Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20040305

Dossier : A-529-02

Référence : 2004 CAF 91

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGENOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

NEWCOURT FINANCIAL LTD.

                                                                                                                                                       appelante

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                             DU CHEF DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                           intimée

                                      Audience tenue à Montréal (Québec), le 4 février 2004.

                                          Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 mars 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                            LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                   LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NADON


Date : 20040305

Dossier : A-529-02

Référence : 2004 CAF 91

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

NEWCOURT FINANCIAL LTD.

                                                                                                                                                       appelante

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                             DU CHEF DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                           intimée

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                 Il s'agit d'un appel par Newcourt Financial Ltd. (l'appelante) dirigé à l'encontre d'une décision rendue par le juge Martineau le 13 septembre 2002 (Newcourt Financial Ltd. c. La Reine, 2003 DTC 5462), rejetant avec dépens l'appel qu'elle avait logé à l'encontre de la décision préalable du protonotaire Morneau qui avait rejeté son opposition à une saisie-exécution pratiquée par la Couronne.


Les faits

[2]                 Les faits qui sous-tendent le litige remontent au défaut des Entreprises forestières P.S. Inc. (la débitrice fiscale) de remettre au fisc les déductions prélevées sur les salaires versés à ses employés pour la période allant du 1er février 1999 au 31 octobre 1999. Les remises devaient être effectuées en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (LIR) et la Loi sur l'assurance-emploi (LAE).

[3]                 C'est dans le but de recouvrer ces montants, de même que les pénalités et intérêts y afférents, que l'intimée a enregistré auprès de la Section de première instance un certificat en vertu du paragraphe 223(3) de la LIR établissant le montant de la créance fiscale de l'intimée. Un tel certificat vaut jugement.

[4]                 Forte de ce jugement, l'intimée saisit entre les mains de la débitrice fiscale le 17 mars 2000 une débardeuse à grappin Timberjack 1997 (débardeuse) par bref de saisie-exécution émis dix jours auparavant.

[5]                 Quelques semaines plus tard, soit le 27 mars 2000, l'appelante inscrivit un préavis d'exercice de ses droits hypothécaires au Registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM). Le 11 avril 2000, la débitrice fiscale délaissa volontairement les biens visés par ce préavis, dont la débardeuse.


[6]                 Le 13 avril 2000, l'appelante produisit devant la Section de première instance une requête en opposition à la saisie pratiquée par l'intimée revendiquant le bien saisi en tant que propriétaire. Les Règles de la Cour fédérale (1998) (Règles) étant silencieuses en matière de saisie-exécution, les paragraphes 56(3) et (4) de la Loi sur la Cour fédérale prévoient que l'on doit "autant que possible" recourir aux règles de la province où sont situés les biens saisis, en l'occurrence le Québec (la Règle 448 est au même effet).

[7]                 Les règles générales et particulières en matière d'exécution forcée de biens meubles se trouvent au chapitre IV du Code de procédure civile (C.p.c.) (arts. 568 et suivantes) et ce sont ces règles et plus particulièrement l'article 597 C.p.c. qui furent invoquées par l'appelante au soutien de son opposition. Elle a prétendu être devenue propriétaire de la débardeuse suite au délaissement volontaire de sa débitrice et sa prise en paiement de ce bien.

[8]                 L'intimée a fait valoir deux arguments pour écarter cette opposition. Elle a tout d'abord prétendu que l'appelante, en tant que créancière de la débitrice fiscale, ne pouvait s'opposer à la saisie selon les termes de l'article 604 du C.p.c.. Elle devait plutôt être colloquée selon son rang lors de la distribution du produit de la vente. De plus, l'appelante ne pouvait, selon l'intimée, prendre en paiement la débardeuse et en devenir propriétaire après qu'elle eût été saisi-arrêtée.


[9]                 L'intimée a aussi fait valoir que même si l'appelante était devenue propriétaire de la débardeuse, son opposition ne pouvait prévaloir compte tenu de la fiducie réputée qui opérait en sa faveur en vertu des paragraphes 227(4) et (4.1) de la LIR, ainsi que des paragraphes 86(2) et (2.1) de la LAE.

[10]            Ces dispositions se lisent comme suit :

Loi de l'impôt sur le revenu

227(4) [Montant détenu en fiducie] Toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la présente loi est réputée, malgré toute autre garantie au sens du paragraphe 224(1.3) le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparé de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens de ce paragraphe qui, en l'absence de la garantie, seraient ceux de la personne, et en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi

227(4) [Trust for moneys deducted] Every person who deducts or withholds an amount under this Act is deemed, notwithstanding any security interest (as defined in subsection 224(1.3)) in the amount so deducted or withheld, to hold the amount separate and apart from the property of the person and from property held by any secured creditor (as defined in subsection 224(1.3)) of that person that but for the security interest would be property of the person, in trust for Her Majesty and for payment to Her Majesty in the manner and at the time provided under this Act.

(4.1) [Non-versement] Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non-versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d'un montant qu'une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d'une valeur égale à ce montant sont réputés:

(4.1) [Extension of trust] Notwithstanding any other provision of this Act, the Bankruptcy and Insolvency Act (except sections 81.1 and 81.2 of that Act), any other enactment of Canada, any enactment of a province or any other law, where at any time an amount deemed by subsection (4) to be held by a person in trust for Her Majesty is not paid to Her Majesty in the manner and at the time provided under this Act, property of the person and property held by any secured creditor (as defined in subsection 224(1.3)) of that person that but for a security interest (as defined in subsection 224(1.3)) would be property of the person, equal in value to the amount so deemed to be held in trust is deemed

a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie;

(a) to be held, from the time the amount was deducted or withheld by the person, separate and apart from the property of the person, in trust for Her Majesty whether or not the property is subject to such a security interest, and


b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie.

Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.

(b) to form no part of the estate or property of the person from the time the amount was so deducted or withheld, whether or not the property has in fact been kept separate and apart from the estate or property of the person and whether or not the property is subject to such a security interest

and is property beneficially owned by Her Majesty notwithstanding any security interest in such property and in the proceeds thereof, and the proceeds of such property shall be paid to the Receiver General in priority to all such security interests.

Loi sur l'assurance-emploi

86(2) L'employeur qui a retenu une somme sur la rétribution d'un assuré au titre des cotisations ouvrières que l'assuré doit payer, mais n'a pas versé cette somme au receveur général est réputé, malgré toute autre garantie au sens du paragraphe 224(1.3) de la Loi de l'impôt sur le revenu la concernant, la détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparée de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens de ce paragraphe qui, en l'absence de la garantie, seraient ceux de l'employeur, et en vue de la verser à Sa Majesté selon les modalités et au moment prévus par la présente loi

86(2) Where an employer has deducted an amount from the remuneration of an insured person as or on account of any employee's premium required to be paid by the insured person but has not remitted the amount to the Receiver General, the employer is deemed, notwithstanding any security interest (as defined in subsection 224(1.3) of the Income Tax Act) in the amount so deducted, to hold the amount separate and apart from the property of the employer and from property held by any secured creditor (as defined in subsection 224(1.3) of the Income Tax Act) of that employer that but for the security interest would be property of the employer, in trust for Her Majesty and for payment to Her Majesty in the manner

86(2.1) Malgré la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non-versement à Sa Majesté, selon les modalités et au moment prévus par la présente loi, d'une somme qu'un employeur est réputé par le paragraphe (2) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de l'employeur, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de l'employeur, d'une valeur égale à cette somme sont réputés :

86 (2.1) Notwithstanding the Bankruptcy and Insolvency Act (except sections 81.1 and 81.2 of that Act), any other enactment of Canada, any enactment of a province or any other law, where at any time an amount deemed by subsection (2) to be held by an employer in trust for Her Majesty in the manner and at the time provided under this Act, property of the employer and property held by any secured creditor (as defined in subsection 224(1.3) of the Income Tax Act) of that employer that but for a security interest (as defined in subsection 224(1.3) of the Income Tax Act) would be property of the employer, equal in value to the amount so deemed to be held in trust is deemed


a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où la somme est retenue, séparés des propres biens de l'employeur, qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie;

b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de l'employeur à compter du moment où la somme est retenue, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie.

(a) to be held, from the time the amount was deducted by the employer, separate and apart from the property of the employer, in trust for Her Majesty whether or not the property is subject to such a security interest, and

(b) to form no part of the estate or property of the employer from the time the amount was so deducted, whether or not the property has in fact been kept separate and apart from the estate or property of the employer and whether or not the property is subject to such a security interest

Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.

and is property beneficially owned by Her Majesty notwithstanding any security interest in such property or in the proceeds thereof, and the proceeds of such property shall be paid to the Receiver General in priority to all such security interests.

[11]            Les dispositions suivantes du Code civil du Québec (C.c.Q.) et du C.p.c. sont aussi pertinentes au dénouement du litige :

Code civil du Québec

2757. Le créancier qui entend exercer un droit hypothécaire doit produire au bureau de la publicité des droits un préavis, accompagné de la preuve de la signification au débiteur et, le cas échéant, au constituant, ainsi qu'à toute autre personne contre laquelle il entend exercer son droit.

L'inscription de ce préavis est dénoncée conformément au livre De la publicité des droits.

2757. A creditor intending to exercise a hypothecary right shall file a prior notice at the registry office, together with evidence that it has been served on the debtor and, where applicable, on the grantor and on any other person against whom he intends to exercise his right.

Registration of such a notice is made in accordance with the Book on Publication of Rights.


2758. Le préavis d'exercice d'un droit hypothécaire doit dénoncer tout défaut par le débiteur d'exécuter ses obligations et rappeler le droit, le cas échéant, du débiteur ou d'un tiers, de remédier à ce défaut. Il doit aussi indiquer le montant de la créance en capital et intérêts, s'il en existe, et la nature du droit hypothécaire que le créancier entend exercer, fournir une description du bien grevé et sommer celui contre qui le droit hypothécaire est exercé de délaisser le bien, avant l'expiration du délai imparti.

Ce délai est de vingt jours à compter de l'inscription du préavis s'il s'agit d'un bien meuble, de soixante jours s'il s'agit d'un bien immeuble, ou de dix jours lorsque l'intention du créancier est de prendre possession du bien; il est toutefois de trente jours pour tout préavis relatif à un bien meuble grevé d'une hypothèque dont l'acte constitutif est accessoire à un contrat de consommation.

2758. In a prior notice of the exercise of a hypothecary right, any failure by the debtor to fulfil his obligations shall be indicated, together with a reminder, where necessary, that the debtor or a third person has a right to remedy the default. In addition, the amount of the claim in capital and interest, if any, and the nature of the hypothecary right which the creditor intends to exercise shall be included in the notice, together with a description of the charged property and a call on the person against whom the right is to be exercised to surrender the property before the expiry of the period specified in the notice.

This period is of twenty days after registration of the notice in the case of a movable property, sixty days in the case of an immovable property, or ten days if the creditor intends to take possession of the property; however, the period is of thirty days in the case of a notice relating to movable property charged with a hypothec constituted by an act accessory to a consumer contract.

2764. Le délaissement est volontaire lorsque, avant l'expiration du délai indiqué dans le préavis, celui contre qui le droit hypothécaire est exercé abandonne le bien au créancier afin qu'il en prenne possession ou consent, par écrit, à le remettre au créancier au moment convenu.

Si le droit hypothécaire exercé est la prise en paiement, le délaissement volontaire doit être constaté dans un acte consenti par celui qui délaisse le bien et accepté par le créancier.

2764. Surrender is voluntary where, before the period indicated in the prior notice expires, the person against whom the hypothecary right is exercised abandons the property to the creditor in order that the creditor may take possession of it or consents in writing to turn it over to the creditor at the agreed time.

If the hypothecary right exercised is taking in payment, voluntary surrender shall be attested in a deed made by the person surrendering the property and accepted by the creditor.

2783. Le créancier qui a pris le bien en paiement en devient le propriétaire à compter de l'inscription du préavis. Il le prend dans l'état où il se trouvait alors, mais libre des hypothèques publiées après la sienne.

Les droits réels créés après l'inscription du préavis ne sont pas opposables au créancier s'il n'y a pas consenti.

2783. A creditor who has taken property in payment becomes the owner of it from the time of registration of prior notice. He takes it as it then stood, but free of all hypothecs published after his.

Real rights created after registration of the notice may not be set up against the creditor if he did not consent to them.


Code de procédure civile

597. L'opposition peut aussi être formée par un tiers qui a droit de revendiquer un bien saisi.

597. The opposition may also be taken by a third party who has a right to revendicate any part of the property seized.

604. Les créanciers du saisi ne peuvent s'opposer à la saisie ni à la vente.    

      Toutefois, les créanciers prioritaires ou hypothécaires peuvent exercer leurs droits sur le produit de la vente; en ce cas, ils produisent entre les mains de l'officier saisissant, au plus tard dix jours après la vente, un état de leur créance, appuyé d'un affidavit et des pièces justificatives nécessaires, lesquels doivent en outre être signifiés au saisi. Dans les dix jours de la signification de l'état d'une créance prioritaire ou hypothécaire, le saisi peut s'adresser au tribunal ou au juge pour la contester.

604. The creditors of the debtor cannot oppose the seizure or the sale.

     However, prior and hypothecary creditors may exercise their rights upon the proceeds of the sale; for that purpose, they file with the seizing officer, within ten days after the sale, a statement of their claim, supported by an affidavit and the necessary vouchers, which documents must also be served on the debtor. Within ten days of service of a statement of a prior or hypothecary claim, the debtor may apply to the court or to the judge to contest the claim.

[12]            L'avocat de l'intimée a confirmé lors de l'audition que la débardeuse n'était toujours pas vendue et qu'elle demeurait assujettie à la saisie-exécution.

Décision du protonotaire

[13]            Le protonotaire a jugé que l'état du droit au Québec était trop nébuleux pour lui permettre de conclure que l'appelante n'était pas propriétaire de la débardeuse et qu'elle ne pouvait à ce titre revendiquer le bien saisi.

[14]            Il a tout de même rejeté l'opposition au motif que la débardeuse était assujettie à la fiducie réputée, laquelle selon lui, conférait à la Couronne un droit supérieur lui permettant de maintenir la saisie malgré l'opposition de son propriétaire :


[22] De par une lecture complète du par. 227(4.1) de la LIR, on doit donc en conclure que dès février 1999, les biens de la débitrice saisie, dont le bien en litige, étaient réputés être détenus en fiducie pour Sa Majesté dans un patrimoine distinct de celui de la débitrice-saisie. De plus, Sa Majesté est considérée détenir dès la même époque un droit de bénéficiaire (beneficial ownership) dans ces biens malgré toute autre garantie, ce qui inclut une hypothèque.

[23] Enfin, il est clair du début du par. 227(4.1) de la LIR que cette dynamique en faveur de Sa Majesté s'impose malgré tout texte législatif provincial ou règle de droit. Il est donc inutile de rechercher les dispositions du Code civil du Québec ou toute règle de droit provincial que ce paragraphe 227(4.1) de la LIR peut heurter, ce paragraphe s'applique malgré toute disposition de droit au contraire.

Décision du juge Martineau

[15]            Le juge Martineau a confirmé la décision du protonotaire mais uniquement en fonction du droit civil applicable :

[27] D'entrée de jeu, et avec égards pour le protonotaire, bien que je sois d'accord avec le résultat, j'estime qu'il a erré en écartant sommairement l'application de l'article 604 C.p.c.

[...]

[29] À mon avis, cette disposition restreint les droits du créancier hypothécaire : lorsqu'une saisie est pratiquée, ce dernier ne peut plus prendre le bien saisi en paiement, mais il doit plutôt exercer ses droits sur le produit de la vente des biens saisis. Interpréter autrement cette disposition équivaudrait à permettre à un créancier hypothécaire de contourner la prohibition faite à tout créancier de s'opposer à la saisie ou à la vente du bien saisi. Tout effet utile de l'article 604 C.p.c. serait ainsi annihilé. Il faut en conséquence écarter la possibilitéqu'un créancier hypothécaire puisse en vertu de l'article 597 C.p.c. revendiquer ultérieurement un bien saisi.

[...]

[37] Vu ma conclusion concernant l'application en l'espèce de l'article 604 C.p.c., la revendication de Newcourt fondée sur l'article 597 C.p.c. est irrecevable. Il n'est donc pas nécessaire de se pencher sur les autres moyens invoqués par les parties.

Arguments soulevés à l'encontre de la décision frappée d'appel


[16]            Dans un premier temps, l'appelante prétend qu'elle est devenue propriétaire du bien visé et que c'est à ce titre plutôt qu'à celui de créancier hypothécaire qu'elle s'est opposée à la saisie de la Couronne. L'article 604 C.p.c. s'avérait donc inapplicable, et le juge Martineau a erré en droit en tirant la conclusion contraire.

[17]            L'appelante reproche aussi au juge Martineau de ne pas s'être prononcé sur l'effet de la fiducie réputée. Selon elle, la prise en paiement du bien saisi était opposable à la Couronne malgré la fiducie présumée et c'est à tort que le protonotaire a jugé que le droit de la Couronne avait préséance sur le sien.

[18]            Dans la mesure où la fiducie réputée lui était opposable, elle prétend que les paragraphes 227(4) et (4.1) de la LIR ainsi que des paragraphes 86(2) et (2.1) de la LAE sont inconstitutionnels puisqu'ils légifèrent dans un domaine de juridiction exclusive des provinces, soit celui de la propriété et du droit civil.

Analyse et décision

[19]            Pour avoir gain de cause, il incombait à l'appelante de démontrer que tant le protonotaire que le juge Martineau ont eu tort de rejeter son opposition. Je suis d'avis que le protonotaire ne pouvait écarter l'opposition de l'appelante pour le motif qu'il a retenu. Par contre, c'est à bon droit selon moi que le juge Martineau a conclu que l'opposition de l'appelante était, selon le droit civil applicable, irrecevable.


[20]            Dans les affaires La Procureure générale du Canada c. Banque nationale du Canada,     A-626-02, La Procureure générale du Canada c. Caisse populaire d'Amos, A-627-02, La Procureure générale du Canada c. Caisse populaire Desjardins de Lebel-sur-Quévillon,            A-628-02 et La Procureure générale du Canada c. Banque nationale du Canada A-629-02, notre Cour a été appelée à considérer l'effet des paragraphes 227(4.1) de la LIR et 86(2.1) de la LAE. Les motifs déposés en date d'aujourd'hui confirment que ces dispositions confèrent à Sa Majesté une priorité absolue sur le produit découlant des biens assujettis à la fiducie réputée.

[21]            La question soulevée devant le protonotaire était d'un autre ordre. Il devait déterminer si le "droit de bénéficiaire" que détenait Sa Majesté lui permettait de maintenir la saisie de la débardeuse face à l'opposition de l'appelante et effectivement d'en forcer la vente en justice contre le gré de cette dernière. Je rappelle que selon l'hypothèse retenue par le protonotaire, la débardeuse appartenait à l'appelante conformément au droit privé applicable, ce droit étant formé des Règles du code civil du Québec, qu'il convient maintenant d'appeler le "droit commun" du Québec (voir Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663, paragraphe 28).

[22]            Le paragraphe 227(4.1) de la LIR n'a pas l'effet que lui a attribué le protonotaire. Cette disposition confère à Sa Majesté une priorité absolue sur le "produit découlant [des] biens" (expression non limitative) assujettis à la fiducie réputée et prévoit à cette fin que Sa Majesté a un intérêt continu dans ces biens tant qu'ils sont assujettis à la fiducie. Mis à part le droit qui est conféré à Sa Majesté de suivre ces biens et de recevoir en priorité le produit qui en découle, le propriétaire demeure maître de son bien.


[23]            Ce disant, je n'exclus pas qu'un recours puisse être invoqué par la Couronne si le propriétaire agissait de façon à porter préjudice au droit de Sa Majesté de recevoir en priorité le produit découlant du bien, soit par exemple en le détruisant ou en atténuant sa valeur. Un tel recours existe assurément dans les provinces de common law en invoquant le corps des règles de droit anglais appelé equity et un semblable recours existe possiblement au Québec en fonction de son propre droit commun. Mais rien de la sorte n'était allégué devant le protonotaire, et la Cour n'est pas appelée à décider si ou comment un tel recours pourrait être exercé au Québec.

[24]            Je suis donc d'avis que le "droit de bénéficiaire" invoqué par la Couronne ne permettait pas au protonotaire de rejeter l'opposition de l'appelante. Cette dernière était, dans l'hypothèse retenue par le protonotaire, propriétaire de la débardeuse selon le droit commun du Québec et donc en droit de revendiquer le bien saisi. Le protonotaire devait en conséquence ordonner la mainlevée du bien saisi. Le droit de la Couronne d'obtenir en priorité le produit découlant du bien en vertu des paragraphes 227(4.1) de la LIR et 86(2.1) de la LAE n'aurait évidement pas été écarté pour autant.

[25]            Vu cette conclusion, certains des arguments soulevés par l'appelante au soutien de son attaque constitutionnelle deviennent redondants. Je crois tout de même utile de répondre à l'essentiel de l'attaque en réitérant ce que disait notre Cour dans l'affaire St-Hilaire c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 289 (C.A.F.), sous la plume du juge Décary (paragraphe 69) :

[...] le Parlement du Canada peut déroger au droit civil lorsqu'il légifère sur un sujet de droit qui relève de sa compétence.


[26]            Dans le contexte plus particulier de la LIR et des mesures de recouvrement envisagées par cette Loi, notre Cour disait dans Marcoux c. Canada (Procureur général), 2001 FCA 92 (C.A.F.) au paragraphe 6 :

Cela étant dit, le débat tel qu'il fut présenté devant nous ne soulève en fin de compte qu'une simple question d'interprétation statutaire. En effet, l'avocat de l'appelante a concédé, comme il le fit devant le premier juge, que le Parlement du Canada possède l'autorité législative pour prélever des deniers « par tous les modes ou systèmes de taxation » (par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867) (R.-U), 30 & 31 Vict. ch. 3), que cette compétence inclut celle de recouvrer les impôts ainsi prélevés (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; Transgas Ltd. c. Mid-Plains Contractors Ltd., [1994] 3 R.C.S. 753; Pembina on the Red Development Corp. c. Triman Industries Ltd., [1991] 6 W.W.R. 481) et que l'article 224 s'inscrit dans le cadre de l'exercice légitime de ce pouvoir (Sun Life Assurance Company of Canada c. Canada, [1992] 4 W.W.R. 504). Le procureur de l'appelante a aussi reconnu que le législateur fédéral dans l'exercice de ce pouvoir est libre d'écarter ou d'adopter les exceptions d'insaisissabilité décrétées par le droit provincial (Wainio c. Ontario Teachers' Pension Plan Board, [2000] O.J. No. 1175 (Q.L.) para. 6) de sorte que la seule question qui se pose en l'instance est celle de savoir si ces exceptions furent ou non écartées à l'égard de saisies effectuées en vertu de l'article 224. [Je souligne]

[27]            J'ajouterai que l'empiétement du "droit de bénéficiaire" sur le droit du propriétaire selon le droit commun applicable est très ciblé : Sa Majesté (ou plus précisément, le Receveur général) se voit reconnaître le droit de suivre le bien et d'être payée en priorité sur le produit qui en découle. Il est utile de rappeler à cet égard, les propos de la Cour d'appel de la Saskatchewan rejetant une attaque constitutionnelle semblable dirigée contre le paragraphe 224(1.2) de la LIR dans l'affaire TransGas Ltd. v. Mid-Plains Contractors Ltd., 93 D.T.C. 5391 (confirmée [1994] 3 R.C.S. 753), à la page 5398 :


[...] having already noted that the legislation at issue has been enacted pursuant to a valid federal purpose, we conclude that intrusion by the provision upon provincial jurisdiction is justified. The provision enables the Minister to collect withheld taxes by garnisheeing funds payable to the delinquent employer funds that would not have been available to other creditors if they had been remitted as required by law. In order to ensure the collection of "withheld" tax money, the government has enacted this garnishment provision with the result that it constitutes an integral and essential part of the collection scheme as it is clearly designed to attack the problem of tax deficiencies due to conversion or other types of misappropriation at the source of the deductions.

[28]            Ceci nous amène à la décision du juge Martineau. L'appelante prétend être devenue propriétaire de la débardeuse le 16 avril 2000, soit 20 jours après l'inscription du préavis, avec effet rétroactif au 27 mars 2000, date de cette inscription. Ainsi, le 17 mars 2000, jour de la saisie pratiquée par l'intimée, l'appelante n'était toujours pas propriétaire du bien, même en tenant compte de l'effet rétroactif de l'article 2783 C.c.Q.

[29]            Face à cet état de fait, et après avoir cité l'article 604 C.p.c., le juge Martineau a conclu que l'appelante ne pouvait se prévaloir de l'article 597 C.p.c. pour revendiquer le bien. L'essentiel de son raisonnement apparaît au paragraphe 29 de ses motifs :

À mon avis, cette disposition [604 C.p.c.] restreint les droits du créancier hypothécaire : lorsqu'une saisie est pratiquée, ce dernier ne peut plus prendre le bien saisi en paiement, mais il doit plutôt exercer ses droits sur le produit de la vente des biens saisis. Interpréter autrement cette disposition équivaudrait à permettre à un créancier hypothécaire de contourner la prohibition faite à tout créancier de s'opposer à la saisie ou à la vente du bien saisi. Tout effet utile de l'article 604 C.p.c. serait ainsi annihilé. Il faut en conséquence écarter la possibilité qu'un créancier hypothécaire puisse en vertu de l'article 597 C.p.c. revendiquer ultérieurement un bien saisi.

[30]            L'appelante nous demande d'écarter le raisonnement du juge Martineau, mais elle n'a pas été en mesure d'en attaquer la logique. L'effet incontournable de l'article 604 C.p.c. est d'empêcher tout créancier, incluant le créancier hypothécaire, de s'opposer à la saisie. Or, permettre à un créancier hypothécaire de prendre en paiement un bien déjà assujetti à une saisie viderait cette disposition de tous ses effets utiles.


[31]            L'appelante prétend que le droit du créancier hypothécaire de prendre en paiement le bien assujetti à sa garantie malgré la saisie du bien pratiquée par un tiers est bien établi par la jurisprudence. Elle cite à l'appui National Trust c. Bureau, [1979] C.S. 241, Dorion c. Lagarde, [1987] R.D.I. 50, Construction Rivard & Lavallée Inc. c. CCEPTA, [1986] R.D.I. 92, Les Produits aluminium P.S. Inc. c. Cardinal, [1992] R.D.I. 518 et Mcguire-Morin c. 1855-5185 Québec Inc. REJB 1998-09062.

[32]            La question en litige dans toutes ces causes, jugées avant le dernier amendement apporté en 1992 à l'article 604 C.p.c., était de savoir si un créancier hypothécaire pouvait exercer l'action de dation en paiement prévue à l'ancien Code civil du Bas-Canada (C.c.B.C.) alors qu'un bien était sous saisie. Les tribunaux ont répondu par l'affirmative puisque la dation en paiement avait comme conséquence de conférer le titre de propriété au créancier rétroactivement au jour où le débiteur s'était obligé, soit dans tous ces cas, avant la saisie-exécution.

[33]            C'était là l'effet de la dation en paiement de l'article 1040a) du C.c.B.C. qui fut remplacée en 1994 par le mécanisme de prise en paiement, lequel ne fait rétroagir le titre de propriété qu'au moment de l'inscription du préavis d'exercice (voir à titre comparatif National Trust Company Ltd. c. Gilles Bureau Ltd, (1979) C.S. 241).

[34]            L'interprétation retenue par le premier juge est celle que fait valoir Louis Payette, spécialiste en matière de sûretés, dans une publication qui a coïncidé avec la réforme du Code civil :


D'une part, l'article 604 C.p.c. énonce que les créanciers du saisi ne peuvent pas s'opposer à la saisie et à la vente des biens du débiteur commun. Cette règle est applicable même à ceux qui sont titulaires de sûretés, plus précisément, dans le vocabulaire du nouveau code, d'une "hypothèque" ou d'une "priorité"; ces créanciers garantis, dont l'article 718 du Code de procédure civile rend la créance liquide et exigible suite à la saisie, ont le droit d'être payés par préférence et celui de contester l'état de collocation qui ne le prévoirait pas mais n'ont, pas plus que les créanciers ordinaires, le droit d'empêcher la saisie. L'octroi d'une sûreté sur un bien ne soustrait pas ce bien du gage commun des autres créanciers ni au droit de ceux-ci de saisir ce bien. La saisie d'un bien par un créancier ordinaire peut donc avoir pour effet de priver un autre créancier, qui a hypothèque sur le bien saisi, de choisir parmi les différents recours que son hypothèque lui confère celui qu'il aurait autrement pu exercer. Ainsi la saisie par un créancier ordinaire pourra priver un créancier hypothécaire d'exercer son droit de prendre le bien en paiement (Louis Payette, La réforme du code civil - "Des priorités et des hypothèques", Les Presses de l'Université Laval, 1993, volume 3, paragraphe 86).

[35]            L'appelante a prétendu que cette opinion doctrinale avait été écartée par la Cour supérieure dans Compagnie d'assurance Vie Manufacturers c. Goyer Inc. R.E.J.B., 1997-02927 (C.S.). Dans cette affaire, la juge Rayle (maintenant juge à la Cour d'appel du Québec) devait se pencher sur la validité de la prise en paiement d'un bien saisi par un tiers avant jugement. La prise en paiement avait eu lieu après la saisie avant jugement, mais avant que le tiers n'obtienne jugement.

[36]            La Cour a conclu que la prise en paiement était valide puisqu'elle avait eu lieu avant que le tiers obtienne jugement. Selon la juge Rayle, une saisie avant jugement est une mesure conservatoire qui se distingue de la saisie exécution visée par l'article 604 C.p.c. (paragraphe 12). Après avoir cité le passage précité de Me Payette, elle dit (paragraphe 11) :


Avec égard, le Tribunal ne croit pas que l'extrait ci-dessus s'applique à la solution du présent problème. En effet, Manufacturers n'est pas, dans le cas qui nous occupe, un créancier hypothécaire qui devrait tel que l'indique Me Louis Payette, respecter les procédures d'exécution qui auraient déjà été engagées par la créancière ordinaire suite au jugement prononcé en sa faveur. Dans un tel cas, la saisie-exécution du bien par le créancier ordinaire aura pour effet de priver la créancière hypothécaire de son droit de prendre en paiement le bien déjà saisi et assujetti à la vente publique. Dans une telle hypothèse, la créancière hypothécaire verra sa créance liquidée par l'effet du jugement rendu en faveur de l'autre créancier (art. 718 C.p.c.). et aura le droit d'être payé par préférence ou de contester l'état de collocation qui ne protégerait pas sa créance (art. 604 et 615 C.p.c.). (Je souligne)

[37]            Non seulement constatons-nous que la Cour ne remet pas en question l'opinion exprimée pas Me Payette, mais elle confirme que dans l'hypothèse retenue par ce dernier, le créancier hypothécaire est privé de son droit de prendre le bien en paiement.

[38]            L'appelante ne m'a pas convaincu que le juge Martineau a eu tort de conclure qu'elle ne pouvait s'opposer à la saisie de la débardeuse.

[39]            De son propre chef, le premier Juge a élaboré deux motifs additionnels à l'encontre de l'appelante sans les retenir comme motifs de rejet puisqu'ils n'avaient pas été soulevés devant lui. Il a soulevé entre autres la Règle 447 des Règles de la Cour fédérale qui prévoit :

447. Aux fins de l'exécution d'une ordonnance, les biens sont grevés d'une charge à compter de la date de la remise au shérif du bref de saisie-exécution.

447. Property is bound for the purpose of execution of an order as of the date of the delivery to the sheriff of a writ of seizure and sale.

(Je souligne)

[40]            Dans le cas présent, le bref de saisie-exécution a nécessairement été remis au shérif (ou à un officier compétent selon la Règle 2) avant le 17 mars 2000, date à laquelle la saisie autorisée par le bref fut exécutée. Le juge Martineau s'est donc demandé si cette charge crée par la remise du bref au shérif était opposable à l'appelante. Il a laissé entendre qu'elle le serait (motifs, paragraphe 43) :


C'est du moins ce que l'on peut conclure à la lumière du jugement rendu dans Attorney General of Canada c. Boucher et al. (1979), 28 N.B.R. (2d) 211 et 63 A.P.R. 211 (N.B.Q.B.), où l'on a décidé que l'ancienne règle 2106, qui était rédigée en des termes similaires à ceux que l'on retrouve à la règle 447 des Règles, permettait de poursuivre l'exécution d'un jugement contre le nouvel acquéreur d'un immeuble.

[41]            Selon la preuve, la charge qui découle de la Règle 447 a pris naissance avant le moment où l'appelante serait devenue propriétaire du bien de sorte qu'en vertu des termes mêmes de l'article 2783 C.p.c. (à contrario), le droit de propriété invoqué par l'appelante ne serait pas opposable à Sa Majesté.

[42]            L'appelante dans le cadre de son appel a tenté tant bien que mal d'écarter l'effet de la Règle 447 sur le bien saisi. Elle a tout d'abord soutenu que la charge dont il est question à la Règle 447 ne crée pas "une charge spécifique ou une garantie sur les biens" c'est-à-dire "un type de droit réel" (Mémoire de l'appelante, paragraphes 61 et 65). Elle fonde son argument sur le mot "bound" dans le texte anglais qui ne serait pas évocateur d'un droit "sur le bien" (Mémoire de l'appelante, paragraphes 61 à 64).

[43]            Selon moi, le texte de la Règle 447 ne donne pas lieu à l'ambiguïté que tente de soulever l'appelante. Ce sont "les biens [qui] sont grevés d'une charge"-- "Property is bound" -- et l'on ne peut raisonnablement prétendre que cette charge n'est pas de la nature d'un droit réel.


[44]            L'appelante a aussi prétendu que son droit au bien saisi se serait concrétisé au moment de l'acte de prêt soit avant le moment où la débardeuse fut grevée de la charge crée en vertu de la Règle 447 (Mémoire de l'appelante, paragraphe 66). Or, comme nous l'avons vu, la prise en paiement, contrairement à l'ancienne dation en paiement, ne rétroagit pas au moment de l'acte constitutif de la garantie, mais bien à la date de l'inscription du préavis laquelle, dans le cas qui nous occupe, est postérieure à la date de la remise du bref au sens de la Règle 447.

[45]            Enfin, l'appelante a tenté de distinguer l'affaire Boucher à laquelle le juge Martineau fait allusion dans ses motifs (Mémoire de l'appelante, paragraphes 68 à 71). Il suffit de dire à cet égard que bien que cette décision portait sur une saisie immobilière, rien ne permet d'écarter une saisie mobilière du principe qui s'en dégage.

[46]            Finalement, le premier juge a senti le besoin de remettre en question la bonne foi de l'appelante. Il dit aux paragraphes 39 et 40 de ses motifs :

[39] Tout d'abord, faut-il le rappeler, le bien que Newcourt revendique en vertu de l'article 597 C.p.c. et des articles 2764 et 2783 C.c.Q. se trouvait alors sous l'autorité du gardien désigné dans le procès-verbal de saisie. À cet égard, pour que le délaissement soit volontaire, l'article 2764 C.c.Q. exige qu'avant l'expiration du délai indiqué dans le préavis, celui contre qui le droit hypothécaire est exercé, abandonne le bien au créancier afin qu'il en prenne possession ou consente, par écrit, à le remettre au créancier au moment convenu. Or, l'article 583 C.p.c. prévoit que le débiteur qui est nommé gardien ne peut ni enlever ni détériorer les biens saisis, sous peine d'outrage au tribunal et de dommages-intérêts. Dès lors, comment un débiteur saisi peut-il, sans autorisation de la Cour, abandonner le bien saisi à un autre créancier afin qu'il en prenne possession? Comment peut-il autrement consentir, en vertu de l'article 2764 C.c.Q., à remettre le bien saisi au moment convenu à un autre créancier; l'autorisation écrite constituant en effet permission d'enlever le bien saisi?


[40] D'autre part, les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. consacrent le principe bien établi en droit civil que toute personne est tenue d'exercer ses droits selon les exigences de la bonne foi. Compte tenu du fait que Newcourt était informée de l'exercice des droits de Sa Majesté, peut-on dire que Newcourt était de bonne foi lorsqu'elle a sommé Forestières de délaisser le bien saisi? Peut-on interpréter ce geste comme une tentative de faire échec à l'application des droits de Sa Majesté? Newcourt pouvait-elle se contenter d'enregistrer son préavis au RDPRM ou aurait-elle dû également en transmettre copie au créancier saisissant, c'est-à-dire à Sa Majesté? Puisque l'inscription du préavis au RDPRM a eu lieu le 27 mars 2000, le délai de 20 jours prévu à l'article 2758 C.c.Q. expirait le 16 avril 2000. Dès lors, comment, dans l'affidavit du 13 avril 2000 fourni au soutien de son opposition, Newcourt pouvait-elle à cette dernière date se réclamer propriétaire du bien saisi?

[47]            L'appelante n'a pas cru bon de répondre à ces dernières questions si ce n'est qu'elle insiste avoir agi "en toute bonne foi" (Mémoire de l'appelante, paragraphe 55). Il me semble clair d'une part, que l'appelante ne pouvait dans l'affidavit du 13 avril 2000 affirmer être propriétaire du bien saisi puisqu'elle ne l'était pas au moment de la signature de l'affidavit. Cette représentation n'est pas rendue moins fausse du fait que l'appelante serait par la suite devenue propriétaire du bien saisi avec effet rétroactif au 27 mars 2000. Au moment du serment, l'affirmation était fausse et cet état de fait demeure inchangé.

[48]            D'autre part, il me semble clair que la débitrice fiscale, en tant que gardienne du bien saisi entre ses mains par la Couronne, avait le devoir de le conserver et donc de ne pas l'abandonner à l'appelante comme elle l'a fait. L'appelante ne devait surtout pas l'inciter à délaisser le bien sachant que sa débitrice en était la gardienne. Selon moi, c'est à bon droit que le premier juge a remis en question la bonne foi de l'appelante.

[49]            Je rejetterais l'appel avec dépens.

                     "Marc Noël"                        

j.c.a.


"Je suis d'accord.

Robert Décary, j.c.a."

"Je suis d'accord.

M. Nadon, j.c.a."


                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        A-529-02

INTITULÉ :                                                        Newcourt Financial Ltd.

c.

Sa Majesté la Reine du Chef du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                              4 février 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                 Le juge Noël

Y ONT SOUSCRIT :                                        Le juge Décary

Le juge Nadon

DATE DES MOTIFS :                                     5 mars 2004

COMPARUTIONS:

Me Paule Lafontaine                                             POUR L'APPELANTE

Me Patrick Vézina/Me Louis L'Heureux           POUR L' INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

EIDINGER & ASSOCIÉS                                 POUR L'APPELANTE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                 POUR L'INTIMÉE

Sous-Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                          


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