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Date : 20170315


Dossiers : A‑90‑16

A‑121‑16

Référence : 2017 CAF 49

[TRADUCTION FRANÇAISE]

PRÉSENTE : LA JUGE GLEASON

ENTRE :

P.S. KNIGHT CO. LTD. et

GORDON KNIGHT

appelants

et

ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 janvier 2017.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 15 mars 2017.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20170315


Dossiers : A‑90‑16

A‑121‑16

Référence : 2017 CAF 49

PRÉSENTE : LA JUGE GLEASON

ENTRE :

P.S. KNIGHT CO. LTD. et

GORDON KNIGHT

appelants

et

ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE GLEASON

[1]  Je suis saisie de plusieurs requêtes interlocutoires et j’ai ordonné qu’elles soient plaidées oralement en raison du nombre de points litigieux qu’elles soulèvent et de mes doutes quant à certains des documents déposés en rapport avec ces requêtes. À l’issue de l’audience, les parties étaient parvenues à régler plusieurs des points sur lesquels elles divergeaient, de sorte qu’il ne me reste pour l’essentiel que quatre points à trancher : D’abord, y a-t-il lieu de radier certains paragraphes de l’affidavit de Doug Morton, souscrit en date du 16 mai 2016 (l’affidavit Morton du 16 mai 2016) et déposé par l’intimée dans deux des requêtes? Deuxièmement, l’intimée devrait-elle être autorisée à déposer un affidavit supplémentaire, souscrit par Doug Morton et contenant des renseignements semblables à ceux contenus dans certains des paragraphes que les appelants cherchent à faire radier dans l’affidavit Morton du 16 mai 2016? Troisièmement, les jugements rendus par la Cour fédérale sur les dommages pécuniaires et les dépens devraient-ils faire l’objet d’un sursis d’exécution jusqu’à ce qu’il soit statué sur les appels des appelants? Enfin, les appelants devaient-ils être autorisés à déposer de nombreux autres documents se rapportant à leurs appels?

[2]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le sursis d’exécution demandé devrait être partiellement accordé, aux conditions exposées ci‑après, que certains paragraphes de l’affidavit Morton du 16 mai 2016 devraient être radiés, mais que l’intimée devrait être autorisée à déposer l’affidavit supplémentaire et, enfin, que la requête des appelants en vue de produire de nouveaux éléments de preuve devrait être rejetée.

[3]  Un rappel des faits est nécessaire pour mettre tout cela en perspective. Les appelants ont déposé deux appels, l’un à l’encontre du jugement de la Cour fédérale faisant droit à l’action de l’intimée en violation du droit d’auteur (Association canadienne de normalisation c. P.S. Knight Co. Ltd. et Gordon Knight, 2016 CF 294 [P.S. Knight]), et l’autre à l’encontre du jugement sur les dépens dans lequel la Cour fédérale a accordé à l’intimée la somme globale de 96 336 $ (Association canadienne de normalisation c. P.S. Knight Co. Ltd. et Gordon Knight, 2016 CF 387).

[4]  Dans la décision P.S. Knight, la Cour fédérale a conclu que les appelants avaient contrevenu au droit d’auteur quant à la version 2015 du Code canadien de l’électricité, 1re partie (la version 2015 du Code de la CSA), elle a accordé à l’intimée la somme de 5 000 $ en dommages‑intérêts préétablis, et elle a enjoint aux appelants ainsi qu’aux dirigeants, aux administrateurs, aux employés et aux sociétés affiliées de la société appelante de s’abstenir non seulement de reproduire, de distribuer ou de vendre leur version 2015 du Code de la CSA (le code de Knight), mais aussi d’accomplir tout autre acte contrevenant au droit d’auteur de l’intimée quant à la version 2015 du Code de la CSA sans l’autorisation écrite expresse de l’intimée. La Cour fédérale a aussi ordonné aux appelants de restituer à l’intimée toutes les copies du code de Knight ainsi que toutes les planches et tous les fichiers électroniques du code de Knight.

[5]  Outre sa contestation visant le code de Knight en cause dans la demande présentée à la Cour fédérale, l’intimée a aussi intenté une action contre les appelants; elle prétend qu’une publication antérieure de 2012 contrevenait au droit d’auteur quant à une version antérieure du Code de la CSA. Cette action est pendante devant la Cour fédérale et des interrogatoires préalables ont été menés par les parties dans le cadre de celle‑ci.

[6]  Les requêtes suivantes ont été déposées relativement aux deux appels dont la Cour est maintenant saisie :

  • La requête déposée par les appelants, le 19 avril 2016, visant à fixer le contenu du dossier d’appel, joignant les deux appels et confirmant le calendrier de production des documents en vue de l’appel (la requête en jonction d’instances);
  • La requête déposée par les appelants, le 24 avril 2016, en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de l’ordonnance rendue par la Cour fédérale dans l’affaire P.S. Knight, un sursis à l’exécution de l’ordonnance d’adjudication des dépens de la Cour fédérale et l’autorisation de modifier son avis d’appel (la requête en sursis d’exécution);
  • La requête incidente déposée par l’intimée, le 16 mai 2016, en vue d’obtenir l’exécution de l’ordonnance de la Cour fédérale sur les dommages-intérêts et sur la restitution à l’intimée des exemplaires contrefaits du code de Knight, ainsi que l’exécution de l’ordonnance sur les dépens ou, subsidiairement, en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux appelants de respecter les ordonnances sur les dommages-intérêts et les dépens ou, toujours à titre subsidiaire, en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux appelants de verser à la Cour, à titre de garantie, la somme de 100 000 $ (la requête incidente en exécution);
  • La requête déposée par les appelants, le 26 mai 2016, en vue d’obtenir la radiation de certains paragraphes de l’affidavit Morton du 16 mai 2016, versé au dossier de la requête incidente de l’intimée du 16 mai 2016 (la requête en radiation);
  • La requête déposée par les appelants, le 30 juin 2016, en vue d’obtenir l’autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve (quatre volumes) dans son appel (la requête en autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve);
  • La requête déposée par l’intimée, le 19 décembre 2016, en vue d’obtenir l’autorisation de produire un affidavit supplémentaire souscrit par Doug Morton dans le cadre de sa requête incidente du 16 mai 2016 (la requête en autorisation de produire un élément de preuve supplémentaire).

La requête en jonction d’instances et la demande de modification de l’avis d’appel dans le dossier A‑90‑16

[7]  Les parties ont confirmé à l’audience qu’elles ont consenti à joindre les appels et les dossiers d’appel, références A‑90‑16 et A‑121‑16, et à se conformer au calendrier de production des documents figurant dans la requête en jonction d’instances. Elles ont également convenu que le contenu du dossier d’appel conjoint devrait être celui proposé dans le dossier de réponse de l’intimée du 29 avril 2016. Ce qui précède me convient, et une ordonnance sera donc rendue en ce sens.

[8]  Dans sa requête en sursis d’exécution, les appelants ont demandé que l’avis d’appel dans le dossier A‑90‑16 soit modifié. L’intimée a consenti aux modifications indiquées par les appelants dans le dossier de sa requête en sursis d’exécution. Ainsi, sur consentement des parties, il est fait droit à la requête des appelants en modification de l’avis d’appel dans le dossier A‑90‑16.

La requête en radiation, la requête en autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve et la violation de la règle de l’engagement implicite

[9]  Dans leur requête en radiation, les appelants demandent la radiation de plusieurs des paragraphes de l’affidavit Morton du 16 mai 2016. Les paragraphes contestés sont les suivants : 12, 18, 20 à 25, 27 à 31, 33 et 34, 36 et 37, 42 à 47, 48 et 49, 50 et 51, 53 à 61, 63 à 101, 103 à 114, 116 à 119, 125 à 136, 139, 142, 146, 148, 150 à 153, 155 à 173, 176 et 177. L’intimée consent à ce que les paragraphes 73 à 75, 90 à 92, 116 et 118 soient radiés de l’affidavit. Ces paragraphes concernent des discussions en vue d’un règlement, et leur inclusion dans les documents était donc inappropriée.

[10]  Les appelants soutiennent que certains des autres paragraphes contestés renvoient, également à tort, à des discussions en vue d’un règlement, qu’ils sont donc protégés et qu’ils devraient être radiés. Les appelants affirment aussi que les paragraphes contestés de l’affidavit Morton du 16 mai 2016 renvoient à des éléments de preuve qui n’ont pas été produits devant la Cour fédérale relativement aux questions faisant l’objet du présent appel et que ces paragraphes ne sont donc pas pertinents. Ils ajoutent que certains des paragraphes renferment des opinions, des déclarations péremptoires ou des arguments et que, pour cette raison également, ils sont inappropriés. Les appelants avancent des arguments similaires concernant l’affidavit supplémentaire de Doug Morton que l’intimée cherche à déposer et ils affirment que la requête en autorisation de l’intimée devrait donc être rejetée.

[11]  À mon avis, l’affidavit Morton du 16 mai 2016 renferme deux types d’éléments de preuve inappropriés : d’abord, les déclarations relatives aux offres de règlement, aux positions adoptées durant les négociations et à ce qui s’est passé au cours des médiations antérieures entre les parties, qui sont protégées par le privilège lié aux négociations; et, deuxièmement, les déclarations concernant le témoignage produit par Gordon Knight durant les interrogatoires préalables menés dans le cadre de l’action distincte, qui est en instance devant la Cour fédérale, et certains extraits de la transcription de son interrogatoire préalable. Comme en a convenu l’intimée durant l’audience, l’inclusion de ce dernier type de preuve dans l’affidavit Morton du 16 mai 2016 contrevient à la règle de l’engagement implicite. Les paragraphes qui contiennent de façon irrégulière des renseignements protégés sont les paragraphes 71 à 76, 88 à 92 et 115 à 117 de l’affidavit Morton du 16 mai 2016. Les portions de l’affidavit Morton du 16 mai 2016 qui contreviennent à la règle de l’engagement implicite sont les paragraphes 36, 40 à 44, 101, 102, 129 à 131 et 163 à 167, ainsi que la dernière phrase du paragraphe 51 et les mots [traduction« du propre aveu de Gordon Knight », au paragraphe 18.

[12]  Le privilège lié aux négociations s’étend aux communications entre parties qui ont lieu dans le dessein de régler des points en litige. La preuve de telles communications ne peut en principe être produite sans le consentement de l’autre partie aux discussions en vue d’un règlement : Alan W. Bryant, Sidney N. Lederman, Michelle K. Fuerst, Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada, 4e éd., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014, p. 1035 à 1038. Il y a certaines exceptions à cette interdiction générale (le plus souvent lorsque l’existence d’un règlement amiable est alléguée et qu’une preuve est requise pour en établir les conditions), mais aucune exception ne s’applique aux déclarations contestées qui figurent dans l’affidavit Morton du 16 mai 2016. Les paragraphes 71 à 76, 88 à 92, et 115 à 117 de cet affidavit doivent donc être radiés parce qu’ils renferment des renseignements qui sont protégés par le privilège relatif au règlement.

[13]  Quant à la règle de l’engagement implicite, elle interdit à toute partie d’utiliser les éléments de preuve par ailleurs non accessibles qu’elle a obtenus à la faveur d’un interrogatoire préalable dans une instance civile, et ce, à des fins autres que celles de l’instance au cours de laquelle ils ont été obtenus, à moins qu’ils ne soient produits devant la cour (auquel cas ils deviennent publics), que la partie qui les a produits ne consente à leur utilisation en dehors de l’instance ou que la cour ne consente à ce qu’ils soient utilisés à une autre fin. Un engagement implicite est un engagement qui est pris envers la cour (puisque c’est en application de ses règles de procédure que les renseignements sont obtenus lors de l’interrogatoire préalable).

[14]  Dans l’arrêt Eli Lilly and Co. c. Interpharm Inc. (1993), 156 N.R. 234, 50 C.P.R. (3d) 208 (CAF) [Eli Lilly], la Cour a fait sienne la définition de la règle de l’engagement implicite qu’avait donnée la Cour fédérale dans la décision Canada c. Ichi Canada Ltd., [1992] 1 C.F. 571, à la page 580 :

[…] l’information obtenue, lors de l’interrogatoire, ne pourra être utilisée qu’aux seules fins du litige pour lequel elle a été obtenue. Bien entendu, cela ne limite pas l’utilisation d’informations qui, subséquemment, feront partie du dossier public. Cette décision n’affecte pas non plus l’utilisation d’informations obtenues lors de l’interrogatoire préalable qui auraient pu être obtenues d’une autre source. L’engagement implicite ne peut porter sur des documents et des informations obtenus d’une source étrangère à l’interrogatoire préalable, sous prétexte qu’ils ont été obtenus pendant l’enquête préalable. De plus, l’engagement implicite n’empêche pas une partie de demander, dans le contexte d’un procès connexe, d’être libérée de l’engagement implicite, de sorte que les informations obtenues lors de l’enquête préalable puissent être utilisées dans cette autre instance.

[15]  Dans l’arrêt Juman c. Doucette, 2008 CSC 8, [2008] 1 R.C.S. 157 [Doucette], la Cour suprême du Canada, confirmant l’existence et la portée de la règle de l’engagement implicite, a fait observer que, selon la règle et sous réserve des exceptions susmentionnées, « […] les éléments de preuve obtenus par contrainte d’une partie à une instance civile lors de l’enquête préalable ne peuvent être utilisés par les parties à d’autres fins que celles de l’instance au cours de laquelle ils ont été recueillis » (par. 1). La Cour suprême a expliqué deux principes qui sous-tendent la règle de l’engagement implicite. D’abord, la règle est conçue pour offrir une certaine protection au droit à la vie privée de celui qui fait l’objet de l’interrogatoire préalable, en exigeant que « tout ce qui est divulgué dans la pièce où se déroule l’interrogatoire préalable reste dans cette pièce, sauf si cela est finalement révélé en salle d’audience ou révélé par suite d’une ordonnance judiciaire » (Doucette, par. 25). Deuxièmement, la Cour suprême a fait observer que la règle encourage les parties à donner des renseignements plus exhaustifs et honnêtes; l’assurance que les renseignements ne pourront pas être utilisés à des fins étrangères encourage la franchise (Doucette, par. 26).

[16]  Même lorsque l’objet de deux instances opposant les mêmes parties ou des parties liées est semblable et que la preuve obtenue durant l’une d’elles pourrait intéresser l’autre, la règle de l’engagement implicite demeure applicable et a pour effet d’empêcher que les renseignements obtenus lors d’un interrogatoire préalable dans une instance soient produits dans l’autre, à moins que la partie qui a fourni les renseignements n’y consente ou que le tribunal n’autorise la production de la preuve dans la deuxième instance. Dans ces cas, toutefois, le préjudice causé à la partie qui fournit les renseignements est généralement moindre, et le tribunal accueillera normalement la requête en autorisation d’utiliser, dans une autre instance, les renseignements obtenus dans le cadre d’une première instance, comme l’a indiqué la Cour suprême au paragraphe 35 de l’arrêt Doucette.

[17]  Ici, aucun consentement du genre n’a été donné ni aucune ordonnance judiciaire n’a été rendue, même si de multiples violations de la règle de l’engagement implicite semblent avoir été commises, à certains moments, par les deux parties. Ainsi, comme l’a concédé l’intimée, il ne convenait pas d’inclure dans l’affidavit Morton du 16 mai 2016 les renseignements obtenus de Gordon Knight lors des interrogatoires préalables se rapportant à l’action en instance devant la Cour fédérale. Par conséquent, les paragraphes 36, 40 à 44, 101, 102, 129 à 131 et 163 à 167, ainsi que la dernière phrase du paragraphe 51 et les mots [traduction« du propre aveu de Gordon Knight », au paragraphe 18 de l’affidavit du 16 mai 2016 de Gordon Knight, doivent être radiés.

[18]  Pour ce qui concerne le reste de cet affidavit qui est contesté par les appelants et l’affidavit ultérieur de Doug Morton que l’intimée cherche à déposer, l’intimée m’a convaincue que la preuve contenue dans ces paragraphes et dans l’affidavit supplémentaire est d’une certaine utilité pour la requête en sursis d’exécution et la requête incidente en exécution. Plus précisément, une grande partie de cette preuve définit l’étendue du différend entre les parties et intéresse, par conséquent, la prétention des appelants selon qui il serait impossible de poursuivre leurs appels s’ils devaient respecter la décision de la Cour fédérale sur les dépens. Les autres paragraphes contestés de l’affidavit Morton du 16 mai 2016 ne devraient donc pas être radiés, et l’intimée est autorisée à déposer l’affidavit supplémentaire mentionné dans sa requête en présentation d’une preuve supplémentaire.

La requête incidente en exécution et la requête en sursis d’exécution

[19]  La requête incidente en exécution et les requêtes en sursis d’exécution sont à l’opposé l’une de l’autre et peuvent donc être considérées ensemble.

[20]  Durant l’audience, les parties ont consenti à une suspension des sections non injonctives et non pécuniaires des jugements de la Cour fédérale pour autant que soit rendue une ordonnance qui obligerait, d’une part, les appelants à restituer à l’intimée leurs exemplaires imprimés et numériques du code de Knight et, d’autre part, l’intimée à les enlever et à les stocker à ses frais ainsi qu’à veiller à leur protection – de sorte qu’ils puissent être retournés aux appelants, si nécessaire – en attendant l’issue de l’appel, ou dans l’éventualité où les appelants obtiendraient gain de cause. Dans le projet d’ordonnance que les parties ont présenté, l’intimée était également disposée à convenir qu’il lui serait interdit de visionner ou de reproduire les copies imprimées et numériques du code de Knight jusqu’à ce qu’il soit statué sur le présent appel. Le seul point qu’il me reste à décider en ce qui concerne la requête en sursis d’exécution et la requête incidente en exécution est donc celui de savoir si la section du jugement de la Cour fédérale, dans l’affaire P.S. Knight, qui condamne les appelants à des dommages-intérêts, ainsi que son jugement les condamnant à des dépens, devraient être suspendus en attendant l’issue des appels.

[21]  Pour obtenir gain de cause sur ce point, les appelants doivent remplir les trois conditions nécessaires à l’octroi d’un sursis d’exécution : les appels soulèvent une question sérieuse, les appelants subiraient un préjudice irréparable si le sursis était refusé et, enfin, la prépondérance des inconvénients milite en faveur du sursis : RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, p. 347 à 349 [RJR‑MacDonald]; Janssen Inc. c. AbbVie Corp., 2014 CAF 112, par. 12 à 17 [Janssen]; Glooscap Heritage Society c. Canada (Revenu national), 2012 CAF 255, par. 4 [Glooscap Heritage Society]. Pour répondre au premier volet du critère, il suffit aux appelants de démontrer que l’un des points soulevés en appel n’est pas futile ni vexatoire : RJR‑MacDonald, p. 337 et 338; Janssen, par. 23; Glooscap Heritage Society, par. 25; Canadian Waste Services Holdings Inc. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2004 CAF 273, par. 9.

[22]  L’intimée s’est opposée au sursis demandé, faisant valoir que les appelants devraient être tenus de se conformer aux condamnations pécuniaires prononcées dans les jugements de la Cour fédérale en attendant l’issue des appels formés contre ces jugements, mais elle a proposé une autre solution durant l’audience. Plus précisément, selon l’intimée, si un sursis d’exécution était accordé, il devrait être subordonné aux conditions suivantes :

  • Jusqu’à l’issue des appels, la société appelante ne devrait faire rien d’autre qu’effectuer des paiements et transférer des biens dans le cours normal de ses activités, mais elle pourrait continuer d’effectuer des paiements se rapportant au litige en cours;
  • La société appelante devrait être tenue, jusqu’à l’issue des appels, de s’abstenir de modifier les modalités des contrats existants ou des comptes clients, d’une manière qui pourrait réduire son actif;

  • La société appelante devrait aussi être tenue de conserver un registre complet de ses recettes et bénéfices et d’en fournir des relevés chaque mois à l’intimée pour la période allant de janvier 2017 jusqu’à l’issue des appels;
  • Les échéances établies par accord des parties dans la requête en jonction d’instances et se rapportant au dépôt des documents d’appel devraient être définitives et contraignantes (à moins qu’elles ne soient modifiées par la Cour).

[23]  Les appelants ont indiqué durant l’audience qu’ils étaient disposés à consentir aux conditions ci‑dessus. Il est donc juste que toute ordonnance de sursis fasse état de ces conditions, à l’exception de la dernière, qui est déjà implicite dans l’ordonnance relative à la requête en jonction d’instances.

[24]  S’agissant du bien-fondé de la requête en sursis d’exécution, l’intimée concède que les appels soulèvent une question sérieuse. Après examen des avis d’appel, je reconnais que tel est le cas.

[25]  Pour ce qui concerne le préjudice irréparable, je suis persuadée que la preuve qui m’a été soumise, bien qu’elle ne soit pas aussi détaillée qu’elle aurait pu l’être, montre effectivement que les ressources financières des appelants sont restreintes et qu’il est donc probable que les appelants ne seraient pas en mesure de poursuivre leurs appels s’ils devaient se conformer aux condamnations pécuniaires prononcées dans les jugements de la Cour fédérale. Les avocats de l’intimée ont d’ailleurs fait savoir durant les débats que la raison de la requête de l’intimée en exécution des ordonnances de la Cour fédérale était sa volonté d’empêcher les appelants de poursuivre les présents appels.

[26]  Contrairement à ce qu’affirme l’intimée, je ne crois pas que les appelants soient devenus impécunieux par leur propre fait. Une bonne partie des sommes qu’ils ont dépensées devant les tribunaux leur a plutôt servi à opposer une défense aux actions engagées par l’intimée. En outre, leur conduite dans la poursuite des présents appels n’est pas inadmissible au point de leur faire perdre tout droit au redressement qu’ils demandent.

[27]  La perte de la capacité à poursuivre un appel en raison de contraintes financières constitue un préjudice irréparable qui suffit à justifier un sursis à l’exécution d’un jugement pécuniaire : Air Canada c. Thibodeau, 2011 CAF 343, par. 37 à 39; Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 167, par. 10 à 12. Dans de telles circonstances, la prépondérance des inconvénients milite aussi en faveur de l’octroi du sursis puisqu’il est dans l’intérêt de la justice que l’affaire soit tranchée au fond : Canada c. Monit International Inc., 2004 CAF 108, par. 7; voir p. ex., Première Nation Couchiching c. Canada (Procureur général), 2011 CanLII 29658 (CF) (consultable en français sur le site de la Cour fédérale, dossier nT‑686‑11).

[28]  Ainsi, puisque les appelants ont établi que, sans le sursis demandé, ils ne seront sans doute pas en mesure de poursuivre les présents appels, il convient de leur accorder le sursis, sous réserve des conditions susmentionnées.

La requête en présentation d’une preuve nouvelle

[29]  Je passe maintenant à la question finale, celle de savoir si les appelants devraient être autorisés à déposer une grande quantité de nouveaux éléments de preuve dans leur appel du jugement P.S. Knight, dossier no A‑90‑16.

[30]  Pour obtenir gain de cause dans leur requête en présentation d’une preuve nouvelle, les appelants doivent démontrer, selon l’article 351 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), que les éléments de preuve n’auraient pas pu être découverts plus tôt en faisant preuve d’une diligence raisonnable, qu’ils sont pour ainsi dire déterminants quant à une question en litige dans l’appel et qu’ils sont crédibles ou, subsidiairement, qu’il est dans l’intérêt de la justice que ces nouveaux éléments de preuve soient produits : Gap Adventures Inc. c. Gap, Inc., 2012 CAF 101, par. 7; Korki c. Canada, 2011 CAF 287, par. 12; Canada c. Conseil canadien pour les réfugiés, 2008 CAF 171, par. 8; BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island, 2002 CAF 288, par. 28 à 30, [2003] 1 C.F. 475.

[31]  En l’espèce, la preuve que les appelants veulent ajouter au dossier se trouvait dans les dossiers de la société appelante qui étaient dans le bureau du sous‑sol de la maison occupée par le père de Gordon Knight. Les documents en question étaient dans le sous‑sol depuis plusieurs années. Il n’est pas contesté que Gordon Knight avait accès au sous‑sol. Il affirme avoir fouillé les dossiers de son père afin de recueillir la preuve des appelants dans la demande et l’action introduites devant la Cour fédérale. Il n’a pas trouvé les documents qu’il voudrait maintenant ajouter au dossier d’appel, parce qu’ils étaient pêle‑mêle et que certains d’entre eux étaient mal classés. Il n’a pas pu en parler à son père, parce qu’au moment où l’affaire a commencé, celui-ci était devenu incapable pour cause de démence.

[32]  Je ne suis pas convaincue que les appelants n’auraient pas pu trouver ces documents additionnels si une fouille diligente avait été effectuée. Le contre-interrogatoire de M. Knight démontre que le sous‑sol de la maison de son père n’était pas immense et que le nombre de documents n’était pas élevé au point qu’il ait été incapable de les passer en revue, un par un, à l’intérieur d’un délai raisonnable. Je souligne par ailleurs que ses obligations de divulgation en rapport avec l’action engagée devant la Cour fédérale lui imposaient de chercher avec diligence tous les documents pertinents. Je crois donc qu’il aurait dû faire une recherche plus approfondie dans les dossiers de la société que celle qu’il a effectuée. Il aurait pu découvrir les quatre volumes de documents que les appelants voudraient maintenant ajouter au dossier soumis à la Cour. Il est donc impossible de conclure que ces documents n’auraient pas pu être découverts plus tôt en faisant preuve de diligence raisonnable.

[33]  Je m’interroge aussi sur ce que les documents révèlent, et je ne crois pas qu’ils soient aussi concluants que le prétendent les appelants. Bon nombre d’entre eux sont des notes ou des comptes rendus de réunions, ainsi que des lettres. Sans un témoin pour les placer dans leur contexte, je ne puis conclure qu’ils prouvent ce que, selon les appelants, ils sont censés prouver, à savoir que la CSA ne possède pas de droit d’auteur dans la version de 2015 du Code de la CSA. Il est donc impossible d’affirmer que les documents seraient pour ainsi dire déterminants quant à l’une des questions soulevées en appel.

[34]  Enfin, dans les circonstances, l’intérêt de la justice ne requiert pas qu’il soit fait droit à la requête en présentation d’une preuve nouvelle puisque les documents en cause présentent peu d’utilité, voire aucune, que leur recevabilité est douteuse et qu’ils auraient dû être découverts plus tôt et présentés à la Cour fédérale pour examen. La requête des appelants en présentation d’une preuve nouvelle doit donc être rejetée.

[35]  Comme personne n’a obtenu entièrement gain de cause dans ces diverses requêtes et que bon nombre des questions opposant les parties semblent découler des positions indûment procédurières adoptées par elles ou par leurs avocats, il ne sera pas adjugé de dépens relativement à ces requêtes.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A‑90‑16, a‑121‑16

 

 

INTITULÉ :

P.S. KNIGHT CO. LTD. et GORDON KNIGHT c. ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JANVIER 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 MARS 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Jeffrey Radnoff

Me Charles Haworth

 

POUR LES appelants

 

Me Kevin Sartorio

Me James Green

Me David Potter

 

POUR L’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Radnoff Law Offices

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES appelants

 

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR L’intimée

 

 

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