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Date : 20011018

Dossier : A-3-01

CORAM :             LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

        appelant

                    et

   CHEN LIN

            intimé

        Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 24 septembre 2001

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le jeudi 18 octobre 2001

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :        LE JUGE DÉCARY

       LE JUGE SEXTON


Date : 20011018

Dossier : A-3-01

Référence neutre : 2001 CAF 306

CORAM :             LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

        appelant

                    et

   CHEN LIN

            intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DESJARDINS

[1]                 Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration interjette appel contre la décision du juge des requêtes, de la Section de première instance, qui a statué que la section du statut de réfugié n'avait pas commis d'erreur susceptible de révision en décidant que l'intimé était un réfugié au sens de la Convention.


[2]                 Le juge de première instance a certifié les deux questions ci-après énoncées :

[TRADUCTION] - La section du statut de réfugié commet-elle une erreur de droit lorsqu'elle conclut que l'intéressé mineur craignait avec raison d'être persécuté du fait qu'il était membre d'un groupe social, à savoir « l'enfant mineur d'une famille chinoise qui doit subvenir aux besoins d'autres membres de la famille? »

- S'il est répondu par la négative à la première question, la section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur de droit en concluant à l'incapacité de l'État de fournir une protection lorsque l'intéressé mineur, qui allègue être persécuté par ses parents, ne se réclame pas de la protection de l'État?

Les faits

[3]                 L'intimé Chen Lin, un citoyen chinois âgé de dix-sept ans qui vient de la province de Fujian, en Chine, est arrivé à Vancouver dans un conteneur le 3 janvier 2000. Après avoir été arrêté par les autorités canadiennes, il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

[4]                 L'intimé allègue qu'il ne voulait pas quitter la Chine, mais que sa famille l'a obligé à le faire. Ses parents, qui sont pauvres et n'ont pas d'emploi, ont pris des dispositions par l'entremise de « snakeheads » pour qu'il se rende illégalement à New York afin d'y travailler et d'envoyer de l'argent à sa famille en Chine. Le cousin de l'intimé, qui habite à New York, est entré aux États-Unis illégalement il y a sept ou huit ans, mais son statut est maintenant reconnu dans ce pays. Le cousin faisait un séjour en Chine lorsque les parents de l'intimé ont obligé celui-ci à partir. Le cousin travaille dans un restaurant, à New York. Il a affirmé qu'il pouvait trouver un emploi à l'intimé.


[5]                 L'intimé affirme que ses parents ont obtenu à son insu un passeport pour qu'il puisse quitter la Chine. Il a appris qu'il quittait la Chine le jour où il est parti de son village seulement. Son père lui a dit qu'il devait s'en aller; l'intimé ne pouvait pas refuser.

[6]                 Après que l'intimé eut voyagé seul pour se rendre à Hong Kong et eut attendu dans des hôtels pendant dix jours, un passeur l'a envoyé dans une gare. On l'a fait entrer de force dans un conteneur où il y avait une quinzaine d'autres personnes. L'intimé a appris qu'il voyagerait dans un conteneur lorsqu'il est arrivé à la gare seulement. Il a pris peur parce qu'il avait entendu dire que des gens étaient morts dans des conteneurs. Le passeur a verrouillé la porte du conteneur derrière lui. Le navire de charge à bord duquel le conteneur se trouvait a été en mer pendant deux semaines et le conteneur a finalement été ouvert au port de Vancouver le 3 janvier 2000. L'intimé n'a appris qu'il était au Canada que lorsque les responsables de l'immigration le lui ont dit.

[7]                 L'intimé ne voulait pas quitter la Chine, mais il craint que, s'il y retourne, les autorités chinoises le traitent durement parce qu'il a quitté le pays illégalement.

Les décisions des instances inférieures


[8]                 La section du statut de réfugié a conclu que l'intimé était digne de foi sauf pour une partie suspecte de son témoignage, qu'elle ne jugeait pas essentielle à la revendication. La partie suspecte se rapportait au témoignage que l'intimé avait présenté au sujet d'une personne de son voisinage qui avait quitté la Chine pour aller aux États-Unis et qui, à son retour en Chine, avait été torturée par les autorités chinoises. Toutefois, l'intimé ne pouvait pas dire à quel moment la personne en question était retournée en Chine, mais il a affirmé que ses parents connaissaient cette personne.

[9]                 La section du statut de réfugié a conclu que l'intimé était un réfugié au sens de la Convention pour le motif que ses parents, en complicité avec les « snakeheads » , étaient les agents persécuteurs qui avaient envoyé l'intimé à l'étranger contre son gré pour qu'il travaille et subvienne aux besoins de sa famille en Chine. La section du statut de réfugié a conclu que ces actions avaient mis l'intimé en danger. Elle a également conclu que l'intimé vivrait dans un état de dépendance totale aux États-Unis afin de rembourser la dette contractée envers les « snakeheads » et de subvenir aux besoins de sa famille. Ces actions, cumulativement, constituaient de la persécution.

[10]            La section du statut de réfugié a en outre conclu qu'il y avait plus qu'une simple possibilité que, si l'intimé retournait en Chine, ses parents l'obligeraient encore une fois à quitter la Chine illégalement et à venir en Amérique du Nord. Compte tenu de la coutume chinoise de piété filiale, l'intimé serait obligé de faire ce qu'on lui demandait de faire. Il serait répugnant à ses yeux de signaler ses parents aux autorités et il est fort peu probable que l'État lui fournirait sa protection s'il savait qu'il avait quitté la Chine illégalement.


[11]            Enfin, la section du statut de réfugié a conclu à l'existence d'un lien avec la définition du « réfugié au sens de la Convention » parce que l'intimé était membre d'un groupe social, à savoir celui de « l'enfant mineur d'une famille chinoise qui doit subvenir aux besoins d'autres membres de sa famille » . Elle a ajouté que le fait que les agents persécuteurs, c'est-à-dire les parents, étaient également membres de cette famille n'empêchait pas l'intimé d'être membre véritable d'un groupe particulier.

[12]            Le juge des requêtes a simplement approuvé les motifs énoncés par la section du statut de réfugié.

Analyse

[13]            L'appelant affirme que le juge des requêtes a commis une erreur en tirant sa conclusion, étant donné que la section du statut de réfugié avait commis une erreur en concluant que l'intimé avait été persécuté, et en définissant le groupe social comme étant celui d'un « enfant mineur d'une famille chinoise qui doit subvenir aux besoins d'autres membres de sa famille » . L'appelant affirme également que la section du statut de réfugié a commis une erreur en appliquant le critère de la protection étatique.


[14]            L'intimé a déposé auprès de la section du statut de réfugié une copie de son passeport qui, a-t-il dit, était un passeport valide (dossier d'appel, vol. II, page 302). Les « snakeheads » lui avaient enlevé l'original et lui avaient également enlevé sa carte d'identité personnelle. L'intimé a affirmé que, lorsqu'il était parti de chez lui, il avait demandé à sa mère d'en faire une copie. La mère lui a par la suite fait parvenir le document en question au Canada. Sur le document était apposé un timbre indiquant que le Conseil chinois de la sécurité publique (le CSP) avait approuvé son départ pour une brève période, à destination du Vietnam. Le père a obtenu au nom de l'intimé un visa pour le Vietnam.

[15]            L'intimé s'est rendu de son village à Hong Kong en voyageant par avion de Changli à Shenzhen. Il a franchi la douane à pied de Shenzhen à Hong Kong. Il s'est ensuite rendu à la gare routière où il a rencontré les « snakeheads » qui lui ont dit de prendre place dans le conteneur.

[16]            La preuve montre que le voyage avait été organisé par le père de l'intimé. Toutefois, rien ne montre que le père savait que son fils voyagerait dans un conteneur. La conclusion de la section du statut de réfugié selon laquelle les parents, avec la complicité des « snakeheads » , avaient placé leur fils dans une situation dangereuse est donc dénuée de fondement.


[17]            La section du statut de réfugié a conclu qu'il y avait plus qu'une simple possibilité que, si l'intimé retournait en Chine, ses parents l'obligent encore une fois à tenter, malgré le danger, de quitter la Chine illégalement et de se rendre en Amérique du Nord avec l'aide des « snakeheads » . L'intimé n'a pas fait de déclarations en ce sens, et aucun élément de preuve ne montre que les parents avaient les moyens de payer pareil voyage une autre fois.

[18]            La section du statut de réfugié a conclu que l'intimé serait obligé de vivre dans un état de dépendance totale aux États-Unis en vue de rembourser la dette contractée envers les « snakeheads » et de subvenir d'une façon continue aux besoins de sa famille. Elle a statué que ces actions, cumulativement, constituaient de la persécution. Toutefois, la section du statut de réfugié n'explique pas pourquoi le fait d'avoir à subvenir aux besoins de sa famille constitue de la persécution. Le mot « persécution » n'est pas défini dans la Loi sur l'immigration. Dans l'arrêt Rajudeen c. MEI ((1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.), pages 133 et 134), la Cour s'est fondée sur les définitions ordinaires de dictionnaires comme celle qui est donnée dans le Shorter Oxford English Dictionary, qui définit entre autres comme suit le mot « persecution » (persécution) :

[TRADUCTION] Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu'en soit l'origine.

[19]            Dans l'arrêt Sagharichi c. MEI ((5 août 1993), A-169-91 (C.A.F.)), il a été dit qu'une conclusion de persécution est une question de fait et de droit. En l'espèce, la conclusion de la section du statut de réfugié est dans une large mesure non corroborée.


[20]            Il n'est pas non plus établi que l'intimé ait considéré ses parents comme des agents persécuteurs. Au contraire, c'est la mère de l'intimé qui a fait parvenir à celui-ci une copie de son passeport lorsqu'elle a appris qu'il était au Canada. Rien ne montre que l'intimé craignait de retourner en Chine à cause de ses parents.

[21]            Aucun élément de preuve n'étayait la conclusion de la section du statut de réfugié selon laquelle les enfants mineurs d'une famille chinoise qui doivent subvenir aux besoins d'autres membres de la famille constituent un groupe auquel les parents ou d'autres agents persécuteurs s'en prennent en vue de les persécuter. Il n'existait aucune preuve à l'appui tendant à établir que l'intimé craignait d'être persécuté « du fait » de son appartenance à ce groupe social. L'intimé ne craignait pas d'être persécuté parce qu'il avait moins de dix-huit ans et qu'il devait subvenir aux besoins de sa famille. Il craignait les autorités chinoises et sa crainte découlait de la méthode qu'on avait choisie pour lui faire quitter la Chine.

[22]            Enfin, la question de la protection fournie par l'État n'a jamais été soulevée à l'audience. La section du statut de réfugié a cité un passage d'un rapport de Graham Edwin Johnson, professeur de sociologie à l'université de la Colombie-Britannique. Le professeur Johnson explique que la piété filiale, qui existe depuis longtemps en Chine, exige que les fils obéissent à leur père. Toutefois, le professeur Johnson n'établit aucun lien avec la protection fournie par l'État. De plus, rien ne montrait que l'intimé ne voulait pas se réclamer de la protection de l'État, et ce, pour des raisons de piété filiale.


Conclusion

[23]            Je répondrais par l'affirmative à la première question que le juge des requêtes a certifiée pour le motif qu'aucun élément de preuve ne montrait que l'intimé craignait avec raison d'être persécuté. Il n'est donc pas nécessaire de répondre à la deuxième question.

[24]            J'accueillerais l'appel et j'annulerais la décision du juge des requêtes. J'accueillerais ensuite la demande de contrôle judiciaire dont le juge des requêtes était saisi. J'annulerais la décision de la section du statut de réfugié et je renverrais l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire conformément aux motifs susmentionnés.

« Alice Desjardins »

Juge

« Je souscris à cet avis,

Le juge Robert Décary »

« Je souscris à cet avis,

Le juge J. Edgard Sexton »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :A-3-01

INTITULÉ :le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

c.

Chen Lin

LIEU DE L'AUDIENCE :Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :le 24 septembre 2001

MOTIFS DU JUGEMENT : le juge Desjardins

Y ONT SOUSCRIT : le juge Décary

le juge Sexton

DATE DES MOTIFS : le 18 octobre 2001

COMPARUTIONS :

Mme Helen Park POUR L'APPELANT

M. Christopher Elgin POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice POUR L'APPELANT

Vancouver (C.-B.)

Elgin, Cannon et associés POUR L'INTIMÉ

Vancouver (C.-B.)


Date : 20011018

Dossier : A-3-01

       OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 18 OCTOBRE 2001

CORAM :                    LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

          appelant

                      et

     CHEN LIN

             intimé

JUGEMENT

Il est répondu par l'affirmative à la première question certifiée par le juge des requêtes. Par conséquent, cet appel est accueilli et la décision du juge des requêtes est annulée. La demande de contrôle judiciaire dont le juge des requêtes était saisi est accueillie, la décision de la section du statut de réfugié est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire conformément aux motifs du jugement.

« Alice Desjardins »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.

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