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Date : 20180808


Dossier : A-184-17

Référence : 2018 CAF 148

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

demanderesse

et

ROBERT SCOTT

défendeur

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intervenant

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 10 avril 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 août 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20180808


Dossier : A-184-17

Référence : 2018 CAF 148

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

appelante

et

ROBERT SCOTT

intimé

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intervenant

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

I.  Introduction

[1]  La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN) conteste devant nous la décision LET-R-21-2017 (dossier no 16-05647) datée du 29 mai 2017, selon laquelle l’Office des transports du Canada (l’Office) a conclu, conformément à l’article 95.1 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la LTC), que le bruit causé par les opérations ferroviaires du CN sur la subdivision Redditt, à l’ouest du dépôt de rails Transcona, dans la ville de Winnipeg, n’était pas d’un niveau raisonnable.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire du CN.

II.  Faits

[3]  Le 29 novembre 2016, le défendeur, Robert Scott, et d’autres résidents du quartier Mission Gardens à Winnipeg, au Manitoba, ont déposé une demande auprès de l’Office relativement au bruit et aux vibrations produits par les opérations ferroviaires du CN sur la subdivision Redditt susmentionnée. Dans leur demande, M. Scott et d’autres se sont plaints qu’ils avaient subi les contrecoups du bruit et des vibrations découlant d’un changement apporté dans les opérations ferroviaires du CN, c’est-à-dire la formation et la mise en attente des trains à l’extérieur de sa gare de triage Transcona, du chemin Plessis à la promenade Bournais. Dans leur plainte, M. Scott et d’autres demandaient à l’Office d’ordonner au CN de recommencer à effectuer la formation et la mise en attente de ses trains à l’intérieur de la gare de triage Transcona, à l’est du passage inférieur du chemin Plessis.

[4]  En réponse à cette plainte, le CN a soutenu qu’elle répondait entièrement aux exigences de l’article 95.1 de la LTC et qu’elle a limité le bruit et les vibrations produits par ses opérations à un niveau raisonnable.

[5]  Afin de résoudre la plainte, l’Office devait déterminer si le CN a respecté l’obligation imposée par la LTC de limiter le bruit à un niveau raisonnable. Pour rendre cette décision, l’Office a suivi le cadre d’analyse qui l’obligeait à rechercher tout d’abord si les opérations ferroviaires du CN avaient causé du bruit ou des vibrations constituant une perturbation importante au confort ou aux commodités ordinaires de l’existence, selon les normes de la personne moyenne, et si, le cas échéant, le bruit et les vibrations étaient d’un niveau raisonnable.

[6]  Dans sa décision, l’Office a conclu que le CN avait causé du bruit ou des vibrations qui constituaient une perturbation importante. De plus, l’Office a conclu que le bruit ou les vibrations produits par les opérations du CN étaient d’un niveau déraisonnable et que, par conséquent, le CN n’avait pas respecté les obligations que lui impose l’article 95.1 de la LTC.

[7]  Le 12 juin 2017, le CN a déposé une demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’Office. Cela a amené l’Office, le 30 juin 2017, à demander l’autorisation de la Cour d’intervenir, laquelle requête a été accordée le 28 juillet 2017 par le juge Trudel. Plus particulièrement, l’Office a obtenu l’autorisation de déposer une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire du CN au motif que la Cour n’avait pas compétence pour entendre et trancher les demandes de contrôle judiciaire découlant des décisions prises par l’Office. Le juge Trudel a également autorisé l’Office, au cas où sa requête en radiation serait rejetée, à déposer un mémoire des faits et du droit d’au plus dix (10) pages, portant sur les questions suivantes : 1) la norme de révision appropriée; et 2) le processus suivi par l’Office et le dossier, et en particulier les éléments techniques et spécialisés considérés dans les plaintes relatives au bruit et aux vibrations.

[8]  Le 1er septembre 2017, le juge Boivin a rejeté la requête en radiation de l’Office. À son avis, la question soulevée par la requête en radiation était une question qui devrait être tranchée par la formation appelée à entendre la demande de contrôle judiciaire et à se prononcer sur le fond.

[9]  Le 22 septembre 2017, le juge Boivin a accordé à l’Office une prorogation du délai pour déposer son mémoire des faits et du droit et l’a autorisé à discuter la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire du CN relevait de la compétence de la Cour conformément à l’alinéa 28(1)k) et au paragraphe 28(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. En rendant cette ordonnance, le juge Boivin a permis au CN de répondre au mémoire des faits et du droit de l’Office par le dépôt d’un mémoire des faits et du droit supplémentaire d’au plus cinq (5) pages.

[10]  Le 23 octobre 2017, le CN a déposé sa réponse aux observations de l’Office sur la question de compétence.

III.  La thèse du CN concernant la demande

[11]  En bref, le CN soutient que la Cour a compétence d’entendre sa demande de contrôle judiciaire puisque la demande ne soulève que des questions de fait, soutenant, notamment que, dans les circonstances, elle n’a pas le droit d’interjeter appel devant notre Cour et qu’aucune autre voie de recours ne s’offre à elle pour faire valoir ses droits à l’encontre de la décision de l’Office.

[12]  Quant au fond de la décision de l’Office, le CN fait valoir que la décision est déraisonnable en ce que l’Office a mal compris la force du dossier dans son ensemble et qu’elle a appliqué la Méthodologie de mesure et de présentation d’un rapport sur le bruit ferroviaire (la méthodologie) de manière abusive et déraisonnable.

IV.  Thèse du défendeur

[13]  Par lettre en date du 4 octobre 2017, l’avocat du défendeur a informé la Cour qu’il avait reçu pour instructions de ne pas déposer d’observations écrites relativement à la demande de contrôle judiciaire, ajoutant, toutefois, que le défendeur était en accord avec les observations faites par l’Office dans son mémoire des faits et du droit.

V.  Thèse de l’Office

[14]  L’Office souligne que conformément à l’ordonnance de la Cour du 28 juillet 2017, il a obtenu l’autorisation d’intervenir afin de présenter des observations au sujet de la norme de contrôle applicable et ses processus ainsi que du dossier, en particulier les éléments techniques et spécialisés considérés dans le cadre des plaintes relatives au bruit et aux vibrations. L’Office souligne également qu’en rendant une seconde ordonnance datée du 22 septembre 2017, la Cour lui a permis de déposer des observations concernant la question de savoir si la demande du CN relevait de la compétence de notre Cour en ce qui concerne les demandes de contrôle judiciaire présentées en application de l’alinéa 28(1)k) et du paragraphe 28(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

[15]  L’Office soutient que sa décision fait soit l’objet d’un appel devant notre Cour sur une question de droit ou de compétence en application du paragraphe 41(1) de la LTC, soit l’objet d’une requête adressée au gouverneur en conseil en application de l’article 40 de la LTC. Par conséquent, étant donné que ces deux recours constituent des mécanismes d’appel au sens de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, l’Office affirme que notre Cour ne peut entendre la demande de contrôle judiciaire.

VI.  Analyse

[16]  Comme je suis d’avis que notre Cour n’a pas compétence d’entendre et de trancher la demande du CN, je n’ai pas besoin de discuter les arguments du CN sur le fond de la décision de l’Office ni les observations de l’Office portant sur la norme de contrôle et ses processus ainsi que sur le dossier.

[17]  Pour commencer, il est utile de citer la législation pertinente à notre décision relative à la demande de contrôle judiciaire du CN.

Loi sur les Cours fédérales

Federal Courts Act

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

[…]

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

18.5 Despite sections 18 and 18.1, if an Act of Parliament expressly provides for an appeal to the Federal Court, the Federal Court of Appeal, the Supreme Court of Canada, the Court Martial Appeal Court, the Tax Court of Canada, the Governor in Council or the Treasury Board from a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal made by or in the course of proceedings before that board, commission or tribunal, that decision or order is not, to the extent that it may be so appealed, subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with, except in accordance with that Act.

[…]

[…]

28 (1) La Cour d’appel fédérale a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant les offices fédéraux suivants :

28 (1) The Federal Court of Appeal has jurisdiction to hear and determine applications for judicial review made in respect of any of the following federal boards, commissions or other tribunals:

[…]

k) l’Office des transports du Canada constitué par la Loi sur les transports au Canada;

(k) the Canadian Transportation Agency established by the Canada Transportation Act;

[…]

28 (2) Les articles 18 à 18.5 s’appliquent, exception faite du paragraphe 18.4(2) et compte tenu des adaptations de circonstance, à la Cour d’appel fédérale comme si elle y était mentionnée lorsqu’elle est saisie en vertu du paragraphe (1) d’une demande de contrôle judiciaire.

28 (2) Sections 18 to 18.5, except subsection 18.4(2), apply, with any modifications that the circumstances require, in respect of any matter within the jurisdiction of the Federal Court of Appeal under subsection (1) and, when they apply, a reference to the Federal Court shall be read as a reference to the Federal Court of Appeal.

Loi sur les Transports au Canada

Canadian Transportation Act

31 La décision de l’Office sur une question de fait relevant de sa compétence est définitive.

31 The finding or determination of the Agency on a question of fact within its jurisdiction is binding and conclusive.

40 Le gouverneur en conseil peut modifier ou annuler les décisions, arrêtés, règles ou règlements de l’Office soit à la requête d’une partie ou d’un intéressé, soit de sa propre initiative; il importe peu que ces décisions ou arrêtés aient été pris en présence des parties ou non et que les règles ou règlements soient d’application générale ou particulière. Les décrets du gouverneur en conseil en cette matière lient l’Office et toutes les parties.

40 The Governor in Council may, at any time, in the discretion of the Governor in Council, either on petition of a party or an interested person or of the Governor in Council’s own motion, vary or rescind any decision, order, rule or regulation of the Agency, whether the decision or order is made inter partes or otherwise, and whether the rule or regulation is general or limited in its scope and application, and any order that the Governor in Council may make to do so is binding on the Agency and on all parties.

41 (1) Tout acte — décision, arrêté, règle ou règlement — de l’Office est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale sur une question de droit ou de compétence, avec l’autorisation de la cour sur demande présentée dans le mois suivant la date de l’acte ou dans le délai supérieur accordé par un juge de la cour en des circonstances spéciales, après notification aux parties et à l’Office et audition de ceux d’entre eux qui comparaissent et désirent être entendus.

41 (1) An appeal lies from the Agency to the Federal Court of Appeal on a question of law or a question of jurisdiction on leave to appeal being obtained from that Court on application made within one month after the date of the decision, order, rule or regulation being appealed from, or within any further time that a judge of that Court under special circumstances allows, and on notice to the parties and the Agency, and on hearing those of them that appear and desire to be heard.

[Non souligné dans l’original]

[My emphasis]

[18]  Bien qu’il soit correct de dire, comme le fait le CN, que notre Cour, aux termes de l’alinéa 28(1)k) de la Loi sur les Cours fédérales, a compétence pour entendre et trancher des demandes de contrôle judiciaire présentées à l’égard de décisions rendues par l’Office, la question dont nous sommes saisis en l’espèce découle du texte de l’article 18.5 qui prévoit que les décisions d’un office fédéral ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire lorsqu’une loi fédérale prévoit que de telles décisions peuvent être portées en appel devant, entre autres, la Cour d’appel fédérale ou le gouverneur en conseil.

[19]  En se fondant sur l’article 18.5 lequel, en raison du paragraphe 28(2), vise les demandes de contrôle judiciaire présentées à la Cour aux termes du paragraphe 28(1), l’Office dit que la Cour ne peut statuer sur la demande de contrôle judiciaire du CN parce que l’article 40 et le paragraphe 41(1) de la LTC prévoient la possibilité d’interjeter appel devant notre Cour, sur une question de droit ou de compétence, et devant le gouverneur en conseil relativement à toute question, y compris les questions de droit, de compétence et de fait. Par conséquent, l’Office nous demande de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[20]  À mon avis, la thèse exposée par l’Office est fondée. Avant d’expliquer mes raisons pour ce point de vue, j’expliquerai les arguments avancés par le CN à l’appui de l’opinion contraire.

[21]  Le CN commence son argumentation en soulignant que trois décisions de notre Cour portent sur la question dont nous sommes saisis, à savoir Leroux c Transcanada Pipelines Ltd. 198 N.R. 316, [1996] A.C.F. n° 622 [Leroux], Cathay International Television Inc. c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1987] A.C.F. n° 350, 80 N.R. 117 [Cathay]; et Rich Colour Prints Ltd. c. Sous-ministre du Revenu national (Douanes et Accise), [1984] 2 C.F. 246, [1984] A.C.F. n° 96, au paragraphe 7 [Rich Colour]. Le CN affirme que les décisions Leroux et Cathay donnent une interprétation large de l’article 18.5 tandis que Rich Colour prône une approche plus restrictive.

[22]  Le CN soutient que nous devons suivre la jurisprudence Rich Colour parce qu’elle prône la seule interprétation acceptable de l’article 18.5 et que les décisions Leroux et Cathay ont mal interprété l’article 18.5 et, en définitive, rendent la disposition inconstitutionnelle. Le CN a aussi affirmé qu’étant donné que sa demande de contrôle judiciaire soulève des questions de fait seulement, il n’y a pas d’appel possible à notre Cour en application du paragraphe 41(1) de la LTC.

[23]  Le CN soutient également que l’article 40 ne constitue pas un mécanisme d’appel parce qu’il confère au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire de modifier ou d’annuler des décisions de l’Office. Bien qu’il n’est pas controversé par le CN que le gouverneur en conseil peut intervenir sur des questions de fait, il dit que le gouverneur en conseil est [traduction« une entité qui est mal adaptée à la réception de requêtes dans le but de procéder au type d’examen de la preuve fort détaillé et précis qui est requis pendant le processus de contrôle judiciaire où des questions de fait relatives à des niveaux de décibels sont en cause » (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 34).

[24]  En d’autres termes, le CN est d’avis que la nature de l’affaire dont nous sommes saisis n’est pas le type d’affaire qui serait d’intérêt pour le gouverneur en conseil, contrairement aux différends en matière de politiques comme en témoigne la question discutée par la Cour suprême du Canada  à l’occasion de l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135 [Chemins de fer nationaux CSC], sur laquelle je reviendrai sous peu.

[25]  Le CN affirme également que, pour ce qui est du temps et des sommes d’argent qui sont consacrés, il n’est pas très judicieux de déférer la présente affaire au gouverneur en conseil, puisque, au bout du compte, toute décision rendue par le gouverneur en conseil, soit de refuser d’entendre la requête, soit de trancher l’affaire contre le CN, donnerait lieu à une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et la possibilité d’un appel interjeté à l’encontre de la décision de la Cour fédérale devant notre Cour.

[26]  Le CN a également dit que le législateur ne peut retirer à la Cour les pouvoirs de contrôle judiciaire dont elle dispose en accordant au gouverneur en conseil la surveillance des questions de fait tenant lieu d’examen par le juge, ajoutant qu’en donnant effet à la thèse de l’Office, la Cour empêcherait [traduction] « [...] l’appareil judiciaire d’examiner les conclusions de fait tirées par l’Office, en sa capacité décisionnelle » (réponse du CN, au paragraphe 9).

[27]  Le CN soutient de plus que les conséquences constitutionnelles découlant de l’article 18.5 n’ont pas été débattues ou discutées à l’occasion de l’affaire Leroux et que la primauté du droit exige qu’il soit permis d’attaquer les conclusions de fait rendues par l’Office devant une juridiction judiciaire.

[28]  Le CN cite une jurisprudence de notre Cour, Cathay, faisant valoir que, contrairement à ce que la demanderesse avait essayé de faire dans cette cause, la présente affaire n’en est pas une où elle tente, dans le cadre d’une argumentation astucieuse, de faire passer une question de droit ou de compétence pour une question de fait. Le CN affirme également qu’il n’y a aucune autorité à l’appui de la thèse selon laquelle l’Office ou tout autre organisme administratif peut être soustrait du rôle de surveillance qui incombe aux juridictions judiciaires.

[29]  Ainsi, au bout du compte, le CN affirme qu’étant donné que l’appel prévu par le paragraphe 41(1) de la LTC est le seul recours prévu par une loi fédérale, les questions de fait, comme celles soulevées en l’espèce, peuvent faire par conséquent l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour aux termes du paragraphe 28(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[30]  À mon avis, la thèse du CN ne saurait être retenue.

[31]  Je discuterai en premier la jurisprudence citée par le CN. À l’occasion de l’affaire Rich Colour, la Cour était saisie d’une requête en prorogation du délai de dépôt d’une demande de contrôle judiciaire aux termes de l’article 28 visant une décision rendue par la Commission du tarif (maintenant la Commission du droit d’auteur du Canada) au motif qu’elle avait commis une erreur de droit. Après avoir cité l’article 48 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-42, qui prévoit un droit d’appel, moyennant l’autorisation de la Cour, sur des questions de droit, ainsi que l’article 29 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp., ch. 10) (maintenant l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales) le juge Pratte a, au nom de la Cour, déclaré au paragraphe 7 des brefs motifs de la Cour rendus verbalement :

À notre avis, l’article 29 dit clairement qu’une décision qui, en vertu d’une loi du Parlement, peut faire l’objet d’un appel à une autorité visée à l’article ne peut, dans la mesure où il peut en être ainsi interjeté appel, faire l’objet d’une demande fondée sur l’article 28. Il s’ensuit que si le droit d’appel n’est pas limité, la décision ne peut être examinée en vertu de l’article 28; si le droit d’appel est limité, par exemple à la question de compétence, la décision peut être examinée en vertu de l’article 28 sur le fondement de moyens qui ne peuvent être soulevés en appel. Contrairement à ce qui a été allégué par l’avocat de la requérante, cette interprétation ne rend pas superflus les derniers mots de l’article 29. Ces mots sont nécessaires pour préserver la compétence de la Cour lorsqu’une loi du Parlement prévoit qu’une décision d’un office fédéral peut non seulement faire l’objet d’un appel à une autorité mentionnée à l’article 29 mais également être examinée par la Cour fédérale; dans un tel cas, la décision peut être examinée par la Cour mais seulement « dans la mesure et de la manière prévues dans cette Loi ».

[Non souligné dans l’original.]

[32]  Ainsi, selon la Cour, dans la mesure où une décision peut être portée en appel devant les autorités visées par l’article 29 (l’actuel article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales), nulle demande de contrôle judiciaire ne peut être portée devant la Cour fédérale ou la Cour d’appel. La Cour a ajouté que si, toutefois, le droit d’appel était limité, la décision pourrait être contestée par voie de contrôle judiciaire pour des motifs qui ne peuvent pas être soulevés dans l’appel.

[33]  En ce qui concerne l’affaire Cathay, la Cour était saisie d’une requête en annulation d’une demande faite en vertu de l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale (l’actuel paragraphe 28(1) de la Loi sur les Cours fédérales) ; on recherchait l’annulation d’une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) au motif que la Cour n’avait pas compétence pour entendre et trancher la question.

[34]  Le paragraphe 26(1) de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, ch. B-11, comme le paragraphe 40(1) de la LTC, prévoyait qu’un appel pouvait être porté devant notre Cour, avec l’autorisation de celle-ci, sur une question de droit ou de compétence. La Cour a accueilli la requête en annulation. Pour tirer cette conclusion, le juge Stone, s’exprimant pour la Cour, a formulé les observations suivantes au paragraphe 20 de ses motifs :

(20) J’en arrive, enfin, à ce que je considère le point crucial du litige. Aux termes du paragraphe 26(1) de la Loi sur la radiodiffusion, les droits d’appel se limitent à « une question de droit ou (à) une question de compétence ». En adoptant cette formulation, le législateur semble avoir voulu que le redressement accordé à l’encontre d’une décision ou d’une ordonnance de l’intimé soit accessible dans la mesure et de la façon prévues à ce paragraphe, sinon, comme l’édicte l’article 25 de ladite loi, la décision ou l’ordonnance est « définitive et péremptoire ». Aucune formulation astucieuse ne saurait convertir une question susceptible d’appel en vertu de la Loi sur la radiodiffusion en une question révisable en vertu de l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. À mon sens, les plaintes alléguées au paragraphe c) de la demande fondée sur l’article 28 soulèvent des questions de droit ou de compétence et, partant, elles ne peuvent faire l’objet d’une demande fondée sur l’article 28.

[Non souligné dans l’original.]

[35]  À l’occasion de l’affaire Leroux, la Cour a également eu à trancher une requête en annulation d’une demande de contrôle judiciaire, cette fois à l’encontre de l’Office national de l’énergie. Je dois mentionner qu’aux termes du paragraphe 22(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, les décisions de l’Office étaient susceptibles d’appel, avec l’autorisation de la Cour, sur des questions de droit et de compétence.

[36]  Compte tenu de l’article 29 de la Loi sur la Cour fédérale (l’actuel article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales), les demandeurs dans l’affaire Leroux soutenaient qu’ils devaient être autorisés à poursuivre leur demande de contrôle judiciaire parce qu’ils soulevaient, entre autres, des erreurs de fait et l’inobservation des règles de justice naturelle. La Cour a accueilli la requête en annulation et a expliqué ses motifs comme suit :

[traduction]

[3] Les demandeurs déclarent que leur demande de contrôle judiciaire doit être autorisée à se poursuivre en dépit de cette disposition, étant donné que les erreurs de fait et l’inobservation des règles de justice naturelle ne peuvent pas être inclus dans l’expression « question de droit ou de compétence » qui se trouve à l’article 22 de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Nous ne sommes pas de cet avis. Selon nous, la présente cause ne saurait être distinguée de la décision de notre Cour dans Cathay International Television Inc. c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Dans cette affaire, on a passé en revue certaines des décisions antérieures de notre Cour, notamment Aly Abdel Hafez Aly c. Ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration, mais on a conclu que l’interprétation à retenir était qu’« [a]ucune formulation astucieuse ne saurait convertir une question susceptible d’appel en vertu de la Loi sur la radiodiffusion en une question relevant de l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale ». On peut en dire autant de l’article 22 de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Dans la mesure où l’article 18.1 de la présente Loi sur la Cour fédérale permet de procéder à l’examen des questions de fait ou des violations des principes de justice naturelle, ces questions constituent des questions de droit ou de compétence au sens de l’article 22 de la Loi sur l’Office national de l’énergie. La jurisprudence Aly, précitée, ne doit plus être considérée comme faisant autorité.

[Non souligné dans l’original.]

[37]  Contrairement aux observations du CN, je rejette la thèse portant que les décisions Rich Colour, Cathay et Leroux professent des enseignements différents. À mon avis, ces trois décisions enseignent qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée aux termes de l’article 28, lorsque les motifs invoqués dans la demande ne peuvent pas faire l’objet d’un recours devant l’une des autorités visées par l’article 18.5. La question dont était saisie la Cour dans Rich Colour, Cathay et Leroux était de savoir s’il existait un motif de contrôle judiciaire qui ne pouvait être instruit par le mécanisme d’appel prévu par les lois habilitantes. Dans ces trois décisions, la Cour a jugé que les motifs soulevés dans les demandes de contrôle judiciaire relevaient clairement du processus d’appel dont disposaient les demandeurs. Cependant, dans la mesure où la jurisprudence Leroux peut aller dans le sens de la position selon laquelle toutes les questions de fait constituent des questions de droit ou de compétence aux termes des lois habilitantes, et qu’elles ne font par conséquent jamais l’objet d’un contrôle judiciaire aux termes de l’article 28(1) de la Loi sur les Cours fédérales, cette doctrine est erronée et ne doit pas être suivie parce qu’elle ne concorde pas avec la doctrine que nous avons professée par les décisions Cathay et Rich Colour.

[38]  Dans la présente affaire, je conclus que les moyens soulevés par le CN dans sa demande de contrôle judiciaire constituent des moyens qui peuvent faire l’objet d’un appel devant notre Cour, conformément au paragraphe 41(1) de la LTC, ou qui peuvent être soumis au gouverneur en conseil au moyen d’une requête présentée en vertu de l’article 40 de la LTC. À mon avis, tant l’appel prévu par le paragraphe 41(1) que la requête prévue par l’article 40 de la LTC constituent un appel au sens de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales.

[39]  L’un des arguments avancés par l’Office à l’appui de son point de vue selon lequel nous ne pouvons pas entendre et trancher la demande du CN est que la demande ne soulève pas, en réalité, des questions de fait, mais plutôt des questions de droit. Bien que nous n’ayons pas besoin de nous prononcer en ce qui concerne cet argument parce que, en fin de compte, tant les questions de fait que les questions de droit pourraient être tranchées par la Cour ou par le gouverneur en conseil, quelques observations au sujet de la demande du CN et son mémoire des faits et du droit permettront de mettre en perspective l’argument de l’Office.

[40]  Tout d’abord, il ressort de la lecture de la demande du CN que ce qu’elle soulève constitue des questions de droit. En faisant cette affirmation, j’ai en tête les éléments suivants de la demande du CN.

  • À l’alinéa 3 a), le CN affirme que l’Office a tiré des conclusions de fait [traduction« [...] sans tenir compte des éléments dont il disposait [...] ».

  • À l’alinéa 6 a) le CN affirme que l’Office a conclu en [traduction] « [...] un niveau de bruit ambiant malgré une absence totale de preuve portant sur les niveaux de bruit de fond ».

  • À l’alinéa 6 b) le CN affirme que [traduction] « l’Office a conclu en un niveau de bruit de fonctionnement malgré une absence totale de preuve portant sur le volume du son créé par les opérations ferroviaires pertinentes ».

  • Au paragraphe 7, le CN affirme que [traduction] « [i]l n’y avait aucune preuve à l’appui de cette conclusion », c’est-à-dire pour déterminer une différence sonore de 12 dBA, ajoutant que [traduction] « l’Office ne peut pas créer d’éléments de preuve pour étayer les plaintes déposées en vertu de l’article 95.3 » [Souligné dans l’original].

  • Au paragraphe 8, le CN affirme qu’en appliquant de façon déraisonnable sa propre méthodologie d’évaluation, l’Office a formulé des hypothèses [traduction] « [...] tant en ce qui concerne le niveau de bruit ambiant que le niveau de bruit de fonctionnement [...] ».

[41]  En ce qui concerne le mémoire des faits et du droit du CN, je tiens à en souligner les paragraphes suivants :

  • Au paragraphe 46, le CN affirme que [traduction] « [i]l n’y a, effectivement, aucun élément de preuve justifiant la décision de l’Office pour l’emploi de 55 dBA comme bruit ambiant pour le quartier Mission Gardens ».

  • Au paragraphe 50, le CN affirme que [traduction] « [...] il suffit aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire de déclarer qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve présentés par M. Scott sur les principaux points formulés ci-dessus ».

  • Au paragraphe 57, le CN affirme que [traduction] « [c]omme nous l’avons mentionné ci-dessus, M. Scott n’a produit que peu ou pas d’éléments de preuve sur ce point et on ne sait pas pourquoi on lui a donné le bénéfice du doute en concluant à un faible niveau sonore ambiant, compte tenu surtout de la description de Mission Gardens faite par l’Office ».

  • Au paragraphe 59, le CN déclare que [traduction] « [...] il n’y avait aucune preuve dont il ressort que 60 minutes de fonctionnement au ralenti représentaient la majorité des opérations du CN dans la région ou y étaient associées ».

  • Au paragraphe 64, le CN affirme que [traduction] « nul élément du dossier ne permettait de privilégier un compte de 60 minutes au lieu d’un compte de plusieurs instances “d’au plus 20 minutes”. »

  • Au paragraphe 67, le CN affirme que [traduction] « [e]n fin de compte, le dossier permet tout autant de conclure à une simple différence de 2 dBA que de conclure à une différence de 12 dBA. Il n’y a aucun fondement permettant d’en arriver à la dernière conclusion par opposition à la première. Ce n’est pas le type de décision où il était raisonnablement loisible à l’Office de tirer ces deux conclusions. En toute déférence, ce résultat est davantage le fruit du hasard qu’un jugement motivé fondé sur le dossier ».

[42]  Comme je viens tout juste de le signaler, nous n’avons pas besoin de trancher la question soulevée par l’argument du CN. Cependant, je dirais que la nature des affirmations et des déclarations faites par le CN, tant dans sa demande que dans son mémoire des faits et du droit, peut avoir été ce que le juge Hugessen avait en tête à l’occasion de l’affaire Leroux lorsqu’il a indiqué au paragraphe 3 des motifs de la Cour que [traduction] « [d]ans la mesure où l’article 18.1 de la présente Loi sur la Cour fédérale permet de procéder à l’examen des questions de fait ou des violations des principes de justice naturelle, ces questions constituent des questions de droit ou de compétence au sens de l’article 22 de la Loi sur l’Office national de l’énergie ».

[43]  Quoi qu’il en soit, nul ne saurait contester que les questions de droit ou de compétence découlant de la décision de l’Office auraient pu être soumises à la Cour conformément au paragraphe 41(1) de la LTC et que ce mécanisme constitue un mécanisme d’appel aux fins de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales.

[44]  Vu que je retiens la thèse, aux fins de l’espèce, que les questions soulevées par le CN dans sa demande sont véritablement des questions de fait, et donc non susceptibles d’appel devant notre Cour aux termes du paragraphe 41(1) de la LTC, je conclus que la demande adressée au gouverneur en conseil, en vertu de l’article 40 de la LTC, constitue un mécanisme d’appel aux fins de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales. Ainsi, le CN aurait pu présenter une requête au gouverneur en conseil à l’égard des questions soulevées dans sa demande. Mes raisons sont les suivantes.

[45]  Premièrement, je ne peux souscrire aux observations du CN portant que le recours prévu par l’article 40 de la LTC ne constitue pas un mécanisme d’appel aux fins d’application de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales. Si je comprends les observations du CN, c’est, entre autres, que le mot « appel » figurant à l’article 18.5 se limite aux appels judiciaires. Cela ne peut être le cas puisqu’il n’y a pas possibilité d’interjeter un appel judiciaire devant le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor. Restreindre le sens du mot « appel » aux appels judiciaires priverait, à mon humble avis, la disposition de son véritable sens, c’est-à-dire que, dans la mesure où il y a une mesure ouverte et efficace permettant à la partie lésée de contester la décision de l’Office, la décision n’est pas susceptible de contrôle judiciaire.

[46]  Dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc. 2017 CAF 79, [2017] A.C.F. n° 371, notre Cour a conclu que le recours prévu par l’article 40 constituait un appel au sens de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Stratas, aux paragraphes 11, 12 et 13 des motifs de la Cour, a fait les observations suivantes :

[11] Qu’est-ce qu’une « question de droit » et qu’est-ce qu’une « question de compétence » au sens du paragraphe 41(1) de la Loi sur les transports au Canada et des dispositions formulées de manière semblable? Pour interpréter ces expressions, nous devons tenir compte de leur sens ordinaire, de leur contexte au regard de l’ensemble de la Loi et, enfin, de l’objet du paragraphe 41(1) et de la Loi elle-même (Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27, 154 D.L.R. (4th) 193 et arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559.

[12] Aux termes de la Loi sur les transports au Canada, l’Office est maintenu et investi de pouvoirs à titre d’organisme spécialisé de réglementation dans le secteur des transports. Ses décisions sont guidées par sa connaissance du mode de fonctionnement du secteur et par d’autres appréciations spécialisées et considérations de principe, telles que la Politique nationale des transports, conformément à l’article 5 de la Loi. D’ailleurs, aux termes des articles 24 et 43 de la Loi, le gouverneur en conseil peut donner des directives générales à l’Office sur toute question relevant de la compétence de celui-ci, et l’Office doit les suivre. Il ne peut être fait appel d’une décision de l’Office sur une pure question de fait (voir l’article 31 de la Loi). Toutefois, il est dans certains cas possible de faire appel au gouverneur en conseil aux termes de l’article 40 de la Loi; cette disposition prévoit une voie d’appel contre, notamment, les décisions de l’Office qui sont fondées sur des faits et des considérations de politique (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135 (l’arrêt CN 2014)).

[13] On peut dégager de ces dispositions l’intention du législateur relative au paragraphe 41(1) : il ne peut être interjeté appel devant notre Cour des décisions fondées sur les faits et des considérations de politique. Les débats parlementaires le confirment également (arrêt CN 2014, au paragraphe 46). On peut faire appel de ces questions devant d’autres fors. Il ne peut être fait appel à notre Cour que des décisions faisant jouer des questions de droit ou des questions de compétence, sous réserve d’une autorisation, qui est accordée dans la mesure où il existe une cause défendable (CKLN Radio Incorporated c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 135, 418 N.R. 198; Rogers Cable Communications Inc. c. Nouveau-Brunswick (Transports), 2007 CAF 168, 367 N.R. 78). Compte tenu de la formulation du paragraphe 41(1), du fait qu’un refus d’autorisation d’interjeter appel tient au fond de la décision et des recours prévus par d’autres articles de la Loi à l’égard d’autres questions, il serait difficile de voir dans le paragraphe 41(1) une disposition mettant de manière problématique à l’abri de tout contrôle le pouvoir décisionnel de l’Office.

[Non souligné dans l’original.]

[47]  Il ne peut y avoir de doute qu’en utilisant les mots « il est dans certains cas possible de faire appel au gouverneur en conseil aux termes de l’article 40 de la Loi [LTC] », le juge Stratas n’avait pas l’intention d’affirmer qu’un appel judiciaire relevait de la compétence du gouverneur en conseil. Plutôt, comme je viens de le dire, le juge Stratas n’a pu que vouloir dire que le recours prévu à l’article 40 était un recours subsidiaire acceptable permettant au CN dans cette cause de contester la décision de l’Office.

[48]  Deuxièmement, je retiens entièrement l’observation suivante que l’on trouve au paragraphe 26 du mémoire des faits et du droit de l’Office :

[traduction]

L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales s’applique puisque la LTC prévoit expressément la possibilité d’interjeter appel auprès de la Cour d’appel fédérale et du gouverneur en conseil. Rien n’étaye la thèse voulant que l’article 18.5 ne s’applique pas si le demandeur n’est pas satisfait du ou des mécanisme(s) d’appel dont il dispose. Si la compétence en matière d’appel est discrétionnaire, peu importe si le demandeur estime que l’organe réformateur est « mal adapté » pour entendre l’appel proposé, et que la poursuite de l’appel est de nature économique, c’est l’existence même du droit d’interjeter appel qui exclut la compétence de notre Cour en vertu de l’article 28.

[Non souligné dans l’original.]

[49]  Dans la mesure où le mécanisme prévu par le législateur à l’article 40 de la LTC constitue un recours subsidiaire efficace permettant au CN de contester la décision de l’Office, alors, ce recours exclut l’introduction, par le CN, de procédures de contrôle judiciaire en vertu de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales.

[50]  Troisièmement, je rejette les affirmations du CN portant qu’en le privant de son droit de demander le contrôle judiciaire de la décision de l’Office conformément à l’alinéa 28(1)k) de la Loi sur les Cours fédérales, notre Cour accorderait, en effet, à l’Office une immunité complète en matière de supervision par les juridictions judiciaires à l’égard de toutes les questions de fait tranchées par l’Office en sa capacité décisionnelle. À mon avis, la décision de la Cour suprême du Canada dans Chemins de fer nationaux CSC fournit la réponse complète aux arguments soulevés par le CN sur ce point.

[51]  Dans l’affaire Chemins de fer nationaux CSC, après avoir cité l’article 40 de la LTC et signalé que cette disposition conférait au gouverneur en conseil le pouvoir de modifier ou d’annuler toute décision ou ordonnance de l’Office, la Cour, sous la plume du juge Rothstein, a formulé la question qu’il devait trancher, au paragraphe 2 des motifs, de la manière suivante :

Les questions en litige dans le présent pourvoi ont principalement trait au fait de savoir si le gouverneur en conseil est habilité à modifier ou à annuler une décision de l’Office sur un point de droit.

[52]  Au paragraphe 34 de ses motifs au nom de la Cour, le juge Rothstein a souligné le fait que le CN avait soutenu que l’article 40 de la LTC ne conférait pas au gouverneur en conseil le pouvoir de trancher des questions de droit ou de compétence, mais qu’il n’avait le pouvoir de trancher que des questions de fait et de politique. Le juge Rothstein a rejeté cette thèse, soulignant, au paragraphe 37 de ses motifs, que l’article 40 ne limitait d’aucune manière le pouvoir du gouverneur en conseil de trancher les requêtes qui lui sont adressées.

[53]  Aux paragraphes 43 et suivants des motifs de la Cour, le juge Rothstein a discuté les arguments soulevés par le CN selon lesquels l’historique législatif de l’article 40 et du paragraphe 41(1) de la LTC militait en faveur d’une limitation du pouvoir du gouverneur en conseil à des questions de fait ou de politique. Après avoir affirmé que l’historique législatif de la disposition n’était pas clair, il a fait l’observation suivante au paragraphe 46 des motifs :

À mon avis, les extraits des débats parlementaires confirment bel et bien que le législateur avait l’intention d’éviter que des questions de fait soient portées en appel devant la Cour d’appel fédérale. À défaut d’autres éléments de preuve, ces extraits des débats parlementaires ne démontrent pas qu’il était prévu que le rôle du gouverneur en conseil se borne à l’examen des seules questions de fait ou de politique.

[54]  Puis, au paragraphe 48 des motifs de la Cour, le juge Rothstein a indiqué qu’il retenait la thèse du CN portant qu’il était inusité pour le gouverneur en conseil de trancher des questions de droit et qu’en général, le gouverneur en conseil était surtout intéressé par les questions de politique et de fait, ajoutant toutefois que « [...] cela ne veut pas dire que la loi ne l’habilite pas à le faire ». De l’avis du juge Rothstein, la préférence des parties, pour des raisons stratégiques ou pratiques, pour la Cour d’appel fédérale aux termes du paragraphe 41(1) en ce qui concerne les questions de droit, ne signifie pas que l’article 40 de la LTC empêche le gouverneur en conseil d’exercer son pouvoir sur des questions de droit.

[55]  Puis, dans le contexte de la détermination de la norme de contrôle applicable aux décisions prises par le gouverneur en conseil aux termes de l’article 40 de la LTC, le juge Rothstein, au paragraphe 51 des motifs de la Cour, a fait remarquer que lorsqu’il est appelé à trancher des requêtes en application de l’article 40 de la LTC, le gouverneur en conseil n’intervenait pas à titre de législateur et que, par conséquent, toute décision rendue par le gouverneur en conseil faisait l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale. Ainsi, selon l’opinion du juge Rothstein, la Cour fédérale exercerait « un rôle de surveillance à l’égard du gouverneur en conseil, qui constitue une autorité publique exerçant les pouvoirs légaux qui lui sont délégués en vertu de l’art. 40 de la Loi » (paragraphe 52 des motifs de la Cour). Après avoir rappelé les décisions de la Cour dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 54; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, au paragraphe 28; Alberta (Information and Privacy Commissioner) v. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 30, le juge Rothstein a étoffé ses explications quant à l’opinion qu’il a exprimée au paragraphe 51 des motifs de la Cour, en affirmant, au paragraphe 58, ce qui suit :

[58] Même si la principale compétence administrative sur l’Acte des chemins de fer a plus tard été déléguée à la Commission des chemins de fer (devenue plus tard l’Office) de façon à pouvoir traiter plus efficacement des questions découlant de cette loi, le gouverneur en conseil a conservé un rôle de surveillance (Acte des chemins de fer, 1903, S.C. 1903, ch. 58; Coyne, p. vi-vii). Le long historique de la participation du gouverneur en conseil aux lois et aux politiques en matière de transport démontre qu’il s’agit là d’un secteur lié de près à la fonction d’examen du gouverneur en conseil. Le Parlement a laissé au gouverneur en conseil un rôle important dans ce domaine en lui accordant, à l’art. 40, un vaste pouvoir décisionnel à l’égard des arrêtés et des décisions de l’Office, y compris ceux qui soulèvent des questions de droit. Lorsqu’il examine des arrêtés et des décisions de l’Office aux termes de l’art. 40, le gouverneur en conseil exerce sa fonction d’adjudication et tranche de nouveau les questions de fond que l’Office avait examinées. Ainsi, le Parlement a confirmé le rôle que le gouverneur en conseil joue depuis longtemps dans ce domaine. On peut alors affirmer que le principe selon lequel la déférence est habituellement de mise lorsqu’un tribunal administratif interprète une loi liée de près à son mandat et dont il a une connaissance approfondie s’applique à la présente affaire.

[Non souligné dans l’original.]

[56]  Il découle de la jurisprudence de la Cour suprême, Chemins de fer nationaux CSC, qu’il y a un recours subsidiaire efficace et acceptable permettant au CN de contester les conclusions de fait et les décisions rendues par l’Office. Il s’ensuit également de la jurisprudence Chemins de fer nationaux CSC que les décisions rendues par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 40 constituent des décisions juridictionnelles susceptibles de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale dont les décisions peuvent être portées en appel devant notre Cour.

[57]  Par conséquent, contrairement à ce que le CN affirme, le législateur n’a pas retiré aux juridictions judiciaires les pouvoirs de contrôle judiciaire dont ils disposent en promulguant l’article 40 de la LTC. Le recours dont dispose le CN peut ne pas être celui dont il aurait aimé disposer, mais le recours créé par le législateur, comme je l’ai déjà indiqué, est efficace ; notre Cour ne peut donc entendre et trancher la demande de contrôle judiciaire du CN présentée en vertu de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales.

VII.  Conclusion

[58]  Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire du CN, avec dépens.

« M. Nadon »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-184-17

 

INTITULÉ :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA c. ROBERT SCOTT ET OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 avril 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 août 2018

 

COMPARUTIONS :

Douglas C. Hodson

Jocelyn Sirois

 

Pour la demanderesse

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

Israel A. Ludwig

 

Pour le défendeur

ROBERT SCOTT

 

Allan Matte

 

Pour l’intervenant

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MLT Aikens LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

Pour la demanderesse

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

DUBOFF EDWARDS HAIGHT & SCHACHTER LAW CORPORATION

Winnipeg (Manitoba)

Pour le défendeur

ROBERT SCOTT

 

Office des transports du Canada

Direction des services juridiques

Gatineau (Québec)

Pour l’intervenant

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

 

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