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     Date : 1998.03.26

     A-243-96

     OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 26 MARS 1998

CORAM :      LE JUGE STRAYER
         LE JUGE DESJARDINS
         LE JUGE ROBERTSON

     Affaire intéressant la Loi de l'impôt sur le revenu

E n t r e :

     W. STRUAN ROBERTSON,

     appelant,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     JUGEMENT

[1]      L'appel est rejeté avec dépens.

     " B.L. Strayer "

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL. L.

     Date : 1998.03.26

     A-243-96

     OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 26 MARS 1998

CORAM :      LE JUGE STRAYER
         LE JUGE DESJARDINS
         LE JUGE ROBERTSON

E n t r e :

     W. STRUAN ROBERTSON,

     appelant,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le mercredi 11 février 1998.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le jeudi 26 mars 1996.

MOTIFS DU JUGEMENT       LE JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE STRAYER

     LE JUGE DESJARDINS

     Date : 1998.03.26

     A-243-96

CORAM :      LE JUGE STRAYER
         LE JUGE DESJARDINS
         LE JUGE ROBERTSON

     Affaire intéressant la Loi de l'impôt sur le revenu

E n t r e :

     W. STRUAN ROBERTSON,

     appelant,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DESJARDINS

[1]      Dans le présent appel d'un jugement de la Cour canadienne de l'impôt1, l'appelant affirme que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas tenu compte de certains éléments de preuve pertinents concernant les circonstances entourant l'achat d'actions acquises en 1990 d'une compagnie par voie de levée d'option ainsi que leur vente en novembre 1990. L'appelant ne conteste qu'une des questions analysées par le juge de la Cour de l'impôt, en l'occurrence la question de savoir si l'acquisition des actions par voie de levée d'option et la disposition de ces actions, en 1990, constituent un " risque de caractère commercial "2.

[2]      L'intimée a profité du présent appel pour débattre à nouveau une question au sujet de laquelle le tribunal inférieur lui a donné tort, en l'occurrence la question de savoir si le choix que l'appelant a effectué en vertu du paragraphe 39(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) au moment de la production de sa déclaration de revenus personnelle de 1984 a été valablement effectué. Les deux parties ont formulé de nouvelles observations au sujet de la question de savoir si l'appelant est un " commerçant ou courtier en valeurs mobilières " au sens du paragraphe 39(5) de la Loi et au sujet de la question de savoir si les actions que l'appelant a acquises par voie de levée d'option et qu'il a vendues en 1990 constituent un " titre prescrit " au sens du paragraphe 39(6) de la Loi et du sous-alinéa 6200c) (iii) du Règlement de l'impôt sur le revenu.

[3]      Comme j'en viens à la conclusion qu'il était loisible au juge de la Cour de l'impôt de conclure que l'opération de novembre 1990 n'était pas un risque de caractère commercial, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur les trois autres questions qui ont été débattues devant nous.

Les faits

[4]      Le juge de la Cour de l'impôt a déclaré au début de ses motifs du jugement que " la plupart des faits n'ont pas été contestés et sont énoncés dans l'avis d'appel ou dans la réponse à l'avis d'appel ou l'ont été dans le cadre de la preuve présentée au procès ". L'appelant soutient toutefois que le premier juge n'a pas tenu compte de certains éléments de preuve pertinents. Vu cet état de fait, je vais tenter de résumer les faits en tenant compte des moyens soulevés par l'appelant.

[5]      L'appelant a été nommé président de la Central Guarantee Trust Company (C.G.T.) le 20 mars 1985. Aux termes de son contrat de travail, il se voyait accorder une rémunération élevée, un régime de retraite et une option d'achat d'actions. L'option d'achat d'actions qui lui était accordée était une option de cinq ans lui permettant de se porter acquéreur de 250 000 actions ordinaires de la C.G.T. au prix d'onze dollars l'action. Cette option devait être levée au plus tard le 20 mars 1990. La C.G.T. a consenti des prêts bancaires garantis à ses employés pour leur permettre d'acheter des actions de la compagnie.

[6]      Lors de la production de sa déclaration de revenus personnelle de 1984, au début de mai 1985, l'appelant a joint à sa déclaration le formulaire de choix prévu au paragraphe 39(4) de la Loi. Cette disposition permet à un contribuable d'exercer un choix qui faisait en sorte que tous les titres canadiens dont il dispose au cours de l'année d'imposition en question ou de toute autre année d'imposition ultérieure sont réputés être des immobilisations3. L'appelant a signé et rempli toutes les sections du formulaire, à l'exception de celle l'invitant à désigner tout titre canadien dont il avait disposé au cours de l'année d'imposition pertinente, l'année 1984. Revenu Canada a renvoyé le formulaire à l'appelant en lui demandant de remplir la section vide et de lui retourner le formulaire. L'appelant a rempli la section vide et a retourné le formulaire dûment rempli, conformément à la demande qui lui avait été faite.

[7]      En mai 1986, la Central Capital Corporation (la C.C.C.) a été constituée en personne morale et a été désignée comme société mère d'un groupe de compagnies dont la C.G.T. faisait partie. La C.C.C. était une compagnie publique. Ses actions ordinaires et ses actions de catégorie A étaient inscrites à la Bourse de Toronto. En mai 1986, l'appelant a été nommé président du conseil d'administration de la C.C.C. En 1990, il en est devenu le vice-président. La valeur des actifs de la C.C.C. a connu une croissance rapide au cours des années précédant 1989, et la C.C.C. a déclaré des profits jusqu'en 1989 inclusivement.

[8]      En mai 1986, l'option qui avait précédemment été consentie à l'appelant a été convertie en option lui permettant d'acheter avant le 21 mars 1990 jusqu'à 375 000 actions ordinaires de la C.C.C. au prix de 7,33 $ l'action. En avril 1987, cette option a de nouveau été convertie en option d'achat de 562 500 actions ordinaires de la C.C.C. au prix de 4,89 $ l'action. Cette option devait être levée au plus tard le 20 mars 1990. Le 28 octobre 1987, l'appelant a levé l'option d'achat et s'est porté acquéreur de 300 000 actions ordinaires de la C.C.C. à 4,89 $ l'action. Conformément à une convention antérieurement conclue, il a immédiatement vendu les actions aux deux actionnaires majoritaires de la C.C.C., MM. Ruben Cohen et Leonard Ellen. L'appelant a déclaré un gain en capital au titre de la disposition des actions en question.

[9]      Par suite de l'exercice d'autres droits que lui conférait le régime d'option d'achat d'actions de la C.C.C., l'appelant détenait, à la fin de 1989, environ 250 000 actions de catégorie A qu'il a remises à la Banque Royale du Canada et à la Banque Nationale du Canada en garantie des emprunts qu'il avait contractés pour financer l'acquisition de ces actions.

[10]      En 1989 et jusqu'en novembre 1990, la C.C.C. a, par voie d'" offre publique de rachat " enregistrée auprès de la Bourse de Toronto, racheté certaines de ses actions qui étaient en circulation sur le marché. Ces rachats, ajoutés aux achats effectués par des sociétés contrôlées par deux actionnaires majoritaires et aux achats effectués par des cadres dirigeants, ont eu pour effet de maintenir le cours des actions de la C.C.C. qui, autrement, auraient pu chuter. Ces opérations mises à part, le marché des actions de la C.C.C. était étroit, notamment pour ce qui était des actions ordinaires. Jusqu'en mars 1990, la plupart des rachats effectués par voie d'" offre publique de rachat " visaient des actions de catégorie A, mais, à partir de cette date, la C.C.C. a également racheté un nombre important d'actions ordinaires.

[11]      Le 3 janvier 1990, l'appelant a levé la dernière option qui lui avait été consentie et a acquis 262 500 actions ordinaires de la C.C.C. au prix de 4,89 $ l'action. Cet achat a été intégralement financé au moyen d'un prêt de 1 283 625 $ consenti par la Banque Lloyds (qui est par la suite devenue la Banque Hongkonk du Canada). L'appelant a exercé ses droits ce jour-là au lieu d'attendre une date plus rapprochée de la date d'expiration de l'option, le 21 mars 1990, en partie parce qu'il craignait que ne survienne un événement qui l'empêcherait, à titre d'initié4, de lever son option plus tard. Il avait eu, en novembre et en décembre 1989, des conversations à ce sujet avec Me Suzan MacLean, l'avocate générale de la C.C.C., au sujet de ses obligations à titre d'initié et de la levée de l'option.

[12]      L'appelant a témoigné qu'en 1989, les perspectives à long terme de la société semblaient plus rassurantes que ses perspectives à court terme pour 1990 et 1991. En effet, les perspectives à court terme de la société semblaient [TRADUCTION] " inquiétantes et plutôt défavorables "5. Il a exercé le 3 janvier 1990 les derniers droits d'option qui lui restaient au moins en partie pour garantir son admissibilité au dividende spécial afférent aux actions ordinaires de la C.C.C. dont, en tant qu'initié de la C.C.C., il prévoyait la déclaration. Au moment de la levée de l'option, il s'attendait à recevoir d'une journée à l'autre de l'argent comptant par suite de la vente de la participation de la C.C.C. dans l'Inter-City Gas et à ce qu'un dividende spécial soit déclaré sous peu. C'était une opération extrêmement complexe. D'autres actionnaires étaient en cause. Des ordonnances judiciaires ont été prononcées et il fallait obtenir des ordonnances de la part d'organismes de réglementation. On n'en voyait pas la fin6. Il savait, en tant qu'initié, qu'il ne pouvait pas vendre les actions tant que l'annonce de leur vente ne serait pas faite. Il serait alors libre de les vendre. Il savait toutefois qu'il ne serai pas admissible aux dividendes accrus déclarés chaque trimestre sur les actions ordinaires. Le versement de ce dividende accru avait été annoncé le 23 novembre 1989 et son versement a été fixé au 1er janvier 1990. En levant son option le 3 janvier 1990, l'appelant ne remplissait pas les conditions requises pour recevoir ce dividende sur les actions acquises par voie d'option.

[13]      Au moment de la levée de son option, l'appelant craignait de manquer de liquidités pour rembourser les emprunts qu'il avait contractés et ce, malgré le fait qu'il touchait chaque année une pension de plus de 100 000 $ de la Maritime Telephone and Telegraph (son ancien employeur), ainsi qu'un salaire d'au moins 250 000 $ de la C.C.C. (lequel salaire a été converti en pension au cours de la dernière partie de cette année-là), ainsi qu'une prime de 50 000 $ de la C.C.C. L'appelant craignait que le revenu tiré des dividendes versés sur ses actions ne suffirait pas à couvrir les dépenses auxquelles il devait faire face. Les échéances des prêts bancaires étaient les suivantes : 782 206 $ en novembre 1990, 924 000 $ en septembre 1991 et 927 752 $ en juillet 1992. Il savait qu'il lui faudrait rembourser ces prêts bancaires un jour.

[14]      Le 28 février 1990, l'appelant a transféré dans son régime enregistré d'épargne-retraite (R.E.E.R.) le nombre maximal autorisé d'actions acquises par voie de levée d'option qu'il possédait encore (9 540). L'appelant a expliqué qu'il avait reçu en 1989 un revenu de pension qu'il pouvait transférer libre d'impôt dans un régime enregistré d'épargne-retraite au plus tard à la fin de février 1990 et déduire ce revenu sur le plan fiscal lors du calcul de son revenu de 1989. Il n'avait pas d'argent comptant pour faire un tel paiement, mais il lui était loisible de verser une cotisation à ce régime sous forme d'actions de la société. C'est ce qu'il a fait.

[15]      À la fin d'avril 1990, l'appelant a, en tant qu'initié, appris la mauvaise nouvelle que le portefeuille de services bancaires d'investissement de la société7 était considérablement surévalué. Les pertes subies à l'égard de ce portefeuille ont été rendues publiques à compter du premier rapport trimestriel de 1990 que la société a publié le 17 mai 1990, mais toujours après que les membres du conseil d'administration en eurent été informés. D'autres importantes pertes sèches ont également été rendues publiques par la suite. Les pertes générales déclarées par la société pour cette période ont entraîné la chute constante du cours de ses actions en 1990. En novembre 1990, la société a décidé de ne pas renouveler son " offre publique de rachat ".

[16]      Le 28 novembre 1990, l'appelant a vendu à M. R. Moore les 253 050 actions qu'il avait acquises par voie de levée d'option pour 6,75 $ l'action, le cours du marché ce jour-là, avec l'intention de les racheter peu de temps après. Il a témoigné que, sur l'avis d'experts-comptables, les actions avaient été vendues pour cristalliser un gain en capital. Il croyait qu'il cristalliserait une perte en capital. Le 31 décembre 1990, il a racheté les actions en question de M. Moore au cours du marché ce jour-là, soit 6,875 $. Il a vendu de façon définitive en décembre 1991 ces actions restantes, qu'il avait acquises par voie de levée d'option.

[17]      En vendant le 28 novembre 1990 l'option de la C.C.C. qu'il avait levée le 3 janvier 1990, l'appelant a réalisé, par application du paragraphe 7(1) de la Loi, un bénéfice imposable qui a été ajouté au prix de base rajusté de ses actions conformément à l'alinéa 53(1)j) de la Loi. L'opération s'est soldée par une perte, étant donné que le produit de la disposition des actions était inférieur à son prix de base rajusté ainsi calculé. Au moment de la production de sa déclaration de revenus de 1990, l'appelant a déclaré cette opération en tant qu'opération de capital, car il ne savait pas que l'acquisition et la disposition subséquente d'actions ordinaires, en 1990, pouvaient être déclarées comme faisant partie d'un " risque de caractère commercial ". Il a par la suite essayé de déduire cette perte en tant que perte d'entreprise subie dans le cadre d'un " risque de caractère commercial ". L'intimée a maintenu sa position et a considéré la perte comme une perte en capital.

Thèse de l'appelant

[18]      L'appelant soutient que le juge de la cour de l'impôt n'a pas tenu compte des raisons qui l'ont poussé à acquérir les actions en question. Selon lui, la preuve démontre à l'évidence que le principal objectif visé par l'appelant lorsqu'il a exercé en 1990 ses droits d'acquisition des actions restantes par voie de levée d'option était, conformément à ses obligations d'initié, de revendre les actions le plus tôt possible, de manière à rembourser sa dette et à se remettre à flot. L'appelant a dû revendre ses actions assez rapidement à cause de la nouvelle dette qu'il avait contractée en levant l'option. Il s'est aperçu qu'il était soumis aux restrictions applicables aux initiés relativement à l'intention de la C.C.C. de déclarer un dividende spécial, mais il s'attendait à ce que le problème se règle rapidement. Il a ensuite appris, en avril 1990, que le portefeuille de services bancaires d'investissement de la C.C.C. subissait de lourdes pertes, ce qui a eu des répercussions négatives sur le cours de ses actions. Ces renseignements ne devaient être rendus publics que graduellement au cours des mois suivants. S'il en avait eu le choix à ce moment-là, l'appelant aurait de toute évidence eut intérêt à vendre ses actions sans délai. Il affirme que, dans ces conditions, sa décision de ne pas vendre ses actions ne démontre pas qu'il avait l'intention de faire un placement, mais s'explique tout simplement par ce qu'il croyait être ses obligations d'initié. L'appelant affirme qu'il a finalement vendu ses actions aussi rapidement qu'il pouvait légalement le faire. En concluant que " [...] rien ne prouve que l'appelant souhaitait vendre le plus tôt possible [...] "8, le juge de la Cour de l'impôt n'aurait pas tenu compte de certains éléments de preuve pertinents et aurait jugé pertinents des éléments de preuve qui ne l'étaient pas. Plus particulièrement, ajoute l'appelant, le juge de la Cour de l'impôt n'a tiré aucune conclusion au sujet des dettes de l'appelant et de ses obligations d'initié. Le juge a considéré comme très pertinents les conseils que lui ont donnés ses experts-comptables alors que, selon l'appelant, ces conseils n'ont rien à voir avec la question de savoir si l'opération était une opération de capital ou de revenu.

Analyse

[19]      Il ne fait aucun doute que le juge de la Cour de l'impôt a abordé la question de savoir si la revente à profit était le facteur qui avait motivé l'appelant à acheter les actions restantes par voie de levée d'action le 3 janvier 1990. Le juge de la Cour de l'impôt a déclaré d'entrée de jeu qu'il n'entendait " exposer que les arguments importants de chacun des avocats, ainsi que [sa] propre opinion "9. Il a résumé les moyens invoqués par l'appelant et a précisé que la question soulevée par l'appelant était la principale question à examiner10. L'appelant n'est donc pas justifié de se plaindre que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas tenu compte des raisons ayant motivé ses actes.

[20]      Le juge de la Cour de l'impôt a appliqué le bon critère, en l'occurrence le critère de savoir si, au moment de l'achat, l'appelant avait l'intention de revendre les actions à profit dès que possible11. Cela revient à se demander si une revente rapide a motivé de façon importante l'appelant à acheter les actions restantes par voie de levée d'option.

[21]      Le juge de la Cour de l'impôt était conscient de la complexité de la tâche qu'il s'apprêtait à entreprendre. Il a déclaré :

         Il existe une multitude d'affaires qui traitent de la jurisprudence sur la question de savoir s'il s'agit de capital ou de revenu. Ces affaires comportent une grande variété de situations factuelles, et la meilleure aide que l'on puisse obtenir face à ce problème réside souvent dans les causes où les faits ressemblaient à ceux de l'espèce et où les tribunaux ont énoncé des principes juridiques sur le sujet. Malheureusement, les tribunaux ne sont guère unanimes. L'un conclut qu'il s'agit de capital, tandis que l'autre conclura qu'il s'agit de revenu, et ce, dans des situations souvent fort semblables.         

[22]      Après avoir résumé les prétentions et moyens des parties, le juge de la Cour de l'impôt a déclaré :

         L'appelant avait-il l'intention de revendre les actions le plus tôt possible? L'avocat de l'appelant a fait valoir que son client avait été pressé d'acquérir des actions de son employeur, s'attendant à les vendre rapidement à profit. Dans l'affaire The Queen v. George H. Garneau, 77 DTC 5190, le juge a statué que, dans une telle situation, la vente était une vente au titre du revenu. En l'espèce, au moment de l'achat, rien ne prouve que l'appelant souhaitait vendre le plus tôt possible. L'appelant a témoigné que, suivant l'avis de comptables, les actions avaient été vendues pour cristalliser un gain en capital. L'appelant croyait également qu'en vendant les actions, en novembre 1990, il cristallisait une perte en capital. Il semble que ce ne soit que plus tard qu'il s'est rendu compte qu'il avait en fait avantage à indiquer l'existence d'un risque de caractère commercial et à déclarer une perte de revenu. Bien que l'appelant ait occupé un poste important dans la société, l'appelant n'était certes pas un investisseur averti en ce qui concerne les options d'achat d'actions et les ventes qui en résultent, et ce n'est que plus tard qu'il a changé d'idée, considérant qu'il s'agissait non plus de capital mais de revenu.         
         Le fait qu'une vente précédente a été déclarée comme étant une vente au titre de capital ne fixe pas de règle pour les ventes ultérieures, comme l'a dit le juge Bell dans l'affaire Harry A. Friesen c. La Reine, 95 D.T.C. 492         

     [...]

         Les deux avocats ont cité de nombreuses autres décisions, mais la Cour estime qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve qui indiquent que l'appelant n'a pas pris un risque de caractère commercial. L'acquisition des titres ne faisait pas partie d'un plan visant la réalisation de profits; elle traduisait plutôt le simple désir de bénéficier de la générosité des employeurs de l'appelant. Le désir de réaliser un profit n'était pas absent, mais il n'était pas primordial. L'opération n'avait pas un nombre suffisant des caractéristiques d'un risque de caractère commercial; c'était plutôt un placement, ce qui, en droit, ne permettrait pas à l'appelant de changer d'idée à mesure que le temps passait et que les conditions évoluaient.         

[23]      Le critère général à appliquer pour distinguer un gain en capital d'un revenu commercial tiré d'un risque de caractère commercial a été établi dans le jugement Californian Cooper Syndicate (Limited and Reduced) v. Harris12 :

     [TRADUCTION]         
     La ligne qui sépare les deux catégories peut être difficile à tracer, et chaque cas est un cas d'espèce. La question à trancher est celle de savoir si le gain qui a été réalisé correspond simplement à la plus-value obtenue par suite de la réalisation de la sûreté ou s'il s'agit d'un gain obtenu dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise dans l'exécution d'un plan visant la réalisation de profits.         

[24]      La présente opération constitue une opération isolée. Mais ainsi que lord Radcliffe l'a expliqué dans l'arrêt Edwards v. Bairstow et al.13 :

     [TRADUCTION]
     Il s'agissait d'une opération isolée. Mais, comme nous le savons, cet état de fait ne fait pas perdre à une opération qui comporte les caractéristiques d'une opération commerciale sa véritable nature de risque de caractère commercial. La vraie question à se poser en pareil cas est celle de savoir si les opérations visées constituent un risque de caractère commercial, et non de savoir si, prises isolément ou considérées conjointement avec d'autres opérations, elles font de la personne qui les a effectuées une personne qui exploite une entreprise.         
                             (Mots non soulignés dans l'original.)

[25]      Ainsi que les auteurs W.E. Crawford et R.E. Beam le font remarquer14, un " risque " est, par définition, le plus souvent une opération isolée. Un grand nombre d'opérations isolées ne sont toutefois pas " de caractère commercial ". L'opération en cause doit comporter certains éléments, certains aspects commerciaux qui en font un risque de caractère commercial15. Ce qu'il faut rechercher, ce sont les " caractéristiques commerciales " ou facteurs de comportement qui permettent de qualifier la ligne de conduite qu'a suivie le contribuable16. Ces éléments permettent de tirer des inférences sur la question de savoir si le contribuable se livrait à une opération commerciale ou s'il ne faisait qu'un placement.

[26]      Dans l'arrêt Irrigation Industries Limited v. M.N.R.17, la Cour suprême du Canada a bien précisé que la question de savoir si une personne a acheté des actions avec ses propres fonds ou avec de l'argent emprunté ne constitue pas un facteur important pour décider si leur acquisition et leur vente subséquente constitue ou non un placement18.

[27]      Le juge de la Cour de l'impôt a rejeté l'argument de l'appelant suivant lequel il subissait des pressions en vue d'acquérir des actions de son employeur et qu'il s'attendait à les vendre rapidement à profit. Le juge a statué que l'acquisition des actions ne faisait pas partie d'un plan visant la réalisation de profits, mais qu'elle traduisait plutôt le simple désir de l'appelant de bénéficier de la générosité de ses employeurs. Il a établi une distinction entre la présente espèce et l'affaire La Reine c. Garneau19. Dans cette affaire, le contribuable n'avait aucune intention d'injecter plus d'argent dans une société de placement que ce qu'il avait déjà déboursé. Il s'était joint à cette société à la condition que la succession de l'associé récemment décédé ne retire pas la mise de fonds de ce dernier. Par la suite, la succession a retiré une partie du capital et a exigé que l'entreprise soit cédée à une nouvelle compagnie et que chaque actionnaire de la nouvelle compagnie fournisse le reste du capital requis. Le contribuable a finalement acheté des actions de la nouvelle compagnie, qui a prospéré jusqu'au moment où elle a subi des pertes. Le juge Marceau a conclu dans les termes les plus nets que, même lorsque la compagnie était encore prospère, le contribuable cherchait déjà un acheteur pour ses actions. En conséquence, a conclu le juge Marceau, " le [contribuable] pensait surtout revendre les actions avec profit dans un avenir immédiat, au moment où il les a achetées "20.

[28]      Il est vrai que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas parlé des préoccupations exprimées par l'appelant au sujet de sa marge brute d'autofinancement. Il n'a pas non plus parlé du fait que les obligations auxquelles l'appelant était assujetti en tant qu'initié constituaient un facteur qui l'empêchait de vendre avant novembre 1990 les actions qu'il avait acquises par voie de levée d'option. On peut inférer de la conclusion du juge de la Cour de l'impôt suivant laquelle " [...] rien ne prouve que l'appelant souhaitait vendre le plus tôt possible [...] " que, même si l'appelant n'était peut-être pas en mesure de vendre les actions plus tôt, il n'y avait aucun indice clair, au moment de l'achat, qu'une vente aussi rapide que possible était son principal objectif. L'appelant était intéressé, le 3 janvier 1990, à la perspective de recevoir un dividende spécial. Les perspectives à long terme de la société lui semblaient plus rassurantes que ses perspectives à court terme pour 1990 et 1991. Ce n'est que lorsque les choses ont mal tourné que l'appelant aurait de toute évidence eut intérêt à vendre sans délai ses actions.

[29]      Pour conclure que l'opération était une opération de capital, le juge de la Cour de l'impôt aurait pu être impressionné par le fait que l'appelant n'a pas laissé les renseignements qu'il avait obtenus à titre d'initié l'empêcher d'acquérir le 3 janvier 1990 les actions restantes par voie de levée d'option et ce, malgré le fait qu'il savait, au moment de leur achat, qu'il ne pouvait pas, à cause des obligations en question, les revendre aussitôt que possible. En outre, il aurait pu tenir compte du fait que l'appelant a racheté ces actions le 31 décembre 1990, un mois après la vente, et qu'il les a conservées jusqu'à la fin de 1991 avant de s'en départir de façon définitive. Qui plus est, la Cour a fait remarquer que, le 28 février 1990, l'appelant a transféré dans son R.E.E.R. toutes les actions restantes qu'il avait acquises par levée d'option. La Cour pouvait en déduire " bien qu'elle ne l'ait pas fait " que, malgré le fait qu'il manquait peut-être de liquidités, l'appelant jugeait encore assez valables ses actions acquises par voie de levée d'option pour les considérer comme un placement à long terme.

[30]      Le juge de la Cour de l'impôt a souligné le témoignage de l'appelant suivant lequel les actions avaient été vendues, sur le conseil de ses experts-comptables, pour cristalliser un gain en capital. L'appelant affirme que la mention par le juge des déclarations des experts-comptables n'est pas pertinent. C'est peut-être le cas. Mais, en revanche, ces déclarations permettent de connaître l'avis de ceux qui étaient au courant des affaires de l'appelant. Il était loisible au juge de la Cour de l'impôt d'inférer, à partir des déclarations des experts-comptables, que les opérations effectuées au sujet des actions étaient motivées par une personne qui désirait obtenir un rendement sur son investissement plutôt qu'un profit rapide. La Cour a déclaré que " [l]e désir de réaliser un profit n'était pas absent, mais il n'était pas primordial ". La Cour a jugé le degré de motivation insuffisante pour qualifier l'opération de 1990 d'opération imputable au revenu.


[31]      La décision de la Cour de l'impôt est sans doute succincte. Néanmoins, vu l'ensemble de la preuve, il était loisible au juge de la Cour de l'impôt de conclure que " l'opération n'avait pas un nombre suffisant des caractéristiques d'un risque de caractère commercial; c'était plutôt un placement, ce qui, en droit, ne permettait pas à l'appelant de changer d'idée à mesure que le temps passait et que les conditions évoluaient ".

[32]      Par ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

     " Alice Desjardins "

     J.C.A.

" Je suis du même avis.

         Le juge B.L. Strayer. "

" Je suis du même avis.

         Le juge J.T. Robertson. "

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     Date : 1998.03.26

     A-243-96

                             E n t r e :
                                 W. STRUAN ROBERTSON,

     appelant,

                                     et
                                 SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

                        
                                 MOTIFS DU JUGEMENT
                        

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              A-243-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      W. Struan Robertson c. Sa Majesté la Reine
LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L'AUDIENCE :      11 février 1998
MOTIFS DU JUGEMENT      prononcés par le juge Desjardins le 26 mars 1998
                     avec l'appui des juges Strayer et Robertson

ONT COMPARU :

     Me Edwin C. Harris, c.r.                      pour l'appelant
     Me Bruce S. Russell                          pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Daley, Black & Moreira                      pour l'appelant
     Halifax (Nouvelle-Écosse)
     Me George Thomson                          pour l'intimé
     Sous-procureur général du Canada
     Ottawa (Ontario)
__________________

     1      [1996] T.C.J. No. 174, dossier d'appel, à la page 676.

     2      Les tribunaux ont adopté le concept de " risque de caractère commercial " pour pouvoir déterminer les opérations d'achat et de vente réalisées par un contribuable qui sont de caractère commercial et celles qui ont un caractère de capital de manière à établir l'obligation fiscale du contribuable sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu . Voir l'arrêt Irrigation Industries Limited v. M.N.R., [1962] R.C.S. 346, aux pages 351 et 359; voir également l'arrêt Friesen c. La Reine, 95 D.T.C. 5551, [1995] 3 R.C.S. 103, à la page 5554 du recueil D.T.C. (C.S.C.). Voir également la définition du mot " entreprise " au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu .

     3      P.W. Hogg, J.G. Magee, " Principles of Canadian Income Tax Law ", 2e éd., 1997, al. 16.13h).

     4      L'appelant était un " initié " de la compagnie au sens de la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario, qui régissait les sociétés comme la C.C.C. dont les actions étaient inscrites à la Bourse de Toronto. L'appelant était tenu de déclarer publiquement toutes les opérations effectuées au sujet des actions de la société qu'il possédait. Il lui était interdit, sous peine de sanctions sévères, d'acheter ou de vendre des titres de la société à un moment où il possédait, à titre d'" initié " des renseignements importants qui n'étaient pas publiquement connus. Voir le dossier d'appel, vol. 1, page 5, paragraphe 12 (avis d'appel).

     5      Voir le procès-verbal de l'audience du 9 novembre 1995, aux pages 187 à 190.

     6      Voir le procès-verbal de l'audience du 9 novembre 1995, à la page 24, lignes 2 à 13.

     7      L'appelant a qualifié ces opérations de [TRADUCTION] " prêts plus agressifs consentis à des entreprises plus risquées ". Ces opérations ont été menées par la Central Capital Management Inc., une société constituée par la C.C.C. Voir le procès-verbal de l'audience du 8 novembre 1995, aux pages 19 et 28.

     8      Dossier d'appel, vol. IV, à la page 688.

     9      Dossier d'appel, vol. IV, à la page 680.

     10      Dossier d'appel, page 676, à la page 687.

     11      Voir P.W. Hogg, J.E. Magee, " Principles of Canadian Income Tax Law ", 2e éd., 1997, al. 16.3b).

     12      (1904), 5 TC 159, à la page 166 (Cour de l'Éch. d'Écosse), cité et approuvé par la C.S.C. dans les arrêts Minerals Ltd. v. M.N.R., [1958] R.C.S. 490, à la page 496, Irrigation Industries Limited v. M.N.R., [1962] R.C.S. 346, à la page 354, et Friesen c. La Reine, 95 D.T.C. 5551, aux pages 5554 et 5558 (C.S.C.). Voir également W.E. Crawford et R.E. Beam, " Adventure or Concern in the Nature of Trade "; " Badges of Trade as the Key Indicator of Taxpayer Intention ", (1996) 44 Can T.J. no. 3, 888, à la page 890.

     13      [1955] 3 All E.R. 48, cité dans le jugement M.N.R. v. McIntosh, 56 D.T.C. 1004, à la page 1007 (C. de l'Éch.). Ce jugement a par la suite été confirmé par la Cour suprême du Canada dans McIntosh v. M.N.R., [1958] R.C.S. 119.

     14      Loc. cit., à la page 893.

     15      Voir le jugement No. 341 v. M.N.R., 56 D.T.C. 231 (C.A.I.), dans lequel la Commission d'appel de l'impôt cite une décision indienne, le jugement Rajputana Textile (Agencies) Ltd. v. Commr. of Inc-Tax, (1953), 24 ITR 46, à la page 56 (H.C. Bombay).

     16      Voir J.W. Durnford, Profits on the Sale of Shares: Capital Gains or Business Income? A Fresh Look at Irrigation Industries, (1991) No. 5, Can T.J. 837, à la page 887. Voir également l'arrêt Friesen c. La Reine, 95 D.T.C. 5551, [1995] 3 R.C.S. 103, à la page 5568 D.T.C., le juge Iacobucci étant dissident, mais avec lequel les juges majoritaires étaient d'accord (à la page 5554) sur ce point.

     17      [1962] R.C.S. 346.

     18      [1962] R.C.S. 346, à la page 350. Il semble qu'il subsiste des doutes en ce qui concerne la question de savoir si l'arrêt Irrigation Industries Limited a créé une présomption réfutable suivant laquelle l'acquisition d'actions de compagnie est imputable au capital. Voir le jugement Sa Majesté la Reine c. Mandryk (93 D.T.C. 6329, aux pages 6334 et 6335) et l'arrêt Pollock c. La Reine (D.T.C. 6050, aux pages 6054 et 6055 (C.A.F.)). Dans les arrêts Easton c. M.R.N. (A-196-92 (C.A.F.)) et Freeman c. M.N.R. ((30 octobre 1997), [1997] F.C.J. No. 1282, non publié), la Cour d'appel fédérale a suivi le jugement Mandryk.

     19      [1977] CTC 288 (C.F. 1re inst.), le juge Marceau.

     20      [1977] CTC 288 (C.F. 1re inst.), le juge Marceau.

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