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Date : 20020523

Dossier : A-33-01

Référence neutre : 2002 CAF 214

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                            PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                ACIER INOXYDABLE FAFARD INC.

                                                                                   

                                                                                                                                               défenderesse

                                       Audience tenue à Montréal (Québec), le 21 mai 2002.

                                       Jugement rendu à Montréal (Québec), le 23 mai 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                    LE JUGE NADON

                                                                                                                                  LE JUGE PELLETIER


Date : 20020523

Dossier : A-33-01

Référence neutre : 2002 CAF 214

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                            PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                ACIER INOXYDABLE FAFARD INC.

                                                                                   

                                                                                                                                               défenderesse

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU


[1]                 L'emploi de madame France Letendre Fafard auprès de la défenderesse Acier Inoxydable Fafard Inc. était-il, pour la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1997, un emploi assurable au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi L.C. 1996, ch. 23? Le juge suppléant de la Cour canadienne de l'impôt a répondu par la négative, renversant ainsi la détermination faite par le ministre du Revenu national que l'emploi de madame Letendre Fafard rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services. Tant la demanderesse que la défenderesse, chacune à leur façon et pour des motifs différents, se plaignent de la décision rendue.

[2]                 On retrouve l'essence de la décision de la Cour canadienne de l'impôt dans les deux extraits suivants :

Ici, nous avons une entreprise familiale et est-ce que ... l'essentiel, est-ce que l'appelant a réussi dans son fardeau d'établir qu'il y avait une absence de lien de subordination entre la travailleuse et l'appelant pendant la période en litige.

Prenant en considération tous les faits de cette cause, y compris le témoignage des témoins qui ont témoigné d'une façon ouverte et honnête - et j'accepte tous leur témoignage, entièrement - les admissions, je suis convaincu que l'appelant a réussi à établir par une prépondérance de preuve que pendant la période en litige, la travailleuse n'occupait pas un emploi assurable avec le payeur qui est le même, l'appelant.

  

[3]                 La demanderesse allègue que cette décision est erronée en droit puisque le juge, en concluant à l'absence de lien de subordination entre madame Fafard et la défenderesse a, d'une part, mal interprété la notion de contrôle et, d'autre part, omis de reconnaître l'existence de la personnalité juridique distincte de la défenderesse. Elle se fonde sur la décision de notre Cour dans l'affaire Procureure générale du Canada et Groupe Desmarais Pinsonneault et Avard Inc., rendue par le juge Noël le 18 avril dernier, A-38-01.

[4]                 Je reproduis les passages pertinents, contenus aux paragraphes 4 à 7 de la décision sur lesquels elle appuie sa prétention :


Le premier juge, en concluant à l'absence d'un lien de subordination entre les travailleurs et la défenderesse, semble ne pas avoir tenu compte du principe bien établi à l'effet que la société a une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires et que par voie de conséquence, les travailleurs étaient assujettis au pouvoir de contrôle de la défenderesse.

La question que devait se poser le premier juge était de savoir si la société avait le pouvoir de contrôler l'exécution du travail des travailleurs et non pas si la société exerçait effectivement ce contrôle. Le fait que la société n'ait pas exercé ce contrôle ou le fait que les travailleurs ne s'y soient pas senti assujettis lors de l'exécution de leur travail n'a pas pour effet de faire disparaître, réduire ou limiter ce pouvoir d'intervention que la société possède, par le biais de son conseil d'administration.

Nous ajouterions que le premier juge ne pouvait conclure à l'absence de lien de subordination entre la défenderesse et les travailleurs du seul fait qu'ils accomplissaient leurs tâches journalières de façon autonome et sans supervision. Le contrôle exercé par une société sur ses employés cadres est évidemment moindre que celui qu'elle exerce sur ses employés subalternes.

Si le premier juge avait reconnu la personnalité juridique distincte de la défenderesse comme il devait le faire et analysé la preuve à la lumière des principes applicables (Wiebe Door Services c. M.R.N., [1986] 3 C.S. 553), il n'aurait eu d'autre choix que de conclure à l'existence d'un contrat de louage de services entre la défenderesse et les travailleurs.

  

[5]                 Avec respect, je suis satisfait que la prétention de la demanderesse est bien fondée. Il y avait amplement de preuve au dossier que madame Letendre Fafard faisait un travail de bureau (service de réception, correspondance, comptabilité, service de la paie, production de rapports) pour la défenderesse pour lequel, de l'aveu même de monsieur François Fafard, actionnaire majoritaire, « la compagnie remettait un salaire à madame Fafard » : Dossier de la demanderesse, pp. 49, 53 et 54.


[6]                 Je crois que le juge de première instance a aussi confondu le double rôle que remplissait madame Letendre Fafard au sein de l'entreprise : employé pour l'exécution de certaines tâches et actionnaire-administratrice pour d'autres : Doyle et Procureur général du Canada, A-499-89, 21 mars 1990 (C.A.F.), Roxboro Excavation Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.F. no 799 (C.A.F.). N'eut été de cette confusion, le juge aurait reconnu que madame Letendre Fafard, bien qu'actionnaire et administratrice de la défenderesse, « exerçait sous le contrôle du payeur des tâches qui étaient telles qu'il y avait en réalité lien de subordination » : Roxboro Excavation Inc., précitée.

[7]                 Le procureur de la défenderesse, pour sa part, reproche au juge de la Cour canadienne de l'impôt de l'avoir, contre son gré, amené sur le terrain, préjudiciable pour sa cliente, du lien de subordination alors que ce n'était point là l'argument qu'il désirait faire valoir. Plutôt, la défenderesse invoquait la restriction prévue à l'alinéa 5(2)b) qui exclut comme emploi assurable l'emploi d'une personne qui contrôle plus de 40% des actions avec droit de vote de la compagnie au service de laquelle elle oeuvre :

(2) N'est pas un emploi assurable :

a) [...]

b) l'emploi d'une personne au service d'une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale;

(2) Insurable employment does not include

(a) [...]

(b) the employment of a person by a corporation if the person controls more than 40% of the voting shares of the corporation;

[8]                 Et, à toutes fins pratiques, le juge a refusé d'entendre ses arguments sur l'alinéa 5(2)b) : voir le Dossier de la demanderesse, transcription des notes sténographiques, pp. 131 et 132. De fait, le juge ne s'est pas prononcé dans sa décision sur l'application en l'espèce de l'alinéa 5(2)b). La question fut donc plaidée pour la première fois devant nous.


[9]                 Essentiellement, le procureur de la défenderesse soutient que, suite au réaménagement de l'entreprise de la défenderesse afin de « cristalliser » l'actif et protéger à des fins fiscales l'investissement fait initialement, madame Letendre Fafard, qui est la conjointe de monsieur Fafard, s'est vue accorder des actions et un contrôle « de facto » de l'entreprise qui fait qu'elle détient, dans les faits, au sein de l'entreprise, plus de 40% des actions avec droit de vote de cette entreprise. Je crois que la défenderesse, et je le dis avec respect, a confondu le contrôle de la gestion de l'entreprise et le contrôle des actions avec droit de vote.

[10]            Qu'il faut se garder de commettre une telle erreur dans l'interprétation et l'application de l'alinéa 5(2)b) fut rappelé par le juge Hugessen dans l'arrêt Sexton c. M.R.N., [1991] A.C.F. No 417 (C.A.F.), à la p. 2 :

Les appelants sont ceux qui ont continué à être les piliers et qui, de facto, ont contrôlé la nouvelle compagnie. (Dossier, page 150) À mon avis, le juge a commis une erreur de droit en ne regardant que le contrôle administratif ou opérationnel de la compagnie. Ce dont parle le texte réglementaire est le contrôle de quarante pour cent des actions votantes de la compagnie, ce qui n'est pas du tout nécessairement la même chose. [...]

Celui qui a le contrôle administratif ou opérationnel d'une corporation ne contrôle pas nécessairement les actions de celle-ci; en fait, il arrive souvent, dans le monde moderne des affaires, que ceux qui sont chargés de la gérance d'une corporation détiennent peu ou pas du tout de ses actions.

Dans la présente espèce, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que les requérants, qui détenaient chacun dix-sept pour cent des actions votantes de la corporation, contrôlaient réellement cette dernière. Cette conclusion, si juste soit-elle, n'est aucunement déterminante quant au contrôle du droit de vote dans les trente-trois pour cent des actions détenues par chacun des enfants des requérants. En fait, comme le juge a lui-même déclaré, Michel et Charlène Sexton "étaient propriétaires et détenaient le pouvoir de jure de contrôler la nouvelle compagnie" et rien dans la preuve ne permettait de conclure qu'ils s'étaient jamais dépouillés de leur droit de vote dans les actions qui leur appartenaient ou avaient entravé de quelque façon que ce soit le libre exercice de ce droit.


[11]            Dans la présente affaire, monsieur Fafard a abondamment affirmé lors de son témoignage que lui et sa conjointe avaient, pour utiliser son expression, « toujours travaillé à deux et pris les décisions à deux 50-50 » : Dossier de la demanderesse, pp. 32 et 33.

[12]            Or, il est clair à la lecture des témoignages de monsieur et de madame Fafard que l'égalité ou la parité dont ils parlaient était une égalité dans la gestion des opérations de l'entreprise, bref qu'ils avaient de fait adopté et instauré un principe de cogestion de l'entreprise : Dossier de la demanderesse, témoignage de monsieur Fafard, pp. 34, 35 et 38 :

Q. Alors, après la réorganisation, après le gel, vous vous retrouviez, au niveau de la gestion et des opérations de la corporation, devant quoi? Qui étaient les actionnaires selon vous et qui gérait la corporation?

R. On était deux pour gérer. Si tu veux, c'était plus officiel, mais ... C'était pour officialiser cette gestion-là puis ce partage-là, mais nos tâches n'ont jamais changé. Mes tâches, et France ses tâches, puis les décisions se sont toujours prises à deux. Sinon, ça ne marche pas.

Q. O.K. Outre la comptabilité, la correspondance, le service de paie, la production des rapports et la supervision des employés, qu'est ce qu'elle fait, madame?

R. Bon. C'est toutes les décisions qu'on prend ensemble, les décisions administratives, les décisions pour la compagnie concernant, ça peut être un investissement.

[13]            Mais un fait indéniable demeure : monsieur Fafard possédait 99% des actions avec droit de vote de l'entreprise alors que sa conjointe n'en contrôlait que 1%, et d'aucune façon monsieur Fafard ne s'est départi de son droit de vote dans les actions au profit de sa conjointe de sorte que les conditions d'application de l'alinéa 5(2)b) n'ont jamais été satisfaites. Madame Letendre Fafard occupait donc au sein de l'entreprise de la défenderesse un emploi assurable pour la période en litige.


[14]            Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire avec dépens, j'annulerais la décision du juge suppléant et je retournerais l'affaire au juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt ou à un juge qu'il désigne pour qu'il la décide à nouveau en tenant pour acquis que l'appel de la défenderesse doit être rejeté.

    

                                                                                    "Gilles Létourneau"                   

                                                                                                             j.c.a.

"Je suis d'accord,

M. Nadon j.c.a."

"Je suis d'accord,

J.D.Denis Pelletier j.c.a."


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION D'APPEL

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                   

DOSSIER :                       A-33-01

INTITULÉ :              PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                                              demanderesse

- et -

ACIER INOXYDABLE FAFARD INC.

                                                                                               défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 21 mai 2002

MOTIFS DU JUGEMENT :                                      Le juge Létourneau

Y ONT SOUSCRIT :                                        Le juge Nadon

Le juge Pelletier

DATE DES MOTIFS :                                     le 23 mai 2002

  

COMPARUTIONS :

Me Marie-Andrée Legault/

Me Annick Provencher                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Me Serge Fournier                                               POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                             

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)                                               POUR LA DEMANDERESSE

Brouillette Charpentier Fortin

Montréal (Québec)                                               POUR LA DÉFENDERESSE

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