 17) :

[traduction]


7. Enfin, M. Cartilier indique que la revendication 2 du brevet canadien 1308656 (le brevet 656) prétend revendiquer seulement les préparations pharmaceutiques qui ont été obtenues au moment de la fabrication et qu'après l'ingestion par le patient, ce qui arrive à la préparation est assimilable à l'administration de l'ingrédient actif et non pas à un processus continu de préparation. Pour ces raisons, M. Cartilier explique qu'il rejette l'idée même que le brevet 656 pourrait être contrefait par ce qui arrive à la capsule une fois qu'elle est ingérée par le patient.

8. Je ne suis pas d'accord avec ces observations. Une préparation pharmaceutique veut dire un certain nombre de choses pour une personne versée dans l'art. Une préparation pharmaceutique renvoie à cet égard à ce qui est fini au moment de la fabrication et est expédié. Il existe cependant un certain nombre d'autres préparations pharmaceutiques. Par exemple, une préparation pharmaceutique peut être transformée en une seconde préparation pharmaceutique et même peut-être en une troisième, à la suite de l'intervention de personnes autres que le fabricant.

9. Citons l'exemple d'une préparation pharmaceutique comme l'amoxicilline, qui est vendue par le fabricant sous forme de poudre. Ce produit n'est pas encore sous la forme qui peut être prise par le patient. Généralement, ce qui arrive c'est que le pharmacien fabrique une autre préparation pharmaceutique en ajoutant la quantité appropriée d'eau à la poudre et en agitant le produit de façon à obtenir une suspension. C'est ce produit qui est vendu au patient par le pharmacien et ce produit se présente sous une forme différente de celle de la préparation pharmaceutique qui a été expédiée par le fabricant. Il y a souvent une quantité relativement importante d'eau comparativement à la quantité de solides.

10. En outre, lorsque le patient vient pour prendre le produit, celui-ci peut s'être déposé et ne se présente donc plus sous la forme d'une suspension mais plutôt d'une solution avec agrégation de certaines des particules au fond de la bouteille. Le patient crée de cette façon une autre préparation pharmaceutique en l'agitant et ainsi en recréant la suspension.

11. Un autre produit de Novartis, Néo-Citranmd, constitue un autre exemple d'un produit expédié par le fabricant qui devient un autre produit pharmaceutique. Plus particulièrement, Novartis vend Néo-Citranmd sous forme de poudre dans un sachet en pellicule d'aluminium. Le produit n'est pas censé être pris sous cette forme. Bien que cette poudre soit considérée comme une préparation pharmaceutique, une autre préparation pharmaceutique est préparée par le consommateur par l'ajout d'une quantité relativement importante d'eau bouillante.

12. En ajoutant l'eau bouillante à la poudre dans un verre, le patient crée un mélange. En effet, une sorte d'infusion est créée qui est ensuite bue par la personne. Je considérerais cette infusion comme une préparation pharmaceutique de la même façon qu'une préparation pharmaceutique est créée par le pharmacien ou le patient dans le cas de l'amoxicilline.


13. Mentionnons un autre exemple, à savoir le produit de Novartis NÉORALmd qui contient de la cyclosporine. Ce produit se présente sous la forme d'un liquide buvable de même que sous la forme d'une capsule. Pour ce qui est de la préparation liquide buvable, le produit qui est vendu par Novartis n'est pas censé être pris sous cette forme. Ainsi, bien qu'il soit vendu par Novartis, le produit est une préparation pharmaceutique, il n'est pas encore sous la forme sous laquelle il doit être administré et absorbé par le patient. En particulier, les instructions qui accompagnent la solution buvable NÉORALmd indiquent que le produit devrait être pris avec du jus d'orange ou de l'eau ou une autre boisson de ce type. La formulation de cyclosporine, une fois ajoutée au jus d'orange ou à l'eau, prend une forme différente de celle qu'elle avait dans son emballage. Plus particulièrement, dans son emballage, la formulation de cyclosporine se présente sous la forme d'un préconcentré de micro-émulsion et, à l'instar du produit de RhoxalPharma, il s'agit d'une solution dans une capsule. Une fois ajouté au jus d'orange, le produit forme spontanément une micro-émulsion de façon tout à fait analogue à la transformation du produit de RhoxalPharma en un hydrosol. C'est sous la forme de la préparation de micro-émulsion qu'il est ensuite avalé par le patient, ce qui permet l'absorption de l'ingrédient actif, la cyclosporine, dans la circulation sanguine.

14. Les capsules liquides de cyclosporine NÉORALmd fonctionnent de la même manière, avec de légères modifications. En particulier, bien que les capsules orales elles-mêmes constituent une préparation pharmaceutique, cette préparation ne se présente pas cependant sous la forme finale qui assure l'absorption de la cyclosporine. Ce n'est qu'après l'ingestion des capsules orales que le liquide à l'intérieur des capsules entre en contact avec la quantité relativement abondante de fluides dans l'estomac et forme la micro-émulsion dans l'estomac, c'est-à-dire prend la forme d'une préparation qui peut permettre l'absorption de la cyclosporine dans la circulation sanguine.

15. Cela est tout à fait analogue à l'administration de la formulation de RhoxalPharma.

16. Par conséquent, c'est de cette manière que les capsules de cyclosporine liquides de RhoxalPharma sont transformées en un hydrosol qui permet ensuite l'absorption dans la circulation sanguine. Dans les deux exemples de capsules NÉORALmd et des capsules de RhoxalPharma, la préparation telle qu'elle est vendue, ou envisagée d'être vendue, respectivement, par le fabricant n'est pas encore sous une forme qui peut permettre l'administration du médicament. L'encapsulation du produit permet d'éviter tout contact avec l'eau et la gorge et fait en sorte que le contenu dans son centre soit libéré dans l'estomac où il est exposé à une quantité relativement abondante d'eau. Ce n'est qu'au contact avec une quantité relativement importante d'eau dans l'estomac que ces préparations sont transformées en des préparations pharmaceutiques différentes qui, sous la forme soit d'une micro-émulsion ou d'un hydrosol, permettent la libération de l'ingrédient actif dans la circulation sanguine.

17. Je suis donc d'avis que le produit de RhoxalPharma est visé par la revendication 2 du brevet 656 du fait qu'un hydrosol est formé par le produit dans l'estomac. De plus, selon mon interprétation, le terme « préparation pharmaceutique » dans la revendication ne se limite pas à la préparation pharmaceutique qui est vendue par le fabricant, mais comprend les étapes suivies par le pharmacien ou le consommateur pour convertir le produit dans la forme finale de la préparation pharmaceutique qui doit être administrée. Je ne vois aucune raison pour laquelle un produit sous forme de capsule orale contenant un liquide ne devrait pas être visé par la revendication alors qu'une solution liquide buvable le serait.

[Non souligné dans l'original.]


[44]            M. McGinity, expert de Novartis, a déclaré ce qui suit dans son affidavit (dossier d'appel, vol. III, 423, aux pages 426, 427 et 428) :

[traduction]

[21] J'ai examiné la formulation de Rhoxal qui m'a été fournie ainsi que l'affidavit de Michael Ambühl. La formulation de Rhoxal contient de la cyclosporine et de l'alcool déshydraté. L'affidavit de M. Ambühl décrit la façon dont il a fabriqué la formulation de Rhoxal et a trouvé un hydrosol après avoir mélangé la formulation à de l'eau. C'est précisément la façon dont le produit de Rhoxal doit être utilisé. En particulier, les capsules de gélatine molle de Rhoxal seront avalées par les patients et formeront un hydrosol après être entrées en contact avec l'eau présente dans l'estomac. Ainsi, ce que fait Rhoxal tombe dans le champ de la revendication 2 et de certaines des autres revendications qui dépendent de la revendication 2.

[22] C'est ce que le brevet enseigne à la page 10. La seule utilité de la capsule de Rhoxal est d'être ingérée de façon que sa tunique puisse être dissoute et le contenu de la capsule mélangé à l'eau pour former l'hydrosol, qui est la forme sous laquelle la cyclosporine peut être absorbée dans l'intestin. En effet, une personne habile à formuler des médicaments comprend facilement qu'une partie de l'objet d'une capsule est de faire en sorte que les opérations nécessaires se produisent dans l'estomac ou l'intestin pour que l'ingrédient actif soit libéré dans la circulation sanguine. Souvent, les produits tels qu'ils sont vendus sont ainsi conçus pour être transformés dans l'estomac ou l'intestin afin que l'ingrédient actif puisse être absorbé dans la circulation sanguine.

[...]

[28] En outre, même si Rhoxal n'a pas demandé actuellement d'approbation pour un liquide buvable, je sais bien que son produit doit être considéré comme bioéquivalent aux capsules de Novartis de concentration similaire qui, à leur tour, si je comprends bien, sont bioéquivalentes à la solution orale de Novartis. À ce titre, il serait également évident que les capsules molles de gélatine de Rhoxal sont ainsi une variante manifeste d'une formulation de liquide buvable.

[...]

[31] [...] Si un spécialiste en sciences pharmaceutiques sait qu'un produit donné doit être mélangé avec un milieu aqueux pour constituer la forme posologique requise pour la libération de l'ingrédient actif, deux options claires s'offrent à ce scientifique, soit préparer l'hydrosol puis encapsuler le matériel, soit encapsuler un préconcentré de l'hydrosol en sachant qu'il formera l'hydrosol dans l'estomac.


[32] De fait, M. Cartilier, après qu'on lui eut cité un certain nombre d'exemples de produits qui sont transformés avant d'être absorbés dans l'organisme, notamment des exemples d'amoxicilline mise en suspension et de NéoCitranmd qui est mélangé avec de l'eau avant d'être pris, a reconnu que l'essence d'une préparation pharmaceutique est de faire en sorte que le médicament atteigne le bon endroit dans l'organisme pour être efficace (q.51). Que la préparation soit prête dans la capsule ou lorsque la capsule s'ouvre dans l'estomac ne change rien.

[Non souligné dans l'original.]

[45]            Bien qu'il soit essentiel à l'interprétation d'une revendication, le témoignage d'un expert n'est pas déterminant. L'interprétation des revendications d'un brevet est une question de droit qu'il appartient au juge de trancher et celui-ci a parfaitement le droit de retenir une interprétation différente de celle qui est préconisée par les parties (Whirlpool Corp. c. Camco Inc.(Whirlpool), [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 61; Canamould Extrusions Ltd., c. Driangle Inc. (2004), 237 D.L.R. (4th) 157, au paragraphe 3, le juge Stone, et Nekoosa Packaging Corp. c. AMCA International Ltd. (1994), 172 N.R. 387, aux paragraphes 12, 13 et 14, le juge Robertson).

[46]            L'arrêt Whirlpool en particulier (voir aussi l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, aux paragraphes 28 et 44) nous enseigne les principes à appliquer en matière d'interprétation de revendications de brevet.

[47]            Voici ce que dit le juge Binnie aux paragraphes 42 et 43 de l'arrêt Whirlpool :


[42]     Le contenu du mémoire descriptif d'un brevet est régi par l'art. 34 de la Loi sur les brevets. La première partie est une « divulgation » dans laquelle le breveté doit fournir une description de l'invention « comportant des détails assez complets et précis pour qu'un ouvrier, versé dans l'art auquel l'invention appartient, puisse construire ou exploiter l'invention après la fin du monopole » : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la p. 517. La divulgation est ce que l'inventeur fournit en contrepartie d'un monopole de 17 ans (maintenant 20 ans) sur l'exploitation de l'invention. On peut faire respecter le monopole au moyen de toute une gamme de recours en droit et en equity, de sorte qu'il importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu'il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d'avis public et doivent énoncer « distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif » (par. 34(2)). L'inventeur n'est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n'est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l'objet d'une renonciation.

[43] Dans des poursuites en matière de brevet, la première étape consiste donc à interpréter les revendications.

[Non souligné dans l'original.]

[48]            Le juge Binnie a confirmé que la méthode téléologique qui a été élaborée dans l'arrêt Catnic Components Ltd. c. Hill and Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183 (Chambre des lords), et que notre Cour a fait sienne dans l'arrêt Eli Lilly & Co. c. O'Hara Manufacturing Ltd. (1989), 26 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.), était la méthode qu'il convenait d'adopter en matière d'interprétation des revendications.

[49]            Le juge Binnie écrit, au paragraphe 45 : « L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments "essentiels" de son invention » .


[50]            Le juge Binnie précise, au paragraphe 49e), qu'une fois délivré, le brevet devient un texte qui répond à la définition du mot « règlement » que l'on trouve au paragraphe 2(1) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, de sorte que, selon l'article 12 de la Loi d'interprétation, il faut donner au brevet une interprétation « compatible avec la réalisation de son objet » .

[51]            Le juge Binnie a rejeté la méthode consistant à s'en tenir au dictionnaire. Il a écrit qu'il faut considérer l'ensemble du mémoire descriptif (y compris la divulgation et les revendications) « pour déterminer la nature de l'invention » (paragraphe 52 de l'arrêt Whirlpool).

[52]            Il ajoute, au paragraphe 53 :

[53]    ... Toutefois, le mémoire descriptif du brevet s'adresse non pas aux grammairiens, aux étymologistes ou au public en général, mais plutôt aux personnes suffisamment versées dans l'art dont relève le brevet pour être en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l'invention : H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), à la p. 185. Monsieur Fox écrit, à la p. 203, que la cour doit se mettre

[TRADUCTION] dans la position d'une personne au fait de l'état de la technologie et du processus de fabrication à l'époque en cause, et elle doit s'informer du sens technique qu'un seul ou plusieurs mots particuliers peuvent avoir dans cette technologie ou ce processus de fabrication.

[Non souligné dans l'original.]

[53]            Il incombait au juge de première instance de s'instruire sur le sens que lui proposaient les experts. Il avait le droit de préférer le témoignage des experts de Novartis, qui étaient versés dans l'art de la formulation de préparations pharmaceutiques, à celui de M. Cartilier (Rhoxal), qui était un pharmacien qui délivrait des médicaments. Mais ce faisant, il devait s'en tenir au libellé même des revendications sans laisser les experts lui dicter la conclusion.


[54]            Au paragraphe 17 de son affidavit, M. Ambühl déclare :

[traduction]

17. [...] Je ne vois aucune raison pour laquelle un produit sous forme de capsule orale contenant un liquide ne devrait pas être visé par la revendication alors qu'une solution liquide buvable le serait.

Il n'a toutefois pas expliqué pourquoi, à titre d'expert versé dans l'art, il ne voyait « aucune raison » qui l'empêcherait de tirer la conclusion à laquelle il en venait.

[55]            Lorsque M. McGinity a déclaré au paragraphe 32 de son affidavit :

[traduction]

32. Que la préparation soit prête dans la capsule ou lorsque la capsule s'ouvre dans l'estomac ne change rien.

[Non souligné dans l'original.]

il n'a pas précisé sur quoi il se fondait pour conclure que « lorsque la capsule s'ouvre dans l'estomac » , une autre forme de préparation pharmaceutique est produite.


[56]            Chacun des exemples fournis par ces deux experts présupposait l'intervention d'une autre personne, soit le fabricant, le pharmacien ou le consommateur. Au paragraphe 8 de son affidavit, M. Ambühl renvoie à différentes formes de préparations pharmaceutiques obtenues après la fabrication, et traite exclusivement de celles formées « à la suite de l'intervention de personnes autres que le fabricant » . Encore une fois, au par. 17 de son affidavit, il parle des « [...] étapes suivies par un pharmacien ou un consommateur pour convertir le produit dans la forme finale de la préparation pharmaceutique qui doit être administrée » [Non souligné dans l'original].

[57]            Une fois le produit ingéré, la réaction chimique qui survient dans l'estomac d'un patient à cause de la présence d'eau ou de sucs gastriques ne dépend pas de l'intervention d'une personne. Assurément, aucun des deux experts n'est allé jusqu'à dire que le seul fait d'avaler le produit équivalait à une forme de « préparation pharmaceutique » .

[58]            Novartis reconnaît qu'au moment de l'ingestion, les capsules de Rhoxal ne comprennent pas d'hydrosol. Bien que le phénomène qui survient par la suite dans l'estomac soit prévisible, il déborde complètement le champ d'application des formes de « préparation pharmaceutique » , comme l'ont expliqué les experts que le juge de première instance a décidé de croire.


[59]            En supposant, sans trancher la question, que les experts de Novartis ont eu raison d'élargir la portée de l'expression « préparation pharmaceutique » pour l'étendre à des formes découlant d'actes non professionnels tels que ceux émanant de consommateurs, la Cour estime qu'il n'était pas loisible au juge de première instance d'adopter aveuglément les conclusions de ces experts comme il l'a fait au paragraphe 237 de ses motifs précités. Il ne lui était pas loisible d'abdiquer ses fonctions juridictionnelles. Il lui incombait de trancher en dernière analyse la question ultime, en l'occurrence celle de la portée à donner à la revendication 2a) du brevet 656. À cette étape, il ne disposait que des conclusions non corroborées d'experts. Il devait alors revenir au libellé de la revendication elle-même. Ce n'est qu'alors qu'il aurait pu constater que ce libellé ne faisait nullement mention d'une préparation pharmaceutique élaborée in situ et se rappeler que « ce qui n'est pas revendiqué [est] considéré comme ayant fait l'objet d'une renonciation » (paragraphe 42 de l'arrêt Whirpool) .

[60]            Vu cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de l'application de la théorie des équivalents.

DISPOSITIF

[61]            J'accueillerais le présent appel avec dépens, j'annulerais la décision du juge de première instance et je rejetterais la demande de Novartis.

            « Alice Desjardins »                                                                                                                                           Juge

« Je suis du même avis. »

Le juge M. Nadon

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


LE JUGE PELLETIER

[62]            Pour les motifs qui suivent, je ne puis souscrire au dispositif proposé par ma collègue la juge Desjardins.

[63]            Je trouve très sensée l'idée que l'art de celui qui formule un médicament s'arrête au moment où le patient ingère ce médicament. En effet, une fois que le produit pharmaceutique est administré au patient, l'art de celui qui l'a formulé est épuisé en ce sens qu'il a fait tout ce qu'il pouvait faire. Si celui qui formule un médicament est capable de mobiliser les mécanismes internes du corps pour produire un résultat qu'une autre personne ne pourrait obtenir qu'en laboratoire, je ne serais pas porté à estimer que la première personne qui a formulé le médicament s'est approprié l'invention de la seconde. Au contraire.


[64]            Si j'avais été le juge de première instance, c'est la conclusion que j'aurais tirée. Mais le juge de première instance est arrivé à une conclusion différente. Il devait décider si un composé produit dans l'estomac du patient après l'ingestion par celui-ci d'une préparation pharmaceutique contrefaisait un brevet qui revendiquait une préparation pharmaceutique contenant ce composé. Il a conclu à la contrefaçon après avoir accepté le témoignage d'un expert suivant lequel une préparation pharmaceutique qui, une fois ingérée, produit un composé qui n'existait pas dans la capsule originale représente tout simplement une forme différente de la préparation pharmaceutique originale. Cette conclusion reposait sur une certaine conception de l'expression « préparation pharmaceutique » .

[65]            Je suis d'accord avec ma collègue la juge Desjardins pour dire que l'interprétation d'un brevet est une tâche qui est réservée au juge de première instance, par opposition aux experts. Tout comme elle, je suis lié par la jurisprudence qui dit que le juge doit interpréter le brevet comme le ferait une personne versée dans l'art et qu'à cette fin, le juge peut entendre des témoignages sur la signification, pour une personne versée dans l'art, des mots employés dans le brevet (voir l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67, paragraphe 53, cité au paragraphe 52 des motifs de ma collègue).

[66]            Dans le cas qui nous occupe, le juge de première instance a retenu le témoignage des experts de Rhoxalpharma sur la signification qu'une personne versée dans l'art attribuerait à l'expression « préparation pharmaceutique » . Les témoignages qu'il a acceptés introduisaient la notion de « formes » de préparations pharmaceutiques, une notion qui a joué un rôle critique dans la décision qu'il a rendue sur le fond :

[237] Le témoignage de MM. Ambühl et McGinity montre clairement qu'une préparation pharmaceutique peut prendre plusieurs formes à cause des transformations qui s'opèrent. Les personnes versées dans l'art savent bien que ces transformations peuvent survenir in situ de façon que l'invention puisse exercer ses bienfaits in situ, c'est-à-dire remplir la fonction pour laquelle elle a été conçue. La capsule de Rhoxal, une fois ingérée, forme inévitablement un hydrosol lorsqu'elle entre en contact avec l'eau ou les sucs gastriques dans l'estomac.


[238] Je conclus qu'un hydrosol formé in situ est une préparation pharmaceutique visée par la revendication 2 a) du brevet 656.

[67]            En se prononçant sur ce que l'expression « préparation pharmaceutique » signifie pour une personne versée dans l'art, le juge de première instance tirait à tout le moins une conclusion mixte de fait et de droit, sinon une conclusion de fait. Faute de question de droit dissociable, ces deux types de questions donnent lieu à l'application de la norme de contrôle la plus restrictive, soit celle de « l'erreur dominante et manifeste » (voir l'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, aux paragraphes 10 et 28). Le passage suivant de cet arrêt est particulièrement à propos :

[28] Cependant, lorsque l'erreur [relativement à une question mixte de fait et de droit] ne constitue pas une erreur de droit, une norme de contrôle plus exigeante s'impose. Dans les cas où le juge des faits examine tous les éléments de preuve que le droit lui commande de prendre en considération mais en tire néanmoins une conclusion erronée, il commet alors une erreur mixte de fait et de droit, qui est assujettie à une norme de contrôle plus rigoureuse : Southam, précité, par. 41 et 45. Bien que facile à énoncer, cette distinction peut s'avérer difficile à établir en pratique parce que les questions mixtes de fait et de droit s'étalent le long d'un spectre comportant des degrés variables de particularité.

[68]            Si le juge de première instance était en droit de tirer la conclusion à laquelle il est arrivé sur le sens des mots « préparation pharmaceutique » , sa décision ne saurait être infirmée au motif qu'il s'en est servi pour interpréter le brevet comme il l'a fait.


[69]            Pour ces motifs, il m'est impossible de souscrire à la conclusion de ma distinguée collègue. Je rejetterais par conséquent l'appel avec dépens.

             « J.D. Denis Pelletier »         

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         A-213-04

INTITULÉ :                                        RHOXALPHARMA INC. et NOVARTIS PHARMACEUTICALS CANADA INC. et

NOVARTIS AG et MINISTRE DE LA SANTÉ

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 2 NOVEMEBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE DESJARDINS

Y A SOUSCRIT :                                LE JUGE NADON

.

MOTIFS DISSIDENTS :                   LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                       LE 14 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Mes Marie Lafleur                                  POUR L'APPELANTE

et Martin Sheehan

Mes Anthony G. Creber                         POUR LES INTIMÉES NOVARTIS

et Jennifer Wilkie                                   PHARMACEUTICALS CANADA INC. et NOVARTIS AG

Me Rick Woyiwada                               POUR L'INTIMÉ, LE MINISTRE DE LA SANTÉ


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin srl                         POUR L'APPELANTE

Montréal (Québec)

Gowling Lafleur Henderson srl               POUR LES INTIMÉES NOVARTIS

Ottawa (Ontario)                                               PHARMACEUTICALS CANADA INC. et

NOVARTIS AG

John H. Sims, c.r.                                              POUR L'INTIMÉ, LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Sous-procureur général du Canada



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