Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19990323

     Dossier : A-799-97

CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SEXTON

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

Entre :

         ALAN MONTGOMERY, BRITISH COLUMBIA ASSESSMENT

         AUTHORITY ET GUY MOUSSEAU,

     appelants

     (défendeurs),

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée

     (demanderesse).

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le mardi 23 mars 1999.

Jugement prononcé à l'audience à Ottawa (Ontario) le mardi 23 mars 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :      LE JUGE ROTHSTEIN

     Date : 19990323

     Dossier : A-799-97

CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SEXTON

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

Entre :

         ALAN MONTGOMERY, BRITISH COLUMBIA ASSESSMENT

         AUTHORITY ET GUY MOUSSEAU,

     appelants

     (défendeurs),

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée

     (demanderesse).

     MOTIFS DU JUGEMENT

     (prononcés à l'audience à Toronto (Ontario), le mardi 23 mars 1999)

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      La question soulevée dans le présent appel est de savoir si les cotisations professionnelles versées par l'appelant, Alan Montgomery, à l'Institut canadien des évaluateurs (ICE) pour l'année d'imposition 1988 pouvaient être déduites de son revenu tiré d'un emploi pour cette année en vertu du sous-alinéa 8(1)i)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63. M. Montgomery était évaluateur immobilier employé par le ministère du Revenu national à titre de chef de la section de l'évaluation immobilière au bureau de district de Hamilton (Ontario). L'une des conditions de son emploi à ce poste l'obligeait à être agréé de l'Institut canadien des évaluateurs, mais ses cotisations professionnelles ne lui étaient pas remboursées par son employeur, et il n'avait d'ailleurs pas droit à ce remboursement. Les parties conviennent que les évaluateurs immobiliers sont membres d'une profession pour les fins du sous-alinéa 8(1)i)(i).

[2]      En 1988, il n'y avait pas de loi en vertu de laquelle l'Institut canadien des évaluateurs était constituée ou réglementée en tant que profession autonome. L'Institut a été constitué en société sans capital-cations le 11 avril 1960, en vertu de la partie II de la Loi sur les compagnies, S.R.C. 1952, ch. 53. L'Institut s'est doté de règlements internes régissant, notamment, la désignation de ses membres comme évaluateurs agréés (AACI), évaluateurs professionnels (P. App.) et évaluateurs résidentiels canadiens (CRA), ainsi que les études et le code d'éthique.

[3]      La seule question à trancher est de savoir si un évaluateur immobilier en Ontario a un statut professionnel " reconnu par la loi " au sens du sous-alinéa 8(1)i )(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[4]      Le juge Bowman de la Cour canadienne de l'impôt s'est appuyé sur des renvois à des évaluations effectuées par des personnes désignées comme AACI par l'Institut canadien des évaluateurs en vertu de l'Expropriation Act de la Colombie-Britannique et des règlements établis sous son régime. Par conséquent, il a donné gain de cause à M. Montgomery et l'a autorisé à déduire ses cotisations professionnelles payées à l'ICE. (Voir Montgomery c. La Reine [1996], 1 C.T.C. 2796). Devant la Section de première instance de la Cour fédérale, le juge de première instance est parvenu à la conclusion contraire. Voir Sa Majesté la Reine c. Alan Montgomery et al., 97 D.T.C. 5511. Citant de nombreux précédents jurisprudentiels qu'elle a suivis1, le juge de première instance a conclu de la façon suivante :

         Selon moi, une disposition légale exigeant la préparation d'une évaluation par un membre de l'Institut canadien des évaluateurs ne constitue pas une reconnaissance par la loi du statut professionnel de ce groupe ; elle indique simplement qu'un membre de ce groupe doit préparer l'évaluation exigée par la disposition légale. Une profession n'a de " statut professionnel reconnu par la loi ", au sens du sous-alinéa 8(1)i )(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qu'à la suite de l'adoption d'une loi lui permettant expressément de régir ses affaires conformément à certains droits, obligations et pouvoirs. En 1988, il n'existait aucune législation au Canada accordant à l'Institut canadien des évaluateurs ou à ses groupes affiliés le droit de s'autoréglementer à titre de profession.                 

[5]      Le sous-alinéa 8(1)i)(i) dispose comme suit :

         Lors du calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, peuvent être déduits ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :         
             i) les sommes payées par le contribuable dans l'année à titre de         
                 (i) cotisations annuelles de membre d'association professionnelle, dont le paiement était nécessaire pour la conservation d'un statut professionnel reconnu par la loi,                 

     [...]

             dans la mesure où ce contribuable n'a pas été remboursé, et n'a pas le droit de l'être à cet égard ; [...] [non souligné dans l'original]         

[6]      Le terme " reconnu " n'est pas défini de façon plus précise.

[7]      Devant la présente Cour, les appelants ont cité trois lois en vigueur en 1988 qui, selon leur prétention, reconnaissait le statut professionnel des évaluateurs. La première disposition législative est le paragraphe 19(2) de l'Expropriation Act, S.B.C., 1987, ch. 23, qui dispose comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         19.(2) Le rapport d'évaluation doit être préparé par une personne qui a été agréée par un institut ou un organisme prescrit par le lieutenant-gouverneur en conseil, doit être raisonnablement détaillé et doit comprendre [...]                 

L'article 8 du Expropriation Act General Regulation 451/87 est rédigé comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         Pour les fins du paragraphe 19(2) de la Loi, les personnes suivantes peuvent préparer des rapports d'évaluation :                 
             a) une personne désignée comme AACI par l'Institut canadien des évaluateurs [...]                         

[8]      Ensuite, les appelants citent le paragraphe 8(5) de la Nursing Homes Act, S.A. 1985, ch. N-14.1. Ce paragraphe est rédigé dans les termes suivants :



         [TRADUCTION]                 
         (5) Si le ministre accorde l'approbation dont il est question au paragraphe (1), celle-ci est soumise aux conditions prescrites dans les règlements.                 

[9]      L'alinéa 7d) du Nursing Homes General Regulation 232/85 dispose :

         [TRADUCTION]                 
         7. Si l'exploitant d'une maison de santé ne faisant pas partie du district demande au ministre en vertu du paragraphe 8(1) de la Loi d'approuver la vente ou toute autre forme d'aliénation de tout droit qu'il a sur le terrain et les immeubles utilisés pour sa maison de santé à un conseil de district, l'approbation, si elle est accordée, est soumise à la condition suivante : le prix de vente ou d'aliénation pour le terrain, les immeubles et toute autre propriété utilisée pour la maison de santé ne doit pas dépasser le total de la juste valeur marchande du terrain, des immeubles et de toute autre propriété déterminée à la date de la vente ou de l'aliénation par suite d'une évaluation aux termes de laquelle                 
             a) le conseil de district doit en obtenir une évaluation d'un évaluateur nommé et rémunéré par lui,                         
             [...]                         
             d) chaque évaluateur doit être membre soit de l'Alberta Association of Professional Appraiser, soit de l'Institut canadien des évaluateurs                         
             [...]                         

[10]      Finalement, les appelants citent les paragraphes 5(2), (3) et (4) de la Loi sur le régime d'habitation des fonctionnaires, L.R.Y. 1986, ch. 80, qui est rédigé dans les termes suivants :

         5.(2) Nul ne peut être nommé évaluateur en application du présent article s'il n'est capable de démontrer qu'il a l'expérience voulue pour effectuer des évaluations de biens fonciers pour autrui contre rémunération.                 
         (3) Est réputée avoir remplir les conditions mentionnées au paragraphe (2), la personne qui, selon le cas :                 
             a) est titulaire d'un certificat de l'Institut des évaluateurs du Canada (sic) la déclarant habile à évaluer le logement ; ou                         

     [...]

         (4) L'évaluation se fait sur la base du coût ou de la valeur marchande reconnue par l'Institut des évaluateurs du Canada (sic).                 

[11]      La question est de savoir si ces renvois satisfont aux conditions des mots " statut professionnel reconnu par la loi " figurant au sous-alinéa 8(1)i )(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Pour les fins du sous-alinéa 8(1)i)(i), les lois de la Colombie-Britannique et de l'Alberta se compliquent du fait que les renvois à l'Institut canadien des évaluateurs, ou à la désignation AACI, se trouvent dans les règlements et non dans les lois elles-mêmes. Toutefois, la Loi sur le régime d'habitation des fonctionnaires du Yukon dispose qu'un évaluateur est réputé avoir satisfait à la condition qu'il a l'expérience voulue pour effectuer des évaluations de biens fonciers et s'il est titulaire d'un certificat de l'ICE le déclarant habile à évaluer le logement.

[12]      Le courant jurisprudentiel sur lequel le juge de première instance s'est appuyé pour en venir à la conclusion que le terme " reconnu " signifie qu'une loi doit prévoir la réglementation de l'organisme professionnel, s'est formé à partir de la décision Minister of National Revenue v. Montgomery , précitée. Toutefois, nous ne croyons pas que la ratio decidendi dans la décision Montgomery traite directement du sens qu'il faut donner au terme " reconnu " au sous-alinéa 8(1)i )(i), qui est la question que nous devons trancher dans le présent appel. En fait, dans la décision Montgomery, le juge Kerr déclare ceci à la page 120 :

         [TRADUCTION]                 
         Le but du paiement des cotisations au carré des officiers n'est pas, à mon avis, de maintenir un statut professionnel. Le statut d'un officier de la marine n'exige pas qu'il soit membre d'un mess, contrairement à l'exercice de la médecine, par exemple, qui exige que le médecin soit membre d'un ordre des médecins établi par la loi.                 
         [...]                 
         On n'a pas attiré mon attention sur une reconnaissance particulière d'un mess des officiers dans une loi, et il m'est difficile de croire que le statut de membre d'un mess des officiers est un statut professionnel reconnu par la loi.                 

Des décisions ultérieures semblent s'appuyer sur les observations incidentes énoncées par le juge Kerr à la page 119 :

         [TRADUCTION]                 
         Je suis tout à fait convaincu que le concept actuel de sociétés et d'associations organisées de médecins, de dentistes, d'avocats, d'ingénieurs, de comptables agréés et d'autres professionnels, auxquelles un statut spécial a été conféré par la loi et qui ont le pouvoir de faire des règlements pour régir des questions comme la délivrance des certificats et des permis d'exercice de la profession, l'examen des candidats à l'adhésion et le droit d'exercer, le code de discipline des membres, et plusieurs autres questions, y compris la réglementation de l'exercice et la conduite professionnelle de ses membres. (sic)                 

[13]      En toute déférence, nous croyons que la décision Montgomery et celles qui ont suivi incorporent dans la Loi de l'impôt sur le revenu des mots qui ne s'y trouvent pas. À cet égard, nous devons nous laisser guider par le raisonnement du juge Iacobucci dans l'arrêt Canderel Limitée c. La Reine [1998] 1 R.C.S. 147, à la page 168 :

             L'usurpation par les tribunaux de ce pouvoir inhérent du législateur est source de dangers inutiles. Comme notre Cour l'a souligné dans Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, au par. 112 :                 
                 Pour obtenir le résultat souhaité, il suffit d'utiliser des termes aussi clairs. En l'absence de pareils termes, l'innovation judiciaire n'est pas souhaitable parce qu'il s'agit d'une question qui regorge de considérations de principe et parce qu'une prescription du législateur est plus susceptible d'être claire qu'une règle dont les limites précises ne seront établies que par suite d'une longue et coûteuse série de poursuites.                         
             En matière d'impôt sur le revenu, le droit est suffisamment compliqué sans que les tribunaux fassent inutilement des incursions dans le domaine de la création des lois. En tant que ligne de conduite et par respect pour le rôle même du législateur, c'est un lieu commun que de dire que la promulgation de nouvelles règles de droit fiscal doit être laissée au législateur. Comme l'a dit un jour un éminent juriste de la Cour suprême des États-Unis, [TRADUCTION] " nous sommes la Cour suprême, pas le Parlement suprême ".                 

[14]      La démarche suivie par l'intimée nous oblige à compléter le mot " reconnu " utilisé au sous-alinéa 8(1)i )(i) par des mots comme " incluant " ou " prévoyant la réglementation de " la profession ou d'autres mots de même signification. Nous ne doutons aucunement que bon nombre, et peut-être même la totalité, des organismes professionnels seront établis et réglementés par la loi. Toutefois, la Loi de l'impôt sur le revenu ne traite pas de la constitution ni de la réglementation des ordres professionnels et on ne peut pas déduire nécessairement que le mot " reconnu " au sous-alinéa 8(1)i )(i) englobe ce genre d'exigences.

[15]      Le sous-alinéa 8(1)i)(i) a pour but d'autoriser, à titre de déduction sur le revenu, des cotisations professionnelles versées afin de maintenir un statut professionnel reconnu par la loi. L'expression " reconnu par la loi " a simplement pour but d'établir une norme au regard de laquelle la validité du statut professionnel en question peut être évaluée. La définition du mot " reconnu " tirée du dictionnaire est, dans ce contexte, [TRADUCTION] " de reconnaître l'existence, la validité, les caractéristiques ou les prétentions ". Voir le Concise Oxford Dictionary , 8e édition. Si le législateur avait l'intention de restreindre le sens du mot " reconnu " pour y inclure la condition d'être " constitué ", " créé " ou " réglementé " par la loi, il lui était loisible d'utiliser des mots à cet effet. Il ne l'a pas fait. La présente Cour ne peut pas le faire non plus à moins d'aller à l'encontre de la méthode d'interprétation énoncée dans l'arrêt Canderel . Il y a une reconnaissance légale du statut des évaluateurs, statut qui est associé à l'adhésion à l'Institut canadien des évaluateurs et dont les parties reconnaissent qu'il constitue un statut professionnel. Par conséquent, nous sommes convaincus en l'espèce qu'il y a une reconnaissance légale du statut professionnel des évaluateurs pour les fins du sous-alinéa 8(1)i)(i).

[16]      Nous sommes d'avis d'accueillir l'appel, d'infirmer la décision de la Section de première instance et l'appel de l'intimée contre la décision de la Cour canadienne de l'impôt, les frais étant totalement accordés aux appelants, devant la présente Cour et devant la Section de première instance.

                         " Marshall Rothstein "

     Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                  A-799-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Alan Montgomery et al. c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 23 mars 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (les juges Desjardins, Rothstein et Sexton)

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR : le juge Rothstein

ONT COMPARU :

John E.D. Savage                      POUR LES APPELANTS

David W. Chodikoff                      POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Crease Harman & Company              POUR LES APPELANTS

Victoria (C.-B.)

Morris Rosenberg                      POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

__________________

     1      M.N.R. v. Montgomery [1970], 70 D.T.C. 6080, 6083 (C. de l'É.) ; Her Majesty the Queen v. Swingle (1977), 77 D.T.C. 5301, 5308 (C.F. 1re inst.) ; Stewart v. Minister of National Revenue (1983), 82 D.T.C. 1767, 1769 (C.R.I.) ; Laithwaite v. Her Majesty the Queen (1995), 95 D.T.C. 710, 712 (C.C.I.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.