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                                                                                                                     A-973-96

 

 

                       OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 19 JUIN 1997

 

 

CORAM :LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROBERTSON

 

 

ENTRE :

 

 

                                                SAHAR ELGUINDI,

 

                                                                                                                   appelante,

 

 

                                                              - et -

 

 

                             CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) et

                                         DIRECTEUR DU BUREAU

                      DE LA SURVEILLANCE DES MÉDICAMENTS,

 

                                                                                                                       intimés.

 

 

 

                                                       JUGEMENT

 

 

 

            L'appel est rejeté.

 

 

 

 

 

 

                                                                                           « Alice Desjardins »      

                                                                                                                          J.C.A.

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme :                                  

 

François Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

                                                                                                                     A-973-96

 

 

CORAM :LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROBERTSON

 

 

ENTRE :

 

 

                                                SAHAR ELGUINDI,

 

                                                                                                                   appelante,

 

 

                                                              - et -

 

 

                             CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) et

                                         DIRECTEUR DU BUREAU

                      DE LA SURVEILLANCE DES MÉDICAMENTS,

 

                                                                                                                       intimés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Appel entendu à Toronto (Ontario), le mardi 29 avril 1997.

 

 

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le jeudi 19 juin 1997.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :   LE JUGE DESJARDINS

 

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LINDEN

 

                                                                                        LE JUGE ROBERTSON


 

 

 

 

 

                                                                                                                     A-973-96

 

 

CORAM :LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROBERTSON

 

 

ENTRE :

 

 

                                                SAHAR ELGUINDI,

 

                                                                                                                   appelante,

 

 

                                                              - et -

 

 

 

                             CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) et

                                         DIRECTEUR DU BUREAU

                      DE LA SURVEILLANCE DES MÉDICAMENTS,

 

                                                                                                                       intimés.

 

 

 

                                           MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

 

LE JUGE DESJARDINS

 

            Il s'agit d'un appel d'un jugement par lequel la Section de première instance a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l'appelante, relativement à une décision rendue le 4 janvier 1996 par M. L.B. Rowsell, en sa qualité de directeur du Bureau de la surveillance des médicaments (le « Bureau »), en exécution de l'article 30 et des alinéas 47b), 48b) et 50d) et e) du Règlement sur les stupéfiants[1] le (« Règlement ») adopté sous le régime de la Loi sur les stupéfiants[2]. Le directeur a soutenu que l'appelante, pharmacienne autorisée, avait, à titre de directrice d'une pharmacie exploitée par Meditrust Health Care Services Ltd., omis de faire état de stupéfiants manquants entre le 23 mars et le 3 novembre 1994. Il a fait savoir à l'appelante qu'après avoir consulté l'Ordre des pharmaciens de l'Ontario (l'« Ordre »), il était sur le point d'envoyer aux pharmaciens de l'Ontario et aux distributeurs autorisés des avis les informant qu'ils ne pouvaient fournir aucun médicament contenant des stupéfiants à l'appelante si celle-ci en commandait.

 

            L'intimé, le ministre de Santé nationale et Bien-être social Canada, a délégué le pouvoir de donner des avis d'interdiction en vertu de la Loi sur les stupéfiants et du Règlement sur les stupéfiants au sous-ministre adjoint, au directeur général de la Direction des médicaments ainsi qu'au directeur du Bureau des drogues dangereuses, lequel relève de la direction des médicaments[3]. Le second intimé est le directeur du Bureau de la surveillance des médicaments, autrefois appelé Bureau des drogues dangereuses, et il s'agit du secteur qui, au sein de Santé nationale et Bien-être social Canada, est chargé d'appliquer la législation régissant l'utilisation des stupéfiants et des drogues contrôlées au Canada.

 

            La présente affaire soulève des questions d'équité procédurale. Les faits, étant d'une importance considérable, seront exposés en détail, et figurent, pour la plupart, dans les motifs de jugement du juge des requêtes.

 

Les faits

 

            L'appelante est titulaire d'un baccalauréat ès sciences (pharmacie, 1988) et d'une maîtrise ès sciences (pharmacie, 1990). Après avoir terminé ses études à la faculté de pharmacie, l'appelante est devenue propriétaire d'une petite pharmacie, la Seaway Pharmacy, jusqu'en août 1993. Durant cette période, l'Unité de contrôle des médicaments (UCM), qui relève du Bureau de la surveillance des médicaments, a vérifié le stock de stupéfiants et constaté la disparition d'un certain nombre de comprimés d'Oxycocet et d'Oxycodan. Huit pharmaciens travaillaient à la pharmacie, et, semble-t-il, leur ancien employeur avait surpris deux d'entre eux en train de voler des produits pharmaceutiques. L'appelante a aussitôt pris des mesures pour rectifier la situation et elle y est parvenue à la satisfaction provisoire de l'UCM. En août 1993, l'appelante a vendu la Seaway Pharmacy.

 

            L'appelante a commencé à travailler comme pharmacienne à la Meditrust Pharmacy en février 1994. La Meditrust est une pharmacie qui ne traite que des commandes postales, et elle exerce ses activités sur une grande échelle. L'appelante a été directrice de la Meditrust du 25 mars 1994 au 1er ou 3 novembre 1994. Son emploi auprès de la Meditrust a pris fin le 9 mars 1995, à la suite d'une réorganisation de la société.

 

            Juste avant que l'appelante exerce ses fonctions de directrice de la pharmacie, mais pendant qu'elle était au service de la Meditrust, le directeur de l'époque a signalé la disparition de 700 comprimés de Percocet à un inspecteur de l'UCM, M. Aron Wolfson. Le Bureau n'a pris aucune autre mesure. À deux reprises, à l'époque où elle était directrice de la pharmacie, l'appelante a rencontré des représentants de l'Ordre pour discuter des pratiques pharmaceutiques douteuses qui avaient cours à la Meditrust.

 

            Les fonctions de l'appelante en tant que directrice de la pharmacie à la Meditrust ont pris fin le 1er ou le 3 novembre 1994. Entre le 4 et le 7 novembre suivants, la Meditrust a procédé à un dénombrement des stupéfiants : il manquait environ un millier de comprimés d'Oxycocet, 500 comprimés d'Oxycodan, 200 comprimés de Percocet et 200 capsules de Percodan. Le 9 novembre 1994, le vice-président des activités pharmaceutiques de la Meditrust pour l'Ontario et l'appelante ont envoyé une lettre à l'UCM pour l'informer de la quantité manquante constatée. Ils ont assuré l'UCM que l'on dénombrerait régulièrement les stocks et qu'un système d'accès à enregistrement chronologique serait installé, de même qu'une caméra de surveillance.

 

            L'UCM a vérifié l'inventaire des stupéfiants dressé par la Meditrust entre le 7 et le 9 mars 1995. Sur les douze médicaments vérifiés, les vérificateurs ont signalé des quantités manquantes pour les huit médicaments suivants dans leur rapport sur la perte ou le vol de stupéfiants et de drogues contrôlées :

 

1 968 comprimés de 50 mg de Demerol

111 ml. de Demerol en suspension

712 capsules de Fiorinal c1⁄2

4 461 comprimés d'Oxycocet (sans oublier que la disparition

                                de 700 comprimés avait déjà été signalée)

2 163 comprimés d'Oxycodan

1 000 comprimés de Percocet (chiffre réglé à 200 à l'audience)

800 comprimés de Percodan

200 comprimés de 200 mg de MS Contin

 

            L'enquête a également permis de découvrir que l'appelante n'avait pas consigné trois lots de stupéfiants dans le registre des stupéfiants et des drogues contrôlées, comme l'exigeait l'article 30 du Règlement sur les stupéfiants. C'est ce qu'avait découvert l'inspecteur, M. Wolfson, qui avait obtenu de la Medis - le distributeur de stupéfiants de la Meditrust - une copie des factures que l'appelante avait signées.

 

            Le 18 avril 1995, M. Jean-Marc Charron, chef de la Division de l'inspection des drogues et de l'hygiène du milieu pour l'Ontario, a envoyé à l'appelante une lettre l'informant des quantités manquantes découvertes par l'enquête. Il a été établi clairement que les quantités manquantes susmentionnées avaient été rajustées pour tenir compte de la période durant laquelle l'appelante était autorisée à commander par écrit des stupéfiants, c'est-à-dire du 23 mars au 3 novembre 1994.


            Le passage pertinent de la lettre adressée à l'appelante est le suivant[4] :

 

[TRADUCTION]

[...]

Nos représentants, MM. Aaron Wolfson et Aaron Leung, ont procédé à une inspection à la Meditrust Pharmacy Inc., sise au n° 140 de l'avenue Wendell, à North York, les 7, 8 et 9 mars 1995. Un rapport écrit sur cette visite a été présenté. Étant donné que ce dernier comporte des renseignements fort inquiétants, je suis obligé de vous écrire.

 

Il est signalé qu'entre le 23 mars et le 3 novembre 1994, les quantités suivantes de médicaments manquaient :

 

Comprimés d'Oxycocet3 925

Comprimés d'Oxycodan2 063

Comprimés de Percocet  200

Comprimés de Percodan  200

Capsules de Fiorinal C 1⁄2  654

Demerol1 256

Comprimés de 200 mg de MS Contin  200

 

Comme vous pouvez le constater, ces dates sont importantes car elles englobent la période durant laquelle vous étiez autorisée à commander par écrit des stupéfiants et des drogues contrôlées chez la Meditrust. Il n'existait pas d'inventaire de départ disponible à partir du 23 mars, mais des dénombrements faits devant témoins les 4 et 7 novembre ont été remis à nos inspecteurs. Fait intéressant, une vérification menée pour la période du 4 novembre au 7 mars 1995 n'a relevé aucun écart.

 

Il est reconnu qu'une lettre, signée de votre main et de celle de M. Neil Donald, vice-président des activités pharmaceutiques en Ontario, a été envoyée à notre bureau le 9 novembre 1994, signalant une partie de ces pertes et proposant des améliorations à la façon dont sont traités les stupéfiants et drogues contrôlées chez la Meditrust. Cependant, l'enquête que nous avons nous-mêmes menée a manifestement relevé des pertes plus importantes.

 

Les règlements d'application de la Loi sur les stupéfiants et de la Loi sur les aliments et drogues précisent qu'un pharmacien doit être en mesure de rendre compte de tous les stupéfiants et drogues contrôlées dont il a la responsabilité. Lorsque le pharmacien est incapable de le faire, la loi accorde au ministre le pouvoir de retirer au pharmacien ses privilèges en matière d'achat et de manutention de ces substances.

 

Il a également été constaté que le nom et la quantité de stupéfiants et drogues contrôlées qui avaient été reçus n'avaient pas tous été consignés dans le registre prévu à cette fin, contrairement aux dispositions des articles 30 et G.03.001 du Règlement sur les stupéfiants et du Règlement sur les aliments et drogues, respectivement. Sur les envois en question que vous avez vous-même signés suivant les copies que la Médis nous a fournies, trois contenaient des médicaments qui faisaient partie des déficits susmentionnés.

 

Avant d'envisager toute autre mesure, nous vous demandons d'accuser réception de la présente en déclarant que vous l'avez lue et que vous la comprenez. Veuillez également nous fournir des explications ou des observations au sujet de ces quantités manquantes.

 

Vu l'importance du problème, notre bureau transmettra une copie de la présente lettre, ainsi que toute lettre subséquente, au registraire de l'Ordre des pharmaciens de l'Ontario.

 

Nous nous attendons à ce que vous vous occupiez sans délai de cette affaire, et nous attendons une réponse écrite de votre part avant le 11 mai 1995 au plus tard.

 

            L'appelante a répondu par lettre le 24 avril 1995. Elle n'a pas nié qu'il manquait des médicaments, mais a indiqué qu'à la Meditrust on exerçait un contrôle insuffisant sur les stupéfiants. Dans la lettre, l'appelante a fait état d'incidents de vol d'argent et d'objets non pharmaceutiques et signalé le cas d'une employée qui avait été congédiée parce qu'elle s'était envoyée par la poste une importante quantité de Prozac. L'appelante était d'avis qu'il était impossible à la personne qui occupait le poste de directeur de la pharmacie d'exercer le même degré de contrôle que celui que pourrait exercer une personne travaillant dans une officine ordinaire en raison de la trop grande quantité de médicaments manipulés. En outre, l'appelante a fait état d'incidents de stupéfiants volés après leur livraison par la poste.

 

            M. Charron a répondu à l'appelante par une lettre datée du 26 mai 1995. Il a déclaré que l'appelante [TRADUCTION] « n'a pas fourni d'explications suffisantes au sujet des pertes considérables survenues à la Meditrust ». Il a souligné que les résultats de la vérification seraient plutôt favorables à l'appelante, parce que les vérificateurs présumaient que les stocks étaient à zéro au 23 mars 1994. M. Charron a précisé qu'il n'était pas interdit par la loi d'envoyer des stupéfiants par la poste, et que le vol de stupéfiants une fois sortis de la pharmacie n'était pas pertinent. Par ailleurs, les allégations de vol n'étaient pas liées aux stupéfiants manquants et [TRADUCTION] « l'érosion de ces stocks sur une période de temps donnée en raison des contraintes de ressources ne constitue pas une excuse suffisante ». Voici comment se termine la lettre[5] :

 

[TRADUCTION]

 

Quant à votre perception que vous n'avez « jamais eu de problème » dans vos emplois précédents, je rappelle à votre mémoire votre expérience à titre de propriétaire de la Seaway Pharmacy. En effet, lors d'une vérification effectuée en janvier 1993, nos inspecteurs ont constaté la disparition inexpliquée d'importantes quantités d'Oxycocet et d'Oxycodan. Cet incident aurait dû vous sensibiliser suffisamment à la nécessité d'assurer un contrôle total des clés et de confier autant que possible la manutention des stupéfiants et des drogues contrôlées uniquement à des pharmaciens.

 

            Le 7 juin 1995, Mme Anne Sztuke-Fournier, qui était à l'époque chef intérimaire de la Section d'évaluation des ordonnances du Bureau, a rédigé un projet de lettre destiné à la requérante et à l'Ordre, en vue de la signature du directeur, et a transmis ces documents au directeur et aux Services juridiques. Le projet de lettre à l'appelante indiquait que le Bureau avait conclu que cette dernière avait contrevenu aux alinéas 50d) et e) ainsi qu'à l'article 30 du Règlement. La lettre informait l'appelante que l'on allait consulter officiellement l'Ordre et qu'elle avait la possibilité de faire valoir son point de vue devant le Bureau dans les 15 jours suivant la réception de la lettre. Le projet de lettre destiné à l'Ordre informait ce dernier du problème, et y était jointe la correspondance échangée entre le Bureau et l'appelante. La lettre destinée à l'appelante a été approuvée le 12 juin 1995, signée par le directeur Rowsell et envoyée à l'appelante à la même date. À cette date aussi a été envoyée la lettre adressée à l'Ordre, à laquelle était jointe une copie de la lettre envoyée à l'appelante.

 

            Le 15 juin 1995, l'appelante a répondu à la lettre du Bureau. Sa lettre reprenait essentiellement la teneur de celle qu'elle avait envoyée le 24 avril 1995. L'appelante contestait les conclusions du Bureau et présentait ses excuses pour ne pas avoir su bien contrôler les stupéfiants dont elle avait la responsabilité, dans le cas de la Seaway et dans celui de la MediTrust.  

 

            L'appelante a retenu les services d'un avocat, Me Peter Chang, qui a demandé le 6 juillet 1995 une prorogation du délai imparti pour soumettre des observations au directeur. Le lendemain, il a demandé une copie du rapport d'inspection du mois de mars. L'appelante a obtenu une prorogation au 31 juillet 1995.


            Le 31 juillet 1995, Me Chang a présenté des observations sous forme de lettre adressée au directeur. En ce qui concerne la vérification, Me Chang a signalé trois contradictions apparentes entre l'inventaire du 8 novembre 1994 et les chiffres des enquêteurs. Il a avancé que [TRADUCTION] « la Meditrust a soustrait des données cruciales à la vérification, créant ainsi l'impression que d'importantes quantités de médicaments manquaient ». Il a ajouté que l'on ne pouvait se fier aux registres de la Meditrust, parce qu'ils étaient fondés sur des documents incomplets de la Meditrust. Quant au système de stockage de stupéfiants utilisé par la Meditrust, Me Chang a fait remarquer que l'appelante était susceptible d'être manipulée par la Meditrust. Il a affirmé que sa cliente avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour convaincre la direction de la Meditrust de se conformer à la Loi sur les stupéfiants et à la Loi sur les aliments et drogues, mais que ses recommandations n'avaient jamais été suivies. Me Chang a également fait valoir que la Meditrust voulait rejeter la responsabilité sur l'appelante, soit parce que la société voulait camoufler sa propre inefficacité et l'insuffisance des mesures de sécurité pour éviter d'avoir à payer à l'appelante les six mois de salaire qu'elle avait convenu de lui verser, soit parce que la direction de la Meditrust était particulièrement hostile envers l'appelante.

 

            Le 15 août 1995, l'Ordre a indiqué par lettre qu'elle ne voyait aucune objection à ce que le Bureau donne un avis aux pharmaciens et aux distributeurs autorisés de stupéfiants. Le 23 août suivant, le directeur a envoyé une lettre à Me Chang pour l'informer qu'il avait entrepris des consultations officielles auprès de l'Ordre et envisageait la possibilité d'invoquer le pouvoir du ministre pour aviser les pharmaciens et les distributeurs autorisés de stupéfiants de l'Ontario de ne vendre aucun stupéfiant à l'appelante. Dans cette lettre, l'Ordre donnait à l'appelante 14 jours pour faire valoir son point de vue devant le directeur.


            Le 19 septembre 1995, l'appelante a déposé un avis de requête introductif d'instance en vue d'obtenir un contrôle judiciaire; cet avis comprenait une demande d'injonction interlocutoire interdisant au directeur d'envoyer l'avis susmentionné aux pharmaciens et distributeurs autorisés de stupéfiants. L'injonction et l'ordonnance enjoignant au directeur d'annuler tout avis déjà envoyé ont été ajournées sine die le 20 septembre 1995. Le 13 octobre 1995, les Services juridiques ont écrit ce qui suit à l'avocat de l'appelante[6] :

 

[TRADUCTION]

 

[...]

 

Le Bureau ne la tient pas responsable des quantités manquantes après le 3 novembre 1994. La période en question s'étend du 23 mars au 3 novembre 1994. La période initiale visée par l'inspection s'étendait du 8 décembre 1993 au 7 mars 1995, mais elle a été circonscrite à l'époque où Mme Elguindi dirigeait la pharmacie.

 

[...]

 

Par ailleurs, il n'a pas encore été décidé d'envoyer des avis; Mme Elguindi a eu plusieurs occasions, y compris toutes les prorogations de délai qu'elle a demandées, pour faire valoir son point de vue. Elle a décidé plutôt de déposer un avis de procédures judiciaires. Ces procédures, de même que la décision du Bureau sur les avis, ont été reportées afin d'accorder à Mme Elguindi d'autres possibilités de faire valoir son point de vue. Santé Canada accorde à cette affaire une attention immédiate et, dans sa lettre, fournit à Mme Alguindi une réponse à ses questions, et ce, même s'il lui incombe de prouver le bien-fondé de sa cause. Tout cela sera centré sur la question de savoir si Mme Elguindi a obtenu un avis approprié et une audience équitable.

 

Vous trouverez ci-joints une lettre de l'Ordre des pharmaciens de l'Ontario datée du 15 août 1995, et un rapport d'inspecteurs de Santé Canada daté du 10 octobre 1995. Y a-t-il d'autres documents pertinents dont vous avez besoin pour défendre votre cause?

 

            L'avocat de l'appelante a fait d'autres observations le 1er novembre 1995.

 

            La décision du directeur d'envoyer des avis a été rendue le 4 janvier 1996. Son texte est le suivant[7] :

 

[TRADUCTION]

 

J'accuse réception de votre lettre datée du 1er novembre 1995, ainsi que de la lettre que vous avez adressée à M. Arun Maini, au ministère de la Justice, le 16 octobre 1995, et transmise au Bureau pour examen. J'accuse également réception de vos lettres du 31 juillet et du 10 septembre 1995. Nous vous informons que votre lettre du 31 juillet 1995 a été prise en considération et examinée soigneusement avant que nous envoyions notre lettre datée du 23 août 1995.

 

Je tiens à faire les commentaires suivants à la suite des questions soulevées dans votre lettre :

 

Rapport de vérification et période de responsabilité de Mme Elguindi

 

                Le Bureau tient Mme Elguindi responsable des pertes survenues entre le 23 mars et le 3 novembre 1994. La période du 8 décembre 1993 au 23 mars 1994 a été exclue, et les inspecteurs ont procédé à leur vérification en présumant que les stocks étaient à zéro, accordant ainsi à Mme Elguindi le bénéfice du doute et situant les résultats sous le jour le plus favorable possible. Le stock de médicaments est calculé comme étant la différence entre les médicaments achetés moins les médicaments vendus, et moins les médicaments encore en stock.

 

                Vous trouverez ci-jointe une copie des observations des inspecteurs datées du 10 octobre 1995, ainsi qu'une copie des factures (articles ne figurant pas dans les registres d'achats) obtenues directement du distributeur autorisé, Medis Health and Pharmaceutical Services Inc., qui montrent les achats faits par Meditrust. Une copie des rapports de ventes mensuels de Medis, décrivant les achats faits par Meditrust, est jointe aussi. Vous noterez que ces documents ont servi à effectuer la vérification et ont permis de contre-vérifier les achats faits par Meditrust. L'utilisation des stupéfiants a été vérifiée en consultant les rapports bimensuels de ventes de stupéfiants et de drogues contrôlées de Meditrust, ainsi qu'un rapport d'utilisation informatisé. Les ordonnances ont été vérifiées au hasard. Il n'a été relevé aucune preuve indiquant que les dossiers de Meditrust étaient inexacts.

 

                Les pertes que Meditrust a signalées le 9 novembre 1994 n'indiquent pas quelle était la période visée et ne correspondraient donc pas forcément à la vérification que nos inspecteurs ont faite. Ces pertes sont évidemment incluses dans le rapport d'inspection.

 

Responsabilité du pharmacien

 

                Le Règlement sur les stupéfiants, dans sa version actuelle, indique clairement que c'est le pharmacien, et non la pharmacie, qui est responsable des stupéfiants. Les dispositions précises du Règlement en vertu desquelles Mme Elguindi est tenue responsable sont les suivantes :

 

Alinéas 50d) et e) :

 

Aux fins des articles 46 à 49, les cas décrits dans cet article sont les suivants :

 

[...]

 

d)un pharmacien est dans l'impossibilité de prouver que tous les stupéfiants, autres que les stupéfiants d'ordonnance verbale, achetés ou obtenus par lui, ont été fournis par lui selon le présent règlement;

 

e)un pharmacien est dans l'impossibilité de prouver que tous les stupéfiants d'ordonnance verbale, autres qu'une préparation visée à l'article 36, achetés ou obtenus par lui ont été fournis par lui selon le présent règlement;

 

Article 30 :

 

Tout pharmacien, sur réception d'un stupéfiant provenant d'un distributeur autorisé ou d'un autre pharmacien selon les prévisions de l'article 42, doit consigner immédiatement dans un cahier, registre ou autre dossier réservé à cette fin, les données suivantes :

 

a) le nom et la quantité du stupéfiant qu'il a reçu;

 

b)la date à laquelle il l'a reçu; et

 

c)le nom et l'adresse de la personne de qui il a reçu ledit stupéfiant.

 

                Vous avez indiqué qu'il existait une preuve de vol à la Meditrust. Cependant, il n'y a aucune indication de la nature et des quantités de stupéfiants qui sont en cause. Si des stupéfiants étaient en cause, en vertu de l'article 42 du Règlement sur les stupéfiants le pharmacien est tenu de signaler au ministre toute perte ou tout vol d'un stupéfiant, dix jours au plus après en avoir fait la découverte. Ces incidents ne nous ont pas été signalés.

 

                Vous avez mentionné que Mme Elguindi a fait des efforts pour changer les pratiques pharmaceutiques concernant la délivrance de stupéfiants. Il semble que la Meditrust n'ait pas tenu compte de ces suggestions.

 

                Un pharmacien diplômé et autorisé, qui a passé tous les examens jurisprudentiels, devrait être au courant des exigences juridiques et professionnelles de la profession. Lorsqu'un professionnel est au courant d'un méfait quelconque, nul ne peut le contraindre à continuer d'exercer dans une telle situation. Lorsqu'un pharmacien choisit de travailler dans un milieu qui ne convient pas, il devient responsable de ses propres actes. L'Ordre des pharmaciens de l'Ontario, qui est l'organisme de réglementation professionnelle qui accrédite les pharmacies en Ontario, aurait de toute évidence été intéressé d'apprendre que des violations de la procédure prescrite étaient commises au sein de la Meditrust. Or, rien ne permet de penser que Mme Elguindi a fait quoi que ce soit pour mettre l'Ordre au courant de la situation.

 

                Si Mme Elguindi se sentait vraiment menacée par la façon dont la Meditrust fonctionnait et si les futurs pharmaciens s'exposent au fait d'être obligés d'exercer leur profession d'une manière inacceptable, je recommande fortement que les organismes de réglementation provinciaux des pharmacies soient mis au courant de la situation et mettent en oeuvre des lignes directrices pour ce type d'entreprises pharmaceutiques.

 

                Il est à noter aussi que, comme le décrit M. J.M. Charron dans sa lettre du 26 mai 1995 adressée à Mme Elguindi, dans les lettres du Bureau datées du 27 janvier 1993 et du 2 février 1992(1993), Mme Elguindi a été mise entièrement au courant de ses responsabilités à l'égard des stupéfiants. Une copie de ces lettres est jointe ci-après.

 

                Il est déterminé que Mme Sahar Elguindi n'a fourni aucune preuve justifiant les quantités manquantes de stupéfiants indiquées dans nos lettres antérieures du 12 juin 1995 et du 18 avril 1995 à la suite des rapports d'inspection datés du 7, du 8 et du 9 mars 1995. Il a donc été décidé que Mme Sahar Elguindi a enfreint les alinéas 50d) et e) ainsi que l'article 30 du Règlement sur les stupéfiants, ainsi qu'il est indiqué dans les lettres antérieures.

 

                Comme il a été mentionné dans notre lettre datée du 23 août 1995, le registraire de l'Ordre des pharmaciens de l'Ontario nous a indiqué dans une lettre du 15 août 1995 que l'Ordre n'a aucune objection à ce que nous avisions de la situation les pharmaciens de l'Ontario ainsi que les distributeurs autorisés de stupéfiants. Une copie de cette lettre est jointe ci-après.

 

DÉCISION

 

                J'ai examiné l'ensemble de la preuve et j'en viens à la conclusion que Mme Elguindi a contrevenu aux alinéas 50d) et e) et à l'article 30 du Règlement sur les stupéfiants.

 

                J'ai examiné aussi diverses solutions à cette situation fort sérieuse, y compris la possibilité que Mme Elguindi n'achète plus de stupéfiants pendant un certain temps, afin de suivre une formation supplémentaire et de passer de nouveau l'examen jurisprudentiel écrit de l'Ordre des pharmaciens de l'Ontario. Des fonctionnaires ont fait des démarches auprès de l'Ordre à cet égard mais comme cela nécessiterait sa collaboration, il semble qu'il ne s'agisse pas d'une option faisable.

 

                Compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire, je vous informe donc de ma décision d'aviser au nom du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social les pharmaciens et les distributeurs autorisés de l'Ontario qu'ils ne peuvent fournir aucun médicament contenant un stupéfiant à Mme Sahar Elguindi. Cet avis sera donné le 30 janvier 1996.

 

                Ces avis peuvent être révoqués si les conditions suivantes sont réunies :

 

a)Un pharmacien et les autorités compétentes chargés de délivrer les permis dans la province où le pharmacien est inscrit et autorisé à exercer la pharmacie demandent par écrit au ministre d'annuler l'avis qu'il a donné;

 

b)Une année s'est écoulée depuis que le ministre a donné l'avis susmentionné.


                Conformément à la politique de longue date du Bureau qui consiste à entretenir des liens étroits avec toutes les autorités provinciales chargées de délivrer les permis, nous envoyons une copie de la présente à l'Ordre des pharmaciens de l'Ontario.

 

            Étaient joints à la décision plusieurs documents non communiqués auparavant à l'appelante. Il s'agissait d'une copie des registres d'achats de la Medis, des rapports mensuels de ventes de la Medis ainsi que de lettres de l'UCM datées du 27 janvier et du 2 février 1993, adressées à l'appelante au sujet de l'incident survenu à la Seaway.

 

            Le 22 janvier 1996, l'appelante a obtenu du juge en chef adjoint une injonction interlocutoire, interdisant aux intimés de donner des avis avant l'issue de la demande de contrôle judiciaire soumise à la présente Cour. L'audience a été fixée au 3 juin 1996. Le 18 juin suivant, l'appelante a obtenu sur consentement une ordonnance concernant le contre-interrogatoire de Mme Sztuke-Fournier et de M. Wolfson, ainsi que l'obtention de tout autre document que le directeur avait pris en considération pour arriver à sa décision. D'autres documents ont été remis à l'appelante. Ces derniers comprenaient, comme l'a conclu le juge de première instance[8] :

 

 

1.Une note de service du 16 mars 1995 des inspecteurs Wolfson et Lueng [sic] concernant une rencontre avec un procureur de la Couronne et deux agents de police relativement à l'enquête menée à la Meditrust au sujet des stupéfiants.

 

2.Une note de service du 15 mars 1995 des inspecteurs Wolfson et Lueng [sic] à l'agent de police Rick Ricketts, de la police de la communauté urbaine de Toronto, au sujet de la requérante et de la Meditrust.

 

3.Une note du 13 juillet 1995 concernant une conversation téléphonique échangée entre M. Wolfson et Mme Fournier au sujet de la requérante et de la Cim's Drugmart.

 

4.Un rapport d'inspection du 14 juillet 1995 de la Community Pharmacy rédigé par l'inspecteur Wolfson au sujet de la Cim's Drugmart.

 

5.Une note du 3 août 1995 de Mme Fournier informant le directeur que la requérante avait été arrêtée le 18 juillet au sujet de l'enquête menée par la police chez la Meditrust et qu'elle avait été accusée d'un vol de moins de 5 000 $, et signalant un nouvel incident survenu à la Cim's Drugmart et qui n'avait pas encore fait l'objet d'une enquête.

 

6.Une lettre écrite le 23 août 1995 par le directeur de l'Ordre.

 

7.Une note de service écrite le 22 septembre 1995 par Mme Fournier aux Services juridiques au sujet de la requérante et de la Cim's Drugmart.

 

8.Un résumé de dossier rédigé le 4 octobre 1995 par Mme Fournier à l'intention du directeur, de M. Charron et des Services juridiques.

 

9.Un message envoyé par courrier électronique le 21 novembre 1995 par Mme Fournier au directeur, à M. Charron et aux Services juridiques.

 

10.Les notes au dossier prises le 22 novembre 1995 et le 14 décembre 1995 par Mme Fournier au sujet d'une rencontre avec l'Ordre.

 

11.Un message envoyé par courrier électronique le 23 novembre 1995 par M. Charron à Mme Fournier.

 

12.Une note de service écrite le 23 novembre 1995 par M. Charron en vue d'être versée au dossier et d'être envoyée au directeur.

 

La décision en appel

 

            Le juge des requêtes s'est penché sur la question de savoir à quel degré d'équité procédurale était soumis le régime administratif. Il a accordé beaucoup d'importance à l'effet de la décision sur l'appelante. La décision entraverait la capacité de cette dernière d'exercer les fonctions d'un pharmacien professionnel car elle ne pourrait pas commander de stupéfiants. En outre, cela ternirait sa réputation, ce qui pourrait l'empêcher d'obtenir ultérieurement un emploi. Il n'y avait donc aucun doute dans l'esprit du juge que la décision donnait lieu à l'existence d'une obligation d'agir équitablement. Il a ensuite conclu qu'il y avait eu un manquement évident à l'équité procédurale, imputable au fait que le directeur n'avait pas communiqué des documents. Cependant, le juge des requêtes a refusé d'accorder le redressement habituel, soit d'annuler la décision et de la renvoyer au décisionnaire pour qu'il prenne une nouvelle décision. Il a décrété plutôt que le principe du renvoi avait été atténué dans l'arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extra-côtiers[9] et la décision Yassine c. Canada (M.E.I.)[10]. Il a expliqué que l'issue était « inéluctable », indépendamment de l'erreur commise. Et, a-t-il ajouté[11] :

 

                Nous sommes en présence d'une progression arithmétique linéaire fort simple : quelle quantité de stupéfiants la pharmacienne a-t-elle reçue? Quelle quantité a-t-elle délivrée? Combien en reste-t-il? S'il en reste suffisamment, la pharmacienne est professionnellement responsable du manque, que celui-ci soit négligeable ou important. La requérant s'est vu accorder de nombreuses occasions de faire valoir son point de vue. Elle avait en main le rapport d'inspection de la Community Pharmacy et elle savait qu'il existait d'autres documents. Elle avait, après tout, travaillé à la Meditrust en tant que pharmacienne en chef. Qui plus est, elle avait demandé qu'on lui communique certains documents, en particulier ceux concernant l'incident de la Seaway Pharmacy. Ceci étant dit, la Cour ne doit pas oublier l'objet de l'exception : le résultat final est-il inéluctable?

 

                Les documents susmentionnés qui ont été divulgués conformément à l'ordonnance du 18 juin 1996 ne sont d'aucune utilité pour Mme Elguindi. Même si elle avait pu présenter des observations, l'issue aurait été la même. La décision portait sur les stupéfiants qui avaient disparu alors qu'elle était pharmacienne en chef à la Meditrust. Les seuls documents pertinents au sujet desquels elle aurait pu présenter des observations sérieuses sont les documents qui sont à la base du rapport d'inspection de la Community Pharmacy étant donné que c'est ce rapport qui a déclenché tout le processus.

 

[...]

 

[...] C'est toutefois par le biais de ces documents que la requérante aurait pu contester les résultats de la vérification, si tant est qu'elle aurait pu le faire. La requérante n'a malheureusement pas convaincu la Cour que les documents énumérés pouvaient être utilisés pour contester le relevé non équivoque des stupéfiants manquants.

 

            Enfin, le juge des requêtes a rejeté, pour cause de manque de fondement, la prétention de l'appelante que le directeur avait déjà réglé la question avant de donner avis à l'appelante, quand il lui a écrit, le 12 juin 1995, que le Bureau avait décidé qu'elle avait enfreint les alinéas 50d) et e) et l'article 30 du Règlement.

 

Les questions en litige

 

            L'appelante soutient que le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que la décision du directeur était inéluctable, indépendamment du manquement à l'équité procédurale, et que le directeur n'avait pris aucune décision préalable le 12 juin 1995. Pour sa part, l'intimé considère que le juge des requêtes est arrivé à tort à la conclusion qu'un manquement avait été commis à la justice naturelle, mais il soutient sa conclusion voulant qu'aucune décision préalable n'avait été prise.


            Les questions soumises à la Cour sont donc les suivantes : si le juge de première instance a commis une erreur en concluant qu'il y avait eu un manquement à l'équité procédurale et, dans la négative, s'il a commis une erreur en refusant de renvoyer l'affaire en vue d'une nouvelle audience et d'une nouvelle décision. La prétention relative à la décision préalable sera aussi examinée.

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

            Le Règlement sur les stupéfiants est un dispositif de réglementation qui fixe la procédure qu'un pharmacien doit suivre pour justifier les stupéfiants qu'il reçoit. À la réception, chaque produit est consigné par le pharmacien dans un registre où figurent le nom et la quantité des stupéfiants reçus, la date de leur réception ainsi que le nom et l'adresse du fournisseur (article 30). La délivrance d'un médicament doit être consignée sans délai, selon une procédure stricte décrite aux articles 38 et 39. Les stupéfiants doivent être tenus en lieu sûr (article 43). Tout vol doit être signalé au ministre dans les dix jours suivant sa découverte (article 42). Le fait de ne pas se conformer à ces dispositions donne lieu à des sanctions prévues aux articles 47, 48 et 50 du Règlement.

 

            Le texte des dispositions qui régissent la présente affaire, c'est-à-dire les articles 30, 38, 39, 42 et 43 et les alinéas 47b), 48b) et 50d) et e) du Règlement sur les stupéfiants, est le suivant :

30. A pharmacist, upon receipt of a narcotic from a licensed dealer or from another pharmacist as provided in section 45, shall forthwith enter in a book, register or other record maintained for such purposes, the following :

30. Tout pharmacien, sur réception d'un stupéfiant provenant d'un distributeur autorisé ou d'un autre pharmacien selon les prévisions de l'article 45, doit consigner immédiatement dans un cahier, registre ou autre dossier réservé à cette fin, les données suivantes :

 

(a) the name and quantity of the narcotic received

(b) the date the narcotic was received; and

(c) the name and address of the person from whom the narcotic was received.

a) le nom et la quantité du stupéfiant qu'il a reçu;

b) la date à laquelle il l'a reçu; et

c) le nom et l'adresse de la personne de qui il a reçu ledit stupéfiant.

 

38. Where, pursuant to a written order or prescription, a pharmacist dispenses a narcotic, other than destropropoxyphene or a verbal prescription narcotic, the pharmacist shall forthwith enter in a book, register or other record maintained for such purposes

38. Aussitôt après avoir fourni, selon une commande écrite ou une ordonnance, un stupéfiant autre qu'un stupéfiant d'ordonnance verbale ou que du destropropoxyphène, le pharmacien doit consigner, dans un cahier, un registre ou autre dossier réservé à cette fin, les détails suivants :

 

(a) the name and address of the person named in the order of prescription;

a) le nom et l'adresse de la personne nommée dans la commande ou l'ordonnance;

 

(b) the name, quantity and form of the narcotic;

b) le nom, la quantité et la forme du stupéfiant;

 

(c) the name, initials and address of the practitioner who issued the order or prescription;

c) le nom, les initiales et l'adresse du praticien qui a émis la commande ou l'ordonnance;

 

(d) the name or initials of the pharmacist who supplied the narcotic;

d) le nom ou les initiales du pharmacien qui a fourni le stupéfiant;

 

(e) the date the narcotic was supplied; and

e) la date à laquelle le stupéfiant a été fourni; et

 

(f) the number assigned to the order or prescription.

f) le numéro assigné à la commande ou l'ordonnance.

 

39. A pharmacist shall, before dispensing a verbal prescription narcotic pursuant to a verbal order or prescription, make a written record thereof, setting forth

39. Le pharmacien doit, avant de fournir un stupéfiant d'ordonnance verbale en exécution d'une ordonnance ou d'une commande verbale, consigner dans un registre les détails suivants :

 

(a) the name and address of the person named therein;

a) le nom et l'adresse de la personne nommée dans l'ordonnance ou la commande;

 

(b) in accordance with the manner in which it is specified in the prescription, the name and quantity of such oral prescription narcotic or the narcotic and the other medicinal ingredients therein;

b) le nom et la quantité dudit stupéfiant d'ordonnance verbale, ou du stupéfiant et des autres ingrédients médicinaux, y compris, conformément à la manière précisée dans l'ordonnance;

 

(c) the directions for use given therewith;

c) le mode d'emploi indiqué dans ladite ordonnance ou commande;

 

(d) the name, initials and address of the practitioner who issued the order or prescription;

d) le nom, les initiales et l'adresse du praticien qui a émis l'ordonnance ou la commande;

 

(e) the name or initials of the pharmacist who dispensed such oral prescription narcotic;

e) le nom ou les initiales du pharmacien qui fournit ledit stupéfiant d'ordonnance verbale;

 

(f) the date such oral prescription narcotic was supplied; and

f) la date à laquelle le stupéfiant d'ordonnance verbale est fourni; et

 

(g) the number assigned to the order or prescription.

g) le numéro assigné à l'ordonnance ou la commande.

 

 

42. A pharmacist shall report to the Minister any loss or theft of a narcotic within 10 days of his discovery thereof.

42. Tout pharmacien doit signaler au Ministre toute perte ou tout vol d'un stupéfiant, 10 jours au plus après en avoir fait la découverte.

 

43. A pharmacist shall take all reasonable steps that are necessary to protect narcotics on his premises or under his control against loss or theft.

43. Le pharmacien doit prendre toutes les mesures raisonnables qui sont nécessaires pour protéger contre la perte ou le vol les stupéfiants qui se trouvent dans son établissement ou dont il a la garde.

 

47. The Minister

...

(b) may, in the circumstances described in subparagraph 50(b)(i) or paragraph 50(c) or (d), after consultation with the licensing authority of the province in which the pharmacist is registered and entitled to practise pharmacy,

47. Le Ministre

...

b) peut, dans le cas décrit au sous-alinéa 50b)(i) ou aux alinéas 59c) ou d), après consultation avec les autorités chargées de délivrer les permis dans la province où le pharmacien est inscrit et autorisé à exercer la pharmacie,

 

give notice to licensed dealers and pharmacists of the name and address of the pharmacist to whom the circumstance is applicable.

communiquer aux distributeurs autorisés et aux pharmaciens le nom et l'adresse du pharmacien auquel le cas est applicable.

 

48. The Minister

...

(b) may, in the circumstance described in subparagraph 50(b)(ii) or paragraph 59(c) or (e), after consultation with the licensing authority of the province in which the pharmacist is registered and entitled to practise pharmacy,

48. Le Ministre

...

b) peut, dans le cas décrit au sous-alinéa 50b)(ii) ou aux alinéas 50c) ou e), après consultation avec les autorités chargées de délivrer les permis dans la province où le pharmacien est inscrit et autorisé à exercer la pharmacie,

 

give notice to licensed dealers and pharmacists of the name and address of the pharmacist to whom the circumstance is applicable.

communiquer aux distributeurs autorisés et aux pharmaciens le nom et l'adresse du pharmacien auquel le cas est applicable.

 

50. For the purposes of sections 46 to 49, the circumstances described in this section are as follows :

...

(d) a pharmacist is unable to demonstrate that all narcotics other than oral prescription narcotics purchased or obtained by him have been furnished by him in accordance with these Regulations;

50. Aux fins des articles 46 à 49, les cas décrits dans cet article sont les suivants :

 

...

d) un pharmacien est dans l'impossibilité de prouver que tous les stupéfiants, autres que les stupéfiants d'ordonnance verbale, achetés ou obtenus par lui, ont été fournis par lui selon le présent règlement;

 

(e) a pharmacist is unable to demonstrate that all oral prescription narcotics, other than a preparation mentioned in section 36, purchased or obtained by him have been furnished by him in accordance with these Regulations...

e) un pharmacien est dans l'impossibilité de prouver que tous les stupéfiants d'ordonnance verbale, autre qu'une préparation visée à l'article 36, achetés ou obtenus par lui ont été fournis par lui selon le présent règlement...

 

 

Analyse

 

            La justice naturelle et l'équité procédure s'appliquent à tous les corps administratifs[12]. Le principe de l'équité procédurale englobe généralement l'obligation dans laquelle se trouve le décisionnaire administratif de divulguer assez de renseignements pour que les individus sachent quels étaient les faits qui leur étaient reprochés et puissent faire valoir leur propre point de vue[13]. La divulgation a pour objet d'éviter toute surprise et s'assurer que les parties participent de manière significative à l'audition, de sorte qu'il peut être dit qu'elles ont été traitées équitablement en toutes circonstances[14].

 

            En l'espèce, il y avait deux séries de documents manquants qui, d'après l'appelante, auraient dû lui être communiqués par le directeur. La première série de documents étaient ceux joints à la décision du directeur datée du 4 janvier 1996. Il s'agissait d'une copie des registres d'achats de la Medis, des rapports mensuels de ventes de la Medis ainsi que de lettres de l'UCM datées du 27 janvier et du 2 février 1993, adressées à l'appelante au sujet de l'incident survenu à la Seaway. L'appelante était au courant des lettres datées du 27 janvier et du 2 février 1993 depuis qu'elle les avait reçues en 1993. Nous ne nous intéressons donc pas à ces lettres, mais uniquement aux documents de la Medis.

 

            Les documents de la Medis avaient directement trait à la responsabilité qu'avait l'appelante, en tant que directrice de la pharmacie, de consigner tous les arrivages au moment de leur réception. Elle a été mise au courant de l'existence et de la teneur complète de ces documents par la lettre d'avis de M. Charron, datée du 18 avril 1995. Le fait que les documents de la Medis n'ont été envoyés à l'appelante qu'au moment de la décision du 4 janvier 1996 constitue-t-il un manquement à l'équité procédurale? Je ne le crois pas. L'appelante n'a jamais contesté qu'il manquait des comprimés. Le nombre de comprimés manquants n'était pas en soi un élément essentiel, car l'appelante a elle-même admis que des vols avaient été commis à l'époque où elle exerçait les fonctions de directrice de la pharmacie. La procédure qu'elle a suivie ou qu'elle n'a pas suivie en tant que directrice de la pharmacie était, cependant, essentielle. Par cette première lettre du 18 avril 1995, elle savait précisément que le problème était lié à ses responsabilités et à la façon dont elle s'en était acquittée. La lettre indiquait clairement que les documents de la Medis révélaient que, en violation du Règlement, elle avait omis de consigner trois envois dans le registre désigné des stupéfiants et des drogues contrôlées. Elle avait eu droit à des prolongations de délai, mais ne s'était jamais attaquée au véritable problème. Le 13 octobre 1995, les Services juridiques ont demandé si elle avait besoin d'autres documents pour faire valoir son point de vue. Elle n'en a pas demandé. Entre le 18 avril 1995 et les dernières observations faites par son avocat le 1er novembre 1995, l'appelante n'a nullement expliqué si elle s'était acquittée de ses fonctions, voire si elle avait essayé de s'acquitter de ces dernières. Elle n'a jamais été tenue de prouver qui avait volé ou subtilisé les stupéfiants censément disparus et comment ils l'avaient été, mais de s'occuper plutôt de la procédure qu'elle était professionnellement obligée de suivre. Elle savait clairement ce qui lui était reproché dès le début de l'audition par écrit.

 

            La deuxième série de documents a été reçue à la suite de l'ordonnance sur consentement datée du 18 juin 1996, et elle représente 12 documents en tout. Au sein de cette série, les deux premiers documents (les documents nos 1 et 2), qui portent la date du 16 mars 1995 et du 15 mars 1995, ont été écrits avant l'avis du 18 avril 1995. Ils concernent des réunions tenues avec la police de la communauté urbaine de Toronto au sujet des stupéfiants disparus à la Meditrust à l'époque où l'appelante était fondée de signature, ainsi que à l'importance de la valeur marchande des stupéfiants en question. La preuve concernant les stupéfiants disparus a été portée à l'attention de l'appelante le 18 avril 1995. Il n'y a donc pas eu de manquement à la justice naturelle à cet égard.

 

            Les documents relatifs à la période que l'appelante a passée chez Cim's Drugmart (les documents nos 3, 4, 5 et 7) ont rapport à des activités qui n'ont absolument rien à voir avec la période durant laquelle l'appelante était fondée de signature auprès de la Meditrust. Les renseignements non pertinents transmis étaient que des stupéfiants avaient disparu aussi chez Cim's où l'appelante travaillait après avoir quitté la Meditrust. On ne sait bien sûr quel effet cette information a eu sur le directeur. Ce dernier n'en fait pas mention dans l'avis qu'il a envoyé à l'appelante le 4 janvier 1996. Il n'y a aucune preuve qu'il s'est fondé sur cette information de toute façon. Il n'y avait, à mon sens, aucune obligation de divulguer les documents car le fait de voir des documents dénués de pertinence n'équivaut pas à un manquement à la justice naturelle. Le document n° 5 contient lui aussi des renseignements sans rapport avec le point qui est en litige en l'espèce. Il informait le directeur que l'appelante avait été arrêtée par la police le 18 juillet 1995, à la suite de l'enquête menée auprès de la Meditrust, et qu'elle avait été accusée d'un vol d'une valeur de moins de 5 000 $. Il est difficile, là aussi, d'évaluer quel effet cet élément d'information avait dans l'esprit du directeur au moment où il a rendu sa décision. Il est évident qu'il n'a pas fondé sa décision sur cette information, car il n'a jamais fait référence à l'arrestation de l'appelante dans la lettre qu'il lui a envoyée le 4 janvier 1996. Il n'y a pas non plus d'indication que l'on s'y soit fondé de quelque manière. Le directeur a pris connaissance de toutes ces informations de façon normale, et non dans le cadre du processus d'enquête ou du processus décisionnel. Ces informations n'avaient aucune incidence sur la question en cause, c'est-à-dire une mauvaise comptabilité. De toute façon, l'arrestation de l'appelante constitue une information qui était du domaine public. Rien ne peut protéger un décisionnaire contre ce genre de renseignements. On ne peut dire que le directeur, à titre de décisionnaire, a commis un manquement à la justice naturelle et à l'équité procédurale en ne faisant pas savoir à l'appelante qu'il était au courant de ce fait, que l'appelante elle-même connaissait.

 

            La lettre datée du 23 août 1995 (le document n° 6) a été écrite par le directeur à l'avocat de l'appelante, et avait rapport à l'ouverture de consultations avec l'Ordre. L'appelante était donc au courant de la teneur de ce document.

 

            Le reste des documents internes (les documents nos 8 à 12) ne renferment aucune preuve nouvelle; il s'agit simplement d'ébauches de lettres et de demandes d'observations. Aucun élément de ces documents n'est de la nature d'une preuve ou d'observations que le directeur avait entendues ou reçues d'une partie à l'insu de l'autre. Aucun de ces documents ne contenait de preuve ex parte. Il s'agissait essentiellement de documents de travail émanant du bureau du directeur lui-même. Aucun manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale n'a été commis.

            Enfin, je ne crois pas que le juge des requêtes a commis une erreur en rejetant l'argument de l'appelante au sujet de la décision déterminée au préalable. S'il est vrai que, dans sa lettre du 12 juin 1995, le directeur a dit à l'appelante que le Bureau avait décrété que celle-ci avait enfreint les alinéas 50d) et e) et l'article 30 du Règlement, le juge des requêtes a eu raison, selon moi, de soutenir que cette déclaration indiquait simplement à l'appelante que l'affaire passerait à une étape administrative subséquente.

 

            Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter l'appel.

 

            Les intimés ne demandent pas de dépens.

 

 

 

                                                                                        « Alice Desjardins »       

                                                                                                                          J.C.A.

 

« Je suis d'accord

            A.M. Linden, J.C.A. »

 

« J'y souscris

            J.T. Robertson, J.C.A. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme :                                  

 

François Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

                                                                                                                     A-973-96

 

 

ENTRE :

 

 

                                                SAHAR ELGUINDI,

 

                                                                                                                   appelante,

 

 

                                                              - et -

 

 

                             CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) et

                                         DIRECTEUR DU BUREAU

                      DE LA SURVEILLANCE DES MÉDICAMENTS,

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                          

 

                                           MOTIFS DU JUGEMENT

 

                                                                                                                         


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

N° DU GREFFE :A-973-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :SAHAR ELGUINDI c. CANADA (MINISTRE DE LA

SANTÉ) et DIRECTEUR DU BUREAU DE LA

SURVEILLANCE DES MÉDICAMENTS

 

 

APPEL D'UN JUGEMENT DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE RENDU LE

5 DÉCEMBRE 1996. N° DU GREFFE DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE :

T-1961-95

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :29 AVRIL 1997

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE DESJARDINS

 

 

Y ONT SOUSCRIT :LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROBERTSON

 

 

EN DATE DU :19 JUIN 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Me Harvey S. Stone

Me Peter D. RubyPOUR L'APPELANTE

 

 

Me Roger LafrenièrePOUR LES INTIMÉS

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Borden & Elliot

Toronto (Ontario)POUR L'APPELANTE

 

 

Me George ThomsonPOUR LES INTIMÉS

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



     [1].C.R.C. (1978), ch. 1041.

     [2].L.R.C. (1985), ch. N-1.

     [3].D.A., vol. 2, page 359.

     [4].D.A., vol. 1, pages 69-70.

 

     [5].D.A., vol. 1, page 74.

     [6].D.A., vol. 2, p. 405 et 406.

     [7].D.A., vol. 4, p. 858 à 862.

     [8].D.A., vol. 1, p. 26 à 28.

     [9].  [1994] 1 R.C.S. 202.

     [10].(1994), 172 N.R. 308.

     [11].D.A., vol. 1, p. 19 et 20.

     [12].Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623.

     [13].Kane c. Conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105.

     [14].Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l'énergie), [1994] 1 R.C.S. 159, aux p. 181 et 182.

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