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Date : 20021101

Dossier : A-716-01

Référence neutre : 2002 CAF 421

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                       AB HASSLE et ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                                       appelantes

                                                                                                                                           (demanderesses)

                                                                                   et

                LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

et APOTEX INC.

                                                                                                                                                            intimés

                                                                                                                                                    (défendeurs)

                                    Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2002.

                                     Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                         LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                      LE JUGE LINDEN

                                                                                                                                           LE JUGE EVANS


Date : 20021101

Dossier : A-716-01

Référence neutre : 2002 CAF 421

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                       AB HASSLE et ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                                       appelantes

                                                                                                                                           (demanderesses)

                                                                                   et

                LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

et APOTEX INC.

                                                                                                                                                            intimés

                                                                                                                                                    (défendeurs)

                                                            MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

[1]                 Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance du juge O'Keefe rejetant la demande des appelantes qui cherchaient à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. pour des gélules d'oméprazole administrées par voie orale avant l'expiration du brevet canadien no 2025668.


Les faits

[2]                 L'appelante AB Hassle (Hassle) est titulaire du brevet canadien no 2,025,668 (668), intitulé [traduction] « Utilisation de l'oméprazole comme agent antibactérien » .

[3]                 L'appelante AstraZeneca Canada Inc., auparavant Astra Pharma Inc. (Astra), est une société canadienne s'occupant de la fabrication, de la commercialisation et de la vente de divers produits pharmaceutiques. Astra est également titulaire d'une licence à l'égard du brevet 668. Hassle et Astra sont des sociétés liées et elles seront ensemble désignées « les appelantes » .

[4]                 L'intimée Apotex Inc. (Apotex) est un fabricant canadien de produits pharmaceutiques génériques qui cherche à obtenir du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le ministre) qu'il lui délivre un avis de conformité pour la fabrication et la vente de l'oméprazole. Dans les cas appropriés, le ministre intimé a compétence pour délivrer un avis de conformité, s'il y a lieu, lorsqu'une demande a été faite en ce sens et que le demandeur a respecté le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) DORS/93-133, modifié (le Règlement sur les avis de conformité).

[5]                 Le brevet 668 de Hassle contient trois revendications, portant chacune sur l'utilisation d'un composé, l'oméprazole, de la manière suivante :

1. Pour la fabrication d'un médicament pour le traitement des infections à Campylobacter.

2. Pour le traitement des infections à Campylobacter.

3. Une préparation pharmaceutique destinée à être utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter.


[6]                 L'oméprazole était un composé connu ou existant. Le brevet dont Hassle est titulaire ne vise que la nouvelle utilisation de l'oméprazole. Par conséquent, le brevet 668 ne confère des droits exclusifs d'utilisation de l'oméprazole qu'à l'égard du traitement des infections à Campylobacter; il ne contient aucune revendication à l'égard du composé chimique même de l'oméprazole.

[7]                 Les appelantes ont reçu l'avis d'allégation d'Apotex par lettre datée du 4 octobre 1999. L'avis d'allégation déclarait, notamment :

[TRADUCTION] S'agissant du brevet 2,025,668, nous alléguons qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites par la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente par nous de gélules d'oméprazole administrées par voie orale en doses de 10 mg, 20 mg et 40 mg.

Cette allégation est fondée sur le droit et les faits suivants :

Les revendications du brevet concernent l'utilisation du médicament dans le traitement des infections à Campylobacter. Notre produit ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à Campylobacter et, plus précisément, nous ne cherchons pas à obtenir d'autorisation pour cet usage et cet usage ne sera pas inclus dans notre monographie de produit. [non souligné dans l'original]


[8]                 Le 18 novembre 1999, les appelantes ont présenté une demande visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex. À l'appui de leur demande, les appelantes ont signifié et déposé en preuve les affidavits de Mme Philippa Murphy, du Dr Christopher Pinto et de Mme Linda Samuel. Les appelantes ont tenté d'établir par ces éléments de preuve que l'utilisation de l'oméprazole envisagée par Apotex entraînerait la contrefaçon du brevet. Les trois affidavits soutiennent que, sans égard au fait que l'oméprazole est approuvée pour le traitement des infections à Campylobacter, elle sera en fait utilisée pour ce traitement, ce qui constituera une contrefaçon du brevet de Hassle.

[9]                 Par avis de requête en date du 19 janvier 2000, Apotex a cherché à faire rejeter la procédure au motif que la demande était frivole, vexatoire et constituait un abus de procédure. Le juge McKeown a rejeté la requête d'Apotex en totalité, y compris la requête visant à déposer une preuve en réponse à la demande principale. Par conséquent, Apotex n'a été en mesure de déposer aucune preuve à ce sujet.

[10]            Dans le cadre de sa présentation de drogue nouvelle, chaque fabricant doit inclure un projet de monographie de produit qui expose les utilisations envisagées pour le produit lorsqu'il aura reçu l'autorisation du ministre. Cette autorisation obtenue, la monographie de produit définitive est publiée par le ministre comme partie intégrante des documents de l'avis de conformité. Cette monographie de produit ne fait pas partie du dossier soumis à la Cour, mais Apotex s'est engagée à ce que la monographie du produit pour lequel elle obtiendra une approbation n'inclue pas d'usage pour le traitement des infections à Campylobacter. La monographie ne fera pas mention des infections à Campylobacter et se limitera à l'usage visant la réduction des sécrétions d'acide gastrique.


[11]            La preuve produite par les appelantes ne contient aucun élément établissant qu'Apotex avait l'intention de vendre son médicament pour l'usage interdit par le brevet 668, soit le traitement des infections à Campylobacter. En fait, Apotex affirme même le contraire et souligne dans son avis d'allégation que son produit ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à Campylobacter.

Les conclusions du juge O'Keefe, juge des requêtes

[12]            Dans sa décision, le juge O'Keefe a tiré quatre conclusions de fait. Premièrement, il a conclu qu'il n'y avait aucune preuve qu'Apotex contreferait directement le brevet 668 des appelantes. De l'avis du juge O'Keefe, les appelantes n'avaient pas réussi à fournir la preuve d'une contrefaçon de la première revendication, qui vise un droit exclusif d'utilisation de l'oméprazole pour la fabrication d'un médicament destiné au traitement des infections à Campylobacter. Par conséquent, selon la première revendication, le médicament fabriqué par Apotex ne relève du domaine exclusif du breveté que s'il est fabriqué pour le traitement des infections à Campylobacter; or, Apotex allègue dans l'avis d'allégation qu'elle ne fabrique pas le médicament en vue de cette utilisation limitée.

[13]            S'agissant de la deuxième revendication, le juge des requêtes a conclu que les appelantes avaient admis qu'Apotex, en tant que société, ne peut utiliser l'oméprazole pour traiter une infection à Campylobacter. Il s'ensuit qu'Apotex ne contrefait et ne contrefera pas directement la deuxième revendication du brevet 668.


[14]            En ce qui a trait à la troisième revendication, le juge a conclu qu'elle était limitée par les mots « destinée à être utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter » . Les préparations pharmaceutiques d'oméprazole qui sont utilisées pour d'autres usages que le traitement des infections à Campylobacter ne contreferaient donc pas le brevet 668.

[15]            Par conséquent, l'essentiel de la décision du juge O'Keefe est sa conclusion qu'il n'a pas été démontré qu'Apotex entend fabriquer, utiliser ou vendre son médicament pour l'usage spécifique breveté par les appelantes dans leurs trois revendications pour l'utilisation du médicament.


[16]            Deuxièmement, le juge O'Keefe a conclu que le ministre peut refuser la délivrance d'un avis de conformité à une seconde personne exclusivement au motif qu'il risquerait d'y avoir contrefaçon du brevet par un tiers et qu'il y a un lien entre la seconde personne et la contrefaçon par un tiers. La seconde personne doit être impliquée dans la contrefaçon soit directement, soit indirectement, par exemple en incitant ou en amenant le tiers à la contrefaçon. La partie qui incite ou amène une autre partie à contrefaire un brevet est elle-même responsable de contrefaçon de brevet; ainsi, les actes de contrefaçon d'un tiers peuvent devenir pertinents à l'égard du Règlement sur les avis de conformité. Par conséquent, la contrefaçon par un tiers, comme l'utilisation d'un médicament par un patient, peut être pertinente à l'égard du Règlement sur les avis de conformité lorsqu'il peut être prouvé que la seconde personne a incité ou amené le tiers à commettre la contrefaçon. Le juge O'Keefe a conclu à l'absence de tout lien de cette nature entre Apotex et les contrefaçons possibles commises par un tiers qu'alléguaient les appelantes.

[17]            Troisièmement, le juge O'Keefe a conclu qu'Apotex n'avait ni incité ni amené aucune personne à la contrefaçon. Il a exposé le critère auquel doit satisfaire le breveté qui désire invoquer la doctrine de l'incitation à la contrefaçon. Le breveté doit prouver chacun des éléments suivants :

1) l'acte de contrefaçon a été exécuté par le contrefacteur direct;

2) l'exécution de l'acte de contrefaçon a été influencée par le vendeur, à un point tel que sans cette influence la contrefaçon n'aurait pas été commise par l'acheteur;

3) l'influence a été sciemment exercée par le vendeur, c'est-à-dire que le vendeur savait que son influence entraînerait l'exécution de l'acte de contrefaçon.

[18]            Il a expliqué par la suite qu'il faut qu'une contrefaçon directe soit commise par une personne et que les appelantes avaient le fardeau de prouver, suivant la prépondérance de la preuve, qu'une contrefaçon pourrait vraisemblablement se produire si l'avis de conformité était délivré.


[19]            De manière spécifique, le juge O'Keefe a conclu que les appelantes avaient allégué et étaient tenues d'établir la thèse suivante : le pharmacien ne connaît généralement pas la raison ou l'utilisation particulière pour laquelle le médecin a prescrit un médicament. Par conséquent, même s'il savait que l'oméprazole générique produit par Apotex n'a pas été formellement approuvé pour le traitement des infections à Campylobacter, le pharmacien ne saurait généralement pas pourquoi l'oméprazole a été prescrit au patient et aurait donc tendance à délivrer le produit générique, qui coûte vraisemblablement moins cher.

[20]            À l'appui de cette thèse, les appelantes ont déposé trois affidavits, exposant chacun leur opinion sur les deux points suivants : 1) le médecin prescrirait vraisemblablement le médicament oméprazole sous sa forme générique pour le traitement des infections à Campylobacter et 2) le pharmacien aurait tendance à délivrer au patient le produit générique à moindre coût, ce qui entraînerait une contrefaçon du brevet 668.

[21]            Le juge O'Keefe a rejeté les observations des appelantes portant que les preuves par affidavit qu'elles avaient produites pouvaient être acceptées comme des témoignages d'experts et qu'elles établissaient la thèse précédente suivant la prépondérance de la preuve.


[22]            S'agissant de l'auteur du premier affidavit, Mme Murphy, le juge des requêtes a jugé qu'elle n'était ni pharmacienne ni médecin. De plus, au moment où elle a souscrit l'affidavit, Mme Murphy travaillait pour l'une des appelantes, Astra, comme vice-présidente aux affaires médicales. Par conséquent, le juge a conclu qu'elle n'était pas qualifiée pour présenter un témoignage d'opinion. Il ne pouvait donc pas accepter son témoignage d'opinion au sujet des pratiques générales des médecins, des pharmaciens et des connaissances qu'ils avaient des utilisations autorisées des marques génériques dans la profession médicale. Il a également refusé d'admettre la conclusion de Mme Murphy selon laquelle le produit serait vraisemblablement utilisé par les patients pour le traitement des infections à Campylobacter, même s'il n'avait pas été autorisé pour cette utilisation. Enfin, il s'est penché sur les points admis par Mme Murphy en contre-interrogatoire au sujet de l'interchangeabilité et de l'approbation gouvernementale. Par exemple, Mme Murphy a convenu que lorsqu'un produit a été approuvé par le gouvernement fédéral pour des utilisations limitées, le gouvernement provincial pourrait décider de considérer le produit comme interchangeable en fonction des limitations et d'indiquer ces limitations. Mme Murphy a également convenu qu'elle n'aurait aucune raison de croire que lorsque le fabricant d'un médicament dépose une demande d'approbation pour certaines utilisations seulement, le ministre accorderait néanmoins une approbation pour d'autres utilisations. Le juge O'Keefe a estimé que ces aveux affaiblissaient le témoignage de Mme Murphy concernant la thèse des appelantes.

[23]            En ce qui concerne l'auteur du deuxième affidavit, Mme Samuel, pharmacienne, le juge O'Keefe a conclu qu'elle n'avait pas l'expertise nécessaire pour témoigner du comportement général des médecins en matière de prescription de médicaments. Elle était habilitée à témoigner sur son expérience dans l'exercice de la pharmacie, mais elle ne pouvait autrement être considérée comme un expert. Le juge a également conclu que le témoignage présenté par Mme Samuel n'était pas étayé par des faits et lui a donc accordé peu d'importance.


[24]            S'agissant de l'auteur du troisième affidavit, le Dr Christopher Pinto, médecin en exercice, le juge O'Keefe a conclu que le Dr Pinto ne pouvait être considéré comme un expert pour présenter un témoignage d'opinion sur le comportement des autres médecins en Ontario. Rien ne prouvait le bien-fondé des conclusions du Dr Pinto. Par conséquent, il a jugé que le témoignage du Dr Pinto n'était pas admissible ou, s'il l'était, qu'il faudrait lui accorder une très faible valeur probante. Il a noté finalement que, comme Mme Murphy, le Dr Pinto avait admis en contre-interrogatoire que le ministre n'approuverait pas un médicament pour certaines utilisations qui n'auraient pas fait l'objet d'une demande d'approbation de la part d'un fabricant de médicamentss.

[25]            En résumé, le juge O'Keefe a conclu que les appelantes n'avaient pas établi, suivant la prépondérance de la preuve, que les intimés contreferaient le brevet des appelantes.

Les questions soulevées

[26]            J'ai l'intention de traiter les questions soulevées de la manière suivante :

1. Le juge O'Keefe a-t-il commis des erreurs manifestes et dominantes en rejetant la preuve des témoins des appelantes?

2. L'arrêt Genpharm Inc. c. Le ministre de la Santé, la Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada et The Procter and Gamble Company (2002) C.A.F. 20 [Genpharm] s'applique-t-il aux circonstances de l'espèce?

Les textes applicables

[27]            Les dispositions pertinentes du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, sont ainsi conçues :


2. Les définitions qui suivent s'appliquent au présent règlement.

(...) « revendication pour le médicament en soi » S'entend notamment d'une revendication, dans le brevet, pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes. (claim for the medicine itself)

« revendication pour l'utilisation du médicament » Revendication pour l'utilisation du médicament aux fins du diagnostic, du traitement, de l'atténuation ou de la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes. (claim for the use of the medicine)

5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

a) [...]

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i)     [...]

(ii)    [...]

(iii) [...]

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

6.(1) La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d'un avis d'allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet visé par l'allégation.

(2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l'égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.

[28]            Les dispositions applicables de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 sont ainsi conçues :


55.2 (4) Afin d'empêcher la contrefaçon de brevet d'invention par l'utilisateur, la fabricant, le constructeur ou le vendeur d'une invention brevetée au sens du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :

a)    [...]

b)    [...]

c)    [...]

d)    [...]

e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d'un titre visé à l'alinéa a) lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.

Analyse

La norme de contrôle

[29]            La norme de contrôle applicable est celle de l'erreur manifeste et dominante - une cour d'appel n'intervient que si elle est convaincue que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante, qui a affecté l'appréciation des faits. Une cour d'appel devrait se montrer très réticente à assumer le rôle du juge de première instance en matière de conclusions de fait.


[30]            De manière spécifique, une cour d'appel n'est pas habilitée à réévaluer la preuve des experts et à substituer sa propre opinion. Ces limites de la portée de la révision en appel s'appliquent aussi à la preuve documentaire des experts. Dans l'arrêt N.V. Bocimar, S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247, à la page 1250, par exemple, la Cour suprême a jugé que la Cour d'appel avait commis une erreur en adoptant comme position qu'elle pouvait apprécier les éléments de preuve à l'appui des faits sur lesquels les experts avaient, dans leurs témoignages, exprimé une opinion parce que les éléments de preuve concernant les faits dont le tribunal de première instance avait été saisi étaient des pièces documentaires. De même, dans l'arrêt Kirin-Amgen Inc. c Hoffman-La Roche Ltd. (2000), 267 N.R. 150 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a jugé qu'il était erroné pour une Cour d'appel d'apprécier après coup l'évaluation qu'a faite le juge de première instance de la crédibilité des experts, à moins qu'une erreur flagrante soit démontrée. Par conséquent, une cour d'appel ne doit pas substituer sa propre opinion à celle du juge de première instance au seul motif qu'elle aurait conclu différemment. Pour intervenir, la cour d'appel doit conclure que le juge de première instance a mal apprécié la preuve ou commis une erreur manifeste en dégageant les conclusions de cette preuve.

[31]            La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, aux paragraphes 5 et 6, a défini « l'erreur manifeste » comme une erreur dont le caractère est d'être « tout à fait évident, qui ne peut être contesté dans sa nature ou dans son existence » .

[32]            Dans l'arrêt Housen, la Cour a déclaré au paragraphe 23 :

il n'appartient pas aux cours d'appel de remettre en question le poids attribué aux différents éléments de preuve. ... La cour d'appel n'est pas habilitée à modifier une conclusion factuelle avec laquelle elle n'est pas d'accord, lorsque ce désaccord résulte d'une divergence d'opinion sur le poids à attribuer aux faits à la base de la conclusion.


[33]            D'autres observations de l'arrêt Housen décrivent de manière éclairante la norme de contrôle étroite qui devrait s'appliquer à la décision du juge en l'espèce. Dans l'arrêt Housen, la Cour a déclaré au paragraphe 25 :

Bien que le juge de première instance soit toujours dans une position privilégiée pour apprécier la crédibilité des témoins, ce n'est pas là le seul domaine où il bénéficie d'un avantage sur les juges des cours d'appel. Parmi les avantages dont jouit le juge de première instance sur le plan des inférences factuelles, mentionnons son expertise relative en matière d'appréciation et d'évaluation de la preuve, de même que la connaissance unique qu'il possède de la preuve souvent abondante produite par les parties. Cette familiarité avec toute la trame factuelle lui est d'une grande utilité lorsque vient le moment de tirer des conclusions de fait. En outre, les considérations relatives au coût, au nombre et à la durée des appels sont tout aussi pertinentes pour ce qui est des inférences de fait que pour ce qui est des conclusions de fait, et justifient l'application aux unes comme aux autres d'une norme empreinte de retenue. En conséquence, nous ne partageons pas l'opinion de notre collègue selon laquelle la raison principale justifiant de faire montre de retenue à l'égard des conclusions de fait est la possibilité qu'a le juge de première instance d'observer les témoins directement. Nous sommes d'avis que le juge de première instance jouit, par rapport aux juges d'appel, de nombreux avantages qui influent sur toutes les conclusions de fait et que, même si ces avantages n'existaient pas, d'autres considérations impérieuses justifient de faire montre de retenue à l'égard des inférences de fait. Par conséquent, nous concluons en soulignant qu'il n'y a qu'une seule et unique norme de contrôle applicable à toutes les conclusions factuelles tirées par le juge de première instance, soit celle de l'erreur manifeste et dominante.

Par conséquent, il convient d'adopter une approche de retenue extrême à l'égard des conclusions et des inférences de fait du juge O'Keefe en raison des avantages mentionnés ci-dessus dont il disposait.

Application de la norme de contrôle


[34]            Les appelantes ont fait valoir leur point de vue comme s'il s'agissait d'un procès de novo. Elles se sont appuyées sur la preuve des trois mêmes affidavits, rejetés par le juge O'Keefe. Aucun argument convaincant n'a été présenté pour étayer qu'il avait commis une erreur en rejetant cette preuve. À défaut de cette preuve, les appelantes ne sont pas en mesure d'établir le bien-fondé de leur position.

[35]            Comme l'expose l'arrêt Hoffman-La Roche et al. c. Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al., 70 C.P.R. (3d) 206 à la page 210 (C.A.F.), la charge initiale de la preuve incombe à la personne qui se pourvoit en justice, et elle doit prouver sa cause selon la norme de preuve en matière civile. Ainsi, le fardeau d'établir que les allégations d'Apotex dans sons avis d'allégation ne sont pas justifiées repose sur les appelantes, selon la prépondérance de la preuve. Il n'incombe pas à Apotex de fournir des éléments de preuve à l'appui des allégations de son avis d'allégation. Comme l'indique Hughes and Woodley on Patents, édition à feuilles mobiles (juillet 2002, volume 52, à la page 413), les appelantes sont tenues d'établir suivant la prépondérance de la preuve qu'il y aura contrefaçon si le ministre délivre l'avis de conformité.

[36]            Les appelantes ne se sont pas acquittées de cette charge : elles n'ont pas établi, suivant la prépondérance de la preuve, qu'il se produira des contrefaçons. Le bien-fondé de la thèse des appelantes n'a pas été établi suivant la prépondérance de la preuve.


[37]            La preuve par affidavit des appelantes est entachée de nombreuses faiblesses qui contribuent à leur incapacité de s'acquitter du fardeau de la preuve. En premier lieu, les appelantes n'ont pas présenté suffisamment d'éléments de preuve pour que les auteurs des affidavits soient considérés comme des témoins experts sur le sujet pour lequel on leur demandait leur opinion. Par conséquent, la preuve des auteurs des affidavits n'a pas d'autre valeur que celle d'une opinion individuelle. On n'a posé aucun fondement pour établir que le Dr Pinto pouvait témoigner sur les pratiques des autres médecins. Pour la même raison, Mme Samuel, pharmacienne qualifiée, ne peut témoigner des pratiques et des connaissances des autres pharmaciens et médecins parce qu'elle n'a fourni aucun fondement à sa déclaration. Enfin, Mme Murphy n'est ni un médecin ni une pharmacienne et elle ne fournit aucune autre base de connaissances susceptible d'établir qu'elle est qualifiée pour s'exprimer avec autorité sur les pratiques de ces professions.

[38]            En deuxième lieu, outre leur défaut général de qualification, les trois auteurs des affidavits ne fournissent aucun élément de preuve sur la façon dont ils se sont formé ces opinions qui fondent leurs déclarations générales. Par exemple, le Dr Pinto a limité ses déclarations en les reliant à sa propre expérience : [traduction] « Selon mon expérience, quand les produits génériques sont disponibles, ils sont délivrés » . Parlant des pharmaciens qui ne respectent pas les prescriptions, il déclare : [traduction] « Je pense seulement que c'est la pratique » . (Non souligné dans l'original).


[39]            En troisième lieu, même si la preuve des auteurs des affidavits au sujet des pratiques d'autres personnes était admissible, les auteurs des affidavits ont fait des aveux en contre-interrogatoire qui affaiblissent l'autorité de leurs généralisations et le poids à accorder à leur témoignage. En particulier, Mme Murphy a convenu que le ministre n'approuverait que les utilisations qui auraient fait l'objet d'une demande d'approbation de la part d'un fabricant de médicaments. Le Dr Pinto a admis la même chose.

[40]            Par conséquent, le juge O'Keefe a accordé peu de valeur et, en fin de compte, a rejeté la preuve par affidavit étayant la thèse des appelantes. Sans le fondement de cette preuve, leur thèse ne tient pas.

[41]            Au demeurant, la preuve des auteurs des affidavits est entachée d'autres faiblesses. Au moment de souscrire son affidavit, Mme Murphy était dirigeante chez Astra Pharma Inc., l'une des appelantes dans la présente instance, et son témoignage d' « opinion » pouvait être considéré comme la déclaration partiale ou intéressée d'une partie intéressée.

[42]            Certains aspects ont affaibli davantage le témoignage du Dr Pinto, notamment : 1) il a reconnu que le patient fait confiance au médecin pour la connaissance des maladies que peut traiter le médicament prescrit; 2) il a été incapable de donner des exemples d'incidents où des pharmaciens avaient illicitement délivré des médicaments génériques alors que la mention « aucune substitution » était indiquée et 3) il n'avait pas d'expérience de cas où un médicament générique est approuvé exclusivement pour des utilisations limitées, son expérience se limitant aux médicaments approuvés comme interchangeables dans toutes les utilisations. Par conséquent, le Dr Pinto ne peut parler avec autorité des utilisations nouvelles et limitées d'un composé existant. Sa thèse constitue donc une simple conjecture sur ce qui pourrait se passer dans des circonstances qui dépassent son niveau d'expérience.


[43]            Le témoignage de Linda Samuel a été davantage affaibli lorsqu'il est devenu manifeste, au contre-interrogatoire, qu'elle n'était pas au courant de nombreux aspects du régime réglementaire régissant l'approbation et la distribution des médicaments au Canada : elle ne pouvait citer le titre de la loi qui régit l'interchangeabilité des médicaments en Ontario et ne connaissait pas les conditions de l'interchangeabilité; elle ne savait pas quel ministère approuve l'innocuité et l'efficacité d'un produit pharmaceutique; elle ne savait pas qu'un fabricant de médicaments devait exposer les utilisations spécifiques pour lesquelles il cherchait à obtenir l'approbation de son produit; et elle n'était pas informée du fait qu'une fois que le gouvernement fédéral est convaincu de l'innocuité et de l'efficacité d'un produit, il délivre un avis de conformité et une monographie de produit au fabricant de médicaments qui a présenté la demande.

[44]            Les observations du juge O'Keefe sur le point que les auteurs des affidavits ne pouvaient présenter un témoignage d'expert sont conformes à la jurisprudence en la matière. Selon l'ouvrage The Law of Evidence in Canada, de Sopinka, Lederman et Bryant, 2e édition, à la page 623, l'utilité de l'expert est fonction des limites de ses connaissances. Avant qu'un tribunal reçoive un témoignage, il faut établir que le témoin possède des connaissances et une expérience particulières qui dépassent celles du juge des faits. Le tribunal doit être persuadé que le témoin est suffisamment expérimenté sur le sujet en litige. Le juge O'Keefe a conclu que les auteurs des affidavits n'avaient pas les connaissances nécessaires pour s'exprimer au-delà de leur propre expérience.


[45]            La Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, qu'une partie qui produit une preuve d'expert a « l'obligation d'établir, au moyen d'éléments de preuve régulièrement recevables, les faits sur lesquels se fondent ces opinions. Pour que l'opinion d'un expert puisse avoir une valeur probante, il faut d'abord conclure à l'existence des faits sur lesquels se fonde l'opinion. » . Aussi, même si les auteurs des affidavits en l'espèce peuvent être considérés comme des « experts » , ils ne fournissent nulle part de preuve susceptible de fonder leurs déclarations générales sur la pratique des médecins et des pharmaciens. Il n'a été présenté aucune étude indépendante ou enquête dûment réalisée.

[46]            Par conséquent, pour accueillir le présent appel, il faudrait conclure que le juge de première instance, en l'occurrence le juge O'Keefe, a commis une erreur manifeste et dominante au sujet des faits en question et des inférences de fait. Or il n'a commis aucune erreur de cette nature. Les appelantes ne peuvent établir le bien-fondé de leur cause sur un fondement aussi fragile.

L'arrêt Genpharm

[47]            Les appelantes ont présenté une argumentation supplémentaire fondée sur l'arrêt Genpharm de la Cour, publié le 8 juillet 2002. Le noeud de leur argumentation est que la contrefaçon par les seuls patients, sans autre preuve que le simple fait que le fabricant du générique vendait le produit initialement, suffit à justifier le prononcé d'une ordonnance d'interdiction aux termes du Règlement.


[48]            Dans l'affaire Genpharm, Procter & Gamble (P & G) était titulaire d'un brevet ayant pour objet une nouvelle utilisation d'un médicament existant (un polyphosphonate, précisément l'étidronate ou l'étidronate disodique) à cycles intermittents pour le traitement de l'ostéoporose. L''utilisation de polyphosphonates pour inhiber la résorption osseuse était bien connue, mais n'était pas considérée particulièrement utile dans une maladie chronique comme l'ostéoporose puisqu'elle empêchait également la formation osseuse.

[49]            Genpharm Inc. (Genpharm) a demandé un avis de conformité en présentant un avis d'allégation et P & G a demandé une ordonnance d'interdiction pour empêcher le ministre de délivrer l'avis de conformité.

[50]            L'avis d'allégation de Genpharm caractérise le brevet 376 de P & G comme une méthode de traitement pharmaceutique qui consiste en un kit comprenant de l'étidronate ou de l'étidronate disodique et un supplément nutritionnel. Par opposition, Genpharm dit qu'elle n'emballera pas son produit d'étidronate disodique dans un kit en combinaison avec un autre ingrédient actif ou un supplément nutritionnel. Par conséquent, Genpharm a soutenu que la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente de son produit d'étidronate disodique ne contreferaient pas le brevet 376.


[51]            Dans l'arrêt Genpharm, la Cour a dégagé deux conclusions qui sont particulièrement importantes pour la présente analyse. Premièrement, la Cour a conclu que l'avis d'allégation de Genpharm était entaché d'un vice fatal et qu'il était déficient. Le litige aurait pu être tranché sur ce fondement, mais la Cour a prévu que Genpharm pourrait simplement présenter une seconde demande d'interdiction en modifiant de manière appropriée son avis d'allégation et a donc décidé de trancher au fond la seconde demande éventuelle. Elle en a décidé ainsi pour éviter un litige supplémentaire.

[52]            La Cour s'est alors penchée sur l'interprétation correcte du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les avis de conformité. Genpharm prétend que la contrefaçon suivant le Règlement sur les avis de conformité est celle du fabricant de génériques, et non celle des patients qui utiliseront son produit. Par conséquent, soutient Genpharm, la seule façon d'établir qu'elle a contrefait le brevet 376 est de déterminer qu'elle a incité ou amené les patients à la contrefaçon.


[53]            Toutefois, la Cour a jugé que les mots « ne seraient contrefaites » du sous-alinéa 5(1)b)(iv) ne sont pas suivis d'une restriction. Ils ne disent pas que la contrefaçon doit être le fait du fabricant de génériques. Au contraire, le gouverneur en conseil n'ayant pas employé la même expression « par elle » à propos de l'acte de contrefaçon dans le même sous-alinéa, il ne peut avoir voulu limiter nécessairement la contrefaçon aux actes du fabricant de génériques. La Cour a conclu que lorsque Genpharm dit que l'acte de contrefaçon doit être celui du fabricant de génériques, elle ajoute au Règlement, ce que la Cour ne doit pas faire. La Cour a également souligné que la définition de la « revendication pour l'utilisation d'un médicament » de l'article 2 du Règlement sur les avis de conformité appuyait son interprétation, dans la mesure où les revendications pour l'utilisation visées au sous-alinéa 5(1)b)(iv) envisagent l'utilisation, non seulement par le fabricant de génériques, mais aussi par les patients.

[54]            En premier lieu, l'arrêt Genpharm se distingue de l'espèce au plan des faits. La Cour a déclaré :

Les éléments de preuve susmentionnés me convainquent que les actes et les intentions de Genpharm mèneraient inévitablement à l'utilisation de son produit d'étidronate disodique, le Gen-étidronate, pour le traitement de l'ostéoporose si elle obtient les avis de conformité qu'elle demande.

En l'espèce, aucun élément de preuve de cette nature n'a été produit, ce qui serait essentiel, à mon avis, pour conduire aux mêmes conclusions.


[55]            En outre, pour être en mesure de conclure au sujet des intentions de Genpharm, la Cour a pu examiner la monographie de produit de Genpharm. Au moment où il obtient l'autorisation du gouvernement, le fabricant de médicaments reçoit un avis de conformité accompagné d'une monographie de produit. La monographie de produit expose notamment les indications du produit pharmaceutique, soit les utilisations pour lesquelles le gouvernement a approuvé le produit. Par conséquent, la monographie de produit limite les indications du produit et elle est disponible dans le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques (CPS). Le CPS est un ouvrage de référence largement consulté par les pharmaciens et médecins, qui dresse la liste des posologies, ingrédients et modes d'emploi applicables à certains médicaments. Il convient de répéter encore une fois que la monographie de produit d'Apotex n'était pas disponible dans la présente procédure. Apotex a cherché à produire des éléments de preuve, mais elle l'a fait tardivement et sa demande de prolongation de délai, à laquelle les appelantes ont fait opposition, a été refusée par le juge McKeown. Cependant, au cours de l'audience sur le présent appel, les représentants d'Apotex ont déclaré qu'Apotex avait fourni sa monographie de produit aux appelantes dans le cadre d'un contre-interrogatoire. Les appelantes n'ont pas déposé ce document auprès de la Cour et, par conséquent, la Cour n'a pu en tenir compte, alors que ce document avait joué un rôle clé dans l'affaire Genpharm en fournissant à la Cour une indication des intentions du fabricant de génériques et de la vraisemblance de la contrefaçon.

[56]            Les appelantes se sont fondées sur l'extrait suivant de l'arrêt Genpharm, aux paragraphes 47 à 50, pour soutenir que Genpharm devrait s'appliquer au présent appel :

Le fait est que les revendications pour l'utilisation visées au sous-alinéa 5(1)b)(iv) envisagent l'utilisation, non seulement par le fabricant de génériques, mais aussi par les patients, et qu'il en résultera la contrefaçon par les patients qui utilisent un médicament vendu par un fabricant de génériques, même sans incitation de la part de ce fabricant.

L'objet du Règlement semble manifeste. Si un fabricant de génériques vend un produit et que cela a pour effet la contrefaçon d'un brevet par quiconque utilise le produit, c'est la contrefaçon que le Règlement vise à empêcher. Rien n'exige que le fabricant de génériques ait incité ou amené des patients ou d'autres personnes à contrefaire le brevet.

Pour ce motif, j'estime que, dans le cas de revendications pour l'utilisation, il n'est pas nécessaire que le titulaire d'un brevet établisse que, par ses actions, le fabricant de génériques incitera ou amènera des patients ou d'autres personnes à contrefaire le brevet. Dans la mesure où le fabricant de génériques ne peut établir qu'aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne serait contrefaite par des patients ou d'autres personnes par la vente de son produit, il ne satisfera pas au critère du bien-fondé de l'allégation énoncé au paragraphe 6(2) du Règlement et une ordonnance d'interdiction doit être rendue.


En l'espèce, si un patient utilise le produit de Genpharm pour l'ostéoporose, les revendications pour l'utilisation que comporte le brevet 376 de P & G seraient contrefaites. C'est la vente de son produit par Genpharm qui aurait pour effet la contrefaçon. La preuve établit de façon écrasante qu'il est non seulement probable mais inévitable que le produit Gen-étidronate de Genpharm soit, en cas de délivrance des avis de conformité, utilisé pour le traitement de l'ostéoporose selon le schéma posologique cyclique qui constitue l'invention suivant le brevet 376. [Non souligné dans l'original.]

Il faut souligner, toutefois, que la Cour a fait ces déclarations après avoir conclu que la preuve dans l'affaire Genpharm établissait de façon écrasante que les actes et les intentions de Genpharm mèneraient inévitablement à la contrefaçon. En l'espèce, aucune conclusion de cette nature n'a pu être établie, ce qui distingue le présent appel de l'arrêt Genpharm. Je ne considère pas que l'arrêt Genpharm établisse que la simple vente par le fabricant d'un générique, sans plus, d'un médicament faisant l'objet d'un brevet d'utilisation suffit à constituer une contrefaçon aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(iv).


[57]            Par conséquent, Apotex ne peut être empêchée d'obtenir un avis de conformité pour le seul motif qu'elle vendra de l'oméprazole. Affirmer le contraire soulèverait de graves questions de politique. S'il y avait une quelconque possibilité qu'un patient consomme un produit générique pour une utilisation brevetée, alors le produit générique ne serait pas approuvé. Cela empêcherait l'autorisation de nouvelles utilisations de médicaments existants, car il est toujours possible que quelqu'un, quelque part, utilise le médicament pour l'objet breveté et interdit. Cette position mènerait à une véritable injustice : comme la société qui fabrique des génériques ne peut raisonnablement contrôler comment chacun dans le monde utilise son produit, empêcher le fabricant de génériques de commercialiser son produit contribuerait à conforter et élargir davantage le monopole des titulaires de brevet. Le titulaires de brevet se trouveraient de ce fait à contrôler effectivement non seulement les nouvelles utilisations d'un composé existant, mais le composé lui-même, même si celui-ci n'est pas protégé par le brevet au départ. Les titulaires de brevet auraient ainsi un avantage qu'ils ne devaient pas avoir. En fin de compte, la société serait privée de l'avantage des nouveaux modes d'utilisation des produits pharmaceutiques existants, disponibles à un coût inférieur.

[58]            De plus, Apotex ne peut être tenue responsable à l'égard de poursuites en contrefaçon intentées en vertu de la Loi sur les brevets si, contrairement à la preuve présentée à l'audience sur l'avis de conformité, des tiers commettent des actes de contrefaçon après la délivrance de l'avis de conformité, à moins qu'Apotex soit elle-même impliquée dans ces actes, par exemple en incitant ou amenant les tiers à les commettre. L'arrêt Genpharm ne s'applique pas à la responsabilité du fabricant de génériques aux termes de la Loi sur les brevets à l'égard de toute contrefaçon de brevet par un tiers qui surviendrait après la délivrance de l'avis de conformité.

[59]            Les appelantes n'ont pas établi que, dans le cas où un avis de conformité serait délivré à Apotex et où elle vendrait de l'oméprazole, les patients ou d'autres tiers contreferaient le brevet d'utilisation des appelantes. Dans une procédure d'interdiction, si la première personne ne parvient pas à établir que des contrefaçons se produiront si l'avis de conformité est délivré, elle ne peut obtenir l'interdiction en se fondant sur le sous-alinéa 5(1)b)(iv), quelle que soit la définition du lien nécessaire entre le fabricant de génériques et la contrefaçon.


Page : 26

Conclusion

[60]            Le présent appel devrait être rejeté avec dépens.

                                                                                                    « J. EDGAR SEXTON »                     

                                                                                                                                         Juge                                     

« Je souscris à ces motifs.

      A.M. Linden, juge. »

« Je souscris à ces motifs.

    John M. Evans, juge. »

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20021101

Dossier : A-716-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 1er NOVEMBRE 2002

CORAM :                                                           LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                          AB HASSLE et ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                            appelantes

                                                                                                                 (demanderesses)

                                                                      et

   LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

et APOTEX INC.

                                                                                                                                  intimés

                                                                                                                         (défendeurs)

                                                            JUGEMENT

L'appel est rejeté avec dépens.

                                                                                                              « A.M. LINDEN »                    

                                                                                                                                         Juge                                     

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL

                                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 A-716-01

INTITULÉ :              AB Hassle et Astrazeneca Canada Inc. c.

Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et Apotex Inc.

                                                                       

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              17 septembre 2002

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                        LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

DATE DES MOTIFS :                                     1er novembre 2002

COMPARUTIONS :

Gunars Gaikis                                                        POUR LES APPELANTES

Sheldon Hamilton

Harry Radomski                                                   POUR L'INTIMÉE

Andrew Brodkin                                                   APOTEX INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar                                                   POUR LES APPELANTES

Toronto (Ontario)       

Goodmans LLP.                                                   POUR L'INTIMÉE,

Toronto (Ontario)                                                 Apotex Inc.

Morris A. Rosenberg                                            POUR L'INTIMÉ,

Sous-procureur général du Canada                                  Le ministre de la Santé nationale

Ottawa (Ontario)                                                  et du Bien-être social

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