Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 1998.02.20


A-334-97

CORAM :      LE JUGE PRATTE

         LE JUGE MARCEAU

         LE JUGE LÉTOURNEAU

E n t r e :

     TERRASSE JEWELLERS INC.,

     LARRY BAILY et ROSS BROTHERS (1975) INC.

     appelants,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

     (prononcé à l'audience à Montréal (Québec),

     le vendredi 20 février 1998)

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]      Le présent appel vise une ordonnance par laquelle la Section de première instance a déclaré que le juge Rouleau, qui avait rendu un jugement accueillant l'action intentée par les appelants contre l'intimée, est désormais dessaisi de la présente affaire.

[2]      En 1979, les appelants étaient propriétaires-exploitants de bijouteries à Montréal lorsqu'une importante quantité de leur marchandise a été saisie et confisquée en vertu de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40. En mars 1983, ils ont intenté contre l'intimée une poursuite dans laquelle ils alléguaient l'illégalité de cette saisie et réclamaient la remise des articles saisis ou, subsidiairement, des dommages-intérêts.

[3]      Cette action a été instruite à la fin de janvier 1988 devant le juge Rouleau qui, le 9 juin de la même année, a donné gain de cause aux appelants. Dans ses motifs de jugement, le juge Rouleau a conclu :

     [...] qu'il existe une forte preuve pour appuyer la position selon laquelle une partie de la marchandise saisie par les employés de la défenderesse, et toujours en leur possession ou détruite par eux, n'a pas été saisie et confisquée légalement en vertu de la Loi sur les douanes.         

Il a également conclu que c'était

     une tâche impossible, à partir de la preuve, de déterminer exactement le pourcentage de la marchandise saisie qui n'entre pas dans le champ d'application de la Loi sur les douanes.         

Finalement, après avoir analysé la preuve, il a conclu :

     [...] je constate que 25 pour 100 de l'inventaire saisi et toujours détenu par les employés de la Couronne n'aurait pas dû être confisqué en vertu de la Loi sur les douanes et que les demandeurs ont droit à son retour, ou au paiement de la somme équivalente par voie de dommages-intérêts [...] Ces articles ne faisaient pas l'objet justifié d'une saisie en vertu de la Loi sur les douanes et, par conséquent, doivent être retournés aux demandeurs [...]         


Le juge Rouleau a par conséquent rendu le jugement suivant :

         Les demandeurs ont droit au retour ou à une compensation pour les marchandises suivantes qui ont été saisies et détenues illégalement, à l'exception des marchandises qui ont été retournées aux demandeurs par la défenderesse. Cela comprend ce qui suit :         
     1)      toute marchandise envoyée à M. Leblanc et qui n'était pas comprise dans les dénonciations qui ont mené aux plaidoyers de culpabilité en vertu de la Loi sur le poinçonnage des métaux précieux;         
     2)      25 pour 100 de la valeur de la marchandise qui est toujours sous la garde de la défenderesse.         
         Les demandeurs ont droit à leurs dépens et à l'intérêt simple sur toute somme qui leur est payée à 6 pour 100 par an, calculé à partir de septembre 1982.         
         L'évaluation des dommages devra être faite par le juge de première instance; en ce qui concerne les sommes dues à chaque demandeur, elles doivent être déterminées par référence en vertu de la Règle 500 des Règles de la Cour fédérale.         

[4]      L'alinéa 1) du premier paragraphe du jugement ne nous intéresse pas. Il a été exécuté à la satisfaction des appelants. On ne peut en dire autant de l'alinéa 2).

[5]      À la suite du prononcé du jugement, l'expert dont les services ont été retenus par l'intimée a fixé à 720 000 $ la valeur de remplacement de " la marchandise qui est toujours sous la garde de la défenderesse ". Les appelants ont accepté cette évaluation.

[6]      À l'époque, les parties, qui envisageaient la possibilité de faire exécuter en nature l'alinéa 2) du jugement au moyen de la remise d'une partie des bijoux saisis plutôt que par la paiement d'une somme d'argent, ont rencontré certaines difficultés. Elles ont convenu que les appelants avaient le droit d'obtenir des marchandises pour une valeur totale de 180 601 $. Cependant, les appelantes estimaient qu'au moins 50 p. 100 des bijoux qui étaient " sous la garde de la défenderesse " étaient alors devenus invendables. Pour cette raison, ils ont insisté sur leur droit de choisir, parmi les biens saisis, ceux qu'ils considéraient encore vendables. Comme l'intimée n'était pas disposée à leur concéder ce droit, les appelants ont présenté au juge Rouleau une requête

     [TRADUCTION]         
     en vue d'obtenir des directives au sujet du jugement qui a été rendu en l'espèce et aux termes duquel la Cour a ordonné à la défenderesse de rendre 25 pour 100 des bijoux saisis en vertu de la Loi sur les douanes ou de verser une indemnité, et plus précisément des directives sur la question de savoir         

     -si, collectivement, les demandeurs peuvent choisir parmi les bijoux censément saisis en vertu de la Loi sur les douanes dans cette affaire et détenus par la défenderesse, à leur gré, des articles ne totalisant pas plus de 25 p. 100 de la valeur conformément aux évaluations desdits bijoux effectuées pour le compte de la Couronne;         
     -le tout avec liberté de présenter une demande, au cas où un tel choix n'épuise pas les recours des demandeurs relativement au retour des bijoux saisis ou une compensation pour ces derniers, ou pour toutes difficultés découlant de ce choix, ainsi qu'à l'égard des autres redressements accordés aux demandeurs en vertu dudit jugement [...]         

     L'ordonnance du juge Rouleau relative à cette requête a été rendue le 9 décembre 1989 et prévoit ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     Il est accordé aux demandeurs 25 p. 100 de la valeur des bijoux saisis et il leur est loisible de choisir dans l'ensemble du lot les articles qu'ils jugent le plus vendables. La défenderesse doit obtempérer avant midi, le lundi 11 décembre 1989.         
     L'omission de la défenderesse de permettre aux demandeurs de faire ce choix sans délai contreviendra aux présentes instructions et la Cour sera alors disposée à entendre une requête en vue du recouvrement de dommages-intérêts correspondant à 25 p. 100 du montant total de 720 000 $ plus les intérêts simples de 6 p. 100 par année.         

[7]      À la suite de ces " directives ", les représentants des deux parties se sont rencontrés au dépôt des douanes les 14 et 19 décembre 1989, ainsi que le 4 janvier 1990. Lors de ces rencontres, les appelants ont choisi des bijoux pour une valeur totale de 108 601 $. Après ces dates, les appelants ne sont plus présentés au dépôt des douanes pour poursuivre leur choix de bijoux. Il semblerait qu'ils aient estimé que le reste des bijoux n'était pas vendable. Le 5 mars 1990, l'avocat de l'intimée a écrit aux appelants pour leur demander de poursuivre leur choix de bijoux. Le dernier paragraphe de cette lettre portait :

     [TRADUCTION]
     Auriez-vous en conséquence l'obligeance de nous faire connaître l'intention de votre cliente de reprendre la sélection de bijoux, à défaut de quoi nous saisirons le tribunal d'une requête en vue de faire choisir par Revenu Canada le reste des bijoux auxquels votre cliente a droit.         

Les appelants n'ont jamais donné suite à la demande de l'intimée. En revanche, l'intimé n'a jamais mis sa menace à exécution. Il a par la suite été découvert que les bijoux avaient été volés entre le 27 janvier et le 27 avril 1990.

[8]      Plus de cinq années plus tard, les appelants ont déposé un avis de requête en vue d'obtenir une ordonnance déclarant qu'aux termes du jugement du 9 juin 1988, l'intimée devait aux appelants la somme de 71 399 $, ainsi que les intérêts accumulés sur la somme de 108 699 $ à 6 pour 100 l'an entre le 8 septembre 1982 et janvier 1990, sur la somme de 71 399 $, entre le septembre 1982 et janvier 1990, et sur la somme de 71 399 $ depuis septembre 1982.

[9]      Le 30 octobre 1996, le juge Rouleau a prononcé une ordonnance ajournant la requête sine die et enjoignant aux appelants de présenter une autre demande à la Cour pour que celle-ci décide s'il était [TRADUCTION] " functus officio relativement à l'audition d'une autre demande dans la présente affaire ". Conformément à cette directive, les appelants ont déposé un avis de requête en vue d'obtenir une ordonnance déclarant [TRADUCTION] " que le juge Rouleau n'est pas dessaisi de la présente affaire ". Cette requête a été entendue par un autre juge, qui a déclaré que le juge Rouleau était functus officio . C'est l'ordonnance qui fait l'objet du présent appel.

[10]      J'estime que c'est à bon droit que le juge des requêtes a déclaré que le juge Rouleau était dessaisi du litige opposant les parties.

Objet du jugement de juin 1988

[11]      Il ressort à l'évidence des motifs du jugement qui ont été prononcés en juin 1988 par le juge Rouleau que les appelants cherchaient à obtenir la remise des articles saisis ou, à titre subsidiaire, une indemnité sous forme de dommages-intérêts. Les extraits suivants de ces motifs, dont certains ont déjà été cités dans le résumé des faits et l'exposé de la genèse de l'instance, illustrent bien l'état d'esprit des appelants et du juge :

     P. 1      Les demandeurs soutiennent donc que certaines des marchandises saisies ont été détenues et confisquées illégalement et doivent être retournées, ou encore que les dommages doivent être réparés par voie de compensation.         
     p. 25      Je conclus néanmoins qu'il existe une forte preuve pour appuyer la position selon laquelle une partie de la marchandise saisie par les employés de la défenderesse, et toujours en leur possession ou détruite par eux, n'a pas été saisie et confisquée légalement en vertu de la Loi sur les douanes.         
     p. 27      Je suis convaincu que l'entente de 1982 démontre sans équivoque qu'une partie de la marchandise n'aurait pas dû être confisquée en vertu de la Loi sur les douanes, et que les employés de la défenderesse le savaient parfaitement.         
     p. 28      Les demanderesses ont droit à son retour, ou au paiement de la somme équivalente par voie de dommages-intérêts.         
     p. 28      Ces articles ne faisaient pas l'objet justifié d'une saisie en vertu de la Loi sur les douanes et, par conséquent, doivent être retournés aux demandeurs.         

De fait, ainsi qu'on peut le constater aux pages 25 à 28 de ses motifs de jugement, le juge Rouleau s'est donné beaucoup de mal pour expliquer pourquoi il estimait mal fondé l'argument de la défenderesse suivant lequel les demandeurs ne pouvaient pas réclamer la remise de la marchandises parce qu'ils n'avaient pas suivi la procédure énoncée aux articles 153 ou 160 de la Loi sur les douanes. Il a conclu que l'affaire dont il était saisie n'entrait dans aucune des catégories prévues aux articles 153 et 160. Il a même vu dans l'empressement de la défenderesse à rendre une partie de la marchandise un indice que la marchandise n'avait pas été saisie et confisquée conformément aux exigences de l'article 153.

[12]      D'où sa conclusion que

     [...] les demandeurs ont droit au retour ou à une compensation pour les marchandises suivantes qui ont été saisies et détenues illégalement [...]         

[13]      Le fait que les appelants cherchaient à obtenir la remise des marchandises illégalement saisies ressort également de la requête en directives que les appelants ont présentée en décembre 1989 au sujet du jugement. Les appelants demandaient à la Cour de leur permettre de choisir à leur gré la part de 25 p. 100 des bijoux illégalement saisis à laquelle ils avaient droit parmi l'ensemble des bijoux saisis et détenus par la défenderesse. Ils demandaient également, à titre subsidiaire, qu'il leur soit loisible de demander des directives supplémentaires à la Cour pour le cas où ce choix n'épuiserait pas leurs recours relativement à la remise des bijoux ou au versement d'une indemnité ou pour le cas où ce choix créerait des difficultés. Il vaut la peine de signaler que, suivant les éléments de preuve qui avaient alors été portés à la connaissance du juge Rouleau, les bijoux parmi lesquels les demandeurs pouvaient choisir possédaient une valeur de vente résiduelle amplement suffisante pour réaliser la valeur de 25 p. 100 que les demandeurs avaient été autorisés à prendre en nature parmi les bijoux saisis. Je m'empresse d'ajouter, par souci de clarté, que le chiffre de 25 p. 100 de la valeur dont le juge Rouleau parle dans son jugement n'est pas une somme d'argent accordée à titre d'indemnité pour la perte des marchandises saisies illégalement, mais qu'il n'est qu'un moyen pratique de fixer une limite à la quantité de marchandises à remettre qu'il ne serait autrement pas commode de préciser. En d'autres termes, le juge Rouleau a ordonné à la défenderesse de rendre les bijoux saisis jusqu'à concurrence de 25 p. 100 de la valeur totale attribuée à l'ensemble de la marchandise saisie.

[14]      Au début de décembre 1989, lorsque l'avocat des appelants a demandé l'audition accélérée de la requête en directives, il a, à l'époque, réaffirmé la volonté de ses clients d'obtenir la remise de la marchandises en conformité avec le jugement. Il a écrit :

     [TRADUCTION]         
     En revanche, si les demandeurs obtiennent la remise de 25 p. 100 de la valeur [...] cela équivaudra à une solution pratique à la demande de remise des bijoux en vertu du jugement. (Non souligné dans l'original)1.         

[15]      C'est dans ce contexte que le juge Rouleau a, dans ses directives, autorisé les demandeurs à choisir parmi tous les bijoux ceux qu'ils estimaient le plus facilement vendables. Il fallait de toute évidence agir rapidement si l'on voulait obtenir une remise efficace qui avait pour effet d'indemniser les appelants, comme en témoigne la directive enjoignant à la défenderesse de permettre aux demandeurs de faire leur choix " sans délai ". D'ailleurs, la requête en directives a été présentée peu de temps avant Noël et les demandeurs désiraient obtenir rapidement la remise de leur bijoux, étant donné que la vente de ces articles était alors à son apogée. La défenderesse était tout aussi pressée, étant donné qu'elle avait le droit de conserver et de confisquer 75 p. 100 de la marchandise saisie.

[16]      Au second paragraphe de ses directives, le juge Rouleau déclare :

     L'omission de la défenderesse de permettre aux demandeurs de faire ce choix sans délai contreviendra aux présentes instructions et la Cour sera alors disposée à entendre une requête en vue du recouvrement de dommages-intérêts correspondant à 25 p. 100 du montant total de 720 000 $ plus les intérêts simples de 6 p. 100 par année.         

[17]      Cet extrait démontre une fois de plus à l'évidence que la remise de la marchandise illégalement saisie et détenue était, dans l'esprit du juge, ce qu'il avait autorisé dans son jugement et que le versement d'une indemnité ou de dommages-intérêts constituait simplement une solution de rechange pour le cas où la remise de la marchandise s'avérerait impossible après toutes ces années. D'ailleurs, pour des raisons évidentes, l'usage courant et normal veut que l'on ordonne la remise des biens saisis à son propriétaire ou possesseur légitime lorsque la saisie est jugée illégale. Autrement, conclure que le saisi a le droit, à son choix, de réclamer à la place une indemnité monétaire équivaudrait en fait à mettre le saisissant dans la position peu enviable d'être présumé s'être porté acquéreur de la marchandise contre son gré. Je ne puis croire que c'était là l'intention du juge Rouleau.


Moment où le juge est devenu functus officio

[18]      Au moment où le juge Rouleau a été saisi de la requête en directives, l'exécution de son jugement soulevait de toute évidence des difficultés et le juge possédait encore le pouvoir nécessaire pour donner des directives ou pour rendre des ordonnances visant à assurer la bonne et efficace exécution de sa décision. Les directives qu'il a données visaient précisément à donner effet à l'objet de son jugement et la méthode qu'il a retenue, à la demande des demandeurs, convenait à la réalisation de cet objet.

[19]      Il ressort de la preuve que la défenderesse s'est parfaitement conformée aux directives données par le juge Rouleau. Ce sont toutefois les demandeurs qui, après avoir à trois reprises récupéré des bijoux d'une valeur de 108 601 $, ont cessé sans raison de procéder à leur choix et de demander la remise de la marchandise, malgré les nombreuses demandes restées sans réponse que la défenderesse leur a adressées pour qu'ils poursuivent leur choix en conformité avec le jugement et les directives ultérieurement données aux parties. À mon avis, le jugement a été exécuté lorsque les appelants ont apparemment renoncé à réclamer la remise des autres marchandises qu'ils avaient le droit de récupérer et qu'ils ont renoncé à leur droit de le faire. Ce faisant, ils ont renoncé à tout droit à l'exécution du reste du jugement et le juge Rouleau est alors devenu functus officio.

[20]      J'ajouterais que, si l'article 540 du Code de procédure civile du Québec, qui renferme les principes régissant l'exécution volontaire des jugements, devait s'appliquer en raison de la règle qui supplée aux carences (art. 5) des Règles de la Cour fédérale, ma conclusion serait la même. En effet, aux termes de cet article, l'exécution d'un jugement qui ordonne de livrer une chose mobilière se fait par la remise de l'objet mobilier " de manière que la partie qui y a droit puisse s'en saisir ou en prendre possession ". En l'espèce, tous les bijoux ont été remis aux appelants, en conformité avec le jugement, de manière à ce qu'ils puissent se saisir ou prendre possession de leur quote-part. Le jugement a alors été exécuté.

[21]      Par ces motifs, l'appel sera rejeté avec dépens.

     " Gilles Létourneau "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.


Date : 1998.02.20


A-334-97

(T-813-83)

CORAM :      LE JUGE PRATTE

         LE JUGE MARCEAU

         LE JUGE LÉTOURNEAU

E n t r e :

     TERRASSE JEWELLERS INC.

     LARRY BAILY et ROSS BROTHERS (1975) INC.,

     appelants,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

     (prononcés à l'audience à Montréal (Québec),

     le vendredi 20 février 1998)

LE JUGE PRATTE

[1]      Je souscris aux motifs de mon collègue, le juge Létourneau, et je désire seulement ajouter quelques mots.

[2]      Le principe du dessaisissement (functus officio) empêchait le juge Rouleau de modifier son jugement du 9 juin 1988. Il ne l'empêchait cependant pas de trancher, comme il l'a fait dans ses directives du 8 décembre 1989, des questions auxquelles il aurait pu répondre dans son jugement mais qu'il avait laissées en suspens. Pour décider s'il était functus officio de sorte qu'il ne pouvait faire droit à la requête présentée par les appelants en vue d'obtenir une ordonnance condamnant l'intimée à leur verser une indemnité monétaire pour la marchandise saisie, il est donc nécessaire de savoir précisément ce qu'il a décidé aux termes de son jugement.

[3]      Suivant la première phrase de ce jugement,

                      Les demandeurs ont droit au retour ou à une compensation pour les marchandises suivantes qui ont été saisies et détenues illégalement [...]                 

La première question qui se pose est celle de savoir si cette phrase accordait aux appelants la faculté de réclamer, à leur choix, une indemnité ou la remise de la marchandise. Si l'on interprète le jugement comme accordant aux appelants un tel droit alternatif, il est évident qu'ils ne pouvaient pas être privés de leur droit de réclamer une indemnité par les directives du 8 décembre 1989 (étant donné que les directives ne pouvaient pas modifier ce qui avait déjà été décidé) ou par le vol ou la destruction des bijoux (lesquels ne pouvaient d'aucune manière porter atteinte à leur droit à une indemnité). J'estime toutefois que le jugement ne se prête pas à une telle interprétation.

[4]      La première phrase du jugement conférait aux appelants les mêmes droits relativement à deux catégories de marchandises : celles qui étaient mentionnées à l'alinéa 1) et celles qui étaient visées à l'alinéa 2). En ce qui concerne les marchandises mentionnées à l'alinéa 1) (c.-à-d. " toute marchandise envoyée à M. Leblanc [...] "), le juge voulait de toute évidence n'accorder aux appelants le droit de réclamer une indemnité que si la remise des marchandises devenait impossible. D'ailleurs, les marchandises mentionnées à cet alinéa étaient des choses certaines et déterminées qui, une fois jugées avoir été saisies et confisquées illégalement, étaient effectivement déclarées être la propriété des appelants et être détenues illégalement par l'intimée. Ces articles devaient donc être rendus à leurs propriétaires, qui pouvaient réclamer une indemnité si, sans faute de leur part, la remise s'avérait impossible.

[5]      Il s'ensuit que le jugement ne reconnaissait aux appelants, en ce qui concerne les marchandises mentionnées à l'alinéa 2), le même droit de réclamer une indemnité que si, sans faute de leur part, ils ne pouvaient obtenir la remise des bijoux.

[6]      Il est évident qu'après le vol, les appelants ne pouvaient plus obtenir la remise des bijoux. Il est également évident, toutefois, que cette situation malheureuse est imputable au refus des appelants de se conformer aux directives du juge Rouleau et de choisir les bijoux qu'ils désiraient. Dans ces conditions, le juge Rouleau ne pouvait pas, à mon avis, ordonner


le paiement de dommages-intérêts sans modifier le jugement qu'il avait déjà rendu. En d'autres termes, il était functus officio relativement à cette question.

     " Louis Pratte "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.


Date: 19980220


Docket: A-334-97

(T-813-83)

CORAM:      PRATTE J.A.

         MARCEAU J.A.

         LÉTOURNEAU J.A.

BETWEEN:

     TERRASSE JEWELLERS INC.

     LARRY BAILY AND ROSS BROTHERS (1975) INC.

     Appellants

     - and -

     HER MAJESTY THE QUEEN

     Respondent

     REASONS FOR JUDGMENT

     (Delivered from the Bench at Montréal, Quebec,

     on Friday, February 20, 1998)

MARCEAU J.A.

[1]      Afin de respecter le contexte bilingue dans lequel la présente affaire a été plaidée, j'ai pensé rédiger et lire mes courts motifs dissidents en français.

[2]      I regret that I cannot concur with my colleagues, but with respect, I must say that my view of this matter is fundamentally different from theirs. I am therefore going to try to explain my reasons as clearly as possible, particularly since there are questions of principle involved, but I shall do so briefly and without dwelling on them, my purpose being only to support my dissent.

[3]      The facts have been stated very clearly; it would be pointless to reiterate them, particularly since only the most prominent of them are truly essential to what I have to say. I shall therefore come right to the points I wish to make.

[4]      The motions judge, whose order is before us, interpreted the effect of the "direction" given by the trial judge on December 8, 1989, in response to the appellants' "motion for directions" (Rule 473) as being to order that the remedy to which the appellants were entitled in satisfaction of the judgment of June 9, 1988, was solely to be able to select from the jewellery seized and confiscated items totalling not more than 25% of the total value of the jewellery as a whole. This interpretation is naturally the cornerstone of the entire reasoning. In making this order, the trial judge allegedly exhausted his jurisdiction and became completely and finally functus officio. As the manner in which the judgement was to be executed had now been decided, the parties could expect nothing further from him, unless the Crown refused to comply immediately. If the appellants have not received complete satisfaction, they have nowhere to lay the blame other than their own inexplicable delay in acting, but in any event that has nothing to do with the trial judge.

[5]      I would say first that the terms of the motion judge's interpretation, which my colleagues approve, seem to me to be difficult and even impossible to justify in law.

[6]      It does not seem to me to be justified in literal and semantic terms. If we attempt to read the terms used by the judge in the context of the application that was before him, on which he necessarily had to act, those terms cannot lend themselves to any interpretation that would give it the meaning it is desired to ascribe to them. It was intended solely to resolve a misunderstanding between the parties and to allow the appellants themselves to make the selection of the jewellery that could be taken back by them in satisfaction of all or part of the judgment, and there is nothing that would support the notion that the judge intended to anything more, even assuming that he could have.

[7]      The suggested interpretation seems to me to be legally impossible, because it ascribes to the trial judge the intention of significantly altering his final judgment of June 9, 1988, which gave the appellants the right to 25% of the value of the jewellery, payable either in kind or in money, and he was prohibited from interfering in this way with his initial judgment because in this respect, precisely, he was functus. Here I must point out that I take my interpretation of the judgment from the fact that the action was an action for damages caused by the negligence of the Crown, that on more than one occasion in his reasons the judge confirmed the plaintiffs' right to monetary compensation, and that his formal conclusion is that the plaintiffs "are entitled to a return of or compensation for ..." "2) 25% of the value of the goods still remaining in the custody of the Defendant" and "the assessment of damages should be determined by the trial judge".

[8]      I then say, reductio ad absurdum, that even if the "direction" of December 8 is interpreted as the motions judge and my colleagues wish, it did not, in my humble opinion, make the trial judge definitively functus with respect to the execution of his judgment. I do not think that a judge who has jurisdiction to dispose of a case can be said to have fully exercised that jurisdiction if he leaves the execution of his judgment to depend on entirely foreseeable events or circumstances which may, depending on whether they occur, render his intention as to the remedy awarded ineffective. Here, execution in kind was allegedly subject to two such conditions: that the appellants in fact take the opportunity given to them to make the selection, and that the jewellery remain available until the judgment was satisfied in full. Even in the absence of any express reservation, I submit that the judge retained jurisdiction to dispose of the foreseeable events that might interfere with the execution of his intention as expressed by him.

[9]      I too am very disturbed by the appellants' apparent neglect, and they may eventually have to answer for it if they cannot explain it, even though it must indeed be acknowledged that their laches is not the primary cause of the disappearance of the jewellery. For the moment, however, it seems to me to be beyond doubt that the appellants' conduct in this regard can have no influence, either direct or indirect, on the problem of whether or not the trial judge is functus officio.

[10]      I therefore believe that this appeal is justified, that the motions judge was wrong to declare that the trial judge became functus by giving the direction of December 8, and, on the contrary, that this Court should declare that the trial judge is not functus officio.

     "Louis Marceau"

     J.A.

Certified true translation

C. Delon, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     Date : 1998.02.20

     A-334-97

     (T-813-83)

E n t r e :


TERRASSE JEWELLERS INC.

LARRY BAILY et

ROSS BROTHERS (1975) INC.,

     appelants,

     - et -


SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

    

     MOTIFS DU JUGEMENT

    

[11]          COUR D"APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DE DOSSIER :                          A-334-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :                  Terrasse Jewellers Inc. et autre
                                 c.
                                 Sa Majesté la Reine
LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :                      16 et 20 février 1998
MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      le juge Létourneau
MOTIFS CONCORDANTS PRONONCÉS PAR :      le juge Pratte
MOTIFS DISSIDENTS EXPOSÉS PAR :          le juge Marceau
DATE :                              le 20 février 1998

ONT COMPARU :

M. Doug C. Mitchell                          pour l"appelante

Mme Janet Michelin

M. Jean Lavigne                          pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Colin, Irving & Associates                      pour l"appelante

Avocats

Westmount (Québec)

M. George Thomson                          pour l'intimée

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Dossier d'appel, vol. 1, p. 110.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.