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Date : 19990419


Dossier : A-240-98

CORAM :          LE JUGE DESJARDINS
             LE JUGE LÉTOURNEAU
             LE JUGE NOËL

ENTRE :

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Demandeur

     - et -

     RITA SIROIS

     Défenderesse

Audience tenue à Montréal, Québec, le jeudi 25 février 1999

Jugement rendu à Ottawa, Ontario, le lundi 19 avril 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE LÉTOURNEAU

     LE JUGE NOËL


Date : 19990419


Dossier : A-240-98

CORAM :          LE JUGE DESJARDINS
             LE JUGE LÉTOURNEAU
             LE JUGE NOËL

    

ENTRE :

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Demandeur

     - et -

     RITA SIROIS

     Défenderesse

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DESJARDINS

Nous sommes saisis d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale1 visant à faire annuler une décision de la Cour canadienne de l'impôt, laquelle déclarait que la défenderesse Sirois n'exerçait pas un emploi assurable au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance chômage2 (la "Loi").

[1]      Les faits sont les suivants. Antérieurement au 20 décembre 1995, la défenderesse, qui est infirmière de profession, agissait depuis plusieurs années à titre de coordonnatrice des soins infirmiers pour le Centre d'Accueil Sénécal/Les Ateliers Le Cap (le payeur). Les conditions de travail de la défenderesse étaient régies par le Règlement sur certaines conditions de travail applicables aux cadres des conseils régionaux et des établissements de santé et de service sociaux (le "Règlement")3 adopté sous l'autorité de la Loi sur les services de santé et les service sociaux.4

[2]      Le 27 avril 1994, suite à une réorganisation administrative, un avis d'intention d'abolition de poste fut signifié à la défenderesse en vertu de l'article 130 du Règlement l'obligeant à faire un choix entre trois options prévues à l'article 131:

130. Si un cadre n'a pu être replacé ou réaffecté en vertu de l'article 129, l'employeur l'avise par écrit de l'abolition de son poste. Cet avis doit être reçu par le cadre au moins 21 jours avant la date de l'abolition de son poste. [...]

             131. Sur réception de l'avis reçu à l'article 130, le cadre choisit, avant la date de l'abolition de son poste, l'une des options suivantes:             
             1o le replacement;             
             2o la réaffectation et l'inscription sur la liste de rappel;             
             3o le congé de préretraite et l'indemnité de retraite;             

4o l'indemnité de fin d'emploi;

Le choix du cadre prend effet à la date d'abolition de son poste. [...]

[3]      La défenderesse se prévalut de la troisième option et conclut une entente avec le payeur donnant effet à l'option qu'elle avait choisie.

[4]      Aux termes de cette entente,5 le congé de préretraite de la défenderesse débuta le 20 décembre 1995 et prendra fin le 20 décembre 2000, date à laquelle celle-ci s'est engagée à prendre sa retraite. Pendant cette période de cinq ans, l'entente prévoit que la défenderesse sera en congé payé 14 heures par semaine, en congé de maladie payé 2.625 heures par semaine, et en congé sans solde 18.375 heures par semaine. Ainsi, pendant cette période, la défenderesse n'a pas à fournir de prestation de travail auprès du payeur mais, en conformité avec l'article 168 du Règlement, elle maintient sa participation aux régimes collectifs d'assurance et paie une contribution aux fonds de pension relativement aux 16,625 heures par semaine payées. En vertu du paragraphe 8 de l'entente, le lien d'emploi entre la défenderesse et le payeur ne sera définitivement rompu qu'à la date où la défenderesse sera admissible à une rente de retraite sans pénalité actuarielle soit le 20 décembre 2000.

[5]      Pendant la période de préretraite, les cotisations d'assurance-chômage furent prélevées sur le traitement de la défenderesse. Le 28 août 1996, répondant à une demande de décision de la défenderesse qui s'opposait à ce que des cotisations soient prélevées sur les montants qu'elle recevait du payeur, le Ministre du Revenu national (le "Ministre") décidait que la défenderesse devait payer ces cotisations car une relation employeur/employée continuait d'exister entre celle-ci et le payeur pendant la période en question.6 Le Ministre indiquait dans sa décision que celle-ci était fondée sur l'alinéa 3(1)a) et le paragraphe 61(1) de la Loi, lesquels prévoient ce qui suit:


3. (1) Insurable employment is employment that is not included in excepted employment and is

     (a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by the piece, or partly by time and partly by the piece, or otherwise;

61. (1) Where any question arises under this Act as to whether a person is required to make a payment of an employee's premium, or an employer's premium, or as to the amount of any such premium, in a year,

     (a) the person concerned may, on or before April 30 in the immediately following year, apply to the Minister to determine the question; or
     (b) the Minister on his own initiative may at any time determine the question.

3. (1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas:

     a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

61. (1) Lorsque se pose, en vertu de la présente loi, la question de savoir si une personne doit verser une cotisation ouvrière ou patronale ou quel devrait être le montant d'une telle cotisation, au cours d'une année:

     a) la personne intéressée peut, au plus tard le 30 avril de l'année suivante, demander au ministre de régler la question;
     b) le ministre peut, de sa propre initiative, régler la question à n'importe quel moment,

[6]      La défenderesse en appela de cette décision auprès de la Cour canadienne de l'impôt. Le premier juge annula la décision du Ministre au motif que la défenderesse n'occupait pas un emploi assurable au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi pendant la période pertinente. Il écrivit:7

... depuis la convention de préretraite entre l'appelante et le payeur, il n'existait aucun contrôle ou supervision ou intégration de l'appelante dans l'entreprise du payeur ou obligation de la part de l'appelante de fournir quelque service que ce soit, seule existant l'obligation de l'employeur de fournir une rémunération et cela sans contrepartie de la part de l'appelante.

En conséquence, la Cour arrive à la conclusion qu'il ne s'agissait pas en l'espèce d'un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage.

[7]      Le juge a erré, à mon sens, en concluant qu'il n'existait pas de contrat de louage de service au motif que la défenderesse ne fournissait plus de prestations de travail. La jurisprudence a reconnu que même si un employé, qui reçoit toujours des sommes d'argent de son employeur, ne fournit plus de prestations, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'il n'existe plus de contrat de louage de service (contrat de travail) le liant à son employeur. Il faut examiner s'il y rupture ou non du lien d'emploi.

[8]      Dans l'affaire Procureur général du Canada c. Verreault,8 la société Les Produits Alimentaires Anco Ltée informait ses employés le 31 juillet 1984 que l'usine fermait sur le champ et que chacun des employés serait considéré en congé jusqu'au 30 septembre 1984, date à laquelle ils seraient licenciés. Au même moment, l'employeur remettait à chacun de ses employés un chèque pour la période de congé de même qu'un chèque représentant l'indemnité de vacances. Pendant la durée du congé, des primes d'asurance-chômage furent payées relativement à chacun des employés affectés et, de plus, les employés continuèrent à bénéficier de leur assurance-groupe et à se gagner des vacances.

[9]      Dès le 2 août 1984, Verreault fit une demande de prestations d'assurance-chômage. La Commission refusa d'octroyer les prestations au motif que Verreault était toujours à l'emploi de l'entreprise jusqu'au 30 septembre 1984. Cette décision fut maintenue par le conseil arbitral mais renversée en appel par le juge-arbitre qui décida que l'emploi de Verreault avait pris fin le 31 juillet 1984, date à laquelle il cessa physiquement de travailler pour l'employeur. En révision judiciaire, le juge Pratte, au nom de notre Cour, déclarait que le juge-arbitre avait commis une erreur de droit en décidant que le contrat d'emploi avait pris fin en juillet. La Cour énonçait alors le principe selon lequel les parties à un contrat de travail peuvent licitement convenir d'en prolonger la durée pendant une période où l'employé sera dispensé de fournir sa prestation de travail.

[10]      En l'espèce, la situation de la défenderesse est régie par le Règlement. Ayant choisi l'option "congé de préretraite" prévue à l'article 131, la défenderesse se trouve mise en disponibilité au sens de l'article 1 du Règlement:

"mise en disponibilité": la situation dans laquelle se trouve un cadre à la suite de l'abolition de son poste en raison d'un surplus de personnel ou d'une réorganisation administrative, et après qu'il ait choisi l'option du replacement, de la réaffectation et de l'inscription sur la liste de rappel ou du congé de préretraite.

[11]      Selon le Règlement, il n'y a pas de rupture du lien d'emploi entre l'employeur et le cadre mis en disponibilité.

[12]      Si le cadre choisit l'option du replacement, celui-ci, en vertu des articles 133, 134 et 135 du Règlement, continue de donner ses services à son employeur dans des fonctions qui tiennent compte de sa formation, de son expérience et de son plan de replacement, et conserve son statut de cadre pour une période de vingt-quatre mois à compter de la date de l'abolition de son poste.

[13]      Le cadre qui choisit l'option de la réaffectation et de l'inscription sur la liste de rappel, en vertu de l'article 162, maintient son salaire et l'ensemble de ses conditions de travail tant qu'il n'est pas réaffecté ou replacé pour une période de vingt-quatre mois à compter de la date de l'abolition de son poste. L'article 164 prévoit que le lien d'emploi ne pourra être rompu qu'à l'expiration de cette période.

[14]      Quant au cadre qui a choisi l'option de préretraite, l'article 167 du Règlement prévoit qu'il est en congé de préretraite de la date où son poste a été aboli jusqu'à la date à laquelle il devient admissible à une rente de retraite sans réduction actuarielle conformément à son régime de retraite. En vertu de l'article 168, le cadre maintient sa participation au régime de retraite et aux régimes collectifs d'assurance. L'article 169 prévoit que le cadre reçoit, durant la période de préretraite, une allocation de préretraite dont le montant est fonction de la durée de la période de préretraite.

[15]      Le cadre qui choisit l'option de l'indemnité de fin d'emploi voit son lien d'emploi rompu avec l'employeur à compter de la date de l'abolition de son poste. L'article 175 du Règlement prévoit en effet que:

175. Un cadre peut choisir une indemnité de fin d'emploi dont le montant équivaut à trois mois de salaire par année de service continu chez un ou plusieurs employeurs comme cadre ou comme directeur général. Toutefois, le minimum de cette indemnité est de trois mois de salaire et le maximum est de 12 mois de salaire. La base de calcul de cette indemnité est le salaire que le cadre recevait à la date de l'abolition de son poste.

Dans un tel cas, il y a rupture du lien d'emploi entre le cadre et son employeur et ce, à compter de la date de l'abolition de son poste. Le cadre cesse alors de cotiser à son régime de retraite et de bénéficier des régimes collectifs d'assurance des cadres.

[16]      Ainsi, la situation du cadre qui choisit une des trois premières options prévue à l'article 131 du Règlement est bien différente de celle du cadre qui choisit l'indemnité de fin d'emploi. Alors que ce dernier voit son lien d'emploi avec l'employeur rompu, le cadre qui a choisi une des trois premières options est "mis en disponibilité" et, clairement, son lien d'emploi avec l'employeur n'est pas rompu. Il s'agit toujours du même contrat de travail sauf que les modalités ont changé.

[17]      La défenderesse nous a fait valoir que depuis le 20 décembre 1995, la défenderesse n'a plus la possibilité de retourner travailler chez le payeur et qu'elle a l'obligation de prendre sa retraite au terme de l'entente, soit le 20 décembre 2000. De plus, dit-elle, selon l'article 168 du Règlement, un cadre en congé de préretraite maintient un lien contractuel entre le payeur uniquement aux fins de participation aux régimes de retraite et aux régimes collectifs d'assurances du personnel d'encadrement. Elle cite à l'appui la décision de cette Cour dans Canada (Procureur général) c. Therrien-Beaupré9 où, selon ses prétentions, nous avons décidé qu'un salarié participant à un régime de congé à traitement différé ne pouvait pas être considéré comme ayant exercé un emploi assurable durant la période de congé prévue au régime. Elle conclut que bien que l'entente entre le payeur et elle stipule qu'un lien d'emploi sera maintenu jusqu'au 20 décembre 2000, un examen attentif des circonstances entourant la conclusion de l'entente amène à conclure qu'il n'existe pas, depuis le 20 décembre 1995, un véritable contrat de travail entre les parties.

[18]      L'affaire Therrien-Beaupré mettait en cause le paragraphe 13(1) du Règlement sur l'assurance-chômage10 lequel exclut des emplois assurables un emploi figurant en dessous d'une norme minimale d'heures de travail et de rémunération.11 C'est sur cette base que fut prononcée l'exclusion. La prestataire jouissait d'un congé à traitement différé selon les termes d'une convention collective. Dans les faits, il s'agissait plutôt d'un congé avec traitement anticipé. Il avait été convenu entre la prestataire et son employeur que celle-ci ne travaillerait pas pendant la première période de neuf mois et que son plein traitement, couvrant en réalité une période de vingt-sept mois, s'étalerait sur trente-six mois. Il en résultait que la prestataire reçut, dès le début, soixante-quinze pour cent du salaire qui avait été déterminé sur la période de vingt-sept mois. Mais son salaire, durant la première période de neuf mois, n'était pas "gagné" durant cette période puisqu'il s'agissait d'une période de congé. La prestataire ne rencontrait donc pas les exigences fixées par le paragraphe 13(1) du Règlement.

[19]      Cette affaire n'a aucune pertinence en l'espèce. Aucune disposition réglementaire n'est en cause. Seules s'appliquent, aux faits de cette cause, les dispositions générales qui régissent des contrats.

[20]      Même si la défenderesse n'est plus appelée à retourner au travail, le lien d'emploi entre elle et le payeur, comme le prévoit l'entente, n'est pas rompu. Dans les circonstances, la défenderesse exerce toujours un emploi assurable.

[21]      J'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j'annulerais la décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt, et je lui retournerais l'affaire pour qu'elle la décide en tenant pour acquis qu'il existe un contrat de louage de services entre la défenderesse et le payeur couvrant la période du 20 décembre 1995 au 20 décembre 2000.

[22]      Je n'accorderais pas de frais puisque le demandeur n'en a pas fait la demande.

     "Alice Desjardins"

     j.c.a.

"Je suis d'accord

     Gilles Létourneau, j.c.a."

"Je suis d'accord

     Marc Noël, j.c.a."
__________________

     1L.R.C. 1985, ch. F-7.

     2L.R.C. 1985, ch. U-1.

     3Arrêté ministériel 998-91, 10 juillet 1991, G.O.Q., 31 juillet 1991, 123e année, no 31 à la p. 4139, modifié par arrêté ministériel 1180-92, 12 août 1992, G.O.Q., 26 août 1992, 124e année, no 37 à la p. 5697.

     4L.R.Q., ch. S-5, art. 154.

     5Dossier du demandeur à la p. 93.

     6Dossier du demandeur à la p. 75.

     7Dossier du demandeur à la p. 9.

     8(20 octobre 1986), A-186-86 les juges Pratte, Marceau, Lacombe (C.A.).

     9(19 mai 1994), A-414-92 (C.A.F.).

     10CRC, vol. XVIII, ch. 1576.

     11Le texte du paragraphe 13(1) du Règlement sur l'assurance-chômage se lisait comme suit:
                 13. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est exclu des emplois assurables un emploi exercé pour le compte d'un employeur, qui comporte moins de 15 heures de travail par semaine et dont la rémunération hebdomadaire, en espèces est inférieure à 20 pour cent du maximum de la rémunération hebdomadaire assurable.

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