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Date : 19991004


Dossier : A-324-98

Ottawa (Ontario), le lundi 4 octobre 1999

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE MacKAY

         LE JUGE McDONALD

ENTRE :


JAMES ADAM SWEET

en son propre nom et au nom de tous les détenus au Canada qui purgent

des peines d"emprisonnement à perpétuité et qui sont assujettis à

la pratique de la " double occupation involontaire des cellules " dans les

pénitenciers à sécurité moyenne et maximale de Sa Majesté sous le régime de

la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition,

incluant tous les détenus dont la signature est apposée à l"Annexe I

ci-jointe, et tous les détenus dont la procédure contre la pratique de la

double occupation involontaire des cellules

a été engagée dans le dossier T-213-88


appelant

(demandeur)

     -et-

     SA MAJESTÉ LA REINE


intimée

(défenderesse)

     JUGEMENT

     L"appel est accueilli mais seulement pour que la réserve suivante puisse être ajoutée à l"ordonnance rendue :

     " sans préjudice du droit de l"appelant de présenter un acte de procédure modifié, en la forme d"une demande de contrôle judiciaire dirigée contre le Service correctionnel du Canada, et rédigé en conformité avec les lignes directrices prévues aux motifs de la décision ".

     L"appelant aura trente jours à compté de la date du présent jugement pour déposer un acte de procédure modifié, qui portera le même numéro de dossier que la déclaration déposée à la section de première instance.

     Il n"y a pas lieu en l"espèce d"adjuger de dépens.


                                      " Robert Décary "

                                                 J.C.A.



Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.


Date : 19991004

Dossier : A-324-98

Ottawa (Ontario), le lundi 4 octobre 1999

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE MacKAY

         LE JUGE McDONALD

ENTRE :

JAMES ADAM SWEET

en son propre nom et au nom de tous les détenus au Canada qui purgent

des peines d"emprisonnement à perpétuité et qui sont assujettis à

la pratique de la " double occupation involontaire des cellules " dans les

pénitenciers à sécurité moyenne et maximale de Sa Majesté sous le régime de

la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition,

incluant tous les détenus dont la signature est apposée à l"Annexe I

ci-jointe, et tous les détenus dont la procédure contre la pratique de la

double occupation involontaire des cellules

a été engagée dans le dossier T-213-88

appelant

(demandeur)

     -et-

     SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

(défenderesse)


     Audience tenue à Toronto (Ontario), le mardi 21 septembre 1999.

     Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le mardi 4 octobre 1999.


MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :              LE JUGE DÉCARY

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :                      LE JUGE MacKAY                                      LE JUGE MacDONALD


Date : 19991004


Dossier : A-324-98


CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE MacKAY

         LE JUGE McDONALD

ENTRE :


JAMES ADAM SWEET

en son propre nom et au nom de tous les détenus au Canada qui purgent

des peines d"emprisonnement à perpétuité et qui sont assujettis à

la pratique de la " double occupation involontaire des cellules " dans les

pénitenciers à sécurité moyenne et maximale de Sa Majesté sous le régime de

la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition,

incluant tous les détenus dont la signature est apposée à l"Annexe I

ci-jointe, et tous les détenus dont la procédure contre la pratique de la

double occupation involontaire des cellules

a été engagée dans le dossier T-213-88


appelant

(demandeur)

     -et-


     SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

(défenderesse)

    

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]      L"appel a été entendu à Toronto, en l"absence de l"appelant, un détenu du pénitencier de Warkworth. L"appelant a fait parvenir une lettre par laquelle il demandait expressément à la Cour de lui permettre de ne pas être présent à l"audition et que l"appel soit décidé sur la base de ses prétentions écrites. La Cour a accordé la requête de l"appelant et l"appel s"est déroulé en présence de l"avocat de l"intimée.

Contexte

[2]      Le 25 février 1998, l"appelant, [TRADUCTION] " en son propre nom et au nom de tous les détenus au Canada qui purgent des peines d"emprisonnement à perpétuité et qui sont assujettis à la pratique de la " double occupation involontaire des cellules " dans les pénitenciers à sécurité moyenne et maximale de Sa Majesté [...] ", a déposé une " déclaration " au greffe de la Cour fédérale du Canada dans laquelle il demande les réparations suivantes :

         [TRADUCTION]

     1)      admettre d"office le Bill of Rights 1688 et le Coronation Oath Act 1688 et, conformément aux articles 12, 11 " Doit ", et 3(1) de la Loi d"interprétation appliqué judicieusement à l"article 17 " ADMISSIONS D"OFFICE " de la Loi sur la preuve au Canada, " les lois de Dieu, la profession véritable de l"Évangile " contenue dans la SAINTE BIBLE , version autorisée King James (" K.J.V. "), et dans la GOOD NEWS BIBLE , la version anglaise d"aujourd"hui (" TEV ") avec les Deutérocanoniques/Apocryphes, invoqués ici;
     2)      déclarer que le recourt systématique à la pratique par le SCC de la double occupation involontaire de la cellule contrevient à l"article 70 " EXEMPTS DE PRATIQUES PORTANT ATTEINTE À LA DIGNITÉ HUMAINE " de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , et aux responsabilités que le SCC a envers les détenus en vertu " des lois de Dieu, la profession véritable de l"Évangile " et autrement porte atteinte au droit constitutionnel de tout détenu, dont le soin et la garde sont confiés au SCC, à l"égalité en ce qui a trait à l"hébergement;
     3)      préparer une injonction en vertu des paragraphes 24(1) et 15(2) de la Charte canadienne des droits et libertés et de l"article 44 et du paragraphe 46(2) de la Loi sur la Cour fédérale afin de définir une réparation efficace pour empêcher le SCC d"outrepasser les restrictions qui lui sont imposées par la loi du Parlement du Canada de Sa Majesté en vertu de l"article 70 " EXEMPTS DE PRATIQUES PORTANT ATTEINTE À LA DIGNITÉ HUMAINE " de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et de faire cesser de façon juste, expéditive et à jamais la pratique de la double occupation involontaire des cellules dans les pénitenciers à sécurité moyenne et maximale de Sa Majesté partout au Canada et, il demeure entendu,

         a.      la pratique de placer les détenus en occupation double involontaire;
         b.      la pratique de placer les détenus en occupation double volontaire excepté dans des cellules conçues pour accommoder deux (2) détenus et leurs effets personnels;
         c.      la pratique d"admettre des détenus à tout pénitencier exception faite des pénitenciers où une cellule individuelle sera disponible à leur admission, à moins que le détenu n"y consente;
     4)      référer l"affaire conformément aux règles 500 à 507 des Règles de la Cour fédérale et de l"article 44 et du paragraphe 46(2) de la Loi sur la Cour fédérale pour procéder à une enquête sur les points suivants et qu"il soit décidé
         a.      de la totalité des modalités de l"injonction à intervenir,
         b.      de combien de détenus placés involontairement en occupation double ont été blessés ou tués par suite de plus de dix années où le SCC n"a pas tenu compte des objections répétées et des avertissements formels pour que cesse la pratique déplorable, et
         c.      du quantum des dommages-intérêts dus à juste titre au demandeur et à d"autres détenus assujettis à la pratique déplorable de l"occupation double involontaire des cellules;
     5)      décerner une ordonnance conformément à l"alinéa 1716(2)b ) et au paragraphe 2(2) des Règles de la Cour fédérale, enjoignant à OLE INGSTRUP, en personne ou par ses héritiers ou successeurs, ses serviteurs, agents ou ouvriers, et tout le personnel du SCC mis au courant de l"ordonnance, de se conformer à l"ordonnance à être émise;
     6)      dommages-intérêts généraux, majorés ou indirects;
     7)      dommages-intérêts exemplaires ou punitifs;
     8)      décerner une ordonnance conformément à l"alinéa 1716(2)b ), aux règles 1715 et 1711, et au paragraphe 2(2) des Règles de la Cour fédérale, à l"alinéa 50(1)b ) et au paragraphe 46(2) de la Loi sur la Cour fédérale, à l"alinéa 3b ) " CITOYENS RESPECTUEUX DES LOIS " et à l"article 73 " PARTICIPER À DES RÉUNIONS PACIFIQUES ET S"ASSOCIER " de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , et les alinéas 2c) et d) " LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE ... LIBERTÉ D"ASSOCIATION " de la Charte canadienne des droits et libertés :
         a.      ordonnant que tous les demandeurs nommés dans le dossier no T-213-88 et tous les détenus dont la signature est apposée à l"Annexe I ci-jointe soient ajoutés an tant que demandeurs dans la présente action,
         b.      proroger l"ordonnance du protonotaire rendue dans le dossier T-213-88 et en étendre l"effet à la présente action de sorte qu"Emile Marguerita Marcus Mennes représente tous les demandeurs, y compris moi-même, dans la présente action,
         c.      suspendre les procédures pendantes dans le dossier T-213-88 et ce, jusqu"au procès ou autre décision finale dans les présentes procédures;
     9)      mes dépens;
     10)      toute autre réparation que la Cour considérera approprié et juste pour placer effectivement le SCC et son Commissaire sous le contrôle et l"administration de la Cour afin d"enrayer complètement cette pratique déplorable au Canada, soit la double occupation involontaire des cellules, incluant une ordonnance de mandamus enjoignant au SCC et au commissaire du Service correctionnel du Canada de m"assigner une cellule individuelle immédiatement;

                                 (D.A. à la page 24 et 25)



[3]      Le 25 mars 1998, l"intimée, en s"appuyant sur les anciens paragraphes 408(1) et 419(1) des Règles, a déposé une requête visant à obtenir une ordonnance :

             [TRADUCTION]

         [...]      Radiant la déclaration parce qu"elle ne révèle aucune cause raisonnable d"action;
         [...]      Radiant la déclaration au motif que les plaidoiries sont scandaleuses, futiles ou vexatoires;
         [...]      Radiant la déclaration au motif que les plaidoiries ne sont pas essentielles ou qu"elles sont redondantes; et
         [...]      Radiant la déclaration au motif qu"elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour;
     ou à titre subsidiaire :
         [...]      une prorogation de délai de 30 jours pour permettre à la défenderesse de déposer la défense; et
         [...]      toute autre réparation sollicitée par ses avocats et que cette la Cour peut accorder;

                                             (D.A. à la page 50)


[4]      L"intimée fonde ainsi sa cause sur les alinéas a) (aucune cause raisonnable d"action), b) (plaidoiries non essentielles ou redondantes), c) (plaidoiries scandaleuses, futiles ou vexatoires) et f) (emploi abusif des procédures) de l"ancien paragraphe 419(1) qui prévoit :



Rule 419. (1) The Court may at any stage of an action order any pleading or anything in any pleading to be struck out, with or without leave to amend, on the ground that

(a) it discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) it is immaterial or redundant,

(c) it is scandalous, frivolous or vexatious,

[...]

(f) it is otherwise an abuse of the process of the

Court,

and may order the action to be stayed or dismissed or judgment to be entered accordingly.

                 [now rule 221(1)]


Règle 419. (1) La Cour pourra, à tout stade d"une action ordonner la radiation de tout ou partie d"une plaidoirie avec ou sans permission d"amendement, au motif

a) qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d"action ou de défense, selon le cas,

b) qu"elle n'est pas essentielle ou qu'elle est redondante,

c) qu'elle est scandaleuse, futile ou vexatoire,

[...]

f) qu"elle constitue par ailleurs un emploi abusif des procédures de la Cour,

et elle peut ordonner que l'action soit suspendue ou rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

             [maintenant règle 221(1)]

Étant donné que le juge saisi de la requête n"a pas fourni les motifs de sa décision, je présumerai pour les fins de l"appel qu"il a rendu une décision défavorable à l"appelant sur chacun des moyens.

[5]      Je statuerai premièrement sur un argument relatif à l"équité procédurale que l"appelant a soulevé. Ce dernier allègue que la décision contestée doit être annulée parce que le juge des requêtes l"a rendue le 22 avril 1998 en ne sachant pas que l"appelant avait lui aussi présenté une requête le 1er avril 1998, laquelle n"est parvenue au greffe que le 24 avril 1998. L"ancienne règle 324 n"imposait pas de délai à la partie intimée pour déposer des prétentions écrites. Comme quatre semaines s"étaient écoulées depuis la signification de la requête en radiation au moment où le juge a rendu sa décision, on ne peut lui reprocher, au vu du dossier, de s"être prononcé à ce moment sur la requête écrite, car il ignorait alors l"existence de documents qui n"allaient parvenir au greffe que deux jours plus tard. L"arrivée tardive des documents aurait pu constituer un motif de réexamen de la décision par le juge des requêtes en vertu de l"ancienne règle 330, mais l"appelant a plutôt choisi la voie de l"appel.

Le fardeau du requérant dans une requête en radiation

[6]      Les déclarations sont radiées au motif qu"elles ne révèlent aucune cause raisonnable d"action seulement dans les cas évidents où la cour est convaincue que l"affaire ne fait aucun doute (voir Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre., [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 740; Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959). Le fardeau est aussi strict quand le motif allégué est l"abus de procédure ou que les actes de procédure sont scandaleux, frivoles ou vexatoires (voir Succession Creaghan c. La Reine , [1972] C.F. 732, à la page 736 (C.F. 1re inst.), le juge Pratte; Waterside Ocean Navigation Company, Inc. c. International Navigation Ltd. et autres, [1977] 2 C.F. 257, à la page 259 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow; Micromar International Inc. c. Micro Furnace Ltd. (1988), 23 C.P.R. (3d) 214 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard; Connaught Laboratories Ltd. c. Smithkline Beecham Pharma Inc. (1998), 86 C.P.R. (3d) 36 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson). Les propos tenus par le juge Pratte (siégeant alors en première instance), en 1972, dans la décision Succession Creaghan, précitée, sont toujours aussi indiqués :

     [...] le juge qui préside ne doit pas rendre une pareille ordonnance à moins qu"il ne soit évident que l"action du demandeur est tellement futile qu"elle n"a pas la moindre chance de réussir [...]




L"alinéa 419(1) f) (abus de procédure)

[7]      L"intimée allègue que la déclaration de l"appelant constitue un abus de procédure parce que la réparation recherchée est identique à celle que M. Mennes a demandée, en 1988, dans le dossier de la Cour T-213-88. Le 16 juin 1999, le Juge en chef adjoint a mis fin à l"instance dans le dossier T-213-88 pour défaut de poursuivre. M. Mennes, un co-détenu, avait demandé à la Cour, en vain, de représenter M. Sweet à la Cour d"appel; selon l"intimée, il est l"auteur de la déclaration de l"appelant. Je ne vois aucune raison de considérer que M. Sweet devrait être lié par le fait que quelqu"un d"autre ait fait défaut de poursuivre une action en justice. À n"en pas douter, la question reste entière et il importe peu de savoir qui porte l"affaire à l"attention de la Cour.

L"alinéa 419(1)a) (aucune cause raisonnable d"action)

[8]      L"intimée allègue trois motifs pour lesquels la déclaration de l"appelant ne révèle aucune cause raisonnable d"action : i) l"appelant aurait dû épuiser tous les recours d"appel qui étaient prévus par la procédure de règlement des griefs; ii) la procédure appropriée pour l"appelant aurait été une demande de contrôle judiciaire plutôt qu"une action; et iii) l"appelant a fait défaut de présenter des faits au soutien de ses allégations. Je remarque que l"intimée n"a pas donné à entendre que la question de la double occupation des cellules ne pouvait constituer à elle seule une cause raisonnable d"action. L"avocat de l"intimée a convenu, à l"audition, qu"il s"agit certes d"une importante question à trancher. Telle était également l"opinion du juge Muldoon dans la décision Mennes c. Canada (1988), 23 F.T.R. 181, à la page 186, du juge McGillis dans la décision Williams c. Canada (Commissaire aux services correctionnels), [1993] A.C.F. no 646, T-618-93 [non publiée]; et de cette Cour dans l"arrêt Piché c. Canada (Solliciteur général) (1989), 98 N.R. 148 (C.A.), où le juge MacGuigan a examiné la question, a accepté " l"idée de droit résiduel à la vie privée comme une position théoriquement soutenable " (à la page 153), mais a refusé de se prononcer sur la question vu l"insuffisance de la preuve.

[9]      J"examinerai à tour de rôle les arguments de l"intimée.

     i)      Les appels ne sont pas épuisés

[10]      L"avocate de l"intimée allègue que l"appelant aurait dû épuiser les recours d"appel prévus à l"article 80 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition avant de s"attaquer à la pratique ou politique de double occupation des cellules. Il ne ressort certes pas clairement du dossier, à ce stade des procédures, que l"appelant n"a pas épuisé les appels prévus à la procédure -- voir les paragraphes 35 et 36 de la déclaration (D.A. à la page 20), tenus pour avérés aux fins de la requête en radiation -- et de toute façon, il n"est pas certain que la validité constitutionnelle de la pratique ou politique aurait pu être décidée dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

[11]      Ce que l"appelant conteste, ce n"est pas tant la décision du Service correctionnel du Canada (" le Service ") de le forcer à partager une cellule, mais la politique de la double occupation des cellules en soi. L"idée derrière l"argumentation de l"appelant est que la politique de la double occupation des cellules, qui touche l"appelant et de nombreux autres détenus, devrait être déclarée invalide. La politique est d"application courante et peut être contestée à tout moment; le contrôle judiciaire, avec les réparations y afférentes tels le jugement déclaratoire, les recours extraordinaires et l"injonction, est la procédure appropriée pour porter la contestation devant la Cour (voir Krause c. Canada , [1999] 2 C.F. 476 (C.A.F.)).

     ii)      Demande de contrôle judiciaire ou action

[12]      L"avocate de l"intimée allègue que, dans la mesure où l"action en justice de l"appelant se fonde sur le refus du Service d"acquiescer à sa demande d"une cellule individuelle, la réparation recherchée devrait être assimilable à un jugement déclaratoire et à une injonction à l"encontre du Service et que, conformément au paragraphe 18(3) de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi) (L.R.C. (1985), ch. F-7, et modifications), elle peut être obtenue seulement par une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l"article 18.1 de la Loi.

[13]      Avant le 1er février 1992, un jugement déclaratoire ne pouvait être obtenu de la Cour fédérale du Canada que par une action (voir l"ancienne règle 603 et les commentaires dans D. Sgayias et al., Federal Court Practice , (Toronto : Carswell, 1990 à la page 618 ss.)). Par suite des modifications de 1990 (L.C. 1990, ch. 8, art. 4) qui sont entrées en vigueur le 1er février 1992, un jugement déclaratoire ne peut maintenant être obtenu que par la voie d"un contrôle judiciaire. La modification a créé de l"incertitude quant à la procédure à choisir, car la vraie nature de la réparation recherchée dans une cause donnée n"est pas toujours parfaitement claire, particulièrement quand les parties au litige allèguent la violation de droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés . C"est vraisemblablement pour remédier à ces problèmes que le Parlement a donné à la Section de première instance le pouvoir d"" ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action " (Loi sur la Cour fédérale , paragraphe 18.4(2), ajouté L.C. 1990, ch. 8, art. 5). Il était sans doute inévitable que la cour soit saisie de procédures que l"on décrivait comme étant des actions, qui, techniquement, s"apparentaient plus à des procédures de contrôle judiciaire; le défendeur présentait alors une requête pour que l"action soit radiée et la cour y consentait généralement, en réservant le droit pour le demandeur de déposer une demande de contrôle judiciaire. Vu la complexité des questions de fait soulevées, bon nombre de ces demandes de contrôle judiciaire ont fini, une fois déposées, par être instruites par la cour, en vertu du paragraphe 18.4(2), comme s"il s"agissait d"actions, ce qu"elles étaient au départ.

[14]      Cette fâcheuse valse-hésitation est un gaspillage de ressources pour les parties au litige aussi bien que pour la Cour. Je ne suis pas du tout convaincu qu"une requête en radiation, au motif que les actes de procédure ne révèlent aucune cause raisonnable d"action, soit la procédure indiquée dans les cas où la question en litige est de savoir si une partie aurait dû entreprendre un contrôle judiciaire ou une action. Il me semble que le fait de savoir si la procédure utilisée est ou n"est pas la procédure indiquée est une question distincte de celle de savoir si la procédure, si indiquée, révèle une cause raisonnable d"action. L"intention des Règles est précisément d"éviter de radier des procédures qui auraient dû être introduites sous une autre forme. Une fois que l"on a constaté qu"une procédure donnée appartient à l"une ou l"autre des deux catégories (contrôle judiciaire ou action), le devoir de la Cour est de déterminer quelle est la catégorie applicable et de permettre que l"instance soit continuée de cette façon. Les avocats et la Cour doivent trouver les moyens d"aborder la question intelligemment et de façon pratique.

[15]      Les nouvelles Règles de la Cour fédérale (1998) donnent à la Cour et aux avocats le moyen d"éviter facilement, chaque fois que la chose est possible, d"avoir à recourir à des moyens aussi radicaux que les requêtes en radiation. La règle 57 est particulièrement pertinente quant à cette question. Elle fait en sorte que " La Cour n"annule pas un acte introductif d'instance au seul motif que l'instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d'instance ". Bien que la forme soit nouvelle, je me risque à dire que cette règle codifie une pratique déjà suivie par la Cour. Revêtent également de l"importance l"article 49 qui autorise un juge à ordonner qu'une instance introduite dans une section soit transférée à l"autre section et l"article 60 qui permet à la Cour de signaler à une partie les règles qui n'ont pas été observées et lui permettre d'y remédier selon les modalités qu'elle juge équitables.

[16]      Il est alors tout à fait inutile de demander la radiation d"actes de procédure quand, en bout de ligne, la Cour permettra au demandeur ou au défendeur de déposer un nouvel acte de procédure en bonne et due forme. Une requête en contestation d'irrégularités, en vertu de la règle 58, pourrait bien se révéler être un moyen utile, cependant moins radical, d"opérer le changement désiré. Je suis conscient que la règle 58 porte sur les irrégularités qui résultent de l"inobservation d"une disposition des Règles et que les catégories de procédures sont dictées par la Loi. Cependant, à mon avis, ce sont les Règles qui déterminent la façon dont les instances sont introduites (règle 61), et lorsqu"une instance est introduite autrement que dans la forme prescrite, la question en devient alors une d"inobservation d"une disposition des Règles, et non pas une question d"inobservation de la Loi.

[17]      Il me semble que dans une affaire où l"on recherche plusieurs réparations différentes, les unes nécessitant une action, les autres un contrôle judiciaire, la marche à suivre est de déterminer quelle est la réparation qui, logiquement, est à envisager en premier lieu, ensuite de déterminer si la procédure entreprise est celle indiquée au vu de la réparation et, sinon, de permettre à la partie de la corriger en y apportant les modifications appropriées.

[18]      En l"espèce, j"aurais été disposé, si ce n"était de la décision que j"ai finalement prise en me basant sur d"autres motifs, à traiter cette partie de la requête en radiation de l"intimée qui repose sur l"argument " contrôle judiciaire ou action " en tant que requête en contestation d"irrégularités présentée en vertu de la règle 58.

     iii)      L"insuffisance de preuve

[19]      L"intimée allègue que la déclaration renferme de simples affirmations et non des faits qui étayent les affirmations. Un examen approfondi de la déclaration permet de compter environ 35 paragraphes qui contiennent des allégations de fait, dont certaines sont à la base de la réparation recherchée qui relève de la compétence de la Cour. Il se peut qu"il manque des éléments (par exemple, en ce qui a trait à la nature et à l"étendue des préjudices allégués) et que certains autres soient incomplets (par exemple, en ce qui concerne l"occupation double involontaire de la cellule de l"appelant lui-même), mais cette déclaration contient assez d"information pour permettre à l"intimée de se faire une idée assez juste de la preuve à laquelle elle devra faire face si l"instance devait être continuée comme une action. Il serait alors loisible à l"intimée de présenter une requête pour précisions.

Alinéas 419(1)b) etc)      (actes de procédure non pertinents ou redondants, scandaleux,                  frivoles ou vexatoires)

[20]      L"intimée allègue qu"il y a de si nombreuses allégations qui sont scandaleuses, frivoles, vexatoires, non pertinentes ou redondantes dans la déclaration de l"appelant qu"elle devrait être entièrement radiée.

[21]      Un juge n"a pas pour fonction de remanier les actes de procédure. Toutefois, il lui incombe de procéder à un examen approfondi d"un acte de procédure avant de déterminer qu"il ne peut être sauvegardé par des modifications appropriées. Pour paraphraser mon confrère le juge Stone dans la décision Krause (précitée à la page 493), un juge saisi d"une requête en vertu des l"alinéas 419(1)b ) et c) doit décider si un document est " si vicié qu"il défie toute correction par simple modification ". Une telle décision requiert que l"on procède à un dosage délicat des différents aspects de la question, procédé qui ne répond à aucune norme définie. Chaque acte de procédure doit être évalué individuellement, compte tenu, notamment, de la situation dans laquelle se trouve la partie, des questions et des arguments soulevés, de la manière et du ton avec lesquels ils ont été soulevés, du nombre et de la proportion des allégations viciées et de la facilité avec laquelle les modifications nécessaires peuvent être apportées. Lorsque la Cour est en présence d"une partie qui se représente elle-même, elle ne doit pas trop facilement se laisser rebuter par la seule formulation d"allégations ou arguments qui ne correspond pas aux normes juridiques consacrées.

[22]      En l"espèce, je considère que 43 des 58 allégations sont acceptables, que 11 (c.-à-d. les paragraphes 8, 9, 11, 12, 29, et 41 à 46 incl.) sont totalement inacceptables, et que 4 (c.-à-d. les paragraphes 1, 16, 33 et 34) sont partiellement inacceptables. Je considère également que la plupart des réparations recherchées sont soit rédigées de façon si confuse qu"elles deviennent inintelligibles soit centrées sur des dommage-intérêts qui ne peuvent être sollicités que dans le cadre d"une action. L"intitulé de la cause est également incorrect : puisque la procédure appropriée serait, comme je l"ai décidé, une demande de contrôle judiciaire, l"intimé devrait être le Service correctionnel du Canada à la place de Sa majesté la Reine.

[23]      Ces vices affectent la procédure dans son ensemble et ils ne peuvent être corrigés par une simple modification. La requête en radiation a donc été accordée avec raison par le juge des requêtes. Néanmoins, la nature de la question soulevée, le nombre de paragraphes qui sont acceptables, le fait que la partie intimée connaisse suffisamment bien la question principale soulevée par l"appelant et certains des éléments de preuve que l"appelant a l"intention de présenter, le respect pour le processus judiciaire qui se dégage de la formulation même des allégations et le fait que l"appelant soit un détenu pour qui la possibilité d"effectuer des recherches et les commodités de travail sont très limitées, tout me porte à conclure que nous sommes en présence d"une procédure qui mérite d"être continuée et que la Cour devrait permettre à l"appelant de déposer un acte de procédure modifié qui prendrait la forme d"une demande de contrôle judiciaire écrite de façon à être conforme aux lignes directrices énoncées dans les présents motifs.

[24]      L"appelant semble influencé par une forte croyance dans les lois de Dieu et dans les enseignements de l"Évangile, qui ne sont pas directement pertinents quant à une procédure judiciaire. Je m"attends à ce qu"il opte pour une approche plus terre à terre, s"il décide de déposer un acte de procédure modifié.

Dispositif

[25]      En définitive, l"appel est accueilli mais seulement pour que la réserve suivante puisse être ajoutée à l"ordonnance rendue :

         " sans préjudice du droit de l"appelant de présenter un acte de procédure modifié, en la forme d"une demande de contrôle judiciaire dirigée contre le Service correctionnel du Canada, et rédigé en conformité avec les lignes directrices prévues aux motifs de la décision ".

L"appelant aura 30 jours à partir de la date de la décision de la Cour dans le présent appel pour déposer un acte de procédure modifié.

[26]      Il n"y a pas lieu en l"espèce d"adjuger de dépens.


                             " Robert Décary "

                                             J.C.A.

" Je souscris aux présents motifs. "

     Le juge W. Andrew MacKay

" Je souscris aux présents motifs. "

     Le juge F. Joseph McDonald







Traduction certifiée conforme


Kathleen Larochelle, LL.B.

     COUR D"APPEL FÉDÉRALE

    

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE DOSSIER :                              A-324-98


APPEL INTERJETÉ CONTRE UNE ORDONNANCE DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE, DATÉE DU 22 AVRIL 1998.

DOSSIER NO T-320-98 DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE.

                

INTITULÉ DE LA CAUSE :                      James Adam Sweet et autres c.                                      Sa majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                          le 21 septembre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :          le juge Décary

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :                  le juge MacKay

                                     le juge McDonald

EN DATE DU :                              4 octobre 999


ONT COMPARU :

personne n"a comparu                          pour l"appelant


Janice Rodgers                              pour l"intimée


AVOCATS AU DOSSIER :


James Adam Sweet                              en son propre nom


Morris Rosenberg                              pour l"intimée

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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