Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20171115


Dossier : A-39-17

Référence : 2017 CAF 221

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

 

 

VOLTAGE PICTURES, LLC,

COBBLER NEVADA, LLC,

PTG NEVADA, LLC,

CLEAR SKIES NEVADA, LLC,

GLACIER ENTERTAINMENT S.A.R.L. OF LUXEMBOURG,

GLACIER FILMS 1, LLC et

FATHERS & DAUGHTERS NEVADA, LLC

 

 

appelantes

 

 

et

 

 

ROBERT SALNA, REPRÉSENTANT DÉFENDEUR PROPOSÉ, AU NOM DES DÉFENDEURS D’UN RECOURS COLLECTIF

 

 

intimé

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 19 octobre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 


Date : 20171115


Dossier : A-39-17

Référence : 2017 CAF 221

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

 

 

VOLTAGE PICTURES, LLC,

COBBLER NEVADA, LLC,

PTG NEVADA, LLC,

CLEAR SKIES NEVADA, LLC,

GLACIER ENTERTAINMENT S.A.R.L. OF LUXEMBOURG,

GLACIER FILMS 1, LLC et

FATHERS & DAUGHTERS NEVADA, LLC

 

 

appelantes

 

 

et

 

 

ROBERT SALNA, REPRÉSENTANT DÉFENDEUR PROPOSÉ, AU NOM DES DÉFENDEURS D’UN RECOURS COLLECTIF

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  Les appelantes interjettent appel de l’ordonnance rendue par le juge Boswell de la Cour fédérale dans Voltage Pictures, LLC et al. c. Robert Salna, représentant défendeur proposé, au nom des défendeurs d’un recours collectif, 2017 CF 130, et l’intimé forme un appel incident à cet égard. Dans l’ordonnance en question, la Cour fédérale a accueilli la requête en cautionnement pour dépens présentée par l’intimé à l’égard d’une requête en autorisation en instance, a fixé le cautionnement à 75 000 $ et a adjugé à l’intimé les dépens relatifs à la requête, qui ont été fixés au montant global de 750 $.

[2]  Les appelantes en l’espèce soutiennent dans un premier temps que la Cour fédérale a ordonné à tort le versement d’un cautionnement pour dépens puisque les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) prévoient un régime a priori sans dépens pour les recours collectifs. Subsidiairement, elles soutiennent que la somme adjugée est excessive et que la Cour fédérale a rendu de manière prématurée l’ordonnance relative au cautionnement pour dépens.

[3]  S’agissant de l’appel incident, l’intimé prétend que la Cour fédérale a commis une erreur en fixant le montant des dépens sans d’abord lui donner la possibilité de présenter des observations sur la question. Il a présenté une offre de règlement conforme aux exigences de l’article 420 des Règles et soutient que, s’il avait eu l’occasion de présenter de telles observations, il aurait eu droit à des dépens plus importants, puisque les frais qu’il a engagés relativement à la requête excèdent 22 000 $. En réponse, les appelantes avancent que l’intimé a eu la possibilité de présenter des observations sur les dépens devant la Cour fédérale, mais ne l’a pas fait, et qu’il ne peut donc pas se fonder sur ce manquement pour obtenir l’annulation de l’ordonnance d’adjudication des dépens rendue par la Cour fédérale. Les appelantes font valoir, en outre, que la Cour fédérale n’aurait pas dû adjuger de dépens du tout, étant donné qu’il ne devrait pas y avoir adjudication de dépens dans le cadre d’un recours collectif et qu’aucune des exceptions permettant l’adjudication de dépens ne s’applique. Subsidiairement, les appelantes affirment que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en adjugeant des dépens globaux modestes, mais que, si l’ordonnance d’adjudication des dépens est confirmée, elles ne s’opposeront pas à ce que la somme fixée par ordonnance soit doublée, conformément à l’esprit de l’article 420 des Règles.

[4]  Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais l’appel, mais j’accueillerais l’appel incident et je renverrais la question des dépens au juge des requêtes pour qu’il rende une nouvelle décision qui cadre avec les présents motifs. Les parties ayant chacune succombé à certains égards, je n’adjugerais de dépens à aucune d’elles tant dans l’appel que dans l’appel incident.

[5]  La Cour fédérale a conclu que le paragraphe 334.39(1) (qui établit un régime a priori sans dépens pour les recours collectifs) ne s’appliquait pas, parce qu’il n’y avait pas eu dépôt d’un avis de requête en autorisation au moment où la Cour fédérale a été saisie de la requête en cautionnement pour dépens. La Cour fédérale a comparé cette situation à celle dans Pearson c. Canada, 2008 CF 1367, [2008] A.C.F. no 1797, et à celle dans Campbell c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 45, décisions dans lesquelles il a été établi que les dépens peuvent être adjugés dans le contexte d’une requête en radiation d’une déclaration dans un recours collectif envisagé si cette requête est présentée avant le dépôt de la requête en autorisation.

[6]  Avec respect pour la Cour fédérale, je ne peux souscrire à son raisonnement sur ce point étant donné que la situation en l’espèce est nettement différente de celle d’une requête en radiation d’une déclaration dans un recours collectif envisagé. En effet, étant distincte de la requête en autorisation, la requête en radiation, si elle est accueillie, repose sur la décision selon laquelle l’affaire ne relève pas de la compétence des tribunaux. L’adjudication de dépens dans ces circonstances ne nuit pas à l’accès du demandeur à la justice, puisqu’il n’a pas de cause de toute façon.

[7]  En revanche, dans le cas qui nous occupe, la situation est diamétralement opposée. La requête en cautionnement pour dépens vise à garantir le versement d’au moins une partie des dépens qui pourraient être adjugés. En l’espèce, cette garantie visait les dépens prévus relativement à la requête en autorisation. L’article 334.39 des Règles précise que, dans le contexte d’une requête en autorisation, il n’y a adjudication de dépens que dans les cas prévus par la disposition. Permettre à un défendeur de contourner l’interdiction d’adjudication de dépens par le dépôt d’une requête en cautionnement pour dépens dès qu’il reçoit signification d’une déclaration dans le cadre d’un recours collectif envisagé ouvrirait une brèche dans le régime a priori sans dépens prévu par les Règles. En outre, dans la présente affaire, le moment du dépôt de la requête en cautionnement et de la requête en autorisation était tributaire des dates fixées par le juge des requêtes. Il serait par conséquent artificiel de laisser entendre que ce moment peut servir de fondement au prononcé de l’ordonnance visée par l’appel. Ainsi, les motifs donnés par la Cour fédérale à l’appui de sa conclusion selon laquelle elle avait compétence pour accorder le cautionnement pour dépens en l’espèce ne peuvent résister à un examen approfondi.

[8]  Néanmoins, je crois que l’ordonnance de la Cour fédérale devrait tout de même être confirmée, puisqu’il existe un autre fondement pour conclure à la compétence de la Cour. Dans les circonstances exceptionnelles de l’espèce, soit un recours collectif inversé envisagé par des sociétés étrangères qui n’ont pas d’actifs importants au Canada à l’encontre d’un groupe qui pourrait comprendre des milliers de personnes résidant au Canada, il est tout à fait possible que, s’il obtient gain de cause, l’intimé se voie adjuger les dépens par application de l’alinéa 334.39(1)c) des Règles. Cette disposition permet l’adjudication de dépens liés à une requête en autorisation, à un recours collectif ou à un appel découlant d’un recours collectif si  « des circonstances exceptionnelles font en sorte qu’il serait injuste d’en priver la partie qui a eu gain de cause ». De telles circonstances pourraient bien exister en l’espèce, mais la question ne sera pas abordée à moins et jusqu'à ce que la Cour fédérale ne rejette la requête en autorisation.

[9]  Les situations visées aux alinéas 416(1)a) et b) des Règles s’appliquent et, par conséquent, s’il ne s’agissait pas d’un recours collectif envisagé, la Cour fédérale pourrait rendre une ordonnance de cautionnement pour dépens. Je ne crois pas que, étant saisie d’un recours collectif envisagé, la Cour fédérale soit de ce fait empêchée de rendre une telle ordonnance en l’espèce. Plus précisément, je ne crois pas que le prononcé d’une décision quant à l’applicabilité de l’alinéa 334.39(1)c) des Règles soit une condition préalable à l’exercice par la Cour fédérale du pouvoir que lui confère l’article 416 des Règles d’ordonner un cautionnement pour dépens dans une affaire comme la présente. D’ailleurs, une telle exigence ne ressort ni des Règles ni de la jurisprudence de notre Cour.

[10]  Les appelantes renvoient aux décisions suivantes rendues par des tribunaux de la Colombie-Britannique : Samos Investments Inc c. Pattison, 2002 BCCA 442, 216 D.L.R. (4e) 646 [Samos] et Secure Networx Corp. c. KPMG, LLP, 2002 BCSC 1001, [2002] B.C.J. no 1776, conf. par 2003 BCCA 227, 12 B.C.L.R. (4e) 317 [Secure Networx]. Les appelantes font valoir que ces décisions appuient la thèse selon laquelle la Cour fédérale n’a pas compétence pour rendre une ordonnance de cautionnement pour dépens à moins qu’elle ne conclue à l’applicabilité de l’exception prévue à l’alinéa 334.39(1)c). Je ne souscris pas à cette thèse. L’affaire Samos portait uniquement sur l’équivalent britanno-colombien des alinéas 334.39(1)a) et b) des Règles, et l’arrêt Secure Networx de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’articulait autour du pouvoir discrétionnaire dont était investi le juge du procès. En outre, notre Cour n’est pas liée par ces précédents.

[11]  Si l’interprétation préconisée par les appelantes était juste, il ne pourrait jamais y avoir d’ordonnance de cautionnement pour dépens dans le cas d’un recours collectif comportant des circonstances exceptionnelles, étant donné qu’une décision au titre de l’alinéa 334.39(1)c) des Règles ne peut être rendue avant le prononcé de la décision sur le fond. À mon avis, une telle interprétation est insoutenable, puisqu’elle pourrait bien priver un représentant défendeur comme M. Salna de tout espoir réaliste de recouvrer les dépens qui pourraient lui être adjugés.

[12]  En outre, aucune des préoccupations relatives à l’accès à la justice à l’origine du régime a priori sans dépens prévu par les Règles dans le cas de recours collectifs ne milite contre le prononcé d’une ordonnance de cautionnement en l’espèce. Les appelantes semblent tout à fait aptes à intenter leur action; elles étaient d’ailleurs représentées devant notre Cour par deux avocats mandatés. De plus, elles ont refusé de présenter en preuve des renseignements qui indiqueraient si elles ont les moyens de se faire représenter par un avocat ou de verser le cautionnement pour dépens exigé. En revanche, l’intimé et d’autres membres du groupe proposé auront vraisemblablement du mal à payer leurs honoraires d’avocat. Par conséquent, aucun principe établi ne permet de conclure qu’une ordonnance de cautionnement pour dépens ne devrait pas être prononcée en l’espèce; en outre, aucune décision faisant autorité ne donne à penser que la Cour fédérale a rendu à mauvais droit une telle ordonnance. Je crois donc qu’il était loisible à la Cour fédérale de rendre l’ordonnance de cautionnement pour dépens qui est ici contestée.

[13]  Je ne vois pas non plus de raison de modifier le montant du cautionnement fixé par la Cour fédérale, puisqu’il s’agit d’une décision factuelle discrétionnaire que notre Cour ne peut modifier en l’absence d’une erreur manifeste et dominante. Les appelantes n’ont fait état d’aucune erreur de ce type en l’espèce, compte tenu notamment des frais élevés déjà engagés simplement pour débattre de la requête relative au cautionnement. En outre, si les appelantes ont raison et que la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson-Glushko intervient dans l’instruction de la requête en autorisation et se chargera de présenter l’essentiel des observations, les appelantes pourraient demander à la Cour fédérale de modifier son ordonnance et de revoir à la baisse le montant du cautionnement pour dépens qu’elles doivent fournir. En fait, dans ses motifs, la Cour fédérale a justement fait état d’une telle éventualité.

[14]  Par conséquent, je rejetterais l’appel.

[15]  En ce qui concerne l’appel incident, je conviens avec les appelantes que la Cour fédérale ne pouvait adjuger de dépens relativement à la requête avant de statuer sur l’applicabilité de l’une des exceptions prévues au paragraphe 334.39(1). À cet égard, comme il est mentionné, la requête en cautionnement pour dépens avait été présentée en lien avec la requête en autorisation et, comme je l’ai déjà décidé, le paragraphe 334.39(1) des Règles s’applique à la requête. Par conséquent, il ne peut y avoir adjudication de dépens qu’une fois tranchée la question de l’applicabilité de l’une des exceptions prévues par les Règles.

[16]  La Cour fédérale ayant refusé de trancher cette question, notre Cour doit annuler l’ordonnance d’adjudication de dépens. Je renverrais à la Cour fédérale la question des dépens payables, s’il en est, relativement à la requête en cautionnement pour dépens, pour qu’elle la réexamine. La Cour fédérale ne pourra alors adjuger de dépens que si elle conclut à l’applicabilité de l’une des exceptions prévues au paragraphe 334.39(1). Inversement, elle pourrait choisir d’attendre qu’il soit statué sur la requête en autorisation avant de tirer une telle conclusion, si elle estime judicieux de procéder ainsi en l’espèce.

[17]  Même si je peux dès lors trancher l’appel incident, j’estime utile de me prononcer sur la démarche qu’il convient de suivre relativement aux dépens, étant donné qu’il semble y avoir eu une certaine confusion en première instance. Tout d’abord, soulignons que la Cour peut, s’il y a lieu, adjuger les dépens sous forme de somme globale. En effet, l’Avis aux parties et à la communauté juridique diffusé par l’ancien juge en chef de la Cour fédérale le 30 avril 2010 indique clairement que la Cour fédérale peut faire masse des dépens dans le cas d’une requête et que, partant, les parties devraient être prêtes à débattre du montant des dépens. Il leur incombe donc de présenter des observations à cet égard, dont la somme à adjuger, lorsque la question est soulevée pendant l’instruction d’une requête par la Cour fédérale. À l’inverse, lorsque la Cour envisage de faire masse des dépens, elle devrait demander des observations au sujet de la somme à adjuger si les parties n’ont pas abordé la question.

[18]  Cette démarche doit être modifiée lorsqu’une offre de règlement a été présentée et que cette offre pourrait avoir une incidence sur les dépens. L’article 422 des Règles précise que les offres de règlement ne peuvent être communiquées à la Cour tant que celle‑ci n’a pas statué sur le fond de l’affaire. Ainsi, en cas de présentation d’une offre, l’avocat aurait intérêt à demander à la Cour de rendre sa décision sur le fond avant de se prononcer sur la question des dépens. À la suite du prononcé de la décision sur le fond, les parties peuvent présenter leurs observations sur la question du montant. Ainsi, en l’espèce, l’avocat de l’intimé aurait dû demander à la Cour fédérale de mettre en délibéré sa décision sur la question du montant des dépens à adjuger.

[19]  À la lumière de ce qui précède, je rejetterais le présent appel, j’accueillerais l’appel incident, j’annulerais l’ordonnance d’adjudication des dépens de la Cour fédérale et je renverrais la question des dépens au juge des requêtes pour qu’il effectue un réexamen en tenant compte des présents motifs, le tout sans dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D. G. Near j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-39-17

 

INTITULÉ :

VOLTAGE PICTURES, LLC, ET AL. c. ROBERT SALNA, REPRÉSENTANT DÉFENDEUR PROPOSÉ, AU NOM DES DÉFENDEURS D’UN RECOURS COLLECTIF

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 octobre 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

DATE DES MOTIFS :

LE 15 NOVEMBRE 2017

COMPARUTIONS :

Paul V. McCallen

Patrick Copeland

POUR LES APPELANTES

Sean N. Zeitz

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AIRD & BERLIS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES APPELANTES

LIPMAN, ZENER & WAXMAN LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR L’InTIMÉ

 

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