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                                                                                                                             Dossier : A-614-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 AVRIL 2001

CORAM :       MONSIEUR LE JUGE DÉCARY

MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

MONSIEUR LE JUGE MALONE

ENTRE :

HOANG VAN CHU

appelant

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

JUGEMENT

L'appel est accueilli, la décision de la Section de première instance est annulée et l'affaire est renvoyée au représentant du ministre pour qu'il rende une nouvelle décision en conformité avec la procédure que commande la présente décision.

     « Robert Décary »     

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                                                                                                 Date : 20010411

                                                                                                                             Dossier : A-614-97

                                                                                                    Référence neutre : 2001 CAF 113

CORAM :       MONSIEUR LE JUGE DÉCARY

MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

MONSIEUR LE JUGE MALONE

ENTRE :

HOANG VAN CHU

appelant

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

AUDIENCE tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 27 février 2001

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le mercredi 11 avril 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :                                          LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


                                                                                                                                 Date : 20010411

                                                                                                                             Dossier : A-614-97

                                                                                                    Référence neutre : 2001 CAF 113

CORAM :       MONSIEUR LE JUGE DÉCARY

MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

MONSIEUR LE JUGE MALONE

ENTRE :

HOANG VAN CHU

appelant

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]                La Cour est saisie de l'appel sous la forme d'une question certifiée par la Section de première instance en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration. Elle porte sur les exigences de l'obligation d'équité applicable à la procédure d'avis de danger prévue par le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée. Voici la question certifiée :


L'examen par le décideur de la preuve documentaire concernant des renseignements au sujet du pays en cause, laquelle n'a pas expressément été identifiée ou dont une copie n'a pas été fournie au réfugié au sens de la Convention faisant l'objet de l'opinion selon laquelle il constitue « un danger pour le public » conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, viole-t-il les principes de justice naturelle, d'équité procédurale ou de justice fondamentale?

[2]                La Section de première instance a rendu sa décision le 28 août 1977, avant le prononcé de l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par la Cour suprême du Canada. Cet arrêt a établi que, dans le cadre d'un appel en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, la Cour n'est pas tenue de se limiter à répondre à la question certifiée (paragraphe 12). Après le prononcé de l'arrêt Baker, l'appelant a déposé un mémoire supplémentaire soulevant d'autres questions, dont celle de savoir si l'obligation d'équité exigeait que le Rapport sur l'avis du ministre présenté au représentant du ministre par les fonctionnaires du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration soit communiqué à l'appelant et qu'on lui donne la possibilité d'y répondre.


[3]                L'appel a été plaidé le 27 février 2001. Le jugement de la Cour dans l'affaire Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. 341 (C.A.) (Q.L.), concernant un avis de danger, a été délivré le 7 mars 2001. Dans Bhagwandass, la Cour a statué que l'obligation d'équité exigeait que le Rapport sur l'avis du ministre et la Demande d'avis du ministre soient communiqués à la partie intéressée pour lui permettre de présenter des observations au représentant du ministre avant que celui-ci décide s'il y a lieu de délivrer un avis de danger. Après le prononcé de la décision Bhagwandass, la Cour en a distribué une copie aux parties et leur a demandé de présenter des observations sur la question de savoir en quoi la présente instance se distingue, le cas échéant, de l'affaire Bhagwandass. Les parties ont présenté des observations, l'appelant plaidant qu'elle ne se distinguait pas de l'affaire Bhagwandass et l'intimé soutenant le contraire. J'ai conclu qu'il ne faut pas faire de distinction entre la présente espèce et l'affaire Bhagwandass et que cette dernière est déterminante quant à l'issue de l'appel.

[4]                Dans l'arrêt Bhagwandass, le juge Sharlow a appliqué la décision rendue par la Cour dans Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000]4 C.F. 407 (C.A.) aux avis de danger délivrés en vertu du paragraphe 70(5). L'affaire Haghighi portait sur des décisions fondées sur des motifs d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration. Au paragraphe 22 de l'arrêt Bhagwandass, le juge Sharlow a relevé que l'affaire Haghighi établissait que l'obligation d'équité exige la communication à l'avance des rapports ministériels internes sur lesquels s'appuient les décisions discrétionnaires lorsque la communication du rapport est nécessaire pour donner à l'intéressé une « possibilité raisonnable de participer d'une manière significative au processus de prise de décision. » L'arrêt Haghighi a dégagé cinq facteurs à prendre en compte pour déterminer si la communication est nécessaire. Le juge Sharlow les a résumés au paragraphe 22 de l'arrêt Bhagwandass :

(1)                la nature et l'effet de la décision dans le cadre du régime législatif;

(2)                la question de savoir si, en raison de l'expertise de l'auteur du rapport ou d'autres circonstances, le rapport aura probablement une influence telle sur le décideur que la communication à l'avance est requise pour « équilibrer les chances » ;

(3)                le préjudice qui pourrait vraisemblablement découler d'une décision fondée sur une mauvaise compréhension ou sur un examen erroné des faits pertinents;

(4)                la mesure dans laquelle la communication à l'avance du rapport permettrait d'éviter le risque qu'une décision mal fondée soit rendue;


(5)                les coûts que la communication à l'avance pourrait entraîner, dont ceux liés aux retards dans le processus de prise de décision.

[5]                Après avoir examiné ces facteurs dans l'affaire Bhagwandass, le juge Sharlow a conclu que l'obligation d'équité exigeait la communication à l'avance du Rapport sur l'avis du ministre et de la Demande d'avis du ministre, qui résumaient les faits de l'espèce et recommandaient que M. Bhagwandass soit considéré comme un danger pour le public en vertu du paragraphe 70(5). Au paragraphe 31, le juge Sharlow a conclu que, puisque la procédure d'avis de danger est de nature contradictoire dès ses débuts et le demeure jusqu'à la fin, et puisque les rapports sont utilisés pour inciter le représentant du ministre à délivrer un avis de danger, ces documents constituaient des outils de plaidoirie que l'intéressé devrait être autorisé à contester.

[6]                L'intimé établit une distinction avec l'affaire Bhagwandass du fait que le Rapport sur l'avis du ministre contenait en l'espèce un [Traduction] « résumé clair, neutre et équilibré » des faits pertinents ainsi que des prétentions de l'appelant. Compte tenu du caractère équilibré du rapport, il soutient qu'aucune décision mal fondée ne risquait d'être rendue. De plus, compte tenu de son caractère équilibré, le Rapport sur l'avis du ministre ne constituait pas un outil de plaidoirie.


[7]                En l'espèce, le processus a débuté par une lettre qui a été adressée à l'appelant le 26 février 1996 et qui indiquait que le ministère avait en sa possession des éléments de preuve laissant croire que l'appelant constituait un danger pour le public au Canada et que le ministre ou son représentant examinerait, en conséquence, la question de savoir s'il convenait de délivrer un avis de danger en vertu du paragraphe 70(5) . Contrairement à ce qui s'est passé dans l'affaire Bhawandass, la lettre du 26 février ne mentionnait pas expressément que les fonctionnaires du ministère demanderaient au ministre ou à son représentant de délivrer un avis de danger, mais il est évident qu'elle avait cet effet. Le Rapport sur l'avis du ministre, fondé sur des éléments de preuve qui, selon la lettre du 26 février, laissent croire que l'appelant constitue un danger pour le public, confirme que la procédure est de nature contradictoire dès ses débuts et le demeure jusqu'à la fin.

[8]                Bien que le Rapport sur l'avis du ministre semble en l'espèce avoir été préparé plus minutieusement et être plus équilibré que dans l'affaire Bhagwandass, l'obligation d'équité exige la communication en raison du caractère contradictoire de la procédure même d'avis de danger. Dans les procédures contradictoires de cette nature, l'équité exige que les documents soumis à un décideur par une partie soient communiqués à l'autre. Cette obligation n'est pas atténuée par le contenu ou le ton des observations soumises. L'affaire Bhagwandass ne peut donc être distinguée de celle dont la Cour est saisie.


[9]                À l'instar de ce qui s'est passé dans l'affaire Bhagwandass, le ministre a manqué en l'espèce à son obligation d'équité envers l'appelant en ne lui communiquant pas la version du Rapport sur l'avis du ministre qui a été remise au représentant du ministre et en ne lui donnant pas une possibilité raisonnable d'y répondre.

[10]            La question certifiée en l'espèce consiste, tel que mentionné précédemment, à savoir s'il existait une obligation de communiquer à l'appelant des documents contenant des renseignements sur le pays qui n'avaient pas été identifiés expressément ni fournis à l'appelant. La réponse relative au Rapport sur l'avis du ministre s'applique également aux autres documents que les fonctionnaires du ministère ont remis au représentant du ministre. Tout document présenté au représentant du ministre par les fonctionnaires du ministère en leur qualité de partie opposée à l'appelant doivent, règle générale, être communiqués à l'appelant, ou à tout le moins identifiés expressément s'ils sont accessibles à tous. Sur ce point, la jurisprudence antérieure, telles les décisions Chu (T.T.) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 225 N.R. 378 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée (1998), 236 N.R. 387, et Nadarajah c. Canada (MCI) (1996), 33 Imm. L.R. (2d) 234 (C.F. 1re inst.), ont été écartées par les arrêts Baker et Bhagwandass.


[11]            La conséquence négative qui résulterait, selon le ministre, de la communication demandée du Rapport sur l'avis du ministre et des autres documents remis au représentant du ministre par les fonctionnaires du ministère est un retard. Rien ne laisse croire en l'espèce que ce retard serait nécessairement important. L'appelant s'est vu allouer 15 jours, à l'origine, pour répondre à la lettre qui a amorcé la procédure d'avis de danger. Aucune raison ne semble justifier qu'on doive lui accorder plus de 15 jours supplémentaires pour répondre au Rapport sur l'avis du ministre et aux autres documents remis au représentant du ministre.

[12]            En l'espèce, l'appelant a reçu une mesure d'expulsion le 20 octobre 1994. Il a déposé un appel de la mesure d'expulsion à la Section d'appel de l'immigration le jour même. La procédure d'avis de danger n'a été engagée par les fonctionnaires du ministère que le 22 février 1996 et la décision du représentant du ministre a été rendue le 15 mars 1996. Le délai total écoulé avant que les fonctionnaires du ministère engage la procédure d'avis de danger dépasse de loin un an. Un délai additionnel de 15 jours visant à satisfaire aux exigences de l'équité procédurale ne semblerait pas excessif.

[13]            En fait, comme l'a estimé le juge Sharlow dans Bhagwandass, la communication pourrait permettre d'écarter l'argument possible que le représentant du ministre n'a pas tenu compte de renseignements importants, ce qui est susceptible d'éliminer un motif de demande de contrôle judiciaire. Il pourrait s'ensuivre une réduction globale du temps requis pour renvoyer les personnes reconnues comme constituant un danger pour le public. Il semble utile de reproduire ici les propos tenus par le juge Sharlow au sujet du retard, au paragraphe 32 :

[32] J'ai aussi conclu que la communication du Rapport sur l'avis du ministre et de la Demande de l'avis du ministre ne retarderait pas l'expulsion des personnes dangereuses au point où l'objet de la loi ne serait pas respecté. Il n'est pas nécessaire que le délai supplémentaire soit long. Il serait loisible au ministre d'imposer un délai relatif aux observations finales sur les rapports, de restreindre ces observations aux questions soulevées ou qui auraient dû être soulevées dans les rapports en raison des éléments de preuve présentés antérieurement et de refuser d'accepter tout nouvel élément de preuve sauf dans des circonstances spéciales. De plus, si elle est bien faite, la communication des rapports et des observations y répondant pourrait permettre d'écarter l'argument possible que le ministre ou son délégué n'a pas tenu compte de certains renseignements importants, ce qui est susceptible d'éliminer un motif à l'appui de nombreuses demandes de contrôle judiciaire d'avis de danger. Cela pourrait donner lieu à une réduction globale du délai de renvoi des criminels dangereux.


[14]            Compte tenu de mes conclusions concernant la question certifiée et la nécessité de communiquer le Rapport sur l'avis du ministre, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres arguments invoqués par l'appelant.

[15]            Je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'annuler la décision de la Section de première instance et de renvoyer l'affaire au représentant du ministre pour qu'il rende une nouvelle décision en conformité avec la procédure que commande la présente décision.

                                                                                                                           « Marshall Rothstein »     

                                                                                                                                                  J.C.A.

« Je souscris à ces motifs

Robert Décary, J.C.A. »

« Je souscris à ces motifs

Brian Malone, J.C.A. »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                     A-614-97        

INTITULÉ DE LA CAUSE :    HOANG VAN CHU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Vancouver (Colombie-Britannique)                   

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 27 février 2001                     

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                           LE JUGE DÉCARY

LE JUGE MALONE

EN DATE DU :                                     11 avril 2001                

ONT COMPARU :

Me Darryl W. Larson                                         POUR L'APPELANT

Me Sandra Weafer                                             POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larson Boulton Sohn Stockholder                      POUR L'APPELANT

Vancouver (Colombie-Britannique)

Me Morris Rosenberg                                        POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

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