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     Date: 19990708

     Dossier: A-441-97

ST. JOHN'S (TERRE-NEUVE), LE JEUDI 8 JUILLET 1999

CORAM:      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LÉTOURNEAU
         LE JUGE ROTHSTEIN

ENTRE:

     LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES AYANT

     UN DROIT SUR LE NAVIRE "MELINA & KEITH II",

     appelants,

     -et-

     GERALD'S MACHINE SHOP LIMITED,

     intimée.



     JUGEMENT


     La Cour accueille l'appel avec dépens suivant la colonne III du Tarif de la Cour fédérale, infirme le jugement de la Section de première instance et ordonne la tenue d'un nouveau procès devant un juge différent.

                             "Julius A. Isaac"

                                 Juge en chef



Traduction certifiée conforme


Ghislaine Poitras, LL.L.





     Date: 19990708

     Dossier: A-441-97


CORAM:      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LÉTOURNEAU
         LE JUGE ROTHSTEIN

ENTRE:


     LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES AYANT

     UN DROIT SUR LE NAVIRE "MELINA & KEITH II",

     appelants,

     -et-

     GERALD'S MACHINE SHOP LIMITED,

     intimée.





Entendu à St. John's (Terre-Neuve) le jeudi 8 juillet 1999

Jugement rendu à St. John's (Terre-Neuve) le jeudi 8 juillet 1999




MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR




     Date: 19990708

     Dossier: A-441-97


CORAM:      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LÉTOURNEAU
         LE JUGE ROTHSTEIN

ENTRE:


     LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES AYANT

     UN DROIT SUR LE NAVIRE "MELINA & KEITH II",

     appelants,

     -et-

     GERALD'S MACHINE SHOP LIMITED,

     intimée.


     MOTIFS DU JUGEMENT

     (Prononcés oralement à l'audience,

     à St. John's (Terre-Neuve), le jeudi 8 juillet 1999)


LA COUR

[1]      La Cour est saisie de l'appel d'un jugement rendu par la Section de première instance le 12 mai 1997. L'appel soulève la question du moment auquel il convient de présenter une requête de non-lieu ainsi que du rôle du juge instruisant la requête.

[2]      Comme ces questions portent sur le déroulement de l'affaire en première instance, l'intimée sera, par souci de commodité, désignée comme la demanderesse et les appelants seront appelés les défendeurs.

[3]      La demanderesse a réalisé des travaux et fourni des matériaux pour gréer un bateau pour la pêche au pétoncle et y effectuer d'autres modifications. Les défendeurs n'ont pas payé la demanderesse, et cette dernière les a poursuivis en justice pour la somme de 48 092,75 $.

[4]      Les défendeurs ont fait valoir que le prix était excessif. Ils ont en outre présenté une demande reconventionnelle dans laquelle ils alléguaient que la demanderesse avait mis cinq semaines à effectuer les travaux alors qu'elle avait déclaré qu'ils prendraient cinq jours, et que la période supplémentaire d'inactivité du bateau leur avait occasionné une perte de profit d'environ 60 000 $.

[5]      L'action devait être entendue à St. John's (Terre-Neuve) à compter du 12 mai 1997, et la durée prévue pour l'instruction était de trois jours.

[6]      Le 28 avril 1997, l'avocat des défendeurs a commencé à plaider une affaire criminelle sans lien avec la présente espèce, dans laquelle il défendait un employé de banque accusé de fraude. Au moment de l'interpellation, en février 1997, la Couronne avait estimé que le procès durerait trois jours. Il en a toutefois duré douze, et s'est terminé le 13 mai. Le 7 mai, prenant conscience qu'il y aurait chevauchement entre le procès criminel et l'instruction de l'affaire devant la Cour fédérale, l'avocat des défendeurs a communiqué avec celui de la demanderesse pour lui demander de consentir à un ajournement. Ce dernier a refusé. L'avocat des défendeurs a alors saisi le juge de première instance d'une requête en ajournement présentée par conférence téléphonique le 8 mai 1997. L'avocat de la demanderesse a plaidé qu'un report causerait préjudice à sa cliente. Le juge a rejeté la requête.

[7]      L'avocat des défendeurs a donc confié le dossier à un avocat novice de son cabinet, lequel n'avait, à l'époque, qu'un ou deux ans d'expérience. Cet avocat n'était pas au courant du dossier et, comble de malheur, il n'a pu communiquer avec le témoin des défendeurs, qui était en mer, que le matin de l'ouverture du procès.

[8]      L'instruction a débuté le 12 mai 1997. Au cours de sa déposition, le témoin des défendeurs n'a pas parlé de la demande reconventionnelle, c'est-à-dire qu'il n'a pas témoigné au sujet de déclarations de la demanderesse protant que les travaux ne prendraient que cinq jours ni au sujet du montant des profits perdus parce que le bateau n'avait pu prendre la mer pendant une période supérieure à cinq jours.

[9]      Lorsque l'avocat de la demanderesse a commencé le contre-interrogatoire du témoin des défendeurs, il lui a posé des questions sur les revenus bruts qu'il avait tiré de la pêche au pétoncle les années précédentes. Le juge semble avoir pensé que ces questions se rapportaient à la demande reconventionnelle. En effet, on peut lire l'intervention suivante après seulement une page et demi de transcription :

     [TRADUCTION]
     [LA COUR] : Je vois où nous allons ici; vous n'avez pas présenté de preuve concernant la demande reconventionnelle, n'est-ce pas?
     [M. MORRISON] [avocat des défendeurs] : Non, M. le juge.

[10]      Le juge a alors demandé à l'avocat des défendeurs s'il se désistait de la demande reconventionnelle, et celui-ci lui a répondu par la négative.

     [TRADUCTION]
     [LA COUR] : Abandonnez-vous cette demande?
     [M. MORRISON] : C'est-à-dire, je ne dirais pas que je l'abandonne, mais --

[11]      Le juge a alors poursuivi, au sujet du désistement :

     [TRADUCTION]
     [LA COUR] : Eh bien, si vous ne pouvez pas présentez de preuve, il est certain que, ou vous devrez vous désister, ou je serai en mesure de déclarer tout simplement qu'il y a eu désistement.
     [M. MORRISON] : C'est-à-dire, je crois simplement que Monsieur, que mon collègue Me Sinnott va dans cette direction, alors --
     [LA COUR] : Il ne va pas prouver votre demande à moins que vous ne présentiez des éléments de preuve.
     [M. MORRISON] : C'est que, monsieur le juge, tout ce que nous pouvons dire c'est que nous n'avons peut-être pas présenté d'éléments de preuve sur la question mais que nous ne nous désistons pas de la demande comme telle, c'est tout.

[12]      Le juge a alors abordé la question des dépens relatifs à la demande reconventionnelle.

     [TRADUCTION]
     [LA COUR] : Les dépens sont un facteur alors?
     [M. MORRISON] : Dans le désistement de la demande reconventionnelle?
     [LA COUR] : Si vous ne présentez pas d'élément de preuve et que vous maintenez la demande, je crois que des dépens s'ensuivront.
     [M. MORRISON] : En raison de la demande reconventionnelle?
     [LA COUR] : C'est que vous allez à présent obliger M. Sinnott à mener un interrogatoire sur un point pour lequel vous n'avez aucun élément de preuve; c'est vous qui décidez; je veux simplement savoir ce qu'il en est, c'est tout.

[13]      L'avocat des défendeurs a alors fait une déclaration ambiguë à propos de la présentation d'éléments de preuve concernant la demande reconventionnelle, mais il a affirmé qu'il n'abandonnait pas la demande.

     [TRADUCTION]
     [M.MORRISON] : Certes. Eh bien, il n'était pas dans notre intention de, vous savez, de présenter des éléments de preuve sur la demande reconventionelle à ce, vous savez, mais quoi qu'il en soit nous n'abandonnons pas la demande comme telle, s'il y a des incidences sur les dépens, si c'est en cause, je --

[14]      Comme on peut le voir, la position prise par l'avocat des défendeurs est ambiguë. On ne sait pas trop s'il avait l'intention de ne pas présenter de preuve relativement à la demande reconventionnelle, s'il pensait, par suite de l'intervention du juge, qu'il avait perdu le droit de présenter une telle preuve, s'il considérait la demande reconventionnelle comme une question distincte pour laquelle il présenterait sa preuve plus tard ou s'il pensait s'occuper de cette question lors du réinterrogatoire, en tenant compte des questions posées en contre-interrogatoire par l'avocat de la demanderesse. Il est clair, cependant, que même si l'avocat des défendeurs semble n'avoir pas bien saisi le sens de l'intervention du juge, il ne s'est pas désisté de la demande reconventionnelle, en dépit de l'insistance manifestée par le juge à cet égard.

[15]      N'ayant pas convaincu l'avocat des défendeurs d'abandonner la demande reconventionnelle, le juge de première instance l'a interrompu.

     [TRADUCTION]
     Alors, je devrais prononcer un non-lieu sur cet élément de la demande.

[16]      L'avocat de la demanderesse, s'apercevant que le juge allait vers le non-lieu à cause des questions qu'il avait posées sur le revenu brut tiré de la pêche au pétoncle par les défendeurs, a précisé qu'elles ne se rapportaient pas à la demande reconventionnelle.

     [TRADUCTION]
     [M. SINNOTT, c.r.] [avocat de la demanderesse] : Bien, je devrais demander un non-lieu, mais je présumais simplement que la demande reconventionnelle n'avait pas été abordée, et je n'ai pas posé ces questions à cause de cette demande, M. le juge.

[17]      Ne recevant pas de la part de l'avocat de la demanderesse la demande de non-lieu qu'il prescrivait, le juge a poursuivi :

     [TRADUCTION]
     [LA COUR] : Voyons, essayons de mettre de l'ordre, demandez-vous un non-lieu concernant cet élément.
     [M. SINNOTT, c.r. : Je demande un non-lieu à l'égard de la demande reconventionnelle, M. le juge.
     [LA COUR] : La demande est accordée. Aucun élément de preuve n'a été présenté à l'égard de la demande reconventionnelle; je prononce le non-lieu.

[18]      Suivent encore vingt-deux pages de transcription du contre-interrogatoire du témoin des défendeurs, puis vers 16 h 30, le juge a demandé combien de temps encore durerait le contre-interrogatoire. L'avocat de la demanderesse a indiqué qu'il se prolongerait au-delà de 17 h. Le juge a alors déclaré qu'il souhaitait finir l'instruction le jour même.

     [TRADUCTION]
     [LA COUR] : Hem, j'aimerais que nous finissions cela cet après-midi. Pouvez-vous plaider ce soir?

[19]      L'avocat des défendeurs a indiqué qu'il en avait discuté avec l'avocat de la demanderesse et qu'ils prévoyaient présenter leurs plaidoiries le lendemain matin, c'est-à-dire le deuxième des trois jours réservés pour l'instruction.

[20]      Le juge a alors dit aux avocats : [TRADUCTION] "Je crois que nous devrions essayer de terminer cela ce soir".

[21]      Il y eut alors un ajournement de quinze minutes. Lors de la reprise de l'audience, l'avocat de la demanderesse a poursuivi le contre-interrogatoire (la transcription s'étend encore sur dix-sept pages). Le contre-interrogatoire terminé, le juge a demandé à l'avocat de la demanderesse de présenter sa plaidoirie, puis ce fut le tour de l'avocat des défendeurs. Sans ajourner l'audience, le juge a alors rendu jugement en faveur de la demanderesse pour la somme de 39 175 $ plus la TPS, les intérêts et les dépens.

[22]      Notre Cour a peu statué sur la question du non-lieu. Toutefois, il existe de la jurisprudence instructive de la Cour d'appel de l'Ontario à ce sujet. Voir, par exemple, McKenzie v. Bergin, [1937] O.W.N. 200 (C.A.). Voir également The Trial of an Action1, à la p. 149.

[23]      Suivant ces textes, le juge de première instance aurait dû observer les règles suivantes : (1) il n'aurait pas dû, de sa propre initiative, prescrire un non-lieu, (2) la requête en non-lieu visant la demande reconventionnelle n'aurait pas dû être présentée avant la clôture de la preuve des défendeurs. L'équité procédurale exige que le juge laisse au demandeur le soin de décider s'il demandera une ordonnance de non-lieu au sujet de la demande reconventionnelle et qu'une telle requête ne soit entendue qu'après la clôture de la preuve du défendeur. En l'espèce, le juge a commis une erreur, premièrement, en prexcrivant à l'avocat de la demanderesse de demander le non-lieu et, deuxièmement, en statuant sur la requête avant que l'avocat des défendeurs n'ait terminé sa preuve.

[24]      La transcription indique que le juge était manifestement pressé d'en avoir terminé. Toutefois, comme trois jours avaient été réservés pour l'instruction de l'affaire, il est certain qu'aucun conflit d'engagements n'aurait surgi si celle-ci s'était prolongée au-delà du premier jour. Rien n'empêchait que l'argumentation ait lieu le matin suivant ainsi que les avocats l'avaient prévu, sauf la hâte apparente du juge d'en avoir fini de cette affaire le soir même. C'est en effet ce qui semble avoir poussé le juge à enjoindre de son propre chef à l'avocat de la demanderesse de demander le non-lieu puis à rejeter sommairement et prématurément la demande reconventionnelle.

[25]      Aucun des avocats n'a été préalablement avisé que le juge allait soulever la question du non-lieu, et aucun n'a eu l'occasion d'y réfléchir. En prenant les avocats par surprise et en ne leur laissant pas le temps d'examiner la question, le juge semble avoir abusé de l'ambiguïté de la situation ainsi que de l'inexpérience du jeune avocat et de la confusion dans laquelle il se trouvait. C'était à cause du refus du juge d'accorder un ajournement que le dossier avait été confié à l'avocat novice. Le juge n'aurait pas dû interrompre ce dernier. Au lieu d'imposer et de prononcer un non-lieu prématuré, il aurait plutôt fallu qu'il recommande au jeune avocat de consulter l'avocat principal, qui venait d'arriver quelques minutes plus tôt de son procès criminel et dont la présence dans la salle d'audience était connue du juge, sur la question de la demande reconventionnelle et de la nécessité de l'étayer d'éléments de preuve.

[26]      L'efficacité qui doit présider aux instructions ne doit pas s'obtenir aux dépens de l'équité, sans compter que l'efficacité n'était pour rien dans la décision procédurale rendue en l'espèce. Lorsqu'un juge précipite un procès sans raison valable en recourant à une procédure irrégulière, le processus paraîtra injuste. C'est ce qui s'est produit en l'espèce.

[27]      Nous constatons également, en passant, que le juge de première instance a analysé superficiellement la réclamation de la demanderesse. Il est à craindre que le juge, en partageant également entre les deux parties la responsabilité du malentendu relatif à une partie du travail, ne se soit pas suffisamment penché sur la question de l'attribution de la responsabilité, laquelle était la raison même de la présence des parties devant la Cour. Les motifs du juge n'indiquent pas clairement, en outre, pourquoi il a réduit de 9 000 $ la réclamation de la demanderesse.

[28]      Il est regrettable que les parties aient à assumer les frais d'un nouveau procès dans de telles circonstances, mais nous estimons que cette solution s'impose en l'espèce. L'appel est accueilli avec dépens suivant la colonne III du Tarif. Le jugement de la Section de première instance est infirmé et l'affaire sera renvoyée à ladite Section pour qu'un nouveau procès soit instruit devant un juge différent.

                             "Julius A. Isaac"

                                 Juge en chef


                             "Gilles Létourneau"

                                 J.C.A.


                             "Marshall E. Rothstein"

                                 J.C.A.




Traduction certifiée conforme


Ghislaine Poitras, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION D'APPEL

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              A-441-97

INTITULÉ :                  Les propriétaires et toutes autres personnes ayant un droit sur le navire "Melina & Keith II" c.
                     Gerald's Machine Shop Limited

LIEU DE L'AUDIENCE :          St. John's (Terre-Neuve)

DATE DE L'AUDIENCE :      le jeudi 8 juillet 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (LE JUGE EN CHEF ET LES JUGES LÉTOURNEAU ET ROTHSTEIN)


EN DATE DU              8 juillet 1999

COMPARUTIONS :

Richard S. Rogers                  pour les appelants
John R. Sinnott, c.r.                  pour l'intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Williams, Roebothan, McKay & Marshall      pour les appelants

St. John's (Terre-Neuve)

Lewis, Sinnott, Shortall, Hurley          pour l'intimée

St. John's (Terre-Neuve)

__________________

     1      Sopinka J., D.B. Houston, M. Sopinka, The Trial of an Action, Toronto, Butterworths, 1998.

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