Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19980709


Dossier : A-265-98

CORAM :      LE JUGE STRAYER

         LE JUGE McDONALD

         LE JUGE SUPPLÉANT HENRY

     AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation délivrée conformément à l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, (la Loi);
     ET une demande de mise en liberté fondée sur le paragraphe 40.1(8) de la Loi.

E N T R E :


MANICKAVASAGAM SURESH,


appelant,

- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,


intimés.

ENTENDU à Toronto (Ontario) le jeudi 18 juin 1998

ORDONNANCE rendue à l'audience de Toronto (Ontario) le jeudi 18 juin 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE :      LA COUR


Date : 19980709


Dossier : A-265-98

CORAM :      LE JUGE STRAYER

         LE JUGE McDONALD

         LE JUGE SUPPLÉANT HENRY

     AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation délivrée conformément à l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, (la Loi);
     ET une demande de mise en liberté fondée sur le paragraphe 40.1(8) de la Loi.

E N T R E :


MANICKAVASAGAM SURESH,


appelant,

- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,


intimés.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA COUR

[1]      La présente requête a été formulée, le 18 juin 1998, au début de l'audition de l'appel visant l'ordonnance rendue par un juge de la Section de première instance et ordonnant, au titre du paragraphe 40.1(8) de la Loi sur l'immigration, la mise en liberté de l'appelant sous certaines conditions. Le 1er avril 1998, le demandeur a déposé un avis portant appel de cette ordonnance pour ce qui est des conditions imposées par le juge. Avant de rendre son ordonnance, le même juge avait, après quelque 50 journées d'audience, décidé, conformément à l'alinéa 40.1(4)d) de la Loi sur l'immigration, que l'attestation de sécurité émise par deux ministres, et déclarant que l'appelant appartenait à l'une des catégories visées aux alinéas 19(1)e)(iv)(C) ou 19(1)f)(ii) et (iii)(B), était raisonnable. Il y avait, selon cette attestation, des motifs raisonnables de croire que l'appelant avait commis des actes de terrorisme ou était membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle a commis, qu'elle est en train de commettre ou qu'elle commettra des actes de terrorisme. L'appelant avait été maintenu en détention en attendant que sa cause soit entendue et tranchée en vertu du paragraphe 40.1(4) mais, étant donné le temps qui s'était écoulé après la décision et après la prise à son encontre d'une mesure de renvoi, sans qu'il soit effectivement expulsé du Canada, le paragraphe 40.1(8) l'autorisait à demander sa mise en liberté. Selon le paragraphe 40.1(9) le juge de la Section de première instance avait la faculté d'ordonner sa mise en liberté " aux conditions qu'il [le juge en chef de la Cour fédérale ou un juge de cette cour qu'il délègue] estime indiquées... " au regard de certains critères énumérés au paragraphe en question. Le juge a effectivement rendu une ordonnance en ce sens, ordonnance actuellement en appel.

[2]      Après le dépôt d'un avis d'appel le 1er avril 1998, l'avocat de l'appelant a exposé, le 22 avril, les éléments devant selon lui figurer au dossier, sous la simple condition que pourraient possiblement y être ajoutées certaines déclarations recueillies, en l'absence de son client, à huis clos par le juge. Puis, le 7 mai 1998, l'avocat de l'appelant présenta par écrit une requête en ampliation du dossier d'appel afin d'y verser des documents produits devant la Cour à l'époque où celle-ci a rendu sa décision en vertu de l'alinéa 40.1(4)d). La requête sollicitait également l'inclusion de nouvelles preuves survenues après qu'eut été rendue l'ordonnance de mise en liberté actuellement en appel et concernant les répercussions possibles de cette ordonnance.

[3]      La requête écrite a été transmise par le greffe au juge Strayer, qui devait présider l'audition de l'appel prévu pour la semaine du 15 juin 1998. Le 22 mai, le juge Strayer rejetait la requête, préfaçant ses motifs par les observations suivantes.

         [3]      En me prononçant sur la présente requête, je devrais en premier lieu mettre l'accent sur la nature restreinte de l'appel en l'espèce. Il est très important de noter que, en application du paragraphe 40.1(6), il ne peut y avoir aucun appel de la décision du juge selon laquelle l'attestation était raisonnable. De plus, une partie du témoignage devant le juge des requêtes dans cette procédure a été rendue à huis clos en l'absence de l'appelant, et ne saurait faire l'objet du débat devant la Cour. L'appel se rapporte uniquement à l'ordonnance portant libération et, donc, seulement aux conditions posées par cette ordonnance. Il ressort du dossier qu'en fait, l'appelant a accepté l'essentiel des conditions, se réservant de soulever probablement les questions constitutionnelles dans un autre litige. Quant au bien-fondé de toutes conditions particulières dans l'ordonnance de libération, celles-ci relevaient du pouvoir discrétionnaire des juges des requêtes et pouvaient être revues par la Cour seulement à l'égard d'une grave erreur de principe ou d'une interprétation complétement fausse des faits. (non souligné dans l'original).         

[4]      Lorsque l'audition de l'appel débute, le 18 juin 1998 à Toronto, l'avocat de l'appelant demande par requête à la Cour que le juge Strayer, présidant à l'audience, se récuse en raison d'un parti pris possible. Selon l'avocat, cette crainte d'un parti pris se fonderait sur la dernière phrase de la citation reproduite plus haut concernant l'idée, telle qu'exposée dans cette citation, selon laquelle parce qu'elle relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour, l'ordonnance dont il a été interjeté appel, pourrait être révisée par la Cour d'appel " seulement à l'égard d'une grave erreur de principe ou d'une interprétation complètement fausse de faits ".

[5]      Après avoir entendu l'avocat plaider cette requête en récusation, la Cour se retira, revenant pour annoncer qu'à l'unanimité elle rejetait la requête. La Cour informa les avocats des parties que les motifs leur seraient exposés ultérieurement, ce qui est fait dans le cadre des présents motifs. Un paragraphe, cependant, de ces motifs a été lu aux avocats afin d'éclaircir certaines questions. Voici le paragraphe en question.

         [Traduction]         
         La Cour estime que le propos contesté en l'espèce et extrait des motifs d'ordonnance exposés le 22 mai 1998 ne fait que reprendre des principes de droit applicables à la requête dont est saisie la Cour. La Cour estime également que l'audition de cet appel, tel que décrit dans le propos en question, englobe la question sur laquelle nous avions à nous prononcer, décrite au paragraphe 31 de l'exposé des faits et du droit déposé par l'appelant, en l'occurrence :         
             quant à savoir si le juge de la Section de première instance a outrepassé ses compétences en imposant des conditions qui portent atteinte à la liberté d'expression et d'association de l'appelant et de certaines autres personnes.                         
         La Cour estime que cette question est comprise dans l'expression " grave erreur de principe ou d'une interprétation complétement fausse des faits " qui figure dans les motifs en date du 22 mai.         

Ce paragraphe trouve place dans les présents motifs.

[6]      Il ressort du passage mis en cause, que le juge Strayer entendait simplement souligner en passant, dans le cadre d'une requête interlocutoire, le caractère limité d'un appel visant une ordonnance relevant du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Ce caractère est précisé sous plusieures formes par la jurisprudence. Dans l'arrêt Barrigar et Oyen c. Citipage Ltd.1 la Cour a déclaré que :

     Dans une affaire interlocutoire de cette nature, la Cour d'appel ne touchera pas au pouvoir discrétionnaire exercé par le juge de première instance, à moins qu'il ne soit établi que le juge des requêtes s'est fondé sur un principe de droit erroné ou sur une mauvaise perception des faits, ou encore que la décision a entraîné une certaine injustice pour l'appelante.

Parfois, la Cour a dit que le pouvoir d'intervenir dans le cadre d'une décision discrétionnaire se limitait aux erreurs de droit, mais la Cour a également cité des précédents selon lesquels la Cour d'appel peut intervenir lorsqu'elle estime

         que le juge a commis une erreur de principe soit en attachant de l'importance à un élément dont il n'aurait pas dû tenir compte, soit en ne tenant pas compte d'un élément qu'il aurait dû prendre en considération;...2         

Dans l'affaire Reza c. Canada3, la Cour suprême a jugé que :

         le critère en matière de contrôle par une cour d'appel de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge est de savoir si le juge a accordé suffisamment d'importance à toutes les considérations pertinentes.         

Quels que soient les termes utilisés, le principe est que, dans la mesure où le juge a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière conforme au droit, et qu'il a tenu compte de tous les éléments pertinents, y compris les éléments de preuve, le ou la juge pourra exercer le pouvoir discrétionnaire qui est le sien en parvenant à l'équilibre qui lui paraît le meilleur et, en tel cas, la Cour d'appel n'a pas à intervenir. En parlant de " grave erreur de principe ", le juge Strayer faisait allusion à toute erreur effective sur une question de principe et cela comprend à l'évidence une erreur de droit. Cela comprendrait donc aussi une erreur de droit constitutionnel, ce qui est, précisément, la question soulevée dans le cadre du présent appel.

[7]      La Cour suprême a eu plusieurs fois l'occasion de déclarer que pour qu'il puisse y avoir crainte de parti pris, cette crainte

         doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander " à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique... "         

Cela a récemment été confirmé dans le cadre de l'arrêt R. c. S. (R.D.)4. La présente formation de la Cour d'appel n'a pas estimé qu'une personne raisonnable et avertie pourrait, au vu des propos tenus par le président d'audience lors d'une précédente requête interlocutoire présentée dans le cadre d'un même appel, et rappelant un principe général du droit au regard duquel devait être tranchée la requête en question, craindre l'existence d'un parti pris au niveau des questions constitutionnelles faisant l'objet même de l'appel.

[8]      Par ces motifs, la requête en récusation du président d'audience est rejetée à l'unanimité par la Cour.

(s) B.L. Strayer

JCA


(s) F.J. McDonald

JCA


(s) D. Henry

JS

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              A-265-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Manickavasagam Suresh c.
                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le Solliciteur général du Canada

                    

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 18 juin 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DES JUGES STRAYER, McDONALD ET                      HENRY

DATE :                  le 9 juillet 1998

ONT COMPARU :                     

    

Me Barbara Jackman      POUR L'APPELANT

Me Ron Poulton

Me J.W. Leising      POUR L'INTIMÉ

Me D. Dagenais

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Jackman, Waldman and Associates      POUR L'APPELANT

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur du Canada

__________________

1      (1993) 155 N.R. à la p. 283. (C.A.F.)

2      S.M. c. Canderel Limited [1994] 1 C.F. à la p. 9.

3      [1994] 2 R.C.S. 396 à la p. 404.

4      [1997] 3 R.C.S. 484 aux pp. 530-31.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.