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Date : 19990312


A-307-97

CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

E n t r e :

     TIERRY VAN DOOSELAERE et FRANS G.A. DE ROY, en qualité de syndics à la faillite de ABC Containerline N.V., les propriétaires, affréteurs et toutes autres personnes ayant un droit sur le navire Brussel, et le navire Brussel,         

     appelants,

     et

     HOLT CARGO SYSTEMS INC.,

     intimée,

         et
     SOCIÉTÉ NATIONALE DE CRÉDIT À L'INDUSTRIE S.A.,

    

intervenante.


Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le lundi 8 mars 1999

et le vendredi 12 mars 1999


Jugement prononcé à l'audience à Halifax (Nouvelle-Écosse)

le vendredi 12 mars 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR    :              LE JUGE NOËL

Date : 19990312


A-307-97

CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

E n t r e :

     TIERRY VAN DOOSELAERE et FRANS G.A. DE ROY, en qualité de syndics à la faillite de ABC Containerline N.V., les propriétaires, affréteurs et toutes autres personnes ayant un droit sur le navire Brussel, et le navire Brussel,         

     appelants,

     et

     HOLT CARGO SYSTEMS INC.,

     intimée,

         et
     SOCIÉTÉ NATIONALE DE CRÉDIT À L'INDUSTRIE S.A.,

    

intervenante.


MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l'audience à Halifax (Nouvelle-Écosse)

le vendredi 12 mars 1999)

LE JUGE NOËL

[1]      La Cour statue sur l'appel d'une décision1 par laquelle le juge MacKay a refusé de renoncer à exercer sa compétence pour faire droit à l'exercice d'un privilège maritime grevant un navire, le Brussel, qui avait été saisi par l'intimée dans les eaux canadiennes. Suivant les appelants, le devoir de courtoisie judiciaire et le principe du forum non conveniens obligeaient le juge MacKay à suspendre l'audition de l'affaire dont il était saisi de manière à permettre au tribunal commercial belge de statuer sur la réclamation de l'intimée dans le cadre de l'instance en faillite introduite en vertu des lois belges contre les propriétaires du Brussel2.

[2]      À notre avis, il n'a pas été démontré que le juge MacKay a commis une erreur de droit en exerçant son pouvoir discrétionnaire de manière à faire droit à l'exercice du privilège de l'intimée malgré l'instance en faillite pendante en Belgique.

[3]      L'arrêt Amchem Products Inc. c. B.C. (W.C.B.)3 est l'arrêt de principe sur la question de la courtoisie judiciaire. La Cour suprême y fait sienne la définition de la courtoisie judiciaire que le juge La Forest a approuvée dans l'arrêt Morguard Investments Ltd. c. De Savoye4 :

             La " courtoisie " au sens juridique n'est ni une question d'obligation absolue d'une part ni de simple politesse et de bonne volonté de l'autre. Mais c'est la reconnaissance qu'une nation accorde sur son territoire aux actes législatifs, exécutifs ou judiciaires d'une autre nation, compte tenu à la fois des obligations et des convenances internationales et des droits de ses propres citoyens ou des autres personnes qui sont sous la protection de ses lois [...] [Non souligné dans l'original.]             

[4]      Il ressort à l'évidence des éléments de preuve qui ont été soumis au juge de première instance que l'intimée est susceptible de bénéficier d'un net avantage juridique si la Section de première instance de notre Cour examine sa réclamation en vertu de sa compétence en droit maritime5. Les avantages juridiques que confèrent les lois canadiennes par opposition à celles du pays proposé est un des facteurs dont on peut tenir compte pour décider si la juridiction canadienne saisie devrait faire preuve de courtoisie judiciaire envers le tribunal étranger6. Lorsque, toutefois, l'avantage juridique est conféré dans le cours normal des choses et non par suite de la recherche du tribunal le plus favorable, ce facteur revêt une importance considérable. Ainsi que la Cour suprême l'a déclaré, dans l'arrêt Amchem7 :

             Le poids à accorder à un avantage juridique dépend grandement du lien des parties avec le ressort en question. Si une partie s'adresse à un tribunal simplement pour obtenir un avantage juridique et non en raison d'un lien réel et important de l'affaire avec le ressort, ce choix est d'ordinaire réprouvé parce qu'il équivaut à la " recherche d'un tribunal favorable ". En revanche, la partie dont la demande a un lien réel et important avec un ressort peut légitimement faire valoir les avantages qu'elle peut en retirer. La légitimité de sa demande repose sur l'attente raisonnable qu'en cas de litige découlant de l'opération en cause, elle pourra se prévaloir de ces avantages . [Non souligné dans l'original.]             

[5]      Bien que, par leur nature, les actions in rem invitent à la recherche du tribunal le plus favorable8, il a été jugé que ce n'était pas le cas en l'espèce. La saisie du navire a en effet eu lieu dans les eaux canadiennes avant l'introduction de l'instance en faillite, parce que c'est là où le navire se trouvait à ce moment-là9. Ayant saisi le navire là où il se trouvait, l'intimée pouvait légitimement s'attendre à ce que le droit maritime canadien s'applique. Pour reprendre les propos de la Cour suprême, la réclamation de l'intimée avait un " lien réel et important " avec le droit maritime canadien et on pouvait " raisonnablement s'attendre " à ce que les droits en découlant soient exercés.

[6]      Après avoir reconnu la notion de courtoisie judiciaire et y avoir adhéré relativement à l'instance dont il était saisi10, mais après avoir conclu que la prétention de l'intimée aux avantages du droit canadien ne résultait pas d'une recherche du tribunal le plus favorable11, le juge de première instance a déclaré :

             On n'a pas convaincu la Cour du bien-fondé de la mesure proposée par les syndics, c'est-à-dire de suspendre ses propres procédures qui avaient alors été mises en branle et de permettre que l'issue de l'affaire soit effectivement laissée aux procédures de faillite de la Cour commerciale d'Anvers [...]12             

[7]      Dans son jugement, le juge de première instance a également fait remarquer qu'on ne lui avait présenté aucun élément de preuve au sujet du sort probable de la demande de l'intimée en droit belge. Bien qu'il fallait déduire qu'il y avait eu perte de priorité, il n'y avait pas le moindre indice quant au rang de la créance ou au remboursement au pro rata auquel l'intimée pouvait s'attendre et le juge de première instance ne disposait donc d'aucun élément lui permettant d'évaluer les répercussions de sa décision13.

[8]      Compte tenu des éléments de preuve soumis à la Cour, notamment de la conclusion non contestée suivant laquelle les droits accrus que le droit canadien reconnaît à l'intimée lui sont conférés dans le cours normal des choses14, il n'a pas été démontré que le juge MacKay a commis une erreur de droit ou qu'il a mal interprété les enseignements de la Cour suprême en exerçant son pouvoir discrétionnaire en faveur de l'intimée.

[9]      Les appelants soutiennent en outre qu'à l'audience, le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu'il a mentionné la procédure régie par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité canadienne pour faire ressortir la coexistence pacifique qui existe entre les tribunaux supérieurs canadiens siégeant en matière de faillite et la façon dont la Cour fédérale exerce sa compétence en matière d'amirauté15. Suivant les appelants, cette considération ne tient pas compte du fait qu'il s'agit en l'espèce d'une faillite régie par une loi étrangère, ce qui commande une courtoisie judiciaire encore plus grande.

[10]      Reconnaissant le fait qu'une instance en faillite introduite sous le régime d'une loi étrangère mettant en cause des biens canadiens exige de la coordination, nous ne croyons pas que l'on puisse dire que le juge MacKay a commis une erreur de droit en faisant une analogie avec le traitement des faillites en droit interne. La courtoisie judiciaire ne se limite pas aux cas concernant les tribunaux étrangers. Les tribunaux internes sont également assujettis à un devoir réciproque de courtoisie16. Il est par conséquent significatif qu'en droit interne du moins, le caractère garanti des privilèges maritimes a toujours été reconnu dans les procédures de faillite sans qu'il soit nécessaire qu'une juridiction en supplante une autre.

[11]      D'ailleurs, dans sa décision, le juge Guthrie, de la Cour supérieure du Québec, déclare qu'il a cherché sans succès [TRADUCTION] " [...] une décision canadienne dans laquelle il y a eu un conflit de compétence entre un tribunal siégeant en matière de faillite et un tribunal siégeant en matière maritime au sujet d'un créancier faisant valoir une créance in rem contre un navire situé au Canada "17. Voilà qui est fort révélateur : force est de conclure que les deux juridictions en sont effectivement venues au fil des ans à agir de façon coordonnée, ce qui nous amène à nous demander pourquoi cette façon de faire n'a pas été suivie dans le cas qui nous occupe.

[12]      Il est acquis aux débats que la Section de première instance de la Cour fédérale était compétente pour entendre et trancher la demande de l'intimée. Pourtant, en demandant au juge Halperin, de la Cour supérieure du Québec, de prononcer une ordonnance enjoignant la Cour fédérale d'ordonner la mainlevée de la saisie du navire et, partant, lui ordonnant de cesser d'exercer sa compétence, les appelants se sont de fait lancés dans une contestation parallèle de la décision du juge MacKay.

[13]      De fait, les appelants demandaient à la Cour supérieure du Québec, qui n'était pas compétence à l'égard des procédures en droit maritime en instance, de prononcer une ordonnance interdisant à un autre tribunal, qui agissait dans les limites nettes de sa compétence, d'exercer cette dernière. À notre avis, au lieu de réclamer la suspension de l'instance introduite devant la Cour fédérale sur le fondement d'une ordonnance de mainlevée prononcée par la Cour supérieure du Québec, les appelants auraient dû procéder comme la requérante l'a fait dans l'affaire Soledad Maria18, qui portait également sur une une faillite internationale et sur la saisie d'un navire dans les eaux


canadiennes. En d'autres termes, les appelants auraient dû s'adresser sans délai à la Cour fédérale, qui est la seule juridiction compétente sur la navire saisi et sur la réclamation in rem de l'intimée19.

[14]      Par ces motifs, l'appel sera rejeté et les appelants seront condamnés aux dépens.

     " Marc Noël "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              A-307-97

APPEL D'UN JUGEMENT RENDU LE 9 AVRIL 1997 PAR LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DANS LE DOSSIER T-38-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Thierry Van Dooselaere et al.
                         c. Holt Cargo Systems Inc.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L'AUDIENCE :          8 mars 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (les juges Desjardins, Létourneau et Noël) prononcés à l'audience par le juge Noël le 12 mars 1999

ONT COMPARU :

Me David G. Colford                          pour l'appelant
Me Thomas Hart                              pour l'intimée
Me Edouard Baudry                          pour l'intervenante

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Brisset Bishop                              pour l'appelant

Avocats et procureurs

Montréal (Québec)

McInnes Cooper & Robertson                      pour l'intimée

Avocats et procureurs

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Laevrly de Billy                              pour l'intervenante

Avocats et procureurs

Montréal (Québec)

__________________

     1Maintenant publiée à [1997] 3 C.F. 187 [Holt Cargo].

     2Les appelants ont, dans leur mémoire des faits et du droit, fait valoir d'autres moyens pour contester le jugement frappé d'appel, mais ils n'y ont pas donné suite à l'audition de l'appel.

     3[1993] 1 R.C.S. 897.

     4[1990] 3 R.C.S. 1077, à la page 1096.

     5Les avocats de deux parties admettent qu'il est peu probable que les droits in rem de l'intimée puisse subsister sous une forme ou une autre sous le régime des lois belges sur la faillite.

     6La considération primordiale doit être la détermination du tribunal le plus commode tant pour la " poursuite de l'action " que pour " la réalisation des fins de la justice ". Voir l'arrêt Antares Shipping c. Navire " Le Capricorn ", [1977] 2 R.C.S. 422, le juge Ritchie, à la page 448, cité dans l'arrêt Amchem, supra, note 3, à la page 919.

     7Amchem, supra note 3, à la page 920.

     8Voir l'énoncé de lord Simon dans l'arrêt The Atlantic Star, (1973), 2 All. E.R. 175, cité par le juge Ritchie dans l'arrêt Antares, supra, note 3, à la page 453.

     9Holt Cargo, supra, note 1, à la page 215.

     10Idem, à la page 214.

     11Ibid., à la page 215.

     12Ibid., à la page 215.

     13Pour reprendre les propos du juge : " [...] la Cour n'a été saisie d'aucun élément de preuve comparant le statut de la réclamation de la demanderesse en droit belge et en droit canadien ". Holt Cargo , supra, note 1, à la page 227.

     14C'est-à-dire autrement que par suite de la recherche du tribunal le plus avantageux.

     15Holt Cargo, supra note 1, à la page 228. Voir, par exemple, les jugements Coastal Equipment Agencies Ltd. c. Le navire " Comer ", [1970] R. C. de l'Éch. 13 et Ultramar Canada Inc. c. Pierson Steamships Limited et al. (1982) 43 C.B.R. (N.S.) 9 (C.F. 1re inst.).

     16Morguard Investments Ltd., supra, note 4. Dans cette affaire, il s'agissait du devoir de courtoisie des cours d'appel de l'Alberta et de la Colombie-Britannique.

     17Motifs du jugement du juge Guthrie, dossier d'appel, à la page 252.

     18Magnolia Ocean Shipping Corporation c. Navire " Soledad Maria " [1982] 1 C.F. 205 (C.F. 1re inst.).

     19Paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

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