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Date : 20020426

Dossier : A-140-01

Référence neutre : 2002 CAF 157

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                       LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                                 LUC LANGELIER

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                       Audience tenue à Montréal (Québec), le 17 avril 2002.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 avril 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                        LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                        LE JUGE NOËL

                                                                                                                                  LE JUGE PELLETIER


Date : 20020426

Dossier : A-140-01

Référence neutre : 2002 CAF 157

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                       LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                                 LUC LANGELIER

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY


[1]                 Appelé à décider si la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (la Commission) pouvait se prévaloir du délai de réexamen de 72 mois prévu au paragraphe 43(6) de la Loi sur l'assurance-chômage, le juge-arbitre a conclu que non, la Commission ne s'étant pas, selon lui, déchargée de son « fardeau de prouver que le prestataire avait sciemment fait des fausses déclarations » . Il renversait, ce faisant, la décision du conseil arbitral qui avait entériné celle de la Commission.

[2]                 En l'espèce, la « fausse déclaration » en litige serait un relevé d'emploi émis par un employeur le 2 juillet 1991 et joint par le prestataire à la demande de prestations qu'il présentait le 31 juillet 1991. Une longue enquête fut menée par la Commission de concert avec la Gendarmerie royale du Canada en 1993 et 1994 dans le but d'enrayer l'émission de relevés d'emploi non conformes dans le milieu des pêcheurs de poissons de l'Atlantique. À la fin de l'enquête, la Commission s'est dite d'avis qu'un relevé d'emploi soumis par le prestataire n'était pas conforme et, le 20 janvier 1995, elle obtenait de Revenu Canada, en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi et sans en aviser le prestataire, une décision à l'effet que l'emploi effectué du 10 juin 1991 au 15 juin 1991 n'était pas assurable (Dossier de la demanderesse, p. 35).

[3]                 La Commission informe le prestataire de cette décision le 23 mai 1995. L'effet de cette décision étant de réduire à neuf le nombre de semaines d'emploi assurable requis pour faire établir une période de prestations, soit une semaine en deçà du minimum requis de dix, la Commission annule la période de prestations et demande le remboursement d'un trop-payé de 15 096,00 $. La Commission dit s'autoriser du paragraphe 43(6) de la Loi pour réexaminer hors délai la demande du prestataire. La Commission, par ailleurs, n'impose pas de pénalité.


[4]                 Le dossier fait état que le prestataire en aurait appelé de la décision de Revenu Canada, mais le conseil arbitral, dans sa décision, note que ni le prestataire ni son représentant n'avaient été en mesure de dire quel avait été le résultat de cet appel (Dossier de la demanderesse, p. 88).

[5]                 Je suis d'avis, avec égards, que le juge-arbitre a fait fausse route lorsqu'il a imposé à la Commission, en vertu du paragraphe 43(6), le fardeau de prouver « que le prestataire avait sciemment fait des fausses déclarations » . C'est là, plutôt, le fardeau qu'impose le paragraphe 33(1) en matière de pénalité. Tout ce qu'exige le législateur au paragraphe 43(6), c'est que la Commission « estime qu'une déclaration fausse ou trompeuse ait été faite » (Canada (Procureur général) c. Pilote, (1998) 243 N.R. 203 (C.A.F.). Pour en arriver à cette conclusion, il faut, bien sûr, que la Commission se satisfasse raisonnablement qu'une « déclaration ou représentation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations » .

[6]                 Le procureur du défendeur soutient que le paragraphe 43(6) ne trouve application que si la déclaration en litige est celle du prestataire lui-même. Selon lui, la prolongation du délai de réexamen que permet ce paragraphe est une disposition exorbitante du droit commun qui ne devrait pas être interprétée de manière à permettre à l'État de revenir six ans en arrière pour recouvrer un trop-payé d'un prestataire qui n'est pas l'auteur de la déclaration.


[7]                 Je ne suis pas convaincu, en l'espèce, qu'en joignant le relevé d'emploi à sa demande de prestations, le prestataire ne fait pas sien ce relevé, mais de toute manière, je ne peux pas retenir la prétention du procureur pour les raisons que voici.

[8]                 Cette proposition serait alléchante si la prolongation du délai de réexamen ne pouvait jouer qu'au détriment du prestataire. Tel n'est pas le cas. Il appert des termes mêmes de l'article 43 que le réexamen est une procédure qui permet à la Commission de se raviser dans un sens ou dans l'autre : le réexamen peut mener aussi bien à un remboursement par le prestataire d'un trop-payé qu'au paiement par la Commission de prestations jusqu'alors refusées ou au paiement par la Commission de prestations additionnelles. Le texte du paragraphe 43(6) doit pouvoir s'appliquer qu'il s'agisse de trop-payé ou de remboursement. Exiger que la déclaration ou représentation fausse émane du seul prestataire, ce serait priver potentiellement un prestataire d'une prolongation de délai qui lui aurait permis de bonifier sa situation.

[9]                 Les passages pertinents de l'article 43 sont les suivants :



43. (1) Nonobstant l'article 86 mais sous réserve du paragraphe (6), la Commission peut, dans les trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations et, si elle décide qu'une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n'était pas admissible ou n'a pas reçu la somme d'argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission calcule la somme payée ou payable, selon le cas, et notifie sa décision au prestataire.

43. (1) Notwithstanding seciton 86 but subject to subsection (6), the Commission may at any time within thirty-six months after benefit has been paid or would have been payable reconsider any claim made in respect thereof and if the Commission decides that a person has received money by way of benefit thereunder for which he was not qualified or to which he was not entitled, or has not received money for which he was qualified and to which he was entitled, the Commission shall calculate the amount that was so received or payable, as the case may be, and notify the claimant of its decision.

...

(3) Si la Commission décide qu'une personne a reçu une somme au titre de prestations auxquelles elle n'avait pas droit ou pour une période durant laquelle elle n'était pas admissible, la somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui est remboursable conformément à l'article 35.

...

(3) If the Commission decides that a person has received money by way of benefit for any period in respect of which he was not qualified or money by way of benefit to which he was not entitled, the amount therefor as calculated under subsection (1) is the amount repayable under section 35.

(4) Si la Commission décide qu'une personne n'a pas reçu la somme au titre de prestations pour lesquelles elle remplissait les conditions requises et au bénéfice desquelles elle était admissible, la somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui est payable au prestataire.

...

(6) Lorsque la Commission estime qu'une déclaration ou représentation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elle dispose d'un délai de soixante-douze mois pour réexaminer la demande en vertu du paragraphe (1).

(4) If the Commission decides that a person was qualified and entitled to receive money by way of benefit, and the money was not paid, the amount thereof as calculated under subsection (1) is the amount payable to the claimant.

...

(6) Where, in the opinion of the Commission, a false or misleading statement or representation has been made in connection with a claim, the Commission has seventy-two months within which to reconsider the claim under subsection (1).


[10]            Le texte du paragraphe 43(6) est clair. La déclaration en litige doit avoir été faite « relativement à une demande de prestations » ("in connection with a claim"). Une demande initiale de prestations (article 39) est faite en remplissant un formulaire dans lequel le prestataire fait lui-même certaines déclarations et auquel il est tenu d'annexer « un relevé d'emploi de chaque employeur » (case 37 du formulaire, Dossier de la demanderesse, p. 7). Au départ, donc, toute demande de prestations suppose des déclarations du prestataire et de l'employeur. À cela peuvent s'ajouter en cours d'enquête, comme en l'espèce, des déclarations obtenues, par exemple, d'un ancien employeur ou d'un co-employé. L'article 88 de la Loi prescrit même que l'expression « demandes de prestations » s'entend « comme couvrant également les questions afférentes à ces demandes » . Il s'ensuit, à n'en pas douter, que les mots « déclaration ou représentation ... relativement à une demande de prestations » sont particulièrement larges et renvoient à toute déclaration faite par quiconque relativement à une demande de prestations.

[11]            Quand le législateur a voulu viser la déclaration du seul prestataire, ou encore celle du seul employeur, il l'a dit expressément, comme aux paragraphes 33(1) et (2) de la Loi. De même, à l'article 103 qui régit les infractions et peines, l'alinéa 103(1)a) vise-t-il quiconque « à l'occasion d'une demande de prestations, fait sciemment une déclaration ou représentation fausse ou trompeuse » tandis que l'alinéa 103(1)d) vise quiconque « fait une demande ou une déclaration que, en raison de la dissimulation de certains faits, il sait être fausse ou trompeuse » (mon soulignement).

[12]            Bref, ni le texte du paragraphe 43(6), ni le contexte législatif ni l'effet recherché de la prolongation du délai de réexamen ne permettent-ils de restreindre la possibilité d'une prolongation aux seuls cas où la déclaration en litige émane du prestataire lui-même. C'est d'ailleurs ce qu'ont déjà décidé les juges-arbitres Denault, Strayer et Nadon dans les CUB 18833 (Réjean Monger), 20994 (Jean-Claude Eliacin) et 43190 (Normand Péladeau).


[13]            Cela dit, la question demeure entière : la Commission pouvait-elle, dans les circonstances on ne peut plus particulières de cette affaire qui sont toutes relatées par le juge-arbitre, en venir raisonnablement à la conclusion qu'il y avait eu déclaration ou représentation fausse ou trompeuse?

[14]            Bien qu'il ait imposé à la Commission un fardeau trop lourd, le juge-arbitre n'en a pas moins conclu, après une revue exhaustive de la preuve, qu'il n'y avait pas eu fausse déclaration. Il importe peu, en conséquence, qu'il ait erré en exigeant la preuve d'une fausse déclaration faite sciemment puisqu'à son avis il n'y avait tout simplement pas de fausse déclaration. Ma tâche, ici, consiste à décider si le juge-arbitre pouvait en arriver à la conclusion que le conseil arbitral avait de façon manifestement déraisonnable conclu que la Commission s'était déchargée de son fardeau de prouver qu'il y avait eu fausse déclaration.

[15]            Le seul fondement de la conclusion de la Commission et, après elle, du conseil arbitral, est la décision de non-assurabilité rendue par Revenu Canada le 20 janvier 1995. Je rappelle que cette décision a été rendue à l'insu du prestataire et sans même que ce dernier ait été interrogé par Revenu Canada. Cette décision est des plus laconique. Elle se retrouve à la page 35 du Dossier de la demanderesse. Le motif invoqué par la Commission pour justifier sa demande de décision est le suivant :

Déterminer le nombre de semaines d'emploi ainsi que la rémunération assurable. (Aucune preuve de paiement)


et la décision de Revenu Canada est exprimée en ces termes :

Emploi non assurable pour le compte de Bruno Duguay le véritable employeur ne rencontrant pas les exigences de l'alinéa 3(1)(a) de la Loi.

Produits Marin St-Godefroi Inc. était l'employeur réputé aux fins des perceptions de cotisations en vertu des paragraphes 18(1) et 18(2) R.A.C. (P.C.)

[16]            Le juge-arbitre a commenté cette décision de la façon suivante :

La Commission se fonde exclusivement sur la décision de Revenu Canada relativement à l'assurabilité de l'emploi d'aide-pêcheur pour annuler la période de prestations établie à l'endroit de M. Luc Langelier. La preuve au dossier démontre bien que ni monsieur Aubur ni madame Acteson n'ont été questionnés relativement au relevé d'emploi émis à M. Langelier. En fait, madame Acteson a déclaré que les aides-pêcheurs pouvaient obtenir des relevés d'emploi et qu'elle n'a jamais émis de faux relevés d'emplois.

De plus, je n'accepte pas la soumission de la Commission à l'effet que M. Langelier n'ait pas été rémunéré pour sa semaine de travail. M. Bruno Duguay, le capitaine propriétaire du bateau, a indiqué lui avoir versé la somme de $680.00 pour la pêche en juin 1991. Le fait que l'on ne retrouve pas de trace du chèque plus de trois ans après les faits ne prouve certes pas qu'il n'y a pas eu rémunération.


[17]            Il faut se rappeler que le paragraphe 43(6) fait partie d'un « régime d'exception, qui est exorbitant du droit commun » et qu'il doit être « interprété restrictivement » (Laforest c. Canada (Procureur général) (1988), 97 N.R. 95 (C.A.F.), j. Lacombe, para. 22). Dès lors, le fardeau de preuve qui incombe à la Commission lorsqu'elle veut remonter plus de trois ans en arrière pour réclamer d'un prestataire le remboursement d'un trop-payé, n'est pas un fardeau négligeable. Les conséquences subies par un prestataire peuvent être considérables, comme le démontre le présent cas. La Commission, dans des circonstances comme celles-ci, ne peut se contenter de s'appuyer sur une décision de Revenu Canada qui a été rendue hors la connaissance du prestataire, qui se fonde sur une allégation aussi vague que « aucune preuve de paiement » et qui donne des motifs aussi courts qu'imprécis.

[18]            Qui plus est, le refus de Revenu Canada de donner à des déclarations le même effet juridique que celui souhaité par un prestataire ne permet pas à lui seul de conclure qu'il y a eu fausse déclaration. De même, une décision qui, comme en l'espèce, s'appuie sur l'absence de preuve de paiement ne permet pas à elle seule de conclure qu'il n'y a pas eu paiement et qu'il était faux de déclarer qu'il y avait eu paiement. Lorsque la Commission se prévaut du pouvoir distinct que lui confère le paragraphe 43(6), elle a l'obligation de dire au prestataire pourquoi, précisément, pour les fins particulières de l'exercice auquel elle se livre en vertu de ce paragraphe, la déclaration lui paraît fausse.

[19]            Aussi, même si ce n'est pas en ces termes qu'il s'est exprimé, le juge-arbitre n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en concluant, à toutes fins utiles, qu'il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission et du conseil arbitral d'estimer, dans les circonstances de l'espèce, qu'il y avait eu fausse déclaration sur la seule foi de la décision rendue par Revenu Canada.

[20]            Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.


                                                                                          "Robert Décary"                                

                                                                                                             j.c.a.

"Je suis d'accord.

     Marc Noël, j.c.a."

"Je suis d'accord.

     J.D. Denis Pelletier, j.c.a."


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION D'APPEL

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE LA COUR :                        A-140-01

INTITULÉ :                                     LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA    v.    LUC          LANGELIER

LIEU DE L'AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :            17 AVRIL 2002

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR PAR:                      Décary, j.c.a.

Y ONT SOUSCRIT:                      Noël, j.c.a.

Pelletier, j.c.a.

EN DATE :                                      26 AVRIL 2002

COMPARUTIONS :

Me Carole BureauPOUR LE DEMANDERESSE

Me Pierre RiopelPOUR LE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Mr. Morris RosenbergPOUR LE DEMANDERESSE


Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Ontario

Me Pierre Riopel (pour lui-meme)POUR LE DÉFENDERESSE

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