Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20020516

Dossier : A-816-00

Référence neutre : 2002CAF201

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                                GASTON VEILLEUX

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                       Audience tenue à Montréal (Québec), le 8 mai 2002.

                                          Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 mai 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LE JUGE DESJARDINS

                                                                                                                                  LE JUGE PELLETIER


Date : 20020516

Dossier : A-816-00

Référence neutre : 2002CAF201

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                                GASTON VEILLEUX

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                 Le demandeur était-il justifié de déduire en vertu de l'article 60 et du paragraphe 60.1(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) les paiements qu'il a fait à des tiers dans le cadre d'une entente avec son ex-conjointe suite au divorce du couple? Cette question a reçu une réponse négative de la Cour canadienne de l'impôt dans le contexte suivant.


Faits et procédure

[2]                 Le demandeur s'est divorcé en 1989 et jugement fut prononcé le 20 décembre de cette année-là. Une entente relative aux mesures accessoires fut déposée au dossier de la Cour supérieure du district de Longueuil pour être incorporée au jugement de divorce.

[3]                 En vertu de cette entente, le demandeur s'engageait à payer à son ex-conjointe une pension alimentaire de 250$ par semaine indexée annuellement. Il s'engageait également à assumer toutes les dépenses reliées au domicile familial que continuaient d'occuper son épouse et ses trois enfants. Ces paiements étaient effectués directement aux créanciers.

[4]                 Le 13 mars 1990, l'ex-conjointe et le demandeur ont signé une entente complémentaire préparée par ce dernier afin de prévoir le traitement fiscal des sommes versées par le demandeur à des tiers. L'entente de mesures accessoires accompagnant le jugement de divorce de la Cour supérieure et prévoyant ces paiements était muette sur la question. Pour les années 1994, 1995, 1996 et 1997 qui sont en litige, les sommes ainsi payées par le demandeur totalisaient respectivement 17 369$, 19 265$, 20 104$ et 19 921$.

[5]                 Il est admis que le demandeur a déduit ces sommes de son revenu et que son ex-conjointe les a incluses dans le sien dès 1990 et au moins, semble-t-il, jusqu'à l'émission de nouvelles cotisations par le ministre du Revenu national (ministre).


[6]                 De fait, le 15 mai 1998, soit huit ans après que le demandeur eut produit sa première déclaration réclamant une déduction pour les paiements faits aux tiers, Revenu Canada a cotisé à nouveau ce dernier pour les années 1990 à 1997 au motif que la déduction n'était pas permise.

[7]                 Les cotisations des années 1990 à 1993 furent abandonnées parce que prescrites. Le demandeur s'est opposé à celles de la période en litige et ses appels à la Cour canadienne de l'impôt dans les dossiers 1999-3605 (IT) et 1999-3606 (IT) furent rejetés le 21 novembre 2000. D'où la présente demande de contrôle judiciaire à notre Cour faite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

Les dispositions législatives pertinentes

[8]                 Je reproduis le texte des dispositions législatives qui ont donné naissance au litige et sur lesquelles la Cour canadienne de l'impôt s'est fondée pour rendre sa décision :

56.(1) Sommes à inclure dans le revenu de l'année.

Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

[...]

56.(1) Amounts to be included in income for year.

Without restricting the generality of section 3, there shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year,

[...]


56.1(2) Entente. Pour l'application de l'article 56, du présent article et du paragraphe 118(5), le résultat du calcul suivant :

[...]

est réputé, lorsque l'ordonnance ou l'accord écrit prévoir que le présent paragraphe et le paragraphe 60.1(2) s'appliquent à un montant payé ou payable à leur titre, être un montant payable au contribuable et à recevoir par lui à titre d'allocation périodique, qu'il peut utiliser à sa discrétion.

56.1(2) Agreement. For the purposes of section 56, this section and subsection 118(5), the amount determined by the formula

[...]

is, where the order or written agreement, as the case may be, provides that this subsection and subsection 60.1(2) shall apply to any amount paid or payable thereunder, deemed to be an amount payable to and receivable by the taxpayer as an allowance on a periodic basis, and the taxpayer is deemed to have discretion as to the use of that amount.

60. Autres déductions.

Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

[...]

60. Other deductions.

There may be deducted in computing a taxpayer's income for a taxation year such of the following amounts as are applicable:

[...]

60.1(2) Entente. Pour l'application de l'article 60, du présent article et du paragraphe 118(5), le résultat du calcul suivant :

[...]

est réputé, lorsque l'ordonnance ou l'accord écrit prévoit que le présent paragraphe et le paragraphe 56.1(2) s'appliquent à un montant payé ou payable à leur titre, être un montant payable par le contribuable à cette personne et à recevoir par celle-ci à titre d'allocation périodique, que cette personne peut utiliser à sa discrétion.

                                 (le souligné est mien)

60.1(2) Agreement. For the purposes of section 60, this section and subsection 118(5), the amount determined by the formula

[...]

is, where the order or written agreement, as the case may be, provides that this subsection and subsection 56.1(2) shall apply to any amount paid or payable thereunder, deemed to be an amount payable by the taxpayer to that person and receivable by that person as an allowance on a periodic basis, and that person is deemed to have discretion as to the use of that amount.

                                           (my emphasis)

La décision de la Cour canadienne de l'impôt


[9]                 Essentiellement, la Cour a rejeté les revendications du demandeur parce qu'à son avis, l'entente complémentaire rédigée par le demandeur ne prévoit pas que les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi s'appliquent aux paiements faits à des tiers alors qu'il s'agit, pour utiliser son expression, d'une exigence stricte. La Cour s'est montrée disposée à accepter, comme dans l'affaire Pelchat c. La Reine, 97 DTC 945 (C.C.I.), que le défaut de mentionner expressément dans l'accord écrit les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) puisse être racheté par un langage qui indique la teneur de ces paragraphes, soit que les sommes versées aux tiers seront imposables entre les mains du bénéficiaire de la pension alimentaire et que les montants versés par le payeur pourront être déduit dans le calcul du revenu de ce dernier.

[10]            Après lecture de l'entente complémentaire, la Cour fut d'opinion que cette entente ne faisait pas de référence claire au traitement fiscal prévu par les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) comme dans l'affaire Pelchat. Je reviendrai plus tard sur l'alternative acceptée par le juge Archambault dans l'affaire Pelchat.

La position adoptée par la défenderesse dans le présent litige

[11]            Je crois utile de mentionner à ce stade la position très stricte prise par la défenderesse relativement à l'interprétation des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2). Selon elle, les paiements faits aux tiers ne peuvent être réputés des montants payables à titre d'allocations à la personne récipiendaire, et en conséquence déductibles pour le payeur, que si les numéros de paragraphes sont expressément mentionnés dans l'accord écrit. En d'autres termes, l'usage d'un langage équivalant à la teneur de ces paragraphes ne suffit pas.


[12]            La défenderesse explique sa position par référence à deux arrêts de notre Cour : Armstrong c. Canada, [1996] A.C.F. no. 599 (C.A.F.) et Larsson c. Canada, [1997] A.C.F. no. 1044 (C.A.F.). Avant de discuter de ces deux arrêts et du bien-fondé de la position de la défenderesse, je crois qu'il est nécessaire de s'arrêter un instant sur le but recherché par le législateur en adoptant ces paragraphes.

Le but recherché par le législateur en utilisant les mots "lorsque l'ordonnance ou l'accord écrit prévoit que les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) s'appliquent"

[13]            Le but des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) est de permettre la déduction par le payeur de paiements faits à des tiers pour le compte de son ex-conjoint ou conjointe à la condition que les montants de ces paiements soient inclus dans le revenu de ce dernier ou cette dernière. L'obligation d'indiquer à l'accord écrit que ces paragraphes s'appliquent semble avoir pour objectif de "s'assurer que les parties en cause se rendent bien compte des conséquences fiscales qui découlent des paiements faits conformément à un accord écrit, un jugement ou une ordonnance d'un tribunal pour les fins précises indiquées dans cet accord, jugement ou ordonnance" : Mailloux c. Canada, [1991] A.C.I. no. 641, à la page 3 (C.C.I.) par le juge en chef Garon; Mambo v. The Queen, [1996] 1 C.T.C. 2388 (C.C.I.); Pelchat c. The Queen, 97 DTC 945 (C.C.I.); Jenkins c. Canada, [1999] A.C.I. no. 742.


[14]            On peut comprendre aisément la nécessité d'informer la personne qui bénéficie de ces paiements de l'obligation qu'elle a d'inclure les montants dans son revenu ainsi que du fait que c'est elle qui a l'obligation d'acquitter les impôts dûs sur ces montants. J'avoue cependant que l'obligation de faire référence dans l'accord écrit au paragraphe 60.1(2), particulièrement sous peine de déchéance du bénéfice de la déduction pour le payeur, m'apparaît moins évidente et moins nécessaire. De fait, contrairement à l'article 56, l'article 60 ne crée aucune obligation pour le payeur. Il ne fait que lui offrir l'option de déduire les montants qu'il verse s'il le désire. Pourquoi alors le pénaliser s'il sait, alors que l'accord écrit ne mentionne pas le paragraphe 60.1(2), qu'il peut se prévaloir de cette option et, de fait, s'en prévaut? Pourquoi le pénaliser alors pour la connaissance qu'il a de son droit à la déduction si le but de la disposition est de l'informer de ce droit? Pire encore, pourquoi le pénaliser lui si le tribunal, dans son jugement de divorce, réfère au paragraphe 56.1(2), mais omet par simple mégarde de mentionner les mots magiques "paragraphe 60.1(2)"? Peut-être veut-on aussi par la référence au paragraphe 60.1(2) informer la personne pour le compte de qui les paiements sont exécutés du fait que le payeur bénéficie d'un avantage fiscal dans tout ce processus. Quoiqu'il en soit, même s'il est vrai que le législateur a exigé qu'il soit fait mention dans l'accord écrit de l'application du paragraphe 60.1(2) au montant payé, je ne crois pas que ce soit son intention de priver le contribuable du bénéfice d'une option qui lui est offerte à cause de l'omission de ce dernier d'indiquer dans l'accord écrit l'existence d'une option qu'il connaît déjà ou à cause de celle du tribunal de l'en informer. Ceci m'amène à examiner la portée de l'obligation de faire référence à ces paragraphes dans l'accord écrit.


Une mention expresse des numéros des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) dans l'accord écrit ou une mention de la teneur de ces dispositions?

[15]            Comme je l'ai déjà mentionné, la défenderesse adopte une interprétation très restrictive des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) qui, dit-elle, lui est dictée par les arrêts Armstrong et Larsson, précités, de notre Cour. Il convient de débuter par l'analyse de l'affaire Armstrong sur laquelle l'arrêt Larsson a subséquemment pris appui.

[16]            Le passage pertinent de l'affaire Armstrong est très court et mérite d'être reproduit. À la page 6, paragraphe 16, de la décision, notre collègue, le juge Stone, écrit :

L'applicabilité du paragraphe 60.1(2) peut être tranchée rapidement. À mon avis, la présomption que le Parlement utilise à la fin de cette disposition s'applique uniquement "lorsque l'ordonnance, le jugement ou l'accord écrit, selon le cas, prévoit que le présent paragraphe et le paragraphe 56.1(2) s'appliquent à tout paiement effectué en vertu de ce document...". Aucun texte de cette nature ne figure dans l'une ou l'autre des ordonnances de la Cour. Il s'ensuit que le paragraphe 60.1(2) ne peut être invoqué pour permettre la déduction des montants du revenu de l'intimé2.

                                                                                                                                       (le souligné est mien)

Dans la référence no. 2 qui accompagne ce passage, le juge Stone réfère à l'arrêt Mambo, précité, qui énonce que l'objectif légitime de ces dispositions est de "confirmer que les deux parties savent qu'il y a des attributs fiscaux à une telle ordonnance ou à un tel accord".


[17]            Avec respect, je ne crois pas que cet énoncé du juge Stone a la portée que la défenderesse lui donne. Il ne dit pas que les numéros des articles doivent être mentionnés à l'accord. Au contraire, il dit "qu'aucun texte de cette nature ne figure dans l'une ou l'autre des ordonnances de la Cour". Par texte de cette nature, il faut entendre un texte qui révèle ou confirme que les parties connaissent les incidences fiscales de l'ordonnance.

[18]            L'arrêt Larsson, je le reconnais, semble aller plus loin que ne l'a fait le juge Stone dans l'affaire Armstrong. À la page 4 de la décision, au paragraphe 16, le juge McDonald écrit après avoir souligné l'ambiguïté du paragraphe 60.1(2) :

Le texte du paragraphe 60.1(2) se poursuit en permettant la déduction de certaines sommes lorsque l'ordonnance judiciaire ou l'accord écrit mentionne expressément les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2). Il semble que le fil conducteur de ces dispositions soit que, pour assurer la déductibilité des pensions alimentaires, l'ordonnance ou l'accord doit mentionner les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2).

[19]            Trois remarques s'imposent. Premièrement, cette affirmation du juge McDonald n'était pas nécessaire à la prise de décision dans cette affaire puisque la quatrième ordonnance du tribunal mentionnait expressément les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de sorte que les versements faits en conformité avec cette ordonnance étaient réputés à juste titre être des allocations.

[20]            Deuxièmement, la véritable question en litige consistait plutôt à déterminer si cette quatrième ordonnance devait ou non recevoir une application rétroactive. C'est ce qui ressort du paragraphe 20 de la décision :

Comme on peut le constater, le débat tourne en grande partie autour de la question de savoir si la Cour suprême de la Colombie-Britannique voulait que sa quatrième ordonnance s'applique rétroactivement. La question à laquelle notre Cour doit répondre est donc celle de savoir si la quatrième ordonnance devrait être réputée avoir été rendue nunc pro tunc.


[21]            Troisièmement, le texte même du paragraphe 60.1(2) n'exige pas que l'accord écrit mentionne expressément ce paragraphe, le paragraphe 56.1(2) et leurs numéros. Il suffit que l'accord mentionne qu'ils s'appliquent. Et comme on peut l'imaginer, il existe plusieurs autres façons, souvent plus informatives et utiles, de dire que le contenu d'un texte numéroté s'applique que la simple mention du numéro.

[22]            Il n'est pas superflu, je crois, de rappeler le contexte fiscal et social dans lequel s'insèrent les articles 56 et 60 ainsi que les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi.

[23]            Les articles 56 et 60 permettent à un contribuable d'opérer, à des fins fiscales, un fractionnement de son revenu. Ils visent en l'espèce à atténuer pour des conjoints et leurs enfants les effets financiers négatifs et, dans certains cas, désastreux d'un divorce. Ils se veulent une mesure d'aide en cas de dislocation de la cellule familiale. Par une interprétation indûment stricte des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2), cette mesure législative édictée au bénéfice de la famille éclatée est en voie de devenir une mesure au bénéfice du gouvernement, préjudiciable à la famille éplorée que le législateur désire assister financièrement.


[24]            Je préfère l'approche à la fois plus représentative de l'intention législative, compatible avec le texte même des dispositions législatives et humaine prise par le juge Archambault de la Cour canadienne de l'impôt dans les affaires Pelchat, précitée, et Ferron v. Her Majesty the Queen, 2001 DTC 230 : il n'est pas nécessaire que les numéros des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) soient expressément mentionnés dans l'accord écrit, il suffit qu'il apparaisse de l'accord écrit que les parties ont compris les incidences fiscales de cet accord. Car la seule mention des numéros de ces paragraphes dans l'accord n'est pas non plus une garantie que les parties à l'accord ont compris leurs obligations et leurs droits. Sur ce point, l'expression et la description de ces obligations et de ces droits dans l'accord écrit m'apparaissent tout autant, sinon mieux, rencontrer l'objectif du législateur qu'une simple référence magique à des numéros d'articles dont la teneur n'est pas indiquée dans l'accord.

[25]            En outre, compte tenu du but recherché par le législateur en adoptant les articles 56 et 60, l'interprétation des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2), qui sont des instruments de mise en oeuvre du principe des articles 56 et 60, requiert que l'on tienne compte de l'intention des parties en rédigeant et signant l'accord écrit qui gouvernera au plan financier leurs relations après divorce. Dans l'affaire Gagné v. Her Majesty the Queen, 2001 DTC 5639, au paragraphe 10 (C.A.F.), où il s'agissait également d'interpréter, dans le cadre d'un divorce, une entente sur mesures provisoires entérinée par le tribunal, le juge Décary a bien résumé pour cette Cour les principes applicables en pareil cas :


Il est acquis, en droit civil québécois, que si la commune intention des parties dans un contrat est douteuse, le juge "doit essayer de rechercher ce que les parties ont réellement voulu par leur engagement" (Jean-Louis Baudouin, Les Obligations, 4e éd., 1993, Les Éditions Yvon Blais, p. 255). Le juge doit "accorder plus d'importance à la véritable intention des contractants qu'à l'intention apparente, objectivement manifestée par l'expression formelle" (p. 255), et il doit vérifier quel était l'effet que les parties voulaient donner au contrat (p. 256). Pour ce faire, le juge doit avoir une vue d'ensemble de l'intention des parties, ce qui suppose une analyse de toutes les clauses du contrat les unes par rapport aux autres (p. 258). S'il subsiste alors quelque doute quant à l'intention réelle des parties, le juge peut faire "l'examen de la façon dont les parties se sont conduites par rapport au contrat, dans leurs négociations, et surtout de leur attitude après sa conclusion, donc de l'interprétation qu'elles lui ont déjà donnée..." (pp. 258-259).

Dans la recherche de cette intention et, par conséquent, de la connaissance et de la compréhension qu'elles ont de leurs obligations et leurs droits, l'accord écrit, s'il est clair, joue un rôle déterminant. Mais en cas d'ambiguïté ou de déficience du texte, deviennent pertinents à la recherche de cette intention et de cette connaissance les circonstances entourant la conclusion et la rédaction de l'accord ainsi que le comportement des parties suite à sa signature. Les buts combinés, rappelons-le, des articles 56 et 60 et des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) sont de permettre aux époux divorcés de bénéficier d'un allégement de leur fardeau fiscal et de s'assurer qu'ils sont conscients et informés des conséquences qui en découlent pour l'un et l'autre.

Application de ces principes à l'accord écrit en l'espèce


[26]            Le procureur du demandeur concède qu'en l'espèce, l'accord rédigé par M. Veilleux, ingénieur de métier, et accepté par son ex-conjointe, est ambigu, mais pas au point, dit-il, de ne pas révéler la connaissance et la compréhension que les parties à l'accord ont eues de leurs obligations et droits respectifs. Selon lui, l'ex-conjointe savait qu'elle serait imposée sur son revenu déclaré pour les sommes payées par M. Veilleux à titre de pension alimentaire et d'allocation périodique et que M. Veilleux lui rembourserait les montants d'impôt payés. M. Veilleux déduirait de son revenu les sommes versées au bénéfice de son ex-conjointe. D'ailleurs, la preuve en est que c'est ce qu'ils ont fait pendant dix (10) ans.

[27]            Les deux paragraphes suivants de l'entente sont au coeur de la revendication du demandeur :

Toutes les sommes d'argent que M. Gaston Veilleux s'engagent à verser à Mme Louise Ouellette sont des sommes d'argent nettes d'impôt; M. Gaston Veilleux s'engage donc à assumer les sommes d'impôt fédéral et provincial qui pourraient être dues par Mme Louise Ouellette et qui découlent du paiement de ladite pension alimentaire.

Toutes les sommes versées à Mme Louise Ouellette ou à des tiers en son nom sont considérées faire partie de la pension alimentaire; parmi celles-ci figurent les dépenses reliées au domicile familial (i.e. le versement hypothécaire, les taxes municipales et scolaires, l'assurance-habitation, l'électricité, le chauffage, l'entretien et le câble) les dépenses reliées aux diverses assurances familiales (i.e. assurance-vie des personnes à charge, rente de survivant, frais d'hospitalisation, frais médicaux, frais para-médicaux, assurance dentaire), l'impôt provincial et fédéral et toute autre somme sur laquelle pourront s'entendre les deux parties (ex : réparation d'automobile, frais d'activités pour les enfants, etc...).

[28]            Ce que le premier paragraphe de cette entente révèle, c'est que Mme Ouellette, l'ex-conjointe de M. Veilleux, paiera des impôts en conséquence de la pension alimentaire qui lui sera versée, mais que M. Veilleux lui remboursera le montant des impôts.

[29]            Le deuxième paragraphe informe l'ex-conjointe que les paiements faits à des tiers pour son compte font partie de la pension alimentaire qu'elle recevra et, en conséquence, font partie des montants sur lesquels elle devra payer des impôts.


[30]            À mon humble avis, ces deux paragraphes ne sont sans doute pas rédigés dans les meilleurs termes ou dans les termes les plus limpides, mais lus conjointement ils informent l'ex-conjointe de M. Veilleux de la teneur du paragraphe 56.1(2), soit qu'elle sera imposée pour les paiements faits à des tiers pour son compte.

[31]            La défenderesse prétend que si la Cour en venait à la conclusion que les exigences du paragraphe 56.1(2) sont rencontrées, on ne trouve, par contre, rien à l'entente qui soit relatif au paragraphe 60.1(2) et qui informe M. Veilleux de la possibilité qui lui est offerte de déduire de son revenu les sommes payées au tiers. En conséquence, conclut-elle, M. Veilleux ne peut les déduire. J'avoue que cette conclusion ne manque pas de surprendre, particulièrement dans le contexte du présent dossier.

[32]            Premièrement, comme je l'ai déjà évoqué, l'article 60 n'est pas mandatoire, mais simplement permissif. Il ne crée pas d'obligation. Dans la mesure où, comme en l'espèce, le demandeur connaît, d'une part, les incidences fiscales de l'accord pour son épouse et, d'autre part, non seulement les connaît-il pour lui-même mais en a fait la preuve en exerçant son droit à la déduction, comment peut-on dire que les objectifs du paragraphe 60.1(2) ne sont pas rencontrés en ce qui le concerne?


[33]            Le preuve non contredite devant le tribunal révèle que c'est suite au jugement de divorce et précisément pour pouvoir bénéficier de l'allégement fiscal prévu par le législateur qu'il a rédigé l'accord en question. Il l'a fait à partir, entre autres, de pamphlets du ministère informant les contribuables de cette possibilité : transcription des notes sténographiques, aux pages 13 à 16 et 27.

[34]            Non seulement est-il implicite, dans le contexte où cet accord est intervenu et a été rédigé, qu'en assumant les obligations de paiement à des tiers pour le compte de son ex-conjointe, le demandeur se réservait le droit de réclamer les avantages fiscaux qui en découlaient, mais il a clairement indiqué dans son témoignage qu'il les connaissait et les recherchait :

Q.            Et l'objectif que vous aviez en faisant une entente écrite après qu'un jugement ait été rendu par la Cour supérieure, c'était d'assurer la déductibilité des sommes de pension alimentaire payées directement à votre femme et aux tiers?

R.            Exact.

[35]            En outre, pour fin d'application de l'article 56, la définition de "pension alimentaire" au paragraphe 56.1(4) inclut les montants payables ou à recevoir à titre d'allocation périodique :

"Pension alimentaire" Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire et de ses enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion...

"support amount" means an amount payable or receivable as an allowance on a periodic basis for the maintenance of the recipient, children of the recipient or both the recipient and children of the recipient, if the recipient has discretion as to the use of the amount, and

Le paragraphe 60.1(4) stipule que les définitions du paragraphe 56.1(4) s'appliquent à l'article 60.


[36]            On voit donc de ces deux paragraphes 56.1(4) et 60.1(4) que les montants payés et reçus à titre d'allocation périodique, si le bénéficiaire peut les utiliser à sa discrétion, sont des pensions alimentaires que le bénéficiaire doit inclure dans son revenu en vertu de l'article 56 et que le payeur peut déduire en vertu de l'article 60. Le paragraphe 60.1(2) crée une présomption que les paiements faits à des tiers par le contribuable pour le compte du bénéficiaire constituent une allocation périodique qu'elle peut utiliser à sa discrétion et donc une pension alimentaire.

[37]            Lorsqu'on examine attentivement le deuxième paragraphe précité de l'accord écrit rédigé par M. Veilleux et le contexte dans lequel il fut fait, on y voit clairement que les paiements qu'il fait à des tiers sont présumés faire partie de la pension alimentaire et, donc, constituer au sens des paragraphes 56.1(4), 60.1(4) et 60.1(2) des allocations périodiques que son ex-conjointe va recevoir et sur lesquelles elle sera imposée. À mon humble avis, l'accord écrit des parties tient suffisamment compte de la teneur des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) ainsi que de la définition de "pension alimentaire" des paragraphes 56.1(4) et 60.1(4), qui eux-mêmes renvoient à 56.1(2) et 60.1(2), pour que le demandeur en l'espèce puisse bénéficier de la présomption prévue par ces deux derniers paragraphes.


[38]            Refuser dans les circonstances les déductions réclamées par le demandeur équivaut à le pénaliser injustement en lui refusant un droit qui est le pendant de toutes les obligations alimentaires qu'il a assumées et exécutées de bonne foi. Quand on connaît les nombreuses difficultés que le Gouvernement et les créanciers de pensions alimentaires éprouvent à percevoir les argents dûs, il m'apparaît important de ne pas adopter une interprétation si restrictive d'une disposition législative qu'elle, à la fois, triture l'intention du législateur au regard de cette disposition et décourage les débiteurs d'assumer leurs obligations alimentaires comme le désire également le législateur. C'est sans doute la raison pour laquelle Revenu-Québec a accepté, après une scrupuleuse révision, l'accord écrit du demandeur et, malgré ses carences au niveau rédactionnel, a accordé les déductions réclamées par ce dernier.

[39]            Pour ces motifs, je suis d'avis que le demandeur a droit aux déductions réclamées pour les années en litige, soit de 1994 à 1997. En conséquence, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire avec dépens en cette Cour et devant la Cour canadienne de l'impôt, j'infirmerais la décision de la Cour canadienne de l'impôt et je lui retournerais la présente affaire pour qu'elle rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que l'appel du contribuable doit être accueilli et la cotisation déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte des présents motifs. Je déposerais une copie des présents motifs dans le dossier A-817-00 au soutien du jugement qui y accueille la demande de contrôle judiciaire du demandeur, mais je n'accorderais pas de dépens dans ce dossier A-817-00 étant donné que, tant devant la Cour canadienne de l'impôt que devant nous, il y a eu une audition commune.

                                                                                                                                         "Gilles Létourneau"                

                                                                                                                                                                 j.c.a.

"Je souscris à ces motifs.

Alice Desjardins j.c.a."

"Je suis d'accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a."


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                 SECTION D'APPEL

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                 A-816-00

INTITULÉ :                                                GASTON VEILLEUX

                                                                                                                                                      demandeur

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                   défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 8 mai 2002

MOTIFS DU JUGEMENT :                   le juge Létourneau

Y ONT SOUSCRIT :                                 le juge Desjardins

le juge Pelletier

DATE DES MOTIFS :                              le 16 mai 2002

COMPARUTIONS :

Me Philip Nolan                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Me Johanne M. Boudreau                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

Me Mounes Ayadi

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                                                                                 

Lavery, De Billy                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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