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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology (C.A.) [2003] 4 C.F. 525

Date : 20030502

Dossier : A-505-02

Référence : 2003 CAF 199

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                             LE GEORGIAN COLLEGE OF APPLIED

ARTS AND TECHNOLOGY

                                                                                                                                                      défendeur

                                          Audience tenue à Toronto (Ontario), le 7 avril 2003.

                                           Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 mai 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                            LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                      LE JUGE STONE

                                                                                                                                       LE JUGE SEXTON


Date : 20030502

Dossier : A-505-02

Référence : 2003 CAF 199

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                             LE GEORGIAN COLLEGE OF APPLIED

ARTS AND TECHNOLOGY

                                                                                                                                                      défendeur

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) de ne pas accorder les frais au demandeur malgré le fait qu'il a réussi à faire rejeter une plainte concernant un marché public, qui avait été déposée par le défendeur. Le demandeur plaide qu'en refusant de lui accorder les frais, le Tribunal a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire du fait qu'il a tenu compte de considérations non pertinentes et négligé des considérations pertinentes.


LES FAITS

[2]                 Le 27 février 2002, le défendeur, le Georgian College of Applied Arts and Technology, a déposé une plainte auprès du Tribunal alléguant que la méthode de sélection des fournisseurs de services employée par Développement des ressources humaines Canada (DRHC) pour certains programmes d'aide à l'emploi dans le cadre de la Loi sur l'assurance-emploi violait l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) et l'Accord sur le commerce intérieur (ACI).

[3]                 Le 6 mars 2002, le Tribunal a informé les parties qu'il avait décidé d'enquêter sur la plainte. Le même jour, le Tribunal a rendu une ordonnance de report d'adjudication de tout contrat relativement au marché public jusqu'à ce qu'il ait statué sur le bien-fondé de la plainte.

[4]                 Le 2 avril 2002, DRHC a déposé un rapport de l'institution fédérale en réponse à la plainte dans lequel il soutenait que le Tribunal n'avait pas compétence à l'égard de la plainte, puisque le processus de sélection ne constituait pas un marché au sens de l'ALÉNA ou de l'ACI.

[5]                 Par lettres datées du 2 mai 2002 et du 13 mai 2002, le Tribunal a demandé à DRHC de fournir des renseignements supplémentaires. DRHC a donné suite à ces demandes le 7 mai 2002 et le 15 mai 2002, respectivement.


[6]                 Le 29 mai 2002, le Tribunal a rendu une décision rejetant la plainte tout entière. Dans son exposé des motifs publié le 16 juillet 2002, le Tribunal a indiqué qu'il avait rejeté la plainte au motif qu'il n'avait pas compétence. Le Tribunal n'a pas traité de la question des frais ni dans sa décision initiale ni dans son exposé des motifs malgré le fait que DRHC avait demandé les frais.

[7]                 Par lettre datée du 17 juillet 2002, DRHC a demandé à nouveau au Tribunal de traiter la question des frais.

[8]                 Le 9 août 2002, le Tribunal a rejeté la demande de frais de DRHC par la voie d'un addendum, qui fait l'objet de la présente demande.

LA DÉCISION EXAMINÉE

[9]                 Le Tribunal a justifié son refus d'accorder les frais en se fondant sur le fait que le Georgian College, bien que sa plainte ait été rejetée, avait agi de bonne foi en déposant sa plainte et que les avocats de DRHC sont salariés. Le Tribunal a également exprimé la position qu'il n'y aurait guère d'avantage à accorder les frais à DRHC, tandis que cela ajouterait au fardeau que doivent assumer les parties plaignantes lorsqu'elles décident de porter une plainte. Le raisonnement du Tribunal (avec numérotation des paragraphes pour faciliter les renvois) est ainsi conçu :

[1]       Le paragraphe 30.16(1) de la Loi sur le TCCE prévoit que le Tribunal peut accorder « [l]es frais relatifs à l'enquête » . Lorsque la plainte est fondée, le Tribunal accorde d'habitude à la partie plaignante le remboursement de ses frais raisonnables, conformément aux Lignes directrices sur les frais dans une procédure portant sur un marché public du Tribunal.


[2]      Parfois, une plainte est si manifestement sans fondement que le Tribunal n'ouvre même pas d'enquête. En d'autre temps, une plainte fait preuve, de façon raisonnable, d'une violation au stade d'ouverture, mais, à la suite d'une enquête plus poussée, il est évident que la plainte est sans fondement. De plus, une plainte peut sembler être fondée, mais, pour des raisons « techniques » , le Tribunal ne peut pas conclure qu'il y a eu une violation de l'un ou l'autre des accords pertinents, ou, tout simplement, il n'y a pas assez d'éléments de preuve pour le convaincre qu'un accord a été violé.

[3]       De l'expérience du Tribunal, la plupart des plaintes sont fondées à un certain niveau et sont présentées par les parties plaignantes de façon sincère et franche. Bien que les parties plaignantes présentent leurs causes en prenant la meilleure position possible, il est rare que le Tribunal constate qu'elles agissent de façon à indiquer que les plaintes sont inopportunes ou injurieuses ou que les parties plaignantes sont malhonnêtes.

[4]       Les parties plaignantes peuvent être de très petits ou de très grands organismes. Elles consacrent du temps, de l'argent et des ressources afin de préparer une soumission. Lorsqu'elles se sentent lésées et décident de déposer une plainte, elles consacrent plus de temps, plus d'argent et plus de ressources. Souvent, les parties plaignantes engagent des conseillers externes pour les aider à naviguer dans le monde des lois et des procédures relatives aux marché publics. En plus des frais et du temps consacrés, il est possible qu'elles ont perdu l'occasion de remporter un contrat gouvernemental.

[5]       D'un côté, DRHC a été représenté par des conseillers salariés du ministère de la Justice qui devaient représenter les intérêts de DRHC en l'espèce. D'un autre côté, la partie plaignante souvent fait face à la décision difficile concernant le dépôt d'une plainte en plus de devoir débourser des frais additionnels pour poursuivre sa plainte.

[6]       En général, il n'y a pas d'avantage à accorder des frais à DRHC et, par conséquent, à ajouter au fardeau de la partie plaignante, sauf dans les cas où la conduite d'une partie plaignante l'exige. Par exemple, ceci pourrait être le cas s'il est clair qu'une plainte était futile ou vexatoire, si une partie plaignante n'était pas franche et sincère avant ou pendant l'enquête ou si une partie plaignante agissait de façon à abuser le processus. Cette liste de circonstances dans lesquelles le Tribunal peut accorder des frais liés à la plainte à un ministère gouvernemental n'est pas exhaustive, mais elle indique le genre de conduite qui, généralement, mérite l'attribution de frais.

[7]       Dans l'espèce, Georgian College a présenté sa cause de façon sincère et professionnelle. Bien que la plainte de Georgian College n'était pas fondée, de l'avis du Tribunal, il a agi de bonne foi. Le Tribunal ne voit aucune raison pourquoi, selon les circonstances de cette cause, il devrait accorder des frais à DRHC. Par conséquent, la requête de DRHC est refusée.


[10]            On a signalé à l'audience que les motifs cités ci-dessus sont presque identiques aux motifs d'une décision antérieure du Tribunal (Flolite Industries, dossier no PR-97-045, 8 mai 1998). Comme dans la présente affaire, l'institution fédérale intéressée avait obtenu le rejet d'une plainte et, relevant que le Tribunal avait omis d'aborder dans ses motifs la demande des frais qu'elle avait faite, avait présenté une nouvelle demande au Tribunal pour qu'il traite la question des frais. Il en est résulté la publication d'un addendum formulé dans les mêmes termes que l'addendum prononcé dans la présente affaire.

[11]            Dans le même sens, un examen des décisions rendues par le Tribunal au cours de la période allant du 1er avril 1999 au 2 décembre 2002, effectué par le demandeur, révèle que, dans les 50 affaires où les plaintes ont été entièrement rejetées, le Tribunal a refusé, dans chaque cas, d'attribuer les frais à l'institution fédérale intéressée. Inversement, dans les 37 affaires où les plaintes ont été accueillies, le Tribunal a attribué les frais à la partie plaignante dans chaque cas. Dans les 19 cas où la plainte a été accueillie en partie, le Tribunal a accordé les frais à la partie plaignante.

[12]            Le défendeur a allégué que la période faisant l'objet de cet examen avait été choisie de façon arbitraire, mais sans présenter à la Cour d'éléments indiquant qu'une tendance différente se dégagerait si l'on choisissait une autre période. Le défendeur n'a pas non plus contesté l'exactitude des chiffres indiqués pour la période examinée.


[13]            Dans ce contexte, il est évident que le Tribunal a suivi au cours des ans une pratique consistant à accorder les frais aux parties plaignantes qui ont gain de cause, en refusant les frais à l'État bien qu'il obtienne le rejet des plaintes, et à n'accorder les frais à l'État que lorsqu'il est établi que la plainte était frivole, vexatoire ou que quelque conduite répréhensible peut être attribuée à la partie plaignante. Il ressort clairement des motifs que le Tribunal a suivi cette pratique en refusant les frais en l'espèce.

ANALYSE

Norme de contrôle

[14]            La méthode appropriée pour déterminer la norme de contrôle a été réitérée par la Cour suprême dans l'arrêt récent Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] CSC 19. Au paragraphe 26, Madame le juge en chef McLachlin a décrit l'analyse pragmatique et fonctionnelle en ces termes :

Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle est déterminée en fonction de quatre facteurs contextuels - la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question - de droit, de fait ou mixte de fait et de droit. Les facteurs peuvent se chevaucher. L'objectif global est de cerner l'intention du législateur, sans perdre de vue le rôle constitutionnel des tribunaux judiciaires dans le maintien de la légalité.


[15]            En appliquant cette analyse à la présente affaire, je note que les décisions du Tribunal sur les plaintes concernant un marché public ne sont pas protégées par une clause privative. Toutefois, il n'y a pas non plus de droit d'appel prévu par la loi. Le Tribunal est clairement un organisme spécialisé (voir, p. ex., Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282 (C.A.) au paragraphe 18) et je suis disposé à accepter que son expertise s'étend aux décisions portant sur les plaintes relatives à des marchés publics (Siemens Westinghouse Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2002] 1 C.F. 292 (C.A.)).

[16]            L'article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (la Loi) est la disposition législative habilitant le Tribunal à rendre la décision en cause. Cet article est ainsi conçu :

30.16(1) Les frais relatifs à l'enquête - même           provisionnels - sont, sous réserve des règlements, laissés à l'appréciation du Tribunal et peuvent être fixés ou taxés.

(2) Le Tribunal peut, sous réserve des règlements, désigner les créanciers et les débiteurs des frais, ainsi que les responsables de leur taxation ou autorisation.

30.16(1) Subject to the regulations, the Tribunal      may award costs of, and incidental to, any proceeding before it in relation to a complaint on a final or interim basis and the costs may be fixed at a sum certain or may be taxed.

(2) Subject to the regulations, the Tribunal may direct by whom and to whom any costs are to be paid and by whom they are to be taxed and allowed.

[17]            Cette disposition a pour objet d'accorder au Tribunal le pouvoir de rendre des décisions sur les frais dans les procédures concernant une plainte relative à un marché public. Elle confère au Tribunal le pouvoir d'accorder les frais, de déterminer dans quel cas ils doivent être payés et par quelle partie. Étant donné que ces décisions d'attribution des frais sont rendues dans le cadre de procédures qui relèvent de la compétence spécialisée du Tribunal, on peut soutenir que l'expertise du Tribunal s'étend à la formulation de ces décisions.


[18]            Les trois premiers facteurs énumérés par le juge en chef McLachlin dans l'arrêt Dr Q tendraient donc à indiquer qu'il faut faire preuve d'un degré relativement élevé de retenue à l'égard du Tribunal dans l'examen de sa décision.

[19]            Le quatrième facteur, soit la nature de la question, revêt une importance particulière en l'espèce. La décision du Tribunal, dans la mesure où elle résulte du simple exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au Tribunal par la loi, et compte tenu des autres facteurs indiqués ci-dessus, donnerait à penser qu'il faut appliquer la norme du « caractère manifestement déraisonnable » . C'est la norme que les parties ont proposée à l'audience.

[20]            Toutefois, la décision en l'espèce ne se réduit pas au simple exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal d'accorder les frais. La question en litige concerne la pratique du Tribunal consistant à refuser les frais à l'État malgré le fait qu'il a gain de cause, alors qu'il accorde les frais aux parties plaignantes lorsqu'elles ont gain de cause. Il semble clair lorsqu'on tient compte du dossier devant la Cour et de la formulation générale des motifs prononcés par le Tribunal que la présente demande de contrôle judiciaire vise non pas tant la décision refusant les frais que la pratique suivie par le Tribunal pour refuser ces frais.


[21]            Compte tenu de cet élément, la véritable question à trancher en l'espèce est de savoir si la pratique suivie par le Tribunal au cours des ans, qui a conduit au refus des frais dans la présente affaire, est autorisée par la Loi. C'est là une pure question de droit, ce qui appelle un degré de retenue moindre que celui qui s'appliquerait au simple exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Il faut également prendre en compte la dimension de la décision touchant la compétence (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] CSC 3, au paragraphe 24, le juge Iacobucci) ainsi que sa valeur évidente de précédent (Dr Q, précité, au paragraphe 34, le juge en chef McLachlin). Ces deux facteurs militent en faveur d'une norme faisant appel à un degré moindre de retenue.

[22]            La nature de la question, correctement comprise, invite à penser que la Cour pourrait être aussi bien placée que le Tribunal pour trancher la question en litige en l'espèce. Toutefois, je crois que la décision doit néanmoins être examinée selon la norme de la décision raisonnable, en reconnaissant, comme il le faut, que l'expertise du Tribunal à l'égard des questions relatives aux marchés publics s'étend vraisemblablement à l'attribution des frais (Canada (Sous-ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Mattel Canada Inc. [2001] 2 R.C.S. 100, aux paragraphes 32 et 33; Canada (Sous-ministre du Revenu national (Douanes et Accise) - M.R.N.) c. Schrader Automotive Inc. (1999), 240 N.R. 381 (C.A.F.) aux paragraphes 4 et 5).

[23]            La norme de la décision raisonnable suppose que l'on décide s'il y a des raisons pouvant justifier la décision. La Cour suprême a expliqué récemment que cette analyse doit se concentrer sur les motifs fournis par l'auteur de la décision. Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] CSC 20, le juge Iacobucci a indiqué (au paragraphe 49) :


... la norme de la décision raisonnable exige que la cour siégeant en contrôle judiciaire reste près des motifs donnés par le tribunal et « se demande » si l'un ou l'autre de ces motifs étaye convenablement la décision. La déférence judiciaire demande non pas la soumission mais une attention respectueuse à ces motifs.

[24]            La Cour doit donc se concentrer sur les motifs du Tribunal cités ci-dessus pour déterminer s'ils indiquent une justification raisonnable de la pratique ayant conduit au refus des frais dans la présente affaire. Il ne devrait pas être nécessaire de pousser l'examen au-delà des motifs du Tribunal à cet égard, d'autant que l'on peut supposer que le Tribunal a donné sa réponse complète aux demandes répétées de frais présentées par le défendeur dans la présente affaire et dans d'autres affaires remontant à 1998.

Application de la norme

[25]            Dans l'arrêt Bell Canada c. Association des consommateurs du Canada, [1986] 1 R.C.S. 190, il a été statué (à la page 207) qu'en l'absence d'indication contraire, le terme « frais » à l'article 73 de la Loi nationale sur les transports doit avoir la même connotation générale que les frais de justice, c'est-à-dire visant à indemniser ou à dédommager. Dans ses motifs, où il s'exprime au nom de la Cour unanime, le juge Le Dain a cité (à la page 202) l'extrait suivant des motifs du juge Middleton dans l'arrêt Ryan c. McGregor (1925), 58 O.L.R. 213 (C.A.) :

[TRADUCTION] Le principe fondamental est donc clairement établi par le baron Bramwell dans l'arrêt Harold v. Smith (1860), 5 H. & N. 381, p. 385 : « Les frais entre les parties sont accordés par la loi à titre d'indemnisation à la personne qui y a droit : ils ne sont pas imposés à titre de peine à la partie qui les paie, ni donnés comme gratification à la partie qui les reçoit. Par conséquent, si l'on peut établir l'étendue du dommage, l'étendue des frais qui doivent être accordés est également établie. »


[26]            L'attribution des frais, qu'elle intervienne dans une procédure judiciaire ou dans une procédure devant un organisme de réglementation ou un autre tribunal administratif et à moins d'une loi ou d'un règlement prévoyant le contraire, relève du pouvoir discrétionnaire de la cour ou du tribunal (Re Bell Canada (1983), 147 D.L.R. (3d) 37, à la page 39, le juge Urie). L'article 30.16 confère expressément ce pouvoir discrétionnaire au Tribunal et vient donc, à cet égard, confirmer la jurisprudence.

[27]            Sauf indication contraire, l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire exige la prise en considération des faits reliés au litige à l'égard duquel la décision est prise ou qui y ont conduit, notamment de l'issue du litige (Henderson c. Laframboise (1930), 4 D.L.R. 273 (C.A. Ont.)).

[28]            En temps normal, en l'absence d'indications contraires, les frais sont ordinairement accordés à la partie qui a gain de cause. De même, il n'y a généralement pas de frais accordés lorsque les deux parties ont gain de cause dans la même mesure, à moins que quelque facteur ne dicte un résultat différent (CCH Canadian Ltd. c. Barreau du Haut-Canada 2000, 184 D.L.R. (4th) 186, à la page 190 (C.F. 1re inst.)). Dans l'arrêt Donald Campbell and Company Limited c. Pollack, [1927] A.C. 732 (H.L.), le vicomte Cave, lord juge en chef, a exposé de la façon suivante le pouvoir discrétionnaire d'attribuer les frais :


[traduction] Un défendeur qui a gain de cause dans une affaire où il n'y a pas de jury peut sans doute raisonnablement s'attendre, à moins de circonstances spéciales, à obtenir une ordonnance visant le remboursement de ses dépens par le demandeur; cependant, il n'a pas droit aux dépens tant que la Cour ne les lui a pas accordés. Cette dernière jouit d'un pouvoir discrétionnaire absolu de les accorder ou de les refuser. Ce pouvoir discrétionnaire, comme tout autre pouvoir discrétionnaire doit être exercé d'une manière régulière. Le juge ne devra pas exercer ce pouvoir à l'encontre d'une partie qui a gain de cause sauf pour un motif directement lié à l'affaire en question. Ainsi, si un juge - selon une hypothèse qui ne peut se réaliser dans nos tribunaux - refusait d'accorder les dépens à une partie en se fondant sur les motifs d'une quelconque inconduite complètement étrangère à la cause d'action, ou sur quelque préjugé en raison de la race ou de la religion ou (pour citer un exemple familier) en raison de la couleur de ses cheveux, alors la Cour d'appel pourrait bien se sentir obligée d'intervenir. Par contre, lorsqu'un juge, cherchant à dessein à exercer ses pouvoirs discrétionnaires, a rendu une décision en se fondant sur des faits reliés à la contestation ou qui y ont conduit et qui ont été prouvés devant lui ou qu'il a pu lui-même remarquer au cours du procès, il me semble que la loi interdit à une cour d'appel d'entendre l'appel de sa décision, même si elle trouve ses motifs insuffisants et qu'elle ne souscrit pas à sa conclusion.

[29]            La Cour a appliqué l'extrait cité ci-dessus dans l'arrêt La Reine c. James Lorimer, [1984] 1 C.F. 1065, où la pertinence de considérations similaires était en cause. Dans cette affaire, le juge de première instance avait exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder les frais à l'État malgré le fait qu'il lui avait donné gain de cause. Le juge Mahoney, écrivant au nom de la Cour, a relevé que le juge de première instance avait refusé d'accorder les frais au motif qu'il ne s'agissait pas d'un cas ou il faut « punir » la défenderesse ou lui « ajouter un fardeau supplémentaire » et aussi parce qu'il voyait dans l'État un « demandeur inhabituel » , capable de supporter ses propres frais. En infirmant la décision du juge de première instance, le juge Mahoney a déclaré (à la page 1079) :

[TRADUCTION] C'est un lieu commun que les dépens ne sont pas accordés pour punir une partie qui n'a pas eu gain de cause. Il fut un temps où la « dignité » empêchait l'État de demander ou de payer des dépens dans le cours ordinaire des choses. Cette époque est révolue et la situation de l'État, même si elle est « inhabituelle » , n'est pas plus une question pertinente que ne l'est la couleur des cheveux d'une des parties. Avec égards, les raisons données pour refuser les dépens à l'appelante sont totalement étrangères à l'affaire ou aux faits reliés à la contestation ou qui y ont conduit.


[30]            Considérant que le vaste pouvoir discrétionnaire d'accorder (ou de ne pas accorder) les frais doit néanmoins être exercé judiciairement et en restant près des motifs donnés par le Tribunal au soutien de sa décision (arrêt Ryan, précité), je ne parviens pas à déceler de justification raisonnable du refus des frais en l'espèce. Je note d'abord que l'article 30.16, qui est la seule disposition législative invoquée par le Tribunal dans ses motifs (au paragraphe 1), n'autorise pas le Tribunal à suivre la pratique de refuser les frais à l'État malgré le fait qu'il a gain de cause. Au contraire, cette disposition envisage manifestement la possibilité que les frais soient accordés à l'une ou l'autre des parties.

[31]            Si nous passons au reste des motifs, le fait que DRHC ait été représenté par des employés salariés (paragraphe 5 des motifs) ne constitue pas une considération pertinente. En outre, les motifs ne prennent pas en considération le principe de l'indemnisation et ne reconnaissent pas le fait que DRHC a engagé des frais pour contester la plainte déposée contre lui. Je note également que les paragraphes 2, 3 et 4 des motifs se rapportent à l'expérience générale du Tribunal en matière de traitement des plaintes et, pour cette raison, n'ont pas de rapport avec le litige à l'égard duquel les frais étaient demandés.

[32]            Sur ce dernier point, le défendeur a plaidé que, malgré le fait que les observations formulées dans ces paragraphes sont de nature générale, certains des faits en question dans la présente affaire correspondent à certains traits des affaires auxquelles le Tribunal faisait allusion en formulant ces observations. Le défendeur soutenait donc que ces observations étaient pertinentes et justifiaient la décision du Tribunal de refuser les frais au demandeur.


[33]            Même si l'on suppose qu'il est possible d'interpréter ces paragraphes comme traitant des éléments particuliers de l'espèce, je n'estime pas que les observations qu'ils contiennent peuvent justifier de refuser les frais au demandeur. En particulier, le fait que le défendeur ait dû naviguer dans des questions juridiques complexes, consacrer du temps, de l'argent et des ressources afin de défendre sa plainte ou qu'il ait présenté sa cause de manière franche (paragraphes 3 et 4 des motifs) ne justifie pas le refus des frais à la partie qui a gain de cause. Au demeurant, le résultat final établit que DRHC a bien fait de contester la plainte et les frais ont été engagés à cette fin.

[34]            De même, le fait que la plainte pouvait « sembler être fondée » au stade initial (paragraphe 2 des motifs) ne constitue pas un motif valide de refuser au bout du compte les frais à la partie qui a gain de cause. Une plainte qui semble être fondée au stade initial peut se révéler par la suite mal fondée au stade final. D'ailleurs, il est impossible de répondre à cette question en l'espèce puisqu'il n'y a pas eu de décision sur le fond, et donc de décision sur le fait que la plainte ait été fondée.


[35]            Enfin, si nous allons au-delà de ce que le Tribunal dit expressément dans ses motifs, le défendeur a plaidé que le Tribunal, à titre d' « organe compétent à l'égard des contestations ayant trait aux marchés publics » (Canada (Procureur général) c. McNally Construction Inc. (C.A.), [2002] A.C.F. no 689, au paragraphe 8), avait le devoir de veiller au respect par le Canada de ses obligations internationales découlant de l'ALÉNA et de l'ACI en matière de marchés publics. On a soutenu que le Tribunal avait donc le pouvoir d'encourager les intéressés à déposer des plaintes, ou du moins de ne pas les dissuader de le faire. La politique du Tribunal concernant les frais serait ainsi justifiée.

[36]            S'il semble clair que la pratique de refuser les frais à l'État malgré qu'il ait gain de cause a l'effet d'encourager les intéressés à déposer des plaintes, le Tribunal n'a invoqué aucune disposition qui l'autoriserait à mettre en oeuvre des mesures à cette fin. En fait, la seule disposition législative citée dans les motifs est l'article 30.16, lequel, comme nous l'avons vu, ne confère pas un tel pouvoir. Le défendeur n'a cité aucune autre disposition que l'on pourrait interpréter comme conférant au Tribunal le pouvoir de jouer un rôle proactif en encourageant les plaintes.

[37]            J'accepte que le législateur a désigné le Tribunal comme la juridiction compétente pour juger les plaintes relatives aux marchés publics et que le Tribunal, en s'acquittant de cette fonction, est appelé à donner effet aux obligations internationales qui lient le Canada en matière de marchés publics. Mais il y a toute une marge entre prévoir la juridiction pour le règlement de litiges et encourager les litiges. Je ne trouve aucune disposition dans la Loi qui donnerait au Tribunal le pouvoir d'encourager ou d'inviter les litiges en matière de marchés publics en suivant une pratique de refuser les frais à l'État malgré le fait qu'il ait gain de cause.

[38]            Je conclus donc que Tribunal a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en suivant cette pratique en l'espèce.


[39]            J'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j'annulerais la décision du Tribunal et je renverrais l'affaire au Tribunal pour qu'il exerce à nouveau son pouvoir discrétionnaire sur le fondement de principes appropriés, compte tenu des motifs qui précèdent. Le demandeur devrait avoir droit aux frais de la présente demande.

                  « Marc Noël »                  

Juge                      

« Je souscris à ces motifs. »

A.J. Stone

« Je souscris à ces motifs. »

J. Edgar Sexton

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


            COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                  SECTION D'APPEL

           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            A-505-02

INTITULÉ :                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et GEORGIAN COLLEGE OF APPLIED ARTS AND TECHNOLOGY

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE LUNDI 7 AVRIL 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :              LE JUGE STONE

LE JUGE SEXTON

DATE DES MOTIFS :                        LE 2 MAI 2003

COMPARUTIONS :

Susanne Pereira                                   POUR LE DEMANDEUR

Kevin D. MacNeill                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Morris Rosenberg                                 POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)    K1A 0H8

GRAHAM, WILSON & GREEN         POUR LE DÉFENDEUR

Avocats

Barrie (Ontario)     L4M 5E1


Date : 20030502

Dossier : A-505-02

OTTAWA (ONTARIO), le 2 mai 2003

CORAM :                    LE JUGE STONE

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                 demandeur

                                                         et

                   LE GEORGIAN COLLEGE OF APPLIED

ARTS AND TECHNOLOGY

                                                                                                  défendeur

                                              JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du Tribunal est annulée et l'affaire est renvoyée au Tribunal pour qu'il traite la question des frais sur le fondement de principes appropriés, compte tenu des motifs du jugement. Le demandeur aura droit aux frais de la présente demande.

               « A.J. Stone »                  

Juge                      

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.

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