Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20180813


Dossier : A-168-17

Référence : 2018 CAF 150

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

CONTREVENANT NO. 10

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 18 avril 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 août 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20180813


Dossier : A-168-17

Référence : 2018 CAF 150

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

CONTREVENANT NO. 10

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]  L’appelant en appelle de la décision rendue par la juge Gagné (la juge) de la Cour fédérale le 27 avril 2017 (2017 CF 416). La Cour fédérale a conclu que la sous-directrice du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (le CANAFE) n’avait pas fait d’erreur révisable en décidant que l’appelant avait commis trois violations à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 (la Loi). Elle a cependant décidé d’annuler la pénalité administrative qui avait été imposée à l’appelant et de retourner le dossier à la sous-directrice du CANAFE quant à cette seule question. Le présent appel ne vise que la décision de la Cour fédérale de confirmer les trois violations.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la Cour fédérale n’a pas erré en concluant que la décision de la sous-directrice n’était pas déraisonnable, et qu’il n’y a pas eu manquement aux principes d’équité procédurale dans le cadre du processus au terme duquel cette décision a été rendue.

I.  LES FAITS

[3]  Le CANAFE a été constitué en vertu de l’article 41 de la Loi. Le paragraphe 40b) prévoit qu’il a pour mandat de faciliter la détection, la prévention et la dissuasion du recyclage des produits de la criminalité et du financement des activités terroristes. À cette fin, il recueille et analyse des renseignements concernant certaines opérations financières qu’il croit se rapporter à des activités de recyclage des produits de la criminalité ou au financement des activités terroristes et peut communiquer ces renseignements aux forces policières compétentes ainsi qu’aux autres organismes énumérés au paragraphe 55(3) de la Loi.

[4]  La Loi prévoit par ailleurs que les entités énumérées à l’article 5, |||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, doivent mettre en place certains mécanismes et programmes, procéder à la tenue de certains documents et produire diverses déclarations au CANAFE concernant les opérations financières effectuées dans le cadre de leurs activités. L’article 7 prévoit, entres autres, que les entités assujetties à la Loi doivent déclarer toute opération financière à l’égard de laquelle il y a des « motifs raisonnables de soupçonner qu’elle est liée à la perpétration […] d’une infraction de recyclage des produits de la criminalité […] [ou] d’une infraction de financement des activités terroristes ».

[5]  Compte tenu du rôle crucial que jouent les entités déclarantes dans la collecte des informations nécessaires au bon fonctionnement du régime, l’article 62 de la Loi prévoit que le CANAFE peut procéder à des contrôles d’application et examiner les documents et activités de ces entités afin de veiller à ce qu’elles s’acquittent des obligations que leur impose la Loi. Si, au terme d’un tel examen, le CANAFE conclut qu’il a des motifs raisonnables de croire que l’entité a manqué à ses obligations légales, la Loi habilite le CANAFE à dresser un procès-verbal dans lequel sont mentionnés les faits reprochés à l’entité examinée et la pénalité que le CANAFE entend lui imposer (voir le paragraphe 73.13(2) et l’article 73.14 de la Loi). Le procès-verbal précise également le droit pour l’entité de présenter des observations au directeur du CANAFE (paragraphe 73.13(1)).

[6]  Lorsque des observations sont présentées par l’entité, le directeur du CANAFE détermine, selon la prépondérance des probabilités, s’il y a eu violation à la Loi et, le cas échéant, le montant de la pénalité imposée (paragraphe 73.15(2)). Cette dernière est fixée en tenant compte de son caractère non punitif, du fait qu’elle est destinée à encourager l’observation de la loi, de la gravité du tort causé, ainsi que de tout autre critère prévu par le Règlement sur les pénalités administratives – recyclage des produits de la criminalité et financement des activités terroristes, D.O.R.S./2007-292 (le Règlement).

[7]  Les faits à l’origine du présent appel ne sont pas contestés et peuvent être brièvement résumés.

[8]  L’appelant a été avisé par lettre en date du 15 mars 2012 que ses établissements feraient l’objet d’un examen de conformité, en vertu de l’article 62 de la Loi. Cet examen s’est déroulé dans les quatre établissements visés entre le 1er et le 11 mai 2012 et portait sur la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2011.

[9]  Suite à cet examen, le personnel du CANAFE a rencontré les préposés de l’appelant le 6 septembre 2012, dans le cadre d’une entrevue de clôture, pour leur exposer les lacunes identifiées et répondre à leurs questions. Les résultats de l’examen de conformité ont ensuite été transmis à l’appelant dans une lettre en date du 16 novembre 2012. Cette lettre identifiait quatre lacunes constatées au cours de l’examen qui avaient préalablement fait l’objet de discussions lors de l’entrevue de clôture.

[10]  Le 7 janvier 2013, l’appelant a écrit au CANAFE afin de solliciter des clarifications relativement à deux des lacunes identifiées dans la lettre de résultat. Le CANAFE a répondu à cette demande de clarification le 16 janvier 2013. Par la suite, l’appelant a soumis une réponse à la lettre d’examen de conformité, dans le cadre de laquelle il a fait des représentations quant aux quatre lacunes identifiées et soumis un plan d’action quant à ces lacunes.

[11]  Après avoir pris connaissance de la réponse de l’appelant, le CANAFE a dressé un procès-verbal en date du 12 septembre 2013, dans lequel trois violations étaient retenues. Le procès-verbal mentionnait aussi le montant de la pénalité administrative que le CANAFE avait l’intention d’imposer et informait l’appelant de son droit de présenter des observations écrites au directeur du CANAFE dans un délai de trente jours.

[12]  Le 25 septembre 2013, l’appelant écrivait au CANAFE pour l’aviser que le niveau de détail fourni dans la lettre d’examen de conformité et dans le procès-verbal n’était pas suffisant pour lui permettre de comprendre le fondement de la décision et de réviser le procès-verbal. L’appelant demandait en conséquence tous les documents et toutes les informations utilisés dans le cadre du processus décisionnel du CANAFE, ainsi qu’une prolongation de délai pour présenter des observations au directeur. Le CANAFE a refusé ces demandes dans une lettre en date du 1er octobre 2013, au motif que l’appelant avait été informé à plusieurs reprises au cours du processus d’examen des lacunes identifiées par le personnel du CANAFE et possédait donc tous les renseignements nécessaires pour présenter ses observations. En conséquence, l’appelant a présenté ses observations écrites, auxquelles étaient jointes de nombreux documents et un cahier d’autorités, le 15 octobre 2013.

[13]  La sous-directrice du CANAFE, à qui le directeur a délégué le pouvoir de rendre une décision, a pris connaissance des observations de l’appelant et a pris sa décision le 10 janvier 2014. Elle a conclu que l’appelant avait commis les trois violations décrites au procès-verbal et lui a imposé une pénalité administrative de ||||||||||||||||. C’est cette décision de la sous-directrice que l’appelant a contesté par voie d’appel devant la Cour fédérale, en vertu de l’article 73.21 de la Loi.

II.  La décision contestée

[14]  En Cour fédérale, l’appelant avait soutenu que la décision de la sous-directrice avait été prise en violation des principes d’équité procédurale, dans la mesure où cette dernière ne jouissait pas de l’indépendance requise et où il n’avait pas bénéficié d’une divulgation complète de la preuve. Après avoir noté que les infractions reprochées à l’appelant sont de nature administrative et non pénale, que le processus suivi s’apparente davantage à un processus administratif plutôt qu’à une procédure judiciaire, que la Loi prévoit un appel et que les personnes morales n’ont pas droit au même degré d’équité procédurale que les particuliers, la Cour fédérale a néanmoins conclu que l’obligation d’équité procédurale était d’intensité « moyenne » du fait de l’importance des pénalités maximales prévues par la Loi.

[15]  Appliquant cette norme, la Cour fédérale s’est dite d’avis que le simple fait pour un décideur administratif d’avoir recours à du personnel pour l’assister dans ses tâches ne suffisait pas à démontrer un manque d’indépendance; bien qu’elle ait retenu la recommandation qui lui avait été faite, il n’a pas été établi que la sous-directrice ne s’est pas penchée sur le dossier personnellement et que les conclusions retenues n’étaient pas les siennes.

[16]  Quant à la divulgation de la preuve, la Cour fédérale a jugé qu’elle était suffisante. L’appelant avait allégué qu’on ne lui avait pas fourni les détails de l’opération douteuse à laquelle un client avait participé le 31 août 2011, ce qui l’aurait empêché de se défendre adéquatement quant à cette violation de la Loi. La Cour fédérale a cependant noté les nombreuses opportunités qu’avait eues l’appelant d’être informé des reproches qui lui étaient dirigés et de poser des questions à leur égard. Les représentations écrites remises par l’appelant à la sous-directrice démontraient clairement, de l’avis de la Cour, que l’appelant avait eu l’occasion de fournir une réponse pleine et entière aux lacunes identifiées par le personnel du CANAFE dans le cadre de son examen.

[17]  L’appelant avait également soutenu que les conclusions de la sous-directrice étaient non fondées et déraisonnables, compte tenu du fait qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable dans l’exécution de ses obligations. S’appuyant sur une jurisprudence constante à l’effet que le fardeau d’établir ce moyen de défense est lourd, la Cour fédérale a examiné chacune des trois violations et a conclu que l’appelant n’avait pas démontré avoir pris toutes les précautions nécessaires pour s’assurer de respecter les exigences de la Loi. Il ne suffisait pas de respecter la majorité de ces exigences, encore fallait-il démontrer avoir pris les mesures raisonnables pour éviter de commettre les violations reprochées.

[18]  En bout de ligne, la Cour fédérale a néanmoins déterminé que la pénalité imposée par la sous-directrice devait être annulée et que le dossier devait lui être renvoyé afin qu’elle statue de nouveau à cet égard. De l’avis de la Cour fédérale, la méthodologie utilisée par le CANAFE pour la détermination des pénalités présentait les mêmes lacunes que celles identifiées par cette Cour dans l’arrêt Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143, [2016] A.C.F. No. 480 (Q.L.) [Kabul Farms], du fait qu’il était impossible de déterminer si un processus décisionnel intelligible, transparent et justifiable avait précédé l’imposition des pénalités. Ce volet de la décision rendue par la Cour fédérale n’est pas contesté devant cette Cour.

III.  Questions en litige

[19]  Les questions en litige identifiées par les parties sont essentiellement les mêmes. J’adopterais la formulation suggérée par l’intimé et résumerais donc les questions de la façon suivante :

  1. Quelle norme de contrôle faut-il appliquer à la décision de la sous-directrice dans la présente affaire?
  2. La décision de la sous-directrice est-elle déraisonnable?
  3. Y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale dans le cadre du processus qui a mené à la décision dont il est fait appel?
  4. La sous-directrice a-t-elle commis une erreur révisable en concluant que l’appelant avait commis les trois violations en cause, notamment dans son application de la défense de diligence raisonnable?

IV.  Analyse

A.  Quelle norme de contrôle faut-il appliquer à la décision de la sous-directrice dans la présente affaire?

[20]  Les deux parties s’entendent quant aux normes de contrôle applicable. Comme l’appel statutaire en Cour fédérale de la décision rendue par la sous-directrice peut être assimilé à un contrôle judiciaire, il convient de vérifier, dans un premier temps, si la juge a bien identifié la norme de contrôle et, dans un deuxième temps, de décider si elle l’a correctement appliquée : voir Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16 au paragraphe 38, [2015] 2 R.C.S. 3; Contrevenant no. 10 c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 42 aux paragraphes 8-9, [2016] A.C.F. No. 176 (Q.L.); Canada Agence du Revenu c. Telfer, 2009 CAF 23 au paragraphe 18, 386 N.R. 212; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 aux paragraphes 45-47, [2013] 2 R.C.S. 559. Je note d’ailleurs que c’est l’approche retenue par notre Cour et la Cour fédérale dans le contexte particulier des appels logés à l’encontre de décisions rendues par le CANAFE : voir Max Realty Solutions Ltd. c. Canada (Procureur général), 2014 CF 656 au paragraphe 31, 458 F.T.R. 160; Homelife/Experience Realty Inc. c. Canada (Finances), 2014 CF 657 au paragraphe 31, 458 F.T.R. 180; Max Realty Solutions c. Canada (Centre d’analyse des opérations et déclarations financières), 2016 CF 620 au paragraphe 4; Kabul Farms Inc. c. Canada, 2015 CF 628 au paragraphe 28, conf. Kabul Farms Inc. au paragraphe 7.

[21]  Dans le cas présent, j’estime que la juge a eu raison d’appliquer la norme de la décision correcte aux questions d’équité procédurale. Ce sont là des questions au sujet desquelles aucune déférence n’est de mise : Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24 au paragraphe 79, [2014] 1 R.C.S. 502. En fait, comme cette Cour l’a récemment rappelé dans l’arrêt Canadian Pacific Railway Company v. Canada (Attorney General), 2018 FCA 69, la question de savoir si les exigences de l’équité procédurale ont été respectées se prête mal à une analyse axée sur le choix d’une norme de contrôle, dans la mesure où l’équité procédurale vise la façon par laquelle un décideur administratif en est arrivé à sa décision tandis que la norme de contrôle se rapporte plutôt au résultat de ses délibérations. Par conséquent, un décideur administratif n’a pas droit à l’erreur à ce chapitre.

[22]  La juge était également justifiée d’appliquer la norme de la décision raisonnable relativement à la décision de la sous-directrice portant sur la perpétration des violations et la défense de diligence raisonnable. Pour en arriver à sa conclusion, la sous-directrice a dû analyser les faits particuliers du dossier à la lumière de la connaissance approfondie qu’elle a acquise du régime spécialisé prévu par la Loi. Cette décision doit faire l’objet de déférence et ne peut être invalidée que s’il peut être démontré qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, ou encore si elle ne possède pas les attributs de la raisonnabilité (justification, transparence et intelligibilité) : voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190.

B.  La décision de la sous-directrice est-elle déraisonnable?

[23]  Dans son mémoire, l’appelant a fait valoir que la juge avait erré en ne considérant pas la nature fondamentale de la Loi dans le cadre de son analyse. Au dire de l’appelant, la Loi est fondée sur une approche de coopération entre le CANAFE et les entités déclarantes qui cadre mal avec le processus accusatoire et contradictoire adopté ici par le personnel du CANAFE dans son examen de conformité. L’appelant ne précise toutefois d’aucune façon en quoi cette déficience alléguée entacherait la décision de la sous-directrice, et il n’a pas repris cet argument lors de l’audition. Je note par ailleurs que ce moyen n’avait pas été soulevé dans l’avis d’appel.

[24]  Quoi qu’il en soit, cette prétention me paraît dénuée de fondement. Bien que le Guide d’examen pour les agents de conformité du CANAFE reconnaisse la nécessité d’entretenir des rapports constructifs avec les entités déclarantes, il n’en demeure pas moins que la Loi prévoit à son article 62 des contrôles d’application au terme desquels le directeur du CANAFE peut dresser un procès-verbal s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une violation de la Loi a été commise (article 73.13 de la Loi). À mon avis, ces deux volets de la Loi (collaboration et sanction en cas de non-respect) sont complémentaires et nécessaires à l’atteinte des objectifs poursuivis par le Parlement.

[25]  L’appelant reproche également à la sous-directrice et à la Cour fédérale de ne pas avoir tenu compte d’un rapport de vérification du Commissariat à la protection de la vie privée (le Commissariat) selon lequel la base de données du CANAFE contient plus de renseignements personnels que requis pour l’exécution de son mandat. L’appelant soutient que ce rapport justifiait la prudence dont il a fait preuve avant de compléter une déclaration d’opération douteuse.

[26]  Encore une fois, cet argument ne tient pas la route. Le fait que la Commissaire à la protection de la vie privée ait pu avoir des préoccupations sur l’opportunité pour le CANAFE d’accepter et de conserver des renseignements personnels dans sa base de données n’est aucunement pertinent quant à la question de savoir si l’appelant était justifié de ne pas produire de déclaration d’opération douteuse dans les circonstances du présent dossier. En fait, les exemples fournis par le Commissariat pour étoffer ses préoccupations concernent des opérations dont la valeur n’était pas supérieure à 10 000$ ou ne faisaient pas clairement état de motifs raisonnables de soupçonner que les opérations en cause étaient associées au blanchiment d’argent ou au financement d’activités terroristes. Tel n’est pas le cas ici.

[27]  Bref, j’estime que la juge était justifiée de rejeter ce premier argument de l’appelant.

C.  Y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale dans le cadre du processus qui a mené à la décision dont il est fait appel?

[28]  Le principal argument avancé par l’appelant, tant en Cour fédérale que devant cette Cour, porte sur l’équité procédurale. Il soutient d’abord que la juge a erré en statuant que l’obligation d’équité procédurale du CANAFE à son endroit se situait au niveau « moyen », et s’appuie sur les arrêts Kabul Farms et Maple Lodge Farms Ltd. v. Canadian Food Inspection Agency, 2017 FCA 45, 411 D.L.R. (4th) 175 [Maple Lodge] pour démontrer qu’il aurait dû bénéficier d’un degré élevé d’équité procédurale. Il poursuit en faisant valoir que si la juge avait correctement identifié le niveau d’équité procédurale auquel il était en droit de s’attendre, elle aurait nécessairement conclu que la sous-directrice n’avait pas procédé à un examen indépendant de son cas et qu’il n’avait pas eu droit à une divulgation complète de la preuve.

[29]  L’arrêt Maple Lodge peut être écarté d’emblée, du fait que les violations en cause dans cette affaire étaient des infractions de responsabilité absolue à l’égard desquelles aucune défense de diligence raisonnable n’est admise. Dans le cas présent, l’article 73.24 de la Loi prévoit expressément qu’une défense de diligence raisonnable peut être opposée aux violations constatées par le CANAFE, et c’est d’ailleurs l’un des arguments soulevés par l’appelant pour attaquer les décisions de la sous-directrice et de la Cour fédérale. Il va de soi que les exigences d’équité procédurale seront plus élevées lorsqu’une telle défense ne peut être invoquée, mais tel n’est pas le cas en l’espèce.

[30]  Tel que l’a rappelé la Cour suprême à de nombreuses reprises, les règles de justice naturelle tout autant que l’obligation d’agir équitablement sont des normes à géométrie variable, dont la teneur dépend des circonstances de chaque affaire, du régime législatif applicable, de la nature des intérêts en cause ainsi que des questions à trancher : 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919 au paragraphe 22, 140 D.L.R. (4th) 577; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653 à la p. 682, 69 D.L.R. (4th) 489; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 aux pp. 895-896, 62 D.L.R. (4th) 385. Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193 [Baker], la Cour suprême est venue préciser (de façon non exhaustive) les facteurs dont il peut être tenu compte aux fins de déterminer les exigences d’équité procédurale dans une situation donnée.

[31]  Tel que mentionné précédemment, la Cour fédérale a tenu compte de ces facteurs dans son analyse du contenu de l’obligation d’agir équitablement. S’agissant de la nature de la décision recherchée et du processus suivi pour y parvenir, la juge a retenu que les contraventions reprochées à l’appelant sont de nature administrative et non pénale. Or, la Loi prévoit clairement que de telles violations ne sont pas des infractions (paragraphe 72.23(1)), et que la procédure en violation et la procédure pénale s’excluent mutuellement (article 73.12). L’appelant n’est donc pas susceptible d’être stigmatisé par l’imposition d’une pénalité administrative au même titre qu’il aurait pu l’être s’il avait été condamné pour des infractions de nature pénale. Ce premier critère milite donc en faveur d’un degré moindre d’équité procédurale.

[32]  Il est vrai que dans l’affaire Kabul Farms, cette Cour a indiqué que la procédure de détermination des pénalités administratives pécuniaires pouvait être assimilée à une procédure disciplinaire susceptible d’entraîner des répercussions importantes pour le contrevenant. Elle n’en a cependant pas inféré que les entités déclarantes devaient en toutes circonstances bénéficier d’un degré élevé d’équité procédurale, et encore moins que les contrevenants potentiels avaient droit à la divulgation complète de la preuve. Faut-il rappeler que dans cette affaire, ce n’est pas la preuve relative aux violations alléguées qui était en cause, mais plutôt les formules, lignes directrices et analyses auxquelles le directeur avait eu recours pour déterminer le montant de la pénalité administrative.

[33]  J’ajouterais que l’on ne peut à mon avis assimiler à tous égards la procédure suivie ici à un processus disciplinaire. D’une part, tel que mentionné par cette Cour dans l’arrêt Sheriff c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 139, 268 D.L.R. (4th) 543, c’est l’importance que peut avoir une procédure disciplinaire sur la personne visée et les répercussions qu’elle peut entraîner pour sa réputation qui commande un degré élevé d’équité procédurale. Après avoir noté que cette Cour avait souvent rejeté des requêtes en communication de la totalité des documents afférents à une enquête dans des affaires qui comportaient la possibilité de difficultés économiques pour les sociétés appelantes, et après avoir distingué cette situation où le droit de travailler ou la réputation professionnelle d’une personne physique est en jeu (aux paragraphes 29-30), la Cour écrit au paragraphe 40:

Premièrement, pour ce qui concerne la nature de la décision à rendre, la Cour suprême postule dans Baker que plus la procédure administrative se rapproche de la procédure judiciaire, plus l’exigence d’équité procédurale sera en principe rigoureuse. S’il est vrai que les affaires soumises au surintendant doivent être réglées sans formalisme (eu égard aux circonstances et à l’équité), les syndics n’en risquent pas moins l’annulation ou la suspension de leur licence – conséquences qui influent aussi bien sur leur revenu que sur leur réputation professionnelle. Il s’ensuit que l’importance de la décision pour les syndics donne à penser, si l’on en juge d’après Baker, qu’un niveau plus élevé d’équité procédurale s’impose dans ce cas (voir Kane, précité, au paragraphe 31).

[34]  D’autre part, l’appelant est une société et les conséquences économiques qui peuvent résulter d’une pénalité de nature administrative n’ont pas le même impact qu’une sanction disciplinaire sur un individu. Je ne peux qu’être d’accord avec la juge lorsqu’elle affirme, s’appuyant sur une décision que j’ai rendue lorsque je siégeais à la Cour fédérale, que les personnes morales ne jouissent pas du même degré d’équité procédurale que les individus : voir Banque Internationale de Commerce Mega (Canada) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 407 au paragraphe 35, 407 F.T.R. 232 repris par la juge au paragraphe 30 de ses motifs. Je ne nie pas qu’une pénalité administrative, surtout lorsqu’elle se traduit par un montant important, puisse quelque peu entacher l’image d’une société. Il n’en demeure pas moins qu’un tel impact n’a rien à voir avec les conséquences que peuvent avoir une sanction pénale ou disciplinaire sur un particulier. Bref, le critère de l’importance de la décision pour les personnes visées ne joue pas en faveur d’un niveau élevé d’équité procédurale.

[35]  Ceci dit, la juge a néanmoins tenu compte du fait que la Loi impose une pénalité maximale relativement importante pour nuancer son évaluation et conclure que le degré d’équité procédurale ne se situe pas au niveau minimal mais plutôt moyen. J’estime que cette appréciation est tout à fait justifiée dans les circonstances, surtout quand les autres facteurs énumérés dans l’arrêt Baker sont considérés.

[36]   En effet, le processus prescrit par la Loi s’apparente davantage à un processus administratif qu’à une instance judiciaire. Non seulement la procédure d’examen de la conformité se veut-elle informelle et permet-elle à l’entité déclarante de présenter des observations au CANAFE avant et après que le procès-verbal ne soit dressé, mais encore la Loi ne prévoit-elle aucune des étapes qui caractérisent une procédure judiciaire, comme le dépôt d’éléments de preuve, la possibilité de procéder à des contre-interrogatoires ou le droit d’être entendu dans une procédure contradictoire, par exemple. Au surplus, la décision du CANAFE n’est pas définitive puisqu’un appel est expressément prévu à la Cour fédérale (article 73.21 de la Loi).

[37]  Enfin, l’appelant n’a pas été pris par surprise quant à la procédure suivie et ne peut prétendre que ses attentes légitimes ont été trompées ni au niveau du processus ni au niveau du résultat. Des représentants de l'appelant étaient présents lors des journées d’examen dans les différents établissements, ainsi que lors de l’entrevue de clôture pendant laquelle les lacunes identifiées ont fait l’objet de discussions. Les résultats de cet examen ont ensuite été transmis à l’appelant, et les lacunes précédemment observées ont été de nouveau communiquées à l’appelant. Ce dernier a pu faire des représentations écrites au sujet des lacunes relevées par le CANAFE, qui se sont traduites par l’abandon d’une des quatre violations dans le procès-verbal qui a suivi. L’appelant a finalement pu faire d’autres représentations écrites après réception du procès-verbal, avant que la décision de la sous-directrice ne soit prise. Ce processus élaboré est en tous points conforme à la Loi.

[38]  Dans ses représentations écrites, l’appelant a fait valoir que le personnel de conformité du CANAFE lui aurait fait de fausses représentations en mentionnant au cours d’une visite à l’un des établissements que « les chances de recommandation d’une pénalité sont minces ». Pourtant, une lecture attentive des notes sur lesquelles s’appuie l’appelant révèle que cette affirmation n’est pas complète. Ce qui est rapporté, c’est que « les chances de recommandation d’une pénalité sont minces si le même genre de lacunes citées lors de l’examen de 2008 sont relevées dans le cadre de cet examen ».

[39]  Bref, je suis d’avis que la juge n’a pas commis d’erreur révisable en concluant que le degré d’équité procédurale requis dans le cadre du présent litige se situait au niveau « moyen ». Cette évaluation ne va pas à l’encontre des décisions rendues par cette Cour en pareille matière et est tout à fait conforme à la démarche proposée par la Cour suprême dans l’arrêt Baker. En d’autres termes, la procédure suivie par le CANAFE n’a pas porté atteinte aux exigences de l’équité procédurale, même en supposant que le niveau requis d’équité soit supérieur à celui qu’a retenu la juge.

[40]  L’appelant a d’abord fait valoir dans ses représentations écrites que la sous-directrice n’avait pas procédé à un examen indépendant du dossier et s’était contentée d’adopter intégralement et d’approuver aveuglément la recommandation d’une agente principale du CANAFE. La sous-directrice aurait donc abdiqué son rôle et confié à une subalterne le soin de prendre la décision qu’elle seule était habilitée à prendre.

[41]  C’est à bon droit que la juge n’a pas retenue cette allégation. La Cour suprême reconnaît depuis longtemps qu’un décideur administratif n’est pas tenu de s’acquitter personnellement de toutes les tâches qui lui sont confiées par la loi, et qu’il peut déléguer à du personnel administratif le soin d’accomplir certaines tâches dont dépend nécessairement la prise de décision éclairée comme la cueillette et l’analyse de la preuve : voir La Reine c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238 aux pages 245-246, 66 D.L.R. (3d) 660 [Harrison]. De fait, c’est précisément la situation qui sous-tendait la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Baker, où la décision contestée avait été prise par un agent d’immigration supérieur au nom du ministre, sur la base des notes que lui avait remise un agent d’immigration subalterne.

[42]  Dans un État moderne et complexe comme le nôtre, comme le rappelait la Cour suprême il y a déjà plus de quarante ans dans l’affaire Harrison, l’on ne peut pas s’attendre à ce que la personne désignée par la loi pour exercer certaines fonctions s’en acquitte intégralement elle-même. Une telle exigence provoquerait le chaos, entraînerait des délais interminables et ne serait pas source d’efficience. Comme l’observait le juge Rothstein (alors juge à la Cour fédérale) dans l’arrêt Armstrong c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1994] 2 CF 356 au paragraphe 59, 73 F.T.R. 81 (confirmé par cette Cour à [1998] 2 CF 666) :

Quatrièmement, il n’est pas réaliste de penser que le commissaire peut statuer sur des appels en matière de renvoi sans déléguer à ses subalternes une partie du travail qu’entraîne la préparation de la documentation devant lui permettre de s’acquitter rapidement de sa tâche. Dans la présente espèce, la sergente Swann a déclaré dans son affidavit qu’elle avait consacré environ deux cent cinquante heures à l’examen du dossier et à la préparation du résumé. On ne s’étonnera pas de ce que le commissaire de la GRC ait besoin de cette aide puisqu’il ne serait pas pratique qu’il consacre tout ce temps à l’étude de la documentation se rapportant aux renvois, aux griefs ou aux mesures disciplinaires dont on interjette appel devant lui. En soi, cette délégation n’implique pas que le commissaire ne s’est pas personnellement occupé de prendre la décision.

[43]  Ce qui est essentiel, c’est que la personne désignée pour prendre une décision ou son délégué se penche personnellement sur le dossier et fasse sienne les recommandations qui ont pu lui être faites. En d’autres termes, c’est au décideur désigné par la loi qu’il incombe toujours de façon ultime de prendre la décision, après avoir pris connaissance suffisante de tous les aspects de la question litigieuse. Or, c’est précisément ce qu’a fait la sous-directrice ici. Dans le cadre de la décision qu’elle a transmise à l’appelant le 10 janvier 2014, elle écrit :

J’ai examiné soigneusement le dossier à la lumière des observations que vous avez présentées et j’estime selon la prépondérance des probabilités que |||||||||||||||||| a commis les violations décrites au procès-verbal. En conséquence, j’impose la pénalité administrative de ||||||||||||||||.

[44]  À moins de vouloir remettre en question cette affirmation ou d’en contester la véracité, par le biais d’une preuve crédible, je ne vois pas comment on pourrait contester la décision de la sous-directrice au motif qu’elle aurait illégalement sous-délégué son pouvoir décisionnel. L’appelant n’a pas même tenté de faire cette preuve, et n’est d’ailleurs pas revenu sur cet argument lors de l’audition. Par conséquent, cette première allégation de violation des principes d’équité procédurale doit être rejetée.

[45]  Dans un deuxième temps, l’appelant reproche au CANAFE de ne pas lui avoir divulgué toute l’information qui était en sa possession, malgré des efforts répétés pour obtenir cette information, ce qui ne lui a pas permis de se défendre adéquatement. Cette lacune serait particulièrement problématique eu égard à la deuxième violation. Non seulement le CANAFE n’a-t-il pas expliqué à l’appelant pourquoi le procès-verbal ne retient qu’une seule opération douteuse non divulguée alors que la lettre d’examen de conformité référait plutôt à plusieurs transactions effectuées par un client entre le 28 juillet et le 31 août 2011, mais au surplus l’appelant n’aurait pris connaissance de certains documents et informations sur lesquels s’est appuyé le CANAFE qu’après avoir reçu la décision.

[46]  Au vu de la preuve, cette allégation ne me paraît pas fondée. Comme la juge, je suis d’avis que la divulgation des informations sur lesquelles s’est appuyée la sous-directrice pour prendre sa décision était amplement suffisante pour permettre à l’appelant de présenter une défense pleine et entière aux violations qui lui étaient reprochées. Ce qui importe, ce n’est pas que tous les documents auxquels a pu avoir accès la sous-directrice pour prendre sa décision aient été communiqués à l’appelant, mais que la substance des informations sur lesquelles repose cette décision lui ait été transmise.

[47]  L’appelant réfère d’abord à des coupures de presse dont il n’aurait pris connaissance qu’en recevant le dossier certifié en Cour fédérale. D’une part, il s’agit d’une seule coupure de presse publiée dans deux formats différents. D’autre part, l’appelant a déposé dans le cadre de sa réponse à la lettre d’examen de conformité un autre article de journal qui réfère aux mêmes éléments d’information que ceux contenus dans la coupure de presse dont il dit ne pas avoir reçu copie, c’est-à-dire le statut |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| du client pour lequel on lui reproche de ne pas avoir fait de déclarations d’opérations douteuses, l’enquête de la GRC dont il aurait fait l’objet, et l’importance des sommes |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| de l’appelant |||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||| : dossier d’appel à la page 944. Qui plus est, le CANAFE avait référé dans sa lettre du 16 janvier 2013, en réponse aux demandes de clarification de l’appelant, « aux articles dans les quotidiens montréalais qui ont fait écho » aux déclarations du président-directeur général de l’appelant : dossier d’appel à la page 963. Dans ces circonstances, on voit mal comment l’appelant peut prétendre qu’on ne lui a pas communiqué l’information pertinente.

[48]  Je n’attache par ailleurs aucune importance aux deux autres déclarations d’opérations douteuses, qui n’ont aucun lien avec le client en cause ici. Outre le fait qu’elles ont été produites par l’appelant lui-même après avoir appris par l’entremise des médias que certains de ses clients avaient fait l’objet d’une arrestation, ces déclarations ont été discutées avec le personnel de la CANAFE, qui en a tiré la conclusion (partagée avec le personnel de l’appelant) que l’appelant avait la capacité d’effectuer une telle analyse des médias : dossier d’appel aux pages 122-123.

[49]  L’appelant reproche également au CANAFE de ne pas lui avoir révélé des détails concernant une enquête policière menée après la période d’examen, et à laquelle réfère la sous-directrice dans sa décision. Je note tout d’abord que le relevé |||||||||||||||||||| auquel réfère l’appelant est un document qui lui appartient et qu’il a d’ailleurs produit au soutien de sa réponse à la lettre d’examen de conformité : dossier d’appel aux pages 945-946. De plus, le personnel du CANAFE a précisé, suite à une demande de clarification, que les entrées démontrant la coopération de l’appelant à une enquête policière relativement au client pour lequel on lui reproche de ne pas avoir produit une déclaration d’opération douteuse, étaient bel et bien celles que l’on retrouve dans son système |||||||||||||||||||| : dossier d’appel à la page 963.

[50]  Enfin, l’appelant soutient n’avoir pris connaissance des circonstances sur lesquelles s’est appuyé le CANAFE pour tirer des conclusions liées aux |||||||||||||||||||||||||||||| et à la profession du client visé qu’après avoir reçu la décision de la sous-directrice et le dossier certifié. Or, la lettre d’examen du 16 novembre 2012 transmise à l’appelant, bien que moins détaillée, faisait référence aux mêmes éléments que les motifs de la décision (occupation du client qui ne correspond pas à son ||||||||||||||||||||||||, enquête policière, couverture médiatique). Il est vrai que le |||||||||||||||||||||||| du client (en valeur absolue et relative) est davantage explicité dans les motifs de la décision; il n’en demeure pas moins que la lettre d’examen mentionnait expressément que le client était |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[51]  Bref, j’estime que l’appelant avait toute l’information nécessaire pour répondre aux préoccupations du CANAFE et se défendre pleinement face aux violations qui lui étaient imputées. L’appelant ne s’est d’ailleurs pas privé de cette opportunité, telles qu’en font foi les représentations écrites substantielles qu’il a fait parvenir au CANAFE les 15 et 28 octobre 2013. On ne m’a pas convaincu que le processus suivi avait violé le droit de l’appelant à l’équité procédurale.

[52]  Reste la question de savoir si, comme le soutient l’appelant, l’infraction qu’on lui a reprochée constituait une « cible mouvante » dans la mesure où le CANAFE lui a d’abord reproché de ne pas avoir déclaré des opérations douteuses effectuées par le client entre le 28 juillet au 31 août 2013, pour finalement conclure qu’il avait violé l’article 7 de la Loi en ne déclarant pas une opération spécifique en date du 31 août 2011. Lors de l’audition, l’avocat de l’appelant a plaidé cet argument avec beaucoup de vigueur.

[53]  Un examen attentif du dossier révèle effectivement qu’il y a eu un certain flottement à cet égard. Tandis que la lettre du 16 novembre 2012 communiquant les résultats de l’examen de conformité réfère à des opérations douteuses du client |||||||| sans mentionner de dates précises ni même de période, le procès-verbal faisait quant à lui état d’une seule opération douteuse en date du 31 août 2011. Enfin, la sous-directrice s’appuie sur des opérations effectuées par le client du 28 juillet au 31 août 2011 pour conclure à une violation de l’article 7 de la Loi. L’intimé s’est par ailleurs montré incapable d’expliquer pourquoi l’opération du 31 août 2011 avait été retenue dans le procès-verbal.

[54]  Sans doute eut-il été préférable que le CANAFE fasse preuve d’une plus grande cohérence dans l’identification des opérations douteuses pour lesquelles on reproche à l’appelant de ne pas avoir produit de déclarations. J’estime cependant que cette incertitude n’a pas eu pour effet d’enfreindre le droit de l’appelant d’être entendu et de se défendre à l’encontre des violations qui lui sont reprochées.

[55]  Un examen attentif du dossier permet d’abord de constater que l’appelant était bien informé du fait que le CANAFE lui reprochait de ne pas avoir produit de rapport d’opérations douteuses non seulement pour l’opération du 31 août, mais également pour un ensemble d’opérations ayant eu lieu du 28 juillet au 31 août 2011. Dans un document divulgué à l’appelant suite à une ordonnance de la Cour fédérale, et qui énonce les faits à partir desquels l’appelant aurait dû avoir des soupçons quant à certaines opérations effectuées par le client suspect, on trouve les passages suivants :

« There was not a single alert on any of the transactions conducted over the entire history of ||||||||||||||||||||||||||||||||||’s file with ||||||||||||||||||||||||||. »

« |||||||||||||||||||||||||||||||||| is conducting transactions today at |||||||||||||||||||||||||| on an ongoing basis today in continually higher aggregate amounts. »

« …the financial transactions conducted at |||||||||||||||||||||||||| by |||||||||||||||||||||||||||||||||| ought to have given rise to suspicion to the employees at ||||||||||||||||||||||||||. (…) this suspicion ought to have resulted in filing suspicious transactions reports with FINTRAC. »

« This situation, involving a frequent |||||||||||||||||||||||||| patron, ||||||||||||||||||||||||||||||||||, displayed a number of indicators of suspicious transactions, which are listed on FINTRAC’s public website on Guideline 2: Suspicious Transactions, when conducting 15 reportable transactions at your |||||||||| locations during the examination scope timeframe. »

« Due to the indicators described above, FINTRAC finds it reasonable that an entity in your circumstances would have submitted 15 suspicious transaction reports to FINTRAC. »

« |||||||||||||||||||||||||| staff were asked why suspicious transaction reports were not submitted on the transactions conducted by |||||||||||||||||||||||||||||||||| by FINTRAC staff in the course of the examination. No satisfactory answer was given. We will ask a final time, why were suspicious transaction reports not submitted for these transactions? »

Dossier d’appel, volume V aux pages 1146-1459.

[56]  Ces extraits sont tout à fait compatibles avec les déclarations écrites déposées par l’appelant au soutien de ses observations au directeur du CANAFE le 15 octobre 2013. Dans ces déclarations, trois hauts dirigeants de l’appelant ayant participé à l’entrevue de fin d’examen le 6 septembre 2012 affirment ne pas se souvenir que les représentants du CANAFE aient précisé quelle(s) transaction(s) aurai(en)t dû faire l’objet d’une déclaration douteuse.

[57]  En fait, tout indique que c’est l’ensemble des opérations effectuées par le client suspect au cours de la période du 28 juillet au 31 août 2011 qui étaient dans la ligne de mire des enquêteurs du CANAFE. Tout porte également à croire que l’appelant était informé de cette situation, ainsi que des indicateurs qui permettaient au personnel du CANAFE de croire que ces opérations auraient dû faire l’objet de déclarations. Enfin, rien ne semble distinguer l’opération retenue dans le procès-verbal de toutes les autres ayant été effectuées au cours de la période ayant retenu l’attention du CANAFE; le fait de retenir une seule transaction de façon arbitraire plutôt que deux ou plusieurs d’entre elles est sans conséquence. Dans ces circonstances, je vois mal comment l’appelant peut raisonnablement soutenir qu’on ne lui a pas divulgué toute l’information requise pour lui permettre de se défendre, ou qu’il a été induit en erreur quant à ce qui lui était réellement reproché. D’ailleurs, l’appelant ne nous a jamais indiqué en quoi il avait été préjudicié du fait que la sous-directrice a fondé sa décision sur un ensemble d’opérations plutôt que sur une seule, et comment cela a pu nuire à sa défense. Par conséquent, je suis d’avis que l’argument de la « cible mouvante » est sans mérite.

D.  La sous-directrice a-t-elle commis une erreur révisable en concluant que l’appelant avait commis les trois violations en cause, notamment dans son application de la défense de diligence raisonnable?

[58]  L’appelant a soutenu dans ses représentations écrites que la juge avait erré dans sa formulation et son application du test relatif à la défense de diligence raisonnable. En fait, il reproche à la juge d’avoir à toutes fins pratiques transformé le régime de responsabilité prévue par la Loi en un régime de responsabilité absolue, en exigeant un comportement quasi parfait qui irait bien au-delà de ce qu’exige la jurisprudence.

[59]  La Loi prévoit, à son article 73.24, la possibilité d’invoquer la défense de diligence raisonnable, et précise à son deuxième alinéa que « les règles et principes de la common law qui font d’une circonstance une justification s’appliquent à l’égard d’une violation » (sauf dans la mesure où ils sont incompatibles avec la Loi). Bien qu’elle n’ait pas invoqué cette disposition, la juge a correctement cité l’extrait suivant de l’arrêt R c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299 à la page 1326, 85 D.L.R. (3d) 161, où la Cour suprême a ainsi formulé la défense de diligence raisonnable :

La défense sera recevable si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent, ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question.

[60]  Dans le cas présent, l’appelant s’en remet clairement à la deuxième alternative et plaide qu’il a pris des mesures raisonnables pour assurer le fonctionnement efficace du système. Or, la juge a rejeté cette prétention eu égard à chacune des violations dont l’appelant a été trouvé responsable, en tenant compte de la jurisprudence pertinente. J’estime qu’elle a correctement interprété le droit applicable et qu’elle n’a pas erré dans son appréciation des faits.

[61]  Il est bien établi qu’une partie qui désire se prévaloir de la défense de diligence raisonnable doit s’acquitter d’un lourd fardeau de preuve : voir Cata International Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 663 au paragraphe 22; Samson c. Canada (Revenu national), 2007 CF 975 au paragraphe 35, [2007] A.C.F. No. 1272 (Q.L.). Ainsi, il ne sera pas suffisant d’invoquer un oubli ou une erreur de bonne foi, ou encore des erreurs administratives commises par des employés: Bureau du surintendant des faillites c. MacLeod, 2011 CAF 4 aux paragraphes 34-35, 330 D.L.R. (4th) 311 [MacLeod].

[62]  Dans le cas présent, l’appelant soutient avoir démontré un niveau élevé de diligence en ce qui concerne la première violation, dans la mesure où il a mis en place un programme de conformité et effectué des mises à jour. L’appelant a cependant concédé ne pas avoir « entièrement documenté » la révision de ses politiques et procédures, comme l’a noté la juge, et aucun rapport final faisant état de ces révisions n’a été remis au personnel du CANAFE. Dans ces circonstances, la juge pouvait conclure qu’une violation au paragraphe 9.6(1) de la Loi et à l’alinéa 71(1)e) du Règlement avait été commise, même si l’appelant a documenté une bonne partie du processus et mis en place un plan d’action pour l’avenir. En effet, il ne suffit pas de démontrer avoir respecté la majorité des exigences que peut prévoir un régime législatif; la défense de diligence raisonnable s’établit en fonction de la perpétration d’un acte spécifique (MacLeod au paragraphe 33; R c. Raham, 2010 ONCA 206 au paragraphe 48, 99 O.R. (3d) 241). De même, l’élaboration d’un plan d’action pour le futur ne sera d’aucun secours; c’est au moment où la violation a été commise qu’il faut démontrer avoir fait preuve de diligence raisonnable, et non après.

[63]  En ce qui concerne la deuxième violation, l’appelant allègue avoir un système de surveillance à la fine pointe de la technologie ainsi que des techniciens qualifiés et dûment formés. Cela ne nous dit rien, cependant, des raisons pour lesquelles on n’a pas jugé bon de rapporter les opérations du client visé. Le fait que le technicien ayant procédé à la surveillance ait conclu que le |||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| et selon les procédures ne nous renseigne pas sur les motifs qui ont amené l’appelant à conclure qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de soupçonner une opération douteuse, et encore moins sur les moyens qui ont été pris pour éviter dans toute la mesure du possible que des opérations douteuses ne soient pas rapportées.

[64]  Enfin, l’appelant a fait valoir qu’il avait mis en place des mesures conçues spécifiquement pour s’assurer que la profession des clients était recueillie |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, ainsi qu’un mécanisme de surveillance pour s’assurer que le processus était suivi. Cette obligation résulte des paragraphes 9(1) de la Loi et |||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||, lesquels prévoient qu’un |||||||||||| doit déclarer de la manière prescrite les opérations au cours desquelles une somme de 10 000$ ou plus est ||||||||||||||||||||||. Au nombre des renseignements requis figure le métier ou la profession du client.

[65]  Or, le personnel du CANAFE |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| a constaté au procès-verbal || cas où la profession d’un client rapportée dans la déclaration était inadéquate ou manquante. Il appert d’autre part que cette même lacune avait été soulignée au cours d’un examen de conformité en 2008, tel que noté par la sous-directrice dans sa décision. Dans ce contexte, l’appelant ne pouvait faire valoir une défense de diligence raisonnable en ne s’appuyant que sur la formation et la supervision de ses employés; cela était nettement insuffisant pour démontrer que toutes les mesures raisonnables avaient été prises afin d’éviter que cette violation ne se répète. Quant à l’implantation d’une liste |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| de professions à la fin mars 2013, elle était postérieure à la période visée par l’examen de conformité.

[66]  La juge n’a donc pas erré en concluant que les moyens invoqués par l’appelant pour invoquer une défense de diligence raisonnable ne rencontrent pas le haut degré requis par la jurisprudence pour qu’un tel moyen de défense puisse être accueilli.

V.  Conclusion

[67]  Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que l’appel devrait être rejeté, avec dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

M. Nadon j.c.a.»

«Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a.»


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-168-17

 

INTITULÉ :

CONTREVENANT NO. 10 c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 avril 2018

 

 

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 AOÛT 2018

 

 

COMPARUTIONS :

Doug Mitchell

Olga Redko

 

Pour l'appelant

 

Benoît de Champlain

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Irving Mitchell Kalichman S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimé

 

 

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