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Date : 19980703


Dossier : A-969-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 3 JUILLET 1998

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE McDONALD

ENTRE

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     et

     NATIONAL TRUST COMPANY,

     intimée.

     JUGEMENT

     L"appel est accueilli avec dépens dans les deux Cours, le jugement rendu le 7 novembre 1996 par la Cour de l"impôt est annulé et la cotisation du ministre est maintenue.

     " Julius A. Isaac "

     Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


Date : 19980703


Dossier : A-969-96

CORAM:      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE McDONALD

ENTRE

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     et

     NATIONAL TRUST COMPANY,

     intimée.

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 20 janvier 1998.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 juillet 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      LE JUGE EN CHEF

Y A SOUSCRIT :      LE JUGE LINDEN

MOTIFS CONCORDANTS PRONONCÉS PAR :      LE JUGE McDONALD


Date : 19980703


Dossier : A-969-96

CORAM:      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE McDONALD

ENTRE

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     et

     NATIONAL TRUST COMPANY,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF

[1]      Il s"agit de l"appel interjeté contre le jugement rendu le 7 novembre 1996 par la Cour de l"impôt qui a accueilli avec dépens l"appel que l"intimée, National Trust Company (National Trust), avait formé contre la cotisation établie en application de l"article 224 de la Loi de l"impôt sur le revenu1 pour défaut de se conformer à une demande péremptoire de paiement.

[2]      La principale question en litige dans le présent appel est de savoir si l"intimée est tenue de payer à l"appelante, en vertu du paragraphe 224(4) de la Loi, un montant égal au montant du produit du régime enregistré d"épargne-retraite (le REER) autogéré du débiteur fiscal parce qu"elle a omis de payer ce produit au receveur général, conformément à la demande de paiement délivrée en application du paragraphe 224(1).

Le contexte factuel

[3]      À la Cour de l"impôt, la preuve en appel a été faite au moyen d"un exposé conjoint des faits. Aucun témoignage n"a été entendu.

[4]      Le 17 février 1987, James Smith (le débiteur fiscal) a souscrit à un REER autogéré auprès de l"intimée. La bénéficiaire désignée en cas de décès était une dénommée Carol Smith. En février 1988, les fonds ont été placés dans un certificat de placement garanti (CPG) de cinq ans dont l"échéance était le 24 février 1993, conformément à ses instructions écrites. En langage courant, les fonds ont été " bloqués " dans le CPG jusqu"à la date d"échéance.

[5]      Avant l"échéance du CPG, le débiteur fiscal a demandé à l"intimée, à deux reprises, de transférer ses actifs à la Banque Royale. L"intimée n"a pas obéi à ces demandes puisque les actifs étaient " bloqués " dans le CPG jusqu"à la date d"échéance. De plus, avant cette date, le ministre a signifié à l"intimée deux demandes péremptoires de paiement en vertu du paragraphe 224(1) de la Loi. L"intimée a informé le débiteur fiscal des demandes du ministre mais ne s"y est pas conformée.

[6]      Après l"échéance du CPG, le ministre a signifié à l"intimée quatre demandes péremptoires de paiement supplémentaires, dont les dates de délivrance et de signification sont respectivement les 22 mars 1993, 8 juin 1993, 1er septembre 1993 et 1er février 1994. L"intimée ne s"est conformée à aucun d"eux.

[7]      L"intimée a reçu, au plus tard le 24 février 1993, une autre demande du débiteur fiscal de transférer l"actif de son REER à la Banque Royale. De plus, par lettre également datée du 24 février 1993, le débiteur fiscal a confirmé ses instructions antérieures à l"intimée de mettre fin à son REER, de déduire le montant requis de retenue d"impôt à la source et de lui verser le produit net. Il a également demandé que, jusqu"à ce que ses instructions soient mises en oeuvre, son actif soit transféré d"un CPG à un compte d"épargne à intérêt quotidien. Par voie de lettre en date du même jour, l"intimée a informé la Banque Royale qu"elle ne pouvait accéder à la demande de transfert étant donné que le ministre lui avait signifié une demande visant les fonds détenus dans le REER du débiteur fiscal.

[8]      Le 24 février 1993, date d"échéance du CPG, l"intimée a donné suite à la demande du débiteur fiscal de transférer l"actif de son REER dans un compte d"épargne à intérêt quotidien. Les fonds détenus par l"intimée sont demeurés dans ce compte depuis lors.

[9]      Par lettre datée du 8 mars 1993, le débiteur fiscal a de nouveau demandé à l"intimée d"annuler son REER et de lui en verser directement le produit. L"intimée n"a pas donné suite à cette demande parce que, prétend-elle, Revenu Canada lui avait signifié une demande en application du paragraphe 224(1) relativement à la dette d"impôt sur le revenu due par le débiteur fiscal.

[10]      Le paragraphe 25 de l"exposé conjoint des faits énonce :

                 [TRADUCTION]                 
                 N"eût été la réception par l"appelante des demandes péremptoires de paiement susmentionnées, elle aurait, conformément à sa pratique habituelle, obéi à toute demande écrite faite par le détenteur du régime d"épargne-retraite de lui verser le montant du régime ou de procéder à sa liquidation, ou transféré les fonds détenus dans ce régime à une autre institution avant ce qui est décrit comme étant " l"échéance d"un régime enregistré d"épargne-retraite " dans la convention. En vertu de cette pratique habituelle, à condition que les fonds ne soient pas " bloqués " dans un CPG ou dans tout autre compte de placement à terme fixe, l"opération est conclue, dès la réception d"une demande écrite de versement du montant du régime, de sa liquidation ou d"un transfert, soit en remettant au détenteur du régime un chèque en représentant le produit, déduction faite de toute retenue d"impôt à la source et de tous frais administratifs de l"appelante, soit en remettant un chèque directement au destinataire du transfert2.                 

[11]      Le 1er février 1994, le ministre a délivré et signifié à l"intimée la demande péremptoire de paiement3 qui fait l"objet du litige dans le présent appel. Cette demande exigeait de l"intimée qu"elle paie ce qui suit au receveur général au titre de l"obligation du débiteur fiscal:

                 [TRADUCTION]                 
                 a) sans délai, les fonds qui seraient autrement immédiatement payables au débiteur fiscal et que l"[intimée] était tenue de payer;                 
                 b) tous autres fonds autrement payables au débiteur fiscal et que l"[intimée] sera, dans les 90 jours, tenue de payer au fur et à mesure qu"ils deviennent payables;                 
                 c) dans le cas où les fonds visés aux alinéas a) et b) comprennent des intérêts, des loyers, de la rémunération, un dividende, une rente ou tout autre paiement périodique, l"ensemble des paiements de cette nature qui doivent être faits par l"[intimée] au débiteur fiscal (en tout temps pendant ou après les 90 jours) jusqu"à ce que la dette soit éteinte,                 
                 d) les fonds qu"autrement, dans les 90 jours, l"[intimée] prêterait ou avancerait au débiteur fiscal ou paierait en son nom, et que l"[intimée] paierait au titre d"un effet de commerce délivré par le débiteur fiscal.                 

[12]      Par lettre datée du 7 février 19944, l"intimée a répondu à Revenu Canada indiquant qu"elle n"avait pas l"intention de se conformer à la demande péremptoire de paiement. Le même jour, elle a écrit au débiteur fiscal pour l"informer de la réception de la demande et pour lui demander l"autorisation de libérer le REER et d"effectuer le paiement à l"appelante, conformément à cette demande5. Aucune preuve n"indique la nature de la réponse du débiteur fiscal face à cette demande.

[13]      Le 5 Avril 1994, le ministre a délivré un avis de cotisation6 à l"intimée en vertu du paragraphe 224(4.1), cotisant le montant de 13 707.98 $ au motif que celle-ci avait omis de se conformer à la demande péremptoire de paiement du 1er février 1994 et délivrée aux termes du paragraphe 224(1.1) de la Loi.

[14]      Le 4 juillet 1994, l"intimée a produit une opposition7 à l"avis de cotisation pour les raisons suivantes : la relation entre l"intimée et le débiteur fiscal en est une de fiduciaire et de bénéficiaire d"une fiducie, et non pas de créancier et de débiteur; si elle s"était conformée à la demande péremptoire de paiement, l"intimée se serait rendue responsable de dommages envers le débiteur fiscal pour manquement aux obligations du fiduciaire.

[15]      Le 13 janvier 1995, le ministre a délivré un avis de confirmation à l"intimée en vertu du paragraphe 165(3) de la Loi, affirmant que celle-ci était tenue de lui payer le produit du REER du débiteur fiscal en raison de son omission de se conformer à une demande péremptoire de paiement délivrée en vertu du paragraphe 224(1.1).

[16]      Par voie d"avis d"appel amendé daté du 3 avril 19958, l"intimée a interjeté appel auprès de la Cour de l"impôt à l"encontre de l"avis de confirmation de la cotisation du ministre.

[17]      Le 7 novembre 1996, la Cour de l"impôt a rendu un jugement accueillant l"appel avec dépens et annulant la cotisation9. Par voie d"avis d"appel daté du 6 décembre 199610, l"appelante a interjeté appel de ce jugement auprès de la Cour.

Les motifs de la Cour canadienne de l"impôt

[18]      Je remarque d"abord que, malgré le fait que la demande péremptoire de paiement délivrée le 1er février 1994 et les documents subséquents mentionnent les paragraphes 224(1.1) et 224(4.1) de la Loi, le juge de la Cour de l"impôt a correctement désigné les dispositions législatives pertinentes comme étant les paragraphes 224(1) et (4).

[19]      Dans ses motifs, le juge de la Cour de l"impôt a circonscrit la question de la façon suivante :

                 La question en litige est de savoir si l"appelante était tenue de payer conformément à la demande péremptoire de paiement11.                 

[20]      Lors de l"audience devant la Cour de l"impôt, l"intimée a soutenu que le REER a été souscrit à titre de fiducie, dans laquelle l"intimée était fiduciaire et le débiteur fiscal bénéficiaire d"une fiducie. Étant donné qu"aucune relation débiteur-créancier n"existait entre eux, il n"existait aucune dette à laquelle une demande péremptoire de paiement, délivrée en vertu du paragraphe 224(1), pouvait se rattacher. De son côté, l"appelante a soutenu que la relation entre un fiduciaire et le bénéficiaire d"une fiducie n"était pas pertinente aux fins de l"application du paragraphe 224(1) de la Loi vu que cette disposition nécessite seulement la présence d"un montant " payable " par l"intimée au débiteur fiscal pour s"appliquer.

[21]      Le juge de la Cour de l"impôt a porté son attention sur l"argument de l"appelante concernant la signification du mot " payable ". Se fondant sur la décision du juge Krever dans l"arrêt Re Bliss, Kirsh and Doyle et al; Montreal Trust Co. Garnishee12, il a conclu que, dans le cas qui lui était soumis, le REER n"avait pas été liquidé mais bien continué en tant que fiducie, en dépit des instructions données par le débiteur fiscal, et qu"aucune somme n"était payable par l"intimée au débiteur fiscal.

[22]      Il a également conclu que l"intimée, à titre de fiduciaire du REER, n"était pas " une personne tenue de faire un paiement " au débiteur fiscal au sens du paragraphe 224(1) de la Loi, vu que, selon lui, ce paragraphe s"applique seulement à une personne qui a l"obligation de payer une dette. Ainsi, puisque en tant que fiduciaire, l"intimée ne devait rien au débiteur fiscal le 1er février 1994, elle n"était pas tenue de lui faire un paiement au sens du paragraphe 224(1) de la Loi. Il a donc accueilli l"appel de l"intimée avec dépens et annulé la cotisation du ministre.

La législation pertinente

[23]      Les parties pertinentes du paragraphe 146 (1) de la Loi prévoient :

                 146. (1) " régime d"épargne-retraite " - " régime d"épargne-retraite "                 
                 a) Contrat conclu entre un particulier et une personne titulaire d"une licence ou par ailleurs autorisée par la législation fédérale ou provinciale à exploiter au Canada un commerce de rentes aux termes duquel, contre le paiement par le particulier ou son conjoint d"une somme périodique ou autre au titre du contrat, un revenu de retraite est prévu pour le particulier à compter de l"échéance;                 
                 b) arrangement selon lequel un particulier ou son conjoint verse, selon le cas :                 
                      (i) en fiducie à une société titulaire d"une licence ou par ailleurs autorisée par la législation fédérale ou provinciale à exploiter au Canada une entreprise consistant à offrir ses services au public en tant que fiduciaire, un montant périodique ou autre, à titre d"apport en vertu de la fiducie,                 
                 ...                 
                 devant être utilisé, placé ou autrement employé par cette société ou ce dépositaire, selon le cas, en vue d"assurer au particulier, commençant à l"échéance, un revenu de retraite.                 
                 146.(2) Acceptation du régime aux fins d"enregistrement.                 
                 Le ministre n"accepte pas aux fins d"enregistrement pour l"application de la présente loi un régime d"épargne-retraite, à moins que, à son avis, il ne réponde aux conditions suivantes :                 
                 a) le régime ne prévoit, avant son échéance, le versement d"aucune autre prestation qu"un versement au rentier ou un remboursement de primes;                 

[24]      Le paragraphe 146(1) définit ainsi le terme échéance :

                 " échéance " La date fixée en vertu d"un régime d"épargne-retraite pour le commencement d"un revenu de retraite dont le versement est prévu par ce régime.                 

À l"époque concernée, les dispositions pertinentes de l"article 224 de la Loi prévoyaient :

                 224.(1) Dans le cas où le ministre sait ou soupçonne qu"une personne est ou sera, dans les 90 jours, tenue de faire un paiement à une autre personne qui, elle-même, est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi (appelée " débiteur fiscal " au présent paragraphe et aux paragraphes (1.1) and (3)), il peut, par lettre recommandée ou par lettre signifiée à personne, exiger de cette personne que les fonds autrement payables au débiteur fiscal soient en totalité ou en partie versés, immédiatement si les fonds sont alors payables ou, dans les autres cas, au fur et à mesure qu"ils deviennent payables, au receveur général au titre de l"obligation du débiteur fiscal en vertu de la présente loi.                 
                 ...                 
                 (4) Toute personne qui omet de se conformer à une exigence du paragraphe (1), (1.2) ou (3) est tenue de payer à Sa Majesté un montant égal au montant qu"elle était tenue, en vertu du paragraphe (1), (1.2) ou (3), selon le cas, de payer au receveur général.                 

Les questions en litige

[25]      Le présent appel soulève deux questions : en premier lieu, si l"intimée devait se conformer à la demande péremptoire de paiement délivrée et lui ayant été signifiée le 1er février 1994 en vertu du paragraphe 224(1); en deuxième lieu, dans la mesure où c"est le cas, si, en vertu du paragraphe 224(4), elle est tenue de payer à l"appelante le montant qu"elle devait payer au receveur général aux termes de la demande délivrée en application du paragraphe 224(1).

[26]      Le juge de la Cour de l"impôt a examiné seulement la première question. Ayant tranché cette question de façon défavorable à l"appelante, il n"a pas jugé nécessaire d"aborder la seconde.

[27]      Bien que, comme on le verra plus loin, les parties aient fait valoir leurs prétentions et leurs arguments oraux uniquement en ce qui concerne la première question, il ressort clairement, au moins des questions en litige soulevées par l"appelante dans son mémoire, que le débat en appel a porté sur les deux questions.

Les arguments des parties

[28]      L"appelante a avancé quatre arguments au soutien de sa prétention que le juge de la Cour de l"impôt a commis une erreur en accueillant l"appel de l"intimée et en annulant la cotisation du ministre. Premièrement, en tout temps après l"échéance du CPG le 24 février 1993, l"intimée a été une " personne tenue de faire un paiement " au débiteur fiscal, et le produit du REER et du CPG qui a été déposé dans le compte d"épargne à intérêt quotidien était " payable " par l"intimée au débiteur fiscal au sens même du paragraphe 224(1) de la Loi. En conséquence, l"intimée est tenue de payer le montant cotisé en vertu du paragraphe 224(4) en raison de son omission de se conformer à la demande délivrée conformément au paragraphe 224(1) le 1er février 1994. Deuxièmement, à sa face même, ce dernier ne requiert pas l"existence d"une dette de l"intimée envers le débiteur fiscal. Troisièmement, si ce paragraphe nécessitait néanmoins une relation débiteur-créancier, cette relation existait dans le cas présent. De plus, une relation débiteur-créancier peut coexister avec celle de fiduciaire et de bénéficiaire d"une fiducie. Finalement, la véritable nature pratique et commerciale de la relation entre l"intimée et le débiteur fiscal n"était pas celle d"une véritable relation fiduciaire-bénéficiaire d"une fiducie.

[29]      De son côté, l"intimée avance quatre arguments au soutien du jugement frappé d"appel. L"intimée prétend d"abord que le paragraphe 224(1) de la Loi s"applique seulement aux cas où une relation débiteur-créancier existe entre la personne " tenue de faire le paiement " et le débiteur fiscal; deuxièmement, qu"une relation de cette nature n"a jamais existé entre l"intimée et le débiteur fiscal en l"espèce; troisièmement, que l"intimée n"était pas une personne " tenue de faire un paiement " au débiteur fiscal au sens de ce paragraphe de la Loi; et enfin, que l"intimée ne pouvait pas se conformer à la demande péremptoire de paiement du ministre sans encourir de responsabilité pour dommages envers le débiteur fiscal pour manquement à ses obligations de fiduciaire en vertu de la convention intervenue entre elle et le débiteur fiscal.

Analyse

[30]      Dans leurs mémoires et leurs arguments oraux, les avocats des parties ont tenté de fonder leurs prétentions sur des extraits de motifs de jugement tirés d"un certain nombre de décisions publiées dans lesquelles les tribunaux se sont prononcés sur la signification des termes " tenue de faire un paiement " et " payables " se trouvant au paragraphe 224(1) de la Loi. J"aborderai ces décisions plus loin dans les présents motifs. Pour le moment, cependant, il est seulement nécessaire de préciser que ces déclarations des tribunaux ont été faites dans des contextes factuels différents de celui qui nous concerne dans le présent appel.

[31]      Nous avons d"abord à décider, dans le cadre du présent appel, si l"intimée devait se conformer à la demande délivrée en application du paragraphe 224(1) le 1er février 1994. Ensuite, si tel est le cas, nous devons décider si elle est tenue de payer à l"appelante les montants décrits au paragraphe 224(4) en raison de son omission de se conformer à cette demande.

[32]      Si les deux questions reçoivent une réponse affirmative, cela signifie que le ministre a cotisé à bon droit l"intimée et que l"appel devra être accueilli. Si elles reçoivent une réponse négative, le résultat contraire devra se produire.

[33]      À des fins d"utilité, je reproduis de nouveau le texte des paragraphes 224(1) et (4) :

                 224.(1) Dans le cas où le ministre sait ou soupçonne qu"une personne est ou sera, dans les 90 jours, tenue de faire un paiement à une autre personne qui, elle-même, est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi (appelée " débiteur fiscal " au présent paragraphe et aux paragraphes (1.1) and (3)), il peut, par lettre recommandée ou par lettre signifiée à personne, exiger de cette personne que les fonds autrement payables au débiteur fiscal soient en totalité ou en partie versés, immédiatement si les fonds sont alors payables ou, dans les autres cas, au fur et à mesure qu"ils deviennent payables, au receveur général au titre de l"obligation du débiteur fiscal en vertu de la présente loi.                 
                 ...                 
                 (4) Toute personne qui omet de se conformer à une exigence du paragraphe (1), (1.2) ou (3) est tenue de payer à Sa Majesté un montant égal au montant qu"elle était tenue, en vertu du paragraphe (1), (1.2) ou (3), selon le cas, de payer au receveur général.                 

[34]      Au paragraphe 224(1), le Parlement a conféré au ministre le pouvoir discrétionnaire de délivrer une demande péremptoire de paiement par écrit en application de ce paragraphe si les conditions suivantes se trouvent préalablement réunies :

                 a)      le ministre sait ou soupçonne,                 
                 b)      une personne est ou sera, dans les 90 jours, tenue de faire un paiement à un débiteur fiscal,                 
                 c)      le montant doit être payable immédiatement ou dans le futur.                 

[35]      Si ces conditions sont remplies, le ministre peut exiger par écrit de la personne tenue de faire le paiement qu"elle le fasse au receveur général, au titre de l"obligation du débiteur fiscal en vertu de la Loi, immédiatement si les fonds sont alors payables, ou, dans les autres cas, au fur et à mesure qu"ils deviennent autrement payables au débiteur fiscal.

[36]      Le paragraphe 224(4) impose une pénalité pour l"omission de se conformer à la demande péremptoire de paiement. La pénalité est de nature civile et consiste en un montant égal à celui faisant l"objet de la demande présentée en vertu du paragraphe 224(1).

[37]      La question fondamentale à régler est celle de savoir si l"intimée était une personne tenue de faire un paiement au débiteur fiscal le 1er février 1994, date à laquelle les demandes péremptoires de paiement lui ont été signifiées.

[38]      Il faut rappeler qu"à cette date, le CPG était échu depuis presque un an et que le débiteur fiscal avait non seulement donné instruction à l"intimée d"annuler le régime, mais qu"il lui avait aussi demandé d"en déposer le produit dans un compte d"épargne à intérêt quotidien ou de le lui verser directement après en avoir déduit la retenue d"impôt à la source.

[39]      Vu les circonstances, l"intimée est-elle " une personne tenue de faire un paiement " au débiteur fiscal au sens du paragraphe 224(1)? Deuxièmement, le produit du CPG était-il " payable " au débiteur fiscal immédiatement ou dans les 90 jours?

[40]      J"aborde d"abord la question de savoir si l"intimée était " une personne tenue de faire un paiement " au débiteur fiscal au sens du paragraphe 224(1).

[41]      L"arrêt Friesen c. La Reine13 enseigne que la bonne approche à utiliser dans l"interprétation des articles de la Loi est la règle du sens ordinaire. C"est l"approche que je propose de prendre pour interpréter les paragraphes 224(1) et (4) de la Loi.

[42]      Dans ses motifs, le juge de la Cour de l"impôt a accepté l"argument de l"intimée selon lequel le paragraphe 224(1) se serait appliqué seulement s"il avait été démontré qu"une relation débiteur-créancier existait entre l"intimée et le débiteur fiscal. Il a expliqué son opinion dans l"extrait suivant de ses motifs14 :

                 Les mots " tenue " et " obligation " montrent l"existence d"un statut de débiteur, la personne qui est tenue de payer étant le débiteur. Une personne qui est tenue de payer a la qualité de débiteur et , vice versa, la personne à laquelle elle est tenue de faire le paiement est sa créancière. En ce qui concerne le paragraphe 224(1), la personne doit être celle qui est tenue de faire un paiement et non une personne qui fera un paiement autrement qu"en vertu d"une obligation de le faire. Ici encore, cela ajoute foi à la thèse selon laquelle la personne qui fait le paiement est une débitrice. En l"espèce, cette relation n"existe pas étant donné que l"appelante n"était pas tenue de faire un paiement au débiteur fiscal.                 

[43]      Il en serait venu à cette conclusion en se fondant sur un passage des motifs prononcés par le juge en chef Stratton, qui s"est exprimé au nom de la cour dans l"arrêt DeConinck c. Trust Royal du Canada15. Je reproduis en entier le paragraphe, se trouvant à la page 183 de la décision citée, que le juge de la Cour de l"impôt a mis en évidence :

                 À mon avis, il est difficile de distinguer l"affaire Morgan Trust Co. de la présente affaire. En outre, avec égards, je ne puis souscrire à la conclusion que le juge de première instance a tirée en l"espèce, à savoir qu"un fiduciaire qui détient des fonds pleinement dévolus au bénéficiaire de la fiducie serait une personne " tenue de faire un paiement " conformément au paragraphe 224(1) de la Loi de l"impôt sur le revenu . Je crois plutôt que tant que le bénéficiaire de la fiducie ne demande pas au fiduciaire de verser le produit du REER, ce qu"il peut faire, mais qu"il n"est pas tenu de faire, en vertu de la règle énoncée dans le jugement Saunders v. Vautier (1841), E.R. 482, aucun fonds ne lui est payable et le fiduciaire n"est pas tenu de lui faire un paiement au sens du paragraphe 224(1) de la Loi. Par conséquent, à mon avis, la demande de paiement qui a été faite conformément au paragraphe 224(1) de la Loi de l"impôt sur le revenu ne constitue pas une autorisation suffisante pour que le Trust Royal mette fin au REER de M. DeConinck et verse le produit net à Revenu Canada.                 

[44]      Dans son mémoire et lors de ses représentations, l"avocat de l"intimée a invoqué avec insistance ce passage ainsi que les autres arrêts de jurisprudence cités dans le mémoire.16

[45]      J"ai lu attentivement chacune de ces décisions. Bien qu"elles apportent un éclairage sur la question de savoir si les fonds placés dans un REER sont conservés en fiducie, j"estime toutefois qu"elles ne sont d"aucune utilité à l"intimée en l"espèce. En premier lieu, ces décisions, comme celle rendue dans l"affaire Re Bliss, Kirsh and Doyle et al, précitée, qui ont été rendues dans le cadre de la législation provinciale en matière de saisie-arrêt, portaient sur la question de savoir s"il existait des [TRADUCTION] " créances échues et à échoir " dont est redevable le débiteur judiciaire. En deuxième lieu, contrairement au cas présent, dans aucune de ces décisions le débiteur n"avait-il expressément donné instruction au fiduciaire d"annuler le régime et ordonné que le produit lui soit remis. Dans l"ensemble de ces cas, il pourrait être approprié de dire, comme le juge de la Cour de l"impôt l"a fait en l"espèce, que " les mots " tenue " et " obligation " montrent l"existence d"un statut de débiteur, la personne qui est tenue de payer étant le débiteur ". Mais, ce n"est pas ce que le texte même du paragraphe 224(1) exige.

[46]      Le sens ordinaire du mot " tenu " dans un contexte juridique est d"indiquer le fait qu"une personne est responsable en droit17. Aussi, je partage l"opinion de madame le juge McLachlin, lorsque, dans l"arrêt Discovery Trust Company v. Abbott et al ,18 un cas où une demande délivrée en vertu du paragraphe 224(1) a été signifiée à un fiduciaire, elle a dit que :

                 [TRADUCTION]                 
                 ... la demande aux tierces parties [la demande péremptoire de paiement du paragraphe 224(1)] par laquelle la réclamation de la Couronne est faite en l"espèce n"est pas restreinte aux cas de relation débiteur-créancier, comme l"est une ordonnance de saisie-arrêt; elle est rédigée de manière à s"appliquer à tout cas où le fiduciaire est " tenu de faire un paiement au contribuable ".                 
                      [non souligné dans l"original]                 

[47]      Je suis donc d"avis que le juge de la Cour de l"impôt a commis une erreur de droit en restreignant l"application des termes " tenue de faire un paiement " aux seuls cas où une relation débiteur-créancier existe. En raisonnant de la sorte, il s"est empêché d"examiner la seule question pertinente devant être considérée dans l"interprétation de ce paragraphe. Il s"agit de la question suivante : l"intimée avait-elle en droit la responsabilité de faire un paiement au débiteur fiscal le 1er février 1994?

[48]      Pour les motifs ci-après exposés, j"estime que l"intimée avait cette responsabilité.

[49]      Je crois qu"il est utile de reproduire ici des extraits de la convention contenant les modalités du REER du débiteur fiscal auprès de l"intimée19 :

                 [TRADUCTION]                 
                 Votre régime d"épargne-retraite de la National Trust Company consiste en la présente convention et une demande assujettie aux conditions suivantes :                 
                 a)      La demande est remplie et signée par vous, le " rentier " ou le " détenteur du régime ".                 
                 b)      La demande dûment remplie et signée est acceptée par un représentant autorisé de la National Trust Company, agissant à titre de fiduciaire du régime (nous), et                 
                 c)      La demande et la convention sont acceptées aux fins d"enregistrement par les autorités fiscales aux termes de la Loi de l"impôt sur le revenu du Canada et de toute Loi de l"impôt sur le revenu provinciale (lesquelles sont appelées dans le présent document " la législation fiscale applicable ").                 
                 . . .                 
                      Pendant toute la période où le présent régime demeure un régime d"épargne-retraite, il constitue une fiducie au sens de la législation fiscale applicable. L"actif et les revenus provenant du régime ne peuvent pas être donnés en gage, cédés ou autrement grevés.                 
                 . . .                 

    

                      En tant que détenteur du régime, vous et toute personne avec qui vous avez un lien de dépendance n"avez droit à aucun prêt, avantage ou considération spéciale autre que ceux prévus par l"alinéa 146(2)(C.4) de la Loi de l"impôt sur le revenu du Canada.                 

                 . . .                 
                      Les contributions qui nous sont faites pour votre régime seront investies (et réinvesties lorsqu"il y aura lieu) selon vos instructions écrites dans les véhicules de placement offerts périodiquement par nous pour votre régime.                 
                 . . .                 
                      L"échéance d"un régime enregistré d"épargne-retraite signifie sa conversion en un placement qui va procurer un " revenu de retraite " sous forme de rente et/ou de revenu de fonds de régime enregistré. Un revenu de retraite sous forme de rente doit procurer des paiements égaux annuels ou selon une fréquence plus courte jusqu"à paiement total ou à la commutation partielle de cette rente, et lorsque cette commutation est partielle, des paiements égaux annuels ou selon une fréquence plus courte par la suite. En cas de décès, la valeur commutée de tout solde payable à titre de rente peut être payée au bénéficiaire désigné ou à votre succession. Dans le cas où des paiements continuent d"être faits après votre décès, les paiements d"une année ne peuvent excéder l"ensemble des paiements faits dans l"année précédant votre décès.                 
                 . . .                 
                      Comme la législation fiscale applicable le permet, vous pouvez, sur préavis écrit de trente (30) jours, retirer la totalité ou une partie de l"actif de votre régime. Tout retrait est assujetti aux conditions des placements dans le régime ainsi qu"à toute retenue d"impôt à la source, conformément à la législation fiscale applicable.                 

[50]      Il n"est pas contesté en l"espèce que la convention vise la création d"une fiducie, en vertu de laquelle le débiteur fiscal est le constituant et le bénéficiaire d"une fiducie et l"intimée est le fiduciaire. La convention est aussi un contrat dans lequel les droits et obligations des parties sont spécifiés.

[51]      Il faut remarquer que la convention donne au débiteur fiscal, à titre de constituant et de bénéficiaire d"une fiducie, le droit, pouvant être exercé à sa discrétion, de retirer l"ensemble ou une partie du patrimoine de la fiducie sur préavis écrit de trente jours à l"intimée.

[52]      Voici un extrait de la lettre que le débiteur fiscal a envoyée le 24 février 1993 au bureau de Winnipeg de l"intimée20 :

                 [TRADUCTION]                 
                 Pour faire suite à notre récente conversation téléphonique au sujet du régime susmentionné, je confirme les instructions que je vous ai données précédemment de procéder à sa liquidation, de déduire le montant requis de retenue d"impôt à la source et de me verser directement le produit net...                 

[53]      Après avoir informé l"intimée qu"elle ne devait effectuer aucun paiement à Revenu Canada car, à son avis, le REER ne pouvait faire l"objet d"une demande péremptoire de paiement en application du paragraphe 224(1), la lettre se poursuivait ainsi :

                 [TRADUCTION]                 
                 En conséquence, je comprends que mes instructions originales seront suivies. D"ici à ce que mes instructions aient été mises en oeuvre, veuillez maintenir mon R.E.E.R. et convertir le type d"épargne d"un C.P.G. à un compte d"épargne à intérêt quotidien, ce qui donne la souplesse de mettre fin au régime à toute date choisie.                 
                 Je suis prêt à vous fournir un cautionnement à titre de garantie supplémentaire.                 
                 Subsidiairement, je veux que le produit du régime soit utilisé pour rembourser les prêts suivants :                 
                 1) Prêt No 3633737;                 
                 2) Prêt No 3986059;                 
                 3) Compte au solde négatif.                 
                 ...                 
                 Comme vous le savez, la présente demande péremptoire de paiement échoit le 27 avril 1993. Si rien n"est fait d"ici à cette date, je vous donne instruction de mettre fin au régime le 28 avril 1993 et de m"en verser sans délai le produit.                 

[54]      Des instructions similaires ont été envoyées au bureau de Stratford de l"intimée au moyen d"une lettre datée du 8 mars 199321.

[55]      Le paragraphe 25 de l"exposé conjoint des faits énonce que la pratique de l"intimée était d"accéder à des demandes de la nature de celle faite par le débiteur fiscal, soit de procéder à la liquidation du REER et de remettre les fonds au détenteur, et que l"intimée aurait procédé de cette manière si Revenu Canada ne lui avait pas signifié la demande péremptoire de paiement. Il est vrai que cette pratique n"entraîne aucune obligation légale d"effectuer quelque paiement que ce soit de la part de l"intimée. Cependant, il s"agit d"un élément contextuel qui ne peut être passé sous silence dans le cadre du présent appel.

[56]      Les instructions du débiteur fiscal étaient claires. Après l"échéance du CPG, il désirait recevoir le produit net du REER pour l"utiliser et en disposer comme bon lui semblait. Avec égards pour le juge de la Cour de l"impôt, je suis incapable de trouver quelque ambiguïté ou contradiction que ce soit dans ces instructions.

[57]      Le débiteur fiscal avait un droit contractuel, susceptible d"exécution, de se faire verser le produit net. L"intimée avait une obligation réciproque de lui faire le paiement requis. Je suis d"avis que cette obligation légale suffisait pour que l"intimée devienne " une personne tenue de faire un paiement " au débiteur fiscal au sens du paragraphe 224(1).

[58]      Cette opinion est appuyée par l"avant-dernière phrase de l"extrait tiré de l"arrêt DeConinck, précité, dont il a été question plus tôt. Je reproduis de nouveau cette phrase pour mieux l"illustrer :

                 Je crois plutôt que tant que le bénéficiaire de la fiducie ne demande pas au fiduciaire de verser le produit du REER, [...] aucun fonds ne lui est payable et le fiduciaire n"est pas tenu de lui faire un paiement au sens du paragraphe 224(1) de la Loi.                 

[59]      Voir les arrêts Hutterian Brethren Church of Smoky Lake et al. v. Provincial Treasurer (Alta.) et al22, qui sont au même effet.

[60]      Pour ces motifs, je conclus que l"intimée était une personne " tenue de faire un paiement " du produit du REER au débiteur fiscal au sens du paragraphe 224(1) de la Loi.

[61]      J"aborde maintenant la question de savoir si le produit était " payable " au sens du paragraphe 224(1). J"estime que cette question est régie par l"arrêt DeConinck, précité, et par la décision rendue par la Cour dans l"arrêt Canada c. Yannelis23, dans laquelle le juge Stone, s"exprimant au nom de la Cour, a affirmé, à la page 636 :

                 Le mot " payable " n"est pas un mot technique. Il n"est pas non plus défini dans le Règlement. Je ne vois pas qu"il a été utilisé dans un sens spécial. J"estime donc qu"il devrait être interprété à la lumière des définitions lexicographiques.                 

[62]      et à la page 638 :

                 Je suis parvenu à la conclusion que le mot " payable " figurant au sous-alinéa 58(8)b)(i) [de la Loi sur l"assurance-chômage] renvoie au moment où la paye de vacances est due à un prestataire en ce sens qu"il peut, par son contrat de travail et par la règle générale, se la faire payer et que son employeur est tenu de la verser. Autrement dit, elle est payable lorsqu"un demandeur est en mesure, sur le plan juridique, de faire exécuter le paiement.                 

[63]      À la lumière de ces précédents, je suis d"avis que le produit du REER était payable au débiteur fiscal au moment où ce dernier a demandé le paiement après l"échéance du CPG.

[64]      En conséquence, lorsque le ministre a, le 1er février 1994, délivré et signifié à l"intimée la demande visée par le paragraphe 224(1), il a satisfait aux trois conditions préalables auxquelles j"ai déjà fait référence. La demande péremptoire de paiement était donc valide et l"intimée devait s"y conformer.

[65]      L"intimée, en tant que " personne tenue de faire un paiement " au débiteur fiscal au sens du paragraphe 224(1), avait l"obligation, en vertu de ce paragraphe, de payer le produit du REER au receveur général au titre de l"obligation du débiteur fiscal. Par lettre datée du 7 février 199424, l"intimée a expressément refusé de se conformer à la demande péremptoire de paiement.

[66]      Dans les circonstances, l"intimée n"ayant pas fait valoir d"explication ou de motif de dispense de nature à lui éviter l"application du paragraphe 224(4), je conclus que le ministre avait raison de la cotiser comme il l"a fait et que le juge de la Cour de l"impôt a commis une erreur en tirant la conclusion contraire.

[67]      Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivé sur les questions particulières faisant l"objet du présent appel, je ne juge pas nécessaire de me pencher sur les questions plus générales soulevées par l"appelante, comme celles de savoir si la fiducie créée par la convention constitue une " véritable fiducie ", si une fiducie et une dette peuvent co-exister, et quelle est la nature pratique et commerciale d"un REER.

[68]      Je suis donc d"avis d"accueillir l"appel avec dépens dans les deux Cours, d"annuler le jugement rendu le 7 novembre 1996 par la Cour de l"impôt, et de maintenir la cotisation du ministre.

                                 " Julius A. Isaac "

     Juge en chef

" Je souscris aux présents motifs.

Le juge A.M. Linden, J.C.A. "

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M


Date : 19980703


Dossier : A-969-96

CORAM:      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE McDONALD

ENTRE


SA MAJESTÉ LA REINE,


appelante,

et


NATIONAL TRUST COMPANY,


intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE McDONALD

[1]      J"ai lu les motifs du juge en chef et, bien que je sois en accord avec sa conclusion, je préfère exposer les motifs pour lesquels j"en suis moi-même arrivé à cette conclusion. Bien que je sois d"avis que le paragraphe 224(1) s"applique à l"intimée pour les motifs exposés par le juge en chef, je considère qu"il est nécessaire de clarifier ce que j"estime être l"application limitée de ce paragraphe en matière de relation fiduciaire/bénéficiaire d"une fiducie ainsi que d"exprimer mes réserves face au fait de placer un fiduciaire dans la situation inconfortable de devoir manquer à ses obligations de fiduciaire envers un débiteur fiscal afin de se conformer à une demande péremptoire de paiement délivrée en vertu du paragraphe 224(1) de la Loi.

[2]      Comme l"intimée le fait remarquer, il existe un argument solide selon lequel, étant donné les obligations en équité incombant à un fiduciaire, le paragraphe 224(1) devrait être restreint à une relation créancier-débiteur, sauf disposition expresse prévoyant qu"il s"applique à un fiduciaire. Ce type de langage clair se retrouve à l"alinéa 153(1)(l) de la Loi25. Pour ce motif, j"aurais aimé restreindre l"application du paragraphe 224(1) aux cas de relation créancier-débiteur comme le juge de la Cour de l"impôt l"a fait.

[3]      Le libellé de cette disposition est large et englobe la relation fiduciaire/bénéficiaire d"une fiducie. J"estime que la restreindre aux cas de relation créancier-débiteur équivaudrait à faire fi de sa portée. Toutefois, lorsqu"à l"avenir des situations obligeant un fiduciaire à manquer à son obligation à ce titre se présenteront, il serait utile que la loi énonce clairement que tels en étaient l"intention et le résultat recherché. Si la perception des impôts est de la plus haute importance, il en est de même pour la préservation de la relation fiduciaire/bénéficiaire d"une fiducie que, faut-il le souligner, l"intimée a toujours cherché à protéger.

[4]      J"insiste sur le fait que l"application de ce paragraphe à un fiduciaire est limitée. La seule raison pour laquelle l"intimée est assujettie à l"application du paragraphe 224(1) est que le débiteur fiscal a donné instruction au fiduciaire de lui verser directement le produit de son REER et que cette instruction a été donnée lors de la période de 90 jours suivant la réception par l"intimée de la lettre faisant état de la demande de Revenu Canada. L"intimée est donc devenue une personne tenue de faire un paiement au débiteur fiscal. Si les conditions de la fiducie interdisaient au débiteur fiscal d"en toucher le montant, l"intimée ne serait pas assujettie au paragraphe 224(1). De même, s"il n"y avait eu aucune demande de paiement de la part du débiteur fiscal, l"intimée n"aurait pas l"obligation de faire un paiement puisque ce paragraphe ne s"appliquerait pas. Ce raisonnement est compatible avec la décision rendue par la Cour d"appel du Nouveau-Brunswick dans l"affaire DeConinck c. Royal Trust Corporation of Canada [1989] 1 C.T.C. 179 (C.A.N.-B.). Dans cette affaire, le juge Stratton, s"exprimant au nom de la Cour, affirme, à la page 183 :

                 Je ne puis souscrire à la conclusion que le juge de première instance a tirée en l"espèce, à savoir qu"un fiduciaire qui détient des fonds pleinement dévolus au bénéficiaire de la fiducie serait une personne " tenue de faire un paiement " conformément au paragraphe 224(1) de la Loi de l"impôt sur le revenu . Je crois plutôt que tant que le bénéficiaire de la fiducie ne demande pas au fiduciaire de verser le produit du REER, ce qu"il peut faire, mais qu"il n"est pas tenu de faire, en vertu de la règle énoncée dans le jugement Saunders v. Vautier (1841), E.R. 482, aucun fonds ne lui est payable et le fiduciaire n"est pas tenu de lui faire un paiement au sens du paragraphe 224(1) de la Loi.                 

[5]      La même conclusion a été tirée dans la décision Morgan Trust Corporation v. Dellelce [1985] 2 C.T.C. 370 où le juge Gratton, de la Cour suprême de l"Ontario, a conclu, à la page 373:

                 [TRADUCTION]                 
                 Je suis d"avis qu"étant donné que le fiduciaire ne détient aucun fonds qu"il serait tenu de payer au débiteur dans les 90 jours, il n"existe aucune obligation de verser des sommes ni de vendre des éléments d"actif que le fiduciaire détient au nom de Dellelce conformément à l"acte de fiducie. En conséquence, la seule obligation présente en l"espèce est de répondre au bureau de l"impôt afin d"éviter toute obligation aux termes du paragraphe 224(4) de la Loi. Cependant, si, pendant la période de 90 jours, Morgan Trust avait été tenue de faire des paiements au débiteur, le fiduciaire aurait alors été obligé de verser ces sommes à Revenu Canada.                 

[6]      Je souligne également que le paragraphe 224(1) signifie qu"un fiduciaire est assujetti à cette disposition seulement si le paiement demandé est effectué directement au débiteur fiscal et non pas à quelqu"un d"autre. La partie pertinente de ce paragraphe prévoit : " Dans le cas où le ministre sait ou soupçonne qu"une personne est ou sera, dans les 90 jours, tenue de faire un paiement à une autre personne qui, elle-même, est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi ... ". Comme le juge en chef le fait remarquer dans ses motifs, les instructions du débiteur fiscal en l"espèce étaient de lui verser directement le produit. Ainsi, le paragraphe s"appliquait.

[7]      La conclusion regrettable à laquelle mène le cas présent est donc que l"intimée est responsable envers le gouvernement pour avoir refusé de manquer à ce qu"elle croyait être son obligation de fiduciaire vis-à-vis du débiteur fiscal.

[8]      Je suis d"avis, mais avec réticence, de décider de l"appel de la façon exposée par le juge en chef.

                                     " F.J. McDonald "

                                             J.C.A.                                          

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D"APPEL


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              A-969-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SA MAJESTÉ LA REINE c. NATIONAL TRUST

                     COMPANY

LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto

DATE DE L"AUDIENCE :          Le 20 janvier 1998

MOTIFS DU JUGEMENT

PRONONCÉS PAR :          Le juge en chef

Y A SOUSCRIT :              Le juge Linden

MOTIFS CONCORDANTS

PRONONCÉS PAR :          Le juge McDonald

EN DATE DU :              3 juillet 1998

COMPARUTIONS :

Me Livia Singer                              POUR L"APPELANTE

Me Geza R. Banfai                              POUR L"INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                      POUR L"APPELANTE

Geza R. Banfai                              POUR L"INTIMÉE

__________________

1 L.R.C. (1985), ch.1, (5e suppl.), et modifications (la Loi).

2 Dossier d"appel, p. 65.

3 Dossier d"appel, p. 11.

4      Dossier d"appel, p. 12.

5      Dossier d"appel, p. 13.

6 Dossier d"appel, p. 41.

7 Dossier d"appel, p. 43.

8 Dossier d"appel, p. 26.

9 Dossier d"appel, p. 97.

10 Dossier d"appel, p. 107

11 Dossier d"appel, p. 101.

12 (1984) 44 O.R. (2d) 129 ( H.C.J. Ont.).

13 [1995] 3 R.C.S. 103, à la p. 113.

14 Dossier d"appel, p. 104.

15 (1988) 90 N.B.R. (2d) 321 (C.A.N.B.).

16 Bélair, Compagnie d'Assurances c. Canada 94 D.T.C. 642 (C.C.I.); Manufacturers Life      Insurance Co. c. Canada (Ministre du Revenu national - MRN), 91 D.T.C. 1055 (C.C.I.);      Saskatchewan Government Insurance v. Canada, (1992) 101 Sask. R. 166 (Q.B.); Delaire      v. Delaire, [1996] 9 W.W.R., 469 (B.R. Sask.); Re McMahon and Canada Permanent Trust      Co., (1979), 108 D.L.R. (3d) 71 (C.A.C.-B.); Re Bliss, Kirsh and Doyle et al; Montreal Trust      Co., Garnishee, (1984), 44 O.R. (2d) 129 (H.C.J. Ont.); Vancouver A & W Drive-Ins Ltd.      v. United Food Services Ltd. et al; A & W Food Services of Can. Ltd. v. Komarnisky, (1981),      13 B.C.L.R. 89 (C.S.C.-B.); Re Morgan Trust Company and Dellelce et al, 85 D.T.C. 5492      (Ont. C.S.).

17      Littlewood v. Wimpey and Co. Ltd. [1953] 2 All E.R. 915, à la p. 921, par le lord juge Denning

18      [1982] 38 B.C.L.R. 55, à la p. 56 (.S.C.B.C.).

19      Dossier d"appel, page 10.

20      Dossier d"appel, p. 81 et 82.

21      Dossier d"appel, p. 83 et 84.

22      80 D.T.C. 6228 (C.A. Alb.).

23      80 D.T.C. 6228 (C.A. Alb.), (1995) 130 D.L.R. (4th) 632 (C.A.F.).

24      Dossier d"appel, p. 92.

          Le paragraphe 153(1) prévoit que " Toute personne qui verse au cours d"une année              d"imposition l"un des montants suivants :l) un paiement fait dans le cadre d"un fond enregistré de revenu de retraite ou d"un fonds appelé " fonds modifié " au paragraphe 146.3(11);      doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires      et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général      au titre de l"impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l"année en vertu de la      présente partie ou de la partie XI.3. Toutefois, lorsque la personne est visée par      règlement à ce moment, la somme est versée au compte du receveur général dans      une institution financière, au sens du paragraphe 190(1), compte non tenu des          alinéas d) et e) de la définition de cette expression ".

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