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Date : 20001220

Dossier : A-155-99

OTTAWA (Ontario), le mercredi 20 décembre 2000.

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ISAAC

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

        HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED/HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE

             (anciennement BOEHRINGER MANNHEIM CANADA LTD./LTÉE),

                                                                                                                               appelantes,

                                                                    - et -

                                                     KIRIN-AMGEN INC.

                                                et JANSSEN-ORTHO INC.,

                                                                                                                                   intimées.

                                                             JUGEMENT                                                             

L'appel est rejeté avec dépens.

                                                                                                                           « A.J. Stone »                                   

J.A.

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


Date : 20001220

Dossier : A-155-99

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ISAAC

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

        HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED/HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE

             (anciennement BOEHRINGER MANNHEIM CANADA LTD./LTÉE),

                                                                                                                               appelantes,

                                                                    - et -

                                                     KIRIN-AMGEN INC.

                                                et JANSSEN-ORTHO INC.,

                                                                                                                                   intimées.

                                                                                                                                               

Audience tenue à Toronto (Ontario), le mercredi 8 novembre 2000 et le jeudi 9 novembre 2000.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le mercredi 20 décembre 2000.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                   LE JUGE STONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE ISAAC

                                                                                                           LE JUGE SHARLOW


Date : 20001220

Dossier : A-155-99

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ISAAC

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

        HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED/HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE

             (anciennement BOEHRINGER MANNHEIM CANADA LTD./LTÉE),

                                                                                                                               appelantes,

                                                                    - et -

                                                     KIRIN-AMGEN INC.

                                                et JANSSEN-ORTHO INC.,

                                                                                                                                   intimées.

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STONE


[1]                Le litige dont il est question dans le présent appel porte principalement sur une revendication contenue dans le brevet canadien numéro 1,339,047 délivré le 27 mai 1997 (le brevet). Le brevet concerne l'érythropoïétine humaine (EPO ou EPOu), une glycoprotéine produite par les reins qui stimule la moelle osseuse à produire les globules rouges et leurs précurseurs. L'objet du brevet est une EPO recombinante (EPOhr) fabriquée biologiquement qui est semblable par sa structure et sa fonction à celle produite par les reins. Les intimées commercialisent au Canada depuis 1990 leur produit EPREX, une EPO recombinante.

[2]                À l'instruction, les intimées ont allégué que l'appelante avait contrefait le brevet en distribuant au Canada son propre produit recombinant, RECORMON. L'appelante a invoqué l'invalidité du brevet et l'absence de contrefaçon au cours d'une instruction qui a duré plus de cinq jours. Chacune des parties a fait comparaître deux témoins experts et les intimées ont fait comparaître trois témoins des faits. Le juge de première instance, le juge Reed, a conclu dans ses motifs reproduits intégralement à (1999), 87 C.P.R. (3d) 1 que le brevet était valide et qu'il avait été contrefait. Elle a interdit à l'appelante de contrefaire le brevet et lui a ordonné de restituer tous ses produits aux intimées, elle a accordé des dommages-intérêts et ordonné la restitution des bénéfices ainsi que le paiement d'un intérêt sur le montant accordé.

[3]                La résolution du litige repose sur l'interprétation de la revendication 1 du brevet dont voici le texte :

1.         [TRADUCTION] Une glycoprotéine ayant la conformation primaire de l'érythropoïétine humaine telle qu'illustrée dans les figures 5A à 5E, ledit produit possédant la propriété biologique in vivo de provoquer l'augmentation de la production des réticulocytes et des globules rouges par la moelle osseuse et possédant une masse moléculaire supérieure à celle de l'EPO urinaire telle que mesurée par la technique SDS-PAGE.

                                                                                                                    [Les italiques sont ajoutés.]

Seul le texte en italique est en litige dans le présent appel.


[4]          Dans ses motifs, le juge Reed a expliqué que la technique SDS-PAGE est utilisée « pour déterminer la masse moléculaire apparente des protéines » . Comme elle l'a dit aux paragraphes 14 et 15 :

[14]     ...Le SDS est un détergent utilisé pour enrober (saturer) les échantillons des protéines analysés de telle sorte que les protéines soient couvertes de charges électriques négatives. La saturation au SDS abolit l'importance des charges négatives ou positives des protéines. Le processus de dénaturation entraîne aussi le dépliement des molécules de protéines de telle sorte que leur forme recroquevillée n'influe pas sur leur migration dans un champ électrique. Le SDS ne se fixe pas aux chaînes latérales glucidiques.

[15]     L'électrophorèse est une technique dans laquelle des échantillons de protéines placés dans un champ électrique se déplacent à travers un support (dans ce cas, un gel de polyacrylamide) entre les deux charges opposées du champ électrique (dans ce cas, depuis le haut de l'appareil chargé négativement, vers le bas chargé positivement). La vitesse à laquelle les protéines se déplacent à travers le gel (leur mobilité) est déterminée par leur dimension. Les petites protéines se déplacent plus rapidement que les grosses. La technique SDS-PAGE est donc utilisée pour estimer la dimension d'une protéine, dimension qu'on peut considérer comme analogue à sa masse moléculaire. La masse moléculaire est déterminée par la position de la protéine dans le gel après un certain temps d'exposition au champ électrique.

                                                                                                                  [Note de bas de page omise.]

Le juge Reed a ajouté qu'après une séparation sur SDS-PAGE, on peut enregistrer les résultats sous une forme visible. Une façon d'effectuer un enregistrement visuel des résultats s'appelle la technique « Western Blot » (transfert de Western). Le juge Reed a expliqué cette technique au paragraphe 17 :

[17]     Une autre façon d'effectuer un enregistrement visuel des résultats du test s'appelle la technique Western Blot (transfert de Western). Elle est encore plus sensible que la technique au colorant ou à l'argent. Après migration sur SDS-PAGE, les protéines présentes dans le gel sont transférées sur une membrane chimiquement réactive. Les protéines se fixent à cette membrane dans les mêmes positions relatives qu'elles occupaient dans le gel SDS-PAGE original. On applique alors sur la membrane des anticorps qui reconnaissent la protéine et s'y fixent. On enregistre alors l'endroit où se fixent ces anticorps.

L'exactitude de ces conclusions n'est pas remise en question.


[5]          À l'instruction et devant notre Cour, l'appelante a soutenu que le brevet est invalide pour cause d'insuffisance parce qu'il ne respecte pas les exigences du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, modifié par L.C. 1993, ch. 15, art. 31. Ce paragraphe prévoit notamment :

27.        (3) Le mémoire descriptif doit_:

a) décrire d'une façon exacte et complète l'invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

b) exposer clairement les diverses phases d'un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d'utilisation d'une machine, d'un objet manufacturé ou d'un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention, ou dans l'art ou la science qui s'en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l'invention;

...

Ce texte est pour l'essentiel identique au texte de l'ancien paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets qui, comme nous le verrons, a fait l'objet de nombreuses analyses dans la jurisprudence.

[6]                L'appelante soutient que le paragraphe 27(3) exige qu'un brevet remplisse deux conditions : il doit décrire l'invention et il doit expliquer son exploitation. Le défaut de respecter la première condition rend le brevet invalide pour cause d'ambiguïté; le défaut de respecter la deuxième condition le rend invalide pour cause d'insuffisance. De tels défauts empêchent l'appelante de déterminer la nature de l'invention à l'égard de laquelle le breveté revendique des droits exclusifs. En d'autres mots, l'appelante soutient que le brevet n'indique pas à une personne versée dans l'art ou la science comment utiliser le brevet ni comment éviter la contrefaçon.



[7]                En contestant la revendication 1 pour cause d'insuffisance, l'appelante insiste sur l'expression « EPO urinaire humaine » . Elle avance deux arguments. Premièrement, l'expression n'est pas claire parce que, d'après la preuve, il n'existe pas d' « EPO urinaire humaine » standard ayant une masse moléculaire uniforme, reconnue. Au contraire, la masse moléculaire de l' « EPO urinaire humaine » varie d'un individu à un autre. En raison de cette variation, une personne versée dans l'art ou la science ignorerait quelle sorte d' « EPO urinaire humaine » comparer avec la masse moléculaire d'une EPO recombinante suivant la technique SDS-PAGE pour déterminer si son produit a une « masse moléculaire supérieure » à celle de l' « EPO urinaire humaine » . De plus, l'appelante affirme que le juge Reed a commis une erreur en concluant que l'expression « EPO urinaire humaine » dans la revendication 1 renvoie à l'EPO urinaire humaine obtenue d'un « groupe de donneurs » et, de plus, qu'elle a commis une erreur en donnant la préférence aux témoins experts des intimées sur ce point plutôt qu'à ceux de l'appelante. Deuxièmement, même si on reconnaissait que l' « EPO urinaire humaine » dont il est question dans la revendication 1 est une EPO urinaire humaine provenant d'un « groupe de donneurs » , la revendication est néanmoins invalide pour cause d'insuffisance. Il est un fait reconnu, d'après la preuve produite à l'instruction, que l'EPO urinaire humaine n'a pas une masse moléculaire unique. Au contraire, on constate que la masse moléculaire de l'EPO urinaire humaine correspond à une fourchette lorsqu'on l'analyse à l'aide de la technique SDS-PAGE. D'après l'appelante, les EPO recombinantes ont des masses correspondant à l'ordre de grandeur numérique de l'EPO urinaire humaine. Par conséquent, l'analyse comparative envisagée par la revendication 1 n'a aucun sens.

[8]                À l'instruction, les intimées ont appuyé leur allégation de contrefaçon sur les résultats d'une expérience qu'elles ont menée au New Jersey en août 1998. Les photographies des images Western Blot obtenues lors de cette expérience montraient que le produit de l'appelante possédait une masse moléculaire plus grande que celle des deux échantillons différents d'EPO urinaire humaine. L'appelante a contesté la fiabilité de l'expérience effectuée au New Jersey et a soutenu qu'on ne devait pas en tenir compte. Toutefois, le juge Reed était d'avis qu'aucune des critiques présentées par les experts de l'appelante ne minait la validité des résultats de l'expérience. De plus, elle a statué que les expériences indépendantes effectuées par l'appelante n'étaient pas convaincantes puisqu'on y avait utilisé des produits de l'EPO recombinante fabriqués par l'appelante aux fins de leur distribution à l'étranger et non le produit distribué au Canada.

Les questions en litige

[9]                Six questions sont en litige dans le présent appel. Les voici :

·        Le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en statuant que la date à laquelle il convenait d'interpréter la revendication 1 était celle de la délivrance du brevet?


·        Le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en statuant que « l'EPO urinaire humaine » dont il est question dans la revendication 1 y était suffisamment décrite ainsi que dans le brevet de sorte que l'on pouvait comprendre le brevet et que l'invention alléguée pouvait être utilisée ou évitée, selon le cas?

·        Le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en statuant que l'EPO urinaire humaine était suffisante pour permettre à une personne versée dans l'art de déterminer la contrefaçon?

·       Le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en concluant que les intimées avaient démontré que l'appelante avait contrefait la revendication en cause?

·        Le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en ne faisant pas droit à la demande reconventionnelle de l'appelante en prononçant l'absence de contrefaçon du moins en ce que l'EPO recombinante avait la même masse moléculaire ou une masse moléculaire inférieure à celle de l'EPO urinaire humaine lorsqu'on la mesure grâce à la technique SDS-PAGE?

·        Le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en tirant ses conclusions quant à la crédibilité des quatre témoins experts et, en particulier, les Drs Sytkowski et Haselbeck?

Date de l'interprétation

[10]            L'appelante soutient que le juge Reed a commis une erreur en interprétant le brevet à la date à laquelle il a été délivré, soit le 27 mai 1997, plutôt qu'à la date à laquelle une demande de brevet a été présentée, soit le 12 décembre 1984. Je reconnais que les décisions rendues sur cette question ne vont pas toutes dans le même sens. En choisissant la date de la délivrance, le juge Reed s'est appuyée sur l'énoncé suivant du juge Desjardins s'exprimant au nom de la Cour dans l'arrêt AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.), à la p. 426 :


À titre préliminaire, il convient de signaler qu'un brevet doit être interprété en fonction de sa date de délivrance. Tout doute concernant la date de référence est dissipé de façon concluante dans la version française d'une déclaration faite à ce sujet par le juge Pigeon, dans Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett-Packard (Canada), [1976] 1 R.C.S. 555, à la p. 560, 17 C.P.R. (2d) 97, à la p. 101, 54 D.L.R. (3d) 711 (où sont utilisés les mots « la date de la délivrance du brevet » ).

[11]            L'appelante soutient toutefois que la jurisprudence indique que c'est la date du dépôt de la demande qui devrait servir à l'interprétation du brevet et que, de toute façon, l'extrait cité de l'arrêt AlliedSignal, précité, n'était qu'une opinion incidente. Quoi qu'il en soit, il convient de signaler que le juge Desjardins s'est appuyé sur un énoncé du juge Pigeon dans l'arrêt Burton Parsons, précité, à la page 560. À mon avis, nous devons suivre cette dernière décision à moins qu'elle n'ait été modifiée par une décision ultérieure de la Cour suprême du Canada. L'appelante fait valoir que l'énoncé du juge Pigeon invoqué par le juge Desjardins doit maintenant être examiné à la lumière de l'arrêt de la Cour suprême Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, dans lequel le juge Lamer (alors juge puîné) a dit à la page 1638 :

Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l'art ou le domaine de l'invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation (le juge Pigeon dans Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, à la p. 563; Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, à la p. 1113), et d'utiliser l'invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l'inventeur, au moment de sa demande (Minerals Separation [North American Corp. v. Noranda Mines Ltd.], précité [[1947] Ex. C.R. 306], à la p. 316).

L'appelante prétend qu'étant donné qu'un brevet doit permettre à une personne versée dans l'art ou dans la science « d'utiliser l'invention avec le même succès que l'inventeur, au moment de sa demande » , le seul moment approprié pour interpréter le brevet est la date de la demande.


[12]            À mon avis, même s'il n'y avait que cet arrêt, il ne pourrait pas constituer un précédent clair permettant d'affirmer qu'un brevet doit être interprété à la date du dépôt de la demande, mais simplement que l'inventeur serait en mesure de le faire à cette date. Quoi qu'il en soit, même s'il s'est reporté à l'arrêt Burton Parsons, précité, le juge Lamer n'a pas exprimé son désaccord avec l'énoncé du juge Pigeon et, en fait, il ne l'a pas mentionné. Il a plutôt invoqué le point de vue exprimé par le président Thorson dans Minerals Separation North American Corp. v. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de l'É. 306, à la p. 316. Il est donc utile d'examiner le contexte global où figure cet énoncé à la p. 560 de la décision du juge Pigeon :

...Il nous faut déterminer ce que le tout signifiait pour l'homme de l'art à la date de la délivrance du brevet. Dans Minerals Separation North American Corporation v. Noranda Mines Ltd., Lord Reid s'est exprimé comme suit (à la p. 92) :

[Traduction] Plusieurs motifs sont invoqués à l'encontre de cette revendication. Le premier porte sur l'expression « un xanthate alcalin » . Le sens de cette expression est décisif puisqu'en cette revendication, l'inventeur ne revendique un monopole que si un xanthate alcalin est utilisé dans le procédé : l'utilisation d'un xanthate non alcalin ne constitue pas une contrefaçon de cette revendication. Il est donc nécessaire de considérer ce que cette expression aurait signifié à la date de la délivrance du brevet pour le destinataire imaginaire du mémoire descriptif, soit un homme maître dans l'art de faire flotter une mousse. (Les italiques sont de moi.)

À mon avis, il semble improbable que la Cour suprême ait voulu, dans l'arrêt Pioneer Hi-Bred, précité, s'écarter de l'arrêt Burton Parsons sur ce point sans indiquer clairement son intention de le faire.


Caractère suffisant

[13]            Le juge Lamer a commenté dans l'arrêt Pioneer Hi-Bred, précité, aux pages 1637 et 1638, les exigences de l'ancien paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets et la jurisprudence :

En résumé, la Loi sur les brevets exige du demandeur qu'il présente un mémoire descriptif comprenant la divulgation et les revendications (Consolboard Inc., précité, à la p. 520). Les tribunaux canadiens ont eu l'occasion d'énoncer au cours des années le test qu'il faut appliquer pour savoir si la divulgation est complète. Le demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l'invention. Afin d'être complète, celle-ci doit remplir deux conditions ; l'invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie (le président Thorson dans Minerals Separation North American Corp. v. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de l'É. 306, à la p. 316). Le demandeur doit définir la nature de l'invention et décrire la façon de la mettre en opération. Un manquement à la première condition invaliderait la demande parce qu'ambiguë alors qu'un manquement à la seconde l'invaliderait parce que non suffisamment décrite.

[14]            L'appelante affirme que le juge Reed a commis une erreur en statuant que l' « EPO urinaire humaine » était suffisamment décrite et en rejetant l'argument selon lequel cela ne pouvait pas être le cas parce que l'EPO de chaque personne est différente et aussi parce que les différentes EPO ont une masse moléculaire différente. Comme la revendication 1 ne précise pas quelle sorte d'EPO urinaire humaine est visée par la comparaison, un lecteur compétent ne pourrait jamais être en position de comprendre le brevet et l'invention ne pourrait être ni évitée ni pratiquée. Les témoignages des experts sont contradictoires sur ce point.


[15]            En fin de compte, le juge Reed a conclu que l'EPO urinaire humaine à utiliser dans l'analyse SDS-PAGE aux fins de sa comparaison avec l'EPO recombinante devait être extraite de l'EPO urinaire humaine d'un groupe de donneurs plutôt que d'un individu donné, et que c'est ce qu'indique la page 64 du brevet. Un témoignage en ce sens a été présenté par le Dr Sawyer, un expert assigné par les intimées, et a été accepté par le juge Reed. Le Dr Sawyer a appuyé son témoignage sur deux éléments : (1) ce que révèle la divulgation à la page 64 du brevet qui renvoie à un « extrait obtenu à partir de l'urine d'un groupe de donneurs » et (2) le fait qu'une personne versée dans l'art ou la science se rendrait compte que seule l'EPO urinaire humaine « obtenue d'un groupe de donneurs » serait appropriée aux fins de la comparaison. Au soutien de ce deuxième élément, le Dr Sawyer a souligné que les ouvrages scientifiques mentionnent régulièrement que « l'EPO urinaire humaine » est l'EPO extraite à partir de l'urine d'un certain nombre de malades atteints d'anémie aplastique. S'appuyant sur ce témoignage, le juge Reed a conclu que c'est de l'EPO urinaire humaine obtenue d'un groupe de donneurs dont il est question à la revendication 1.


[16]            À mon avis, il était loisible au juge de première instance de tirer cette conclusion à partir des éléments de preuve dont elle avait été saisie. Qui plus est, la jurisprudence indique que l'interprétation d'un brevet repose largement sur le témoignage d'une personne versée dans l'art qui a été accepté à l'audience : Proctor & Gamble Inc. c. Unilever PLC (1995), 61 C.P.R. (3d) 499 (C.A.F.), à la p. 506. La jurisprudence indique aussi clairement qu'un brevet devrait être abordé avec « un esprit désireux de comprendre » : Lister v. Norton Brothers and Co. (1886), 3 R.P.C. 197, à la p. 203 (Ch.D.), Baldwin International Radio Company of Canada, Limited v. Western Electric Co. Inc., [1934] R.C.S. 94, aux p. 105 et 106, ainsi qu' « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile » : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la p. 521.

[17]            L'appelante soutient en outre que la revendication 1 est invalide parce que les masses moléculaires de l'EPO urinaire humaine et de l'EPO recombinante se situent à l'intérieur de la même fourchette lorsque l'on utilise la technique SDS-PAGE. Il est reconnu que l'EPO urinaire humaine est hétérogène en ce sens que sa masse moléculaire n'a pas une valeur numérique unique et, en fait, qu'il existe une fourchette de masses moléculaires dans ce cas. Je ne vois pas en quoi cette caractéristique est fatale pour les intimées et justifie la modification du jugement de première instance. Comme l'a conclu le juge Reed au paragraphe 21 de ses motifs :

Le brevet ne recommande pas de recourir à la technique SDS-PAGE en vue de déterminer une valeur numérique pour les masses moléculaires respectives de l'EPOu et de l'EPOhr. Il exige une évaluation des masses moléculaires comparatives de ces deux substances.

Je suis d'accord avec ce point de vue. Je considère, d'après la preuve, que c'est ce à quoi doit servir la technique SDS-PAGE, c'est-à-dire comparer les deux substances côte à côte afin de déterminer laquelle des deux a la masse moléculaire la plus élevée. Si cela est correct, il semblerait importer peu que les différentes EPO urinaires humaines puissent avoir des masses moléculaires différentes. Si en la comparant avec une EPO recombinante, on constate que cette dernière a une masse moléculaire supérieure à celle de l'EPO urinaire humaine avec laquelle elle est comparée, l'EPO recombinante contreviendrait à la revendication 1; dans le cas contraire, le brevet ne serait pas contrefait.


Disponibilité de l'EPO urinaire humaine

[18]            Examinons maintenant la question de la disponibilité de l'EPO urinaire humaine. Cela concerne dans une certaine mesure la question de la date à laquelle l'interprétation doit être faite. Comme l'a conclu le juge Reed, malgré la difficulté de trouver un approvisionnement, les ouvrages scientifiques ont indiqué qu'il existait un processus de purification efficace dès 1977. Elle a en outre conclu que l'EPO urinaire humaine était disponible dans le commerce dès 1983-1984. Le juge Reed a en outre fait remarquer qu'il suffisait d'une très petite quantité d'EPO urinaire humaine pour effectuer la comparaison requise par le brevet. Par conséquent, après avoir examiné la preuve, le juge Reed a conclu au paragraphe 34 de ses motifs que « l'EPO était [...] disponible pour les personnes qui en avaient besoin pour la comparer à l'EPO recombinante tant à la date de délivrance du brevet qu'à la date de la présentation de la demande de brevet » . Un examen de la preuve documentaire ne m'a pas convaincu que le juge avait commis une erreur en tirant cette conclusion.


[19]            Liée à la question de la disponibilité de l'EPO urinaire humaine était celle de savoir si le processus de purification indiqué dans les ouvrages scientifiques aurait une incidence sur la masse moléculaire de l'EPO urinaire humaine et, par conséquent, soulève une question quant à la suffisance de la description contenue dans la revendication 1. La preuve produite à l'instruction était contradictoire et a obligé le juge de première instance à déterminer quels étaient les éléments de preuve qui devaient être acceptés. Le juge Reed a encore une fois donné la préférence au témoignage du Dr Sawyer qui avait indiqué qu'une personne versée dans l'art ou la science n'aurait aucune difficulté. De plus, elle a conclu que l'EPO urinaire humaine préparée par l'expert des intimées, le Dr Strickland, en suivant la procédure décrite dans les ouvrages scientifiques et en l'utilisant de la manière décrite dans l'expérience du New Jersey ne donnait pas une masse moléculaire différente.

Contrefaçon

[20]            Pour ce qui est de la question de la contrefaçon, il me semble que l'on n'a produit aucun élément qui aurait permis de modifier les conclusions de fait tirées à l'audience sur le fondement des résultats de l'expérience effectuée au New Jersey en août 1998 et à partir desquels le juge Reed a conclu que le produit de l'appelante avait en fait une masse moléculaire supérieure à celle décrite dans la revendication 1 et, par conséquent, contrevenait au brevet.

[21]            Dans l'arrêt TWR Inc. c. Walbar of Canada Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 176 (C.A.F.), faisant renvoi à l'arrêt Consolboard, précité, de la Cour suprême, j'ai dit à la p. 190 :


La tâche de déterminer s'il y a eu contrefaçon d'une revendication est « essentiellement une question de fait » : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Limited., [1981] 1 S.C.R. 504, motifs du juge Dickson (tel était alors son titre), à la page 514. La preuve produite au procès par l'interrogatoire principal et le contre-interrogatoire de personnes versées dans l'art et d'autres témoins visait à appuyer les prétentions respectives des deux parties. Le juge de première instance a choisi d'accepter la preuve qui appuie la partie intimée plutôt que celle de la partie appelante. En sa qualité de juge de première instance, il était habilité à le faire même si une partie de la preuve était de nature documentaire et qu'une grande part du témoignage oral a été donnée par des témoins experts. Cette Cour ne doit pas modifier ses conclusions sauf s'il appert que celui-ci a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits : Stein c. Le navire « Kathy K » [1976] 2 R.C.S. 802, N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247, motifs du juge LeDain, aux pages 1249 et 1250. Le juge disposait d'avantages que n'a pas cette Cour. Je ne vois aucun fondement pour modifier ses conclusions.

De même, dans le présent appel, l'appelante n'a pas relevé de la part du juge Reed d'erreur manifeste et dominante qui justifierait l'intervention de notre Cour sur cet élément de l'affaire. L'appelante se plaint essentiellement du fait que le juge de première instance a préféré donner foi aux témoignages des experts des intimées plutôt qu'à ses propres experts. Ainsi, s'il n'est pas manifestement évident qu'on a interprété la preuve de façon erronée ou qu'on n'en a pas tenu compte, cela ne constitue pas un motif raisonnable justifiant un examen en appel.

Jugement déclaratoire demandé par l'appelante

[22]            Dans le présent appel, l'appelante demande pour la première fois un jugement déclaratoire portant qu'une EPO recombinante ayant une masse moléculaire égale ou inférieure à celle décrite dans la revendication 1 ne contrefait pas le brevet. Ce point n'a pas été directement soulevé dans les plaidoiries. Un jugement déclaratoire était sollicité à l'alinéa 18b) de la défense et demande reconventionnelle modifiée de l'appelante, mais cela se limitait à un jugement portant que le produit RECORMON [Traduction] « ne contrefait pas la revendication 1 » du brevet. On n'a pas demandé qu'il soit statué qu'une autre EPO recombinante ayant une masse moléculaire égale ou inférieure à celle de l'EPO urinaire humaine ne contrefait pas la revendication 1.


[23]            Les tribunaux ont insisté sur le rôle et l'importance des plaidoiries pour circonscrire les questions en litige dans une affaire : voir, par exemple, In re Robinson's Settlement, Gant v. Hobbs, [1912] 1 Ch. 717 (C.A.), à la p. 728; Esso Petroleum Co. Ltd. v. Southport Corporation, [1956] A.C. 218 (H.L.), à la p. 239; Glisic c. La Reine, [1988] 1 C.F. 731 (C.A.); TWR Inc. c. Walbar of Canada Inc. (1991), 132 N.R. 161 (C.A.F.), à la p. 179; Prêt-à-Porter Orly Ltd. c. Canada (1994), 176 N.R. 149 (C.A.F.). Voir aussi DuPont Canada Inc. c. Glopak Inc. (1998), 81 C.P.R. (3d) 44 (C.F. 1re inst.), aux p. 58 et 59.

[24]            De toute façon, l'appelante, par sa demande de jugement déclaratoire, sollicite une réparation en vase clos en vertu de laquelle tout produit qui, selon elle, aurait une masse moléculaire égale ou inférieure à celle de l'EPO urinaire humaine ne contrefait pas le brevet. Les intimées reconnaissent qu'en théorie, un produit ayant une telle masse par suite de la comparaison parallèle effectuée grâce à la technique SDS-PAGE ne contreferait pas la revendication 1. Il est tout à fait évident dans le présent litige que la Cour n'est pas en mesure de statuer qu'un produit autre que celui dont il est question en l'espèce, que l'appelante possède maintenant ou possédera ultérieurement, ne contreferait pas la revendication 1 en raison de la simple assertion générale qu'un produit ayant une masse moléculaire égale ou inférieure à celle de l'EPO urinaire humaine ne peut pas contrefaire cette revendication. Le fait qu'un produit donné ne contrefait pas la revendication 1 doit soit avoir été reconnu par les intimées soit avoir été déterminé par un tribunal dans le cadre d'une action en contrefaçon.


Crédibilité des témoins experts

[25]            L'appelante invoque un dernier argument qui concerne les critiques formulées par le juge de première instance à l'égard de ses témoins experts. Elle a fait comparaître comme témoins experts les Drs Sytkowski et Haselbeck. Outre le Dr Sawyer, les intimées ont fait comparaître le Dr Strickland. Après avoir souligné que la crédibilité des témoins experts était un élément très important, le juge Reed a tiré des conclusions sur la crédibilité. Elle a conclu que le témoignage du Dr Sawyer était « digne de foi et fiable » et elle a estimé que même si le Dr Strickland avait commis des erreurs lorsqu'il a effectué les analyses, erreurs qu'il a plus tard corrigées, ces erreurs ne mettaient pas en doute l'exactitude des résultats corrigés. Par contre, le Dr Sytkowski n'a pas été considéré comme un témoin digne de foi en raison de ce que le juge de première instance a appelé « son parti pris excessif et son manque de sincérité » . De l'avis du juge Reed, la description qu'a faite le Dr Haselbeck des publications pertinentes dénote de manière répétée que son enthousiasme à soutenir la thèse de son employeur « le mène à exagérer ou à dénaturer les conclusions qui s'y trouvent » . Le juge a cherché à étayer ces diverses conclusions en se reportant à la preuve produite au procès, comme cela ressort des paragraphes 56 à 63 de ses motifs.


[26]            Comme nous l'avons déjà mentionné, les conclusions de fait relèvent plus précisément de la compétence du juge de première instance qui a l'avantage de voir et d'entendre les témoins, et elles ne devraient pas être modifiées par une cour siégeant en appel à moins que le juge n'ait commis une erreur manifeste et dominante ayant influencé son appréciation des faits : Stein Estate c. Le navire « Kathy K » , [1976] 2 R.C.S. 802. Voir aussi Ship Sir Robert Peel (1880), 4 Asp. M.L.C. 321 (C.A.); Clarke v. Edinburgh and District Tramways Co., [1919] S.C. (H.L.) 35; Ship Hontestroom v. Ship Sagaperack, [1927] A.C. 37 (H.L.); Powell v. Streatham Manor Nursing Home, [1935] A.C. 243 (H.L.); Watt (or Thomas) v. Thomas, [1947] A.C. 484 (H.L.); Forseth v. Prudential Trust Co., [1960] S.C.R. 210; N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247; Norvel et al. c. Savein and Burnaby Hospital, [1994] 1 R.C.S. 114. Dans la décision Watt, précitée, lord MacMillan a souligné ces inconvénients aux pages 490 et 491 :

[traduction]       La Cour d'appel n'a devant elle que le dossier imprimé des témoignages. S'il s'agissait de l'ensemble de la preuve, il y aurait peut-être lieu de dire que les juges d'appel ont le droit de tirer leur propre conclusion au sujet de l'affaire et avaient la compétence voulue à cette fin. Cependant, il ne s'agit que d'une partie de la preuve. Ce qui manque, c'est la preuve du comportement des témoins, de leur franchise ou de leur parti-pris ainsi que la preuve de tous les éléments accessoires qu'il est si difficile de décrire et qui composent l'atmosphère qui règne au cours d'une instruction donnée. Le juge de première instance dispose de ces outils pour en arriver à sa conclusion, mais non la Cour d'appel. Tant que la preuve est présentée sur papier, il n'est pas rare qu'une décision allant dans un sens ou dans l'autre puisse être rendue. Lorsque cette possibilité existe, comme c'est le cas en l'espèce, la décision du juge de première instance, qui a bénéficié des avantages dont la Cour d'appel ne disposait pas, devient cruciale et ne devrait pas être infirmée.


[27]            L'appelante soutient que les motifs invoqués pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité aux paragraphes 56 à 61 des motifs de jugement du juge de première instance ne correspondent pas à la preuve ou que, de toute façon, ils n'ont aucune incidence directe sur les avis professionnels exprimés par les témoins experts de l'appelante à l'instruction. Le juge Reed a écarté la déclaration du Dr Sytkowski selon laquelle il n'avait pas pu voir l'expérience effectuée au New Jersey en août 1998 et qu'on l'avait tenu à l'écart de la pièce pendant celle-ci. Les avocats ont examiné aux pages 796 à 798 et 971 à 973 de la transcription de l'instruction ce que ce témoin pouvait ou ne pouvait pas voir. Il semblerait que le témoin a simplement affirmé qu'il avait été incapable de voir les trois échantillons déposés sur le gel et non qu'il avait été incapable de voir l'expérience au complet. Même dans un tel cas, le juge de première instance a eu une certaine difficulté à croire que le Dr Sytkowski n'aurait pas demandé à la personne qui lui obstruait la vue de se déplacer. Certains éléments de preuve indiquent également que le Dr Sytkowski a quitté la pièce un certain temps pendant que le gel était analysé et qu'il a été raccompagné dans la pièce pour apprendre les résultats de l'expérience. Il semble n'y avoir aucune preuve qu'il aurait affirmé avoir été « tenu à l'écart de la pièce » pendant le déroulement de l'expérience.


[28]            Le juge de première instance était également préoccupée par le fait que le Dr Sytkowski avait agi d'une manière « loin d'être conforme à l'éthique » en 1981 lorsqu'il a photographié des diapositives du Dr Goldwasser lors d'une assemblée annuelle de l'American Society of Haematology et a publié un article dans lequel il a parlé des diapositives, sans les attribuer au Dr Goldwasser. D'après le témoignage du Dr Sytkowski à cet égard, aux pages 786 à 788 de la transcription, en photographiant les diapositives lors d'une assemblée publique sans l'autorisation du Dr Goldwasser, il a agi conformément aux pratiques acceptées. Il a aussi expliqué son omission dans l'article qu'il avait publié d'attribuer les diapositives au Dr Goldwasser par l'insistance du rédacteur en chef du journal que les données publiées lors d'une assemblée publique n'ont pas à être créditées et qu'il était tout à fait correct d'utiliser ces données parce qu'elles avaient été présentées lors d'une telle assemblée.

[29]            L'avocat fait valoir que, de toute façon, aucun des éléments de preuve invoqués par le juge de première instance ne concernait le témoignage professionnel du Dr Sytkowski en tant que chercheur principal dans le domaine en cause en l'espèce et que, par conséquent, la sévérité des critiques formulées par le juge de première instance était injustifiée et avait porté atteinte à la réputation d'un homme de science sérieux.

[30]            Le juge de première instance a conclu que le Dr Haselbeck avait manifesté son « enthousiasme à soutenir la thèse de son employeur » , ce qu'elle a illustré en invoquant son affirmation selon laquelle la masse moléculaire de l'EPO urinaire humaine se situe autour de 39 000 daltons. Lorsqu'on lui a produit la preuve indiquant que la masse moléculaire de la protéine se situait « plus près de 34 000 » daltons, le Dr Haselbeck a persisté à dire que cela signifiait n'importe quoi d'inférieur à 39 000 daltons. L'avocat a passé en revue les éléments de preuve invoqués par le Dr Haselbeck dans son témoignage d'expert selon lequel l'EPO urinaire humaine avait une masse moléculaire apparente de près de 39 000 daltons. Certains de ces éléments de preuve semblaient suggérer que certains scientifiques considéraient que la masse moléculaire apparente était près de 39 000 daltons ou plus près de 34 000 daltons, la masse semblant varier selon les conditions dans le gel.


[31]            À mon avis, il serait erroné pour notre Cour d'apprécier après coup l'évaluation qu'a faite le juge de première instance des témoins. Elle a eu l'occasion de les voir et de les entendre pendant l'instruction. C'est à elle qu'il revenait d'apprécier leur sincérité et leur fiabilité. Comme cela n'est pas rare, la tâche n'était pas facile en l'espèce où les dépositions des témoins experts de chacune des parties se contredisaient souvent. En déterminant les témoignages d'experts auxquels elle donnait foi et ceux qu'elle devait écarter, elle a exercé une fonction propre au juge de première instance. Ses conclusions ne devraient pas être modifiées à la légère à moins qu'il ne puisse être démontré qu'elle a commis une erreur flagrante.

[32]            Il ne faut pas oublier que le Dr Sytkowski a produit en contre-preuve un affidavit dans lequel il a critiqué la manière dont l'expérience du New Jersey avait été effectuée et où il a exprimé son avis que les résultats n'étaient pas fiables. Par conséquent, le contre-interrogatoire auquel il a été soumis et qui était à l'origine de la conclusion défavorable tirée par le juge Reed quant à sa crédibilité n'était pas complètement sans rapport avec le témoignage d'expert du Dr Sytkowski. Un témoin, qu'il ait été témoin des faits ou qu'il exprime un avis, devient d'une certaine façon une « proie facile » au moment du contre-interrogatoire. Je suis d'avis que le contre-interrogatoire du Dr Sytkowski sur cet aspect de l'affaire était tout à fait légitime et, en fait, il n'a pas été contesté en appel.


[33]            Je considère néanmoins que les critiques formulées par le juge de première instance à l'égard du témoin étaient plus sévères que ne l'exigeait la preuve. Je suis surtout préoccupé par le fait qu'elle a considéré qu'il n'avait pas agi d'une manière conforme à l'éthique. Le témoin a déclaré à cet égard, ce qui n'a pas été contesté, qu'en photographiant les diapositives du Dr Goldwasser lors d'une assemblée publique, il avait agi conformément aux pratiques reconnues et que c'est en raison de l'insistance du rédacteur en chef du journal qui avait jugé que c'était inutile parce que le Dr Goldwasser avait exprimé son point de vue au cours d'une assemblée publique qu'il n'avait pas attribué les diapositives au Dr Goldwasser dans l'article publié. Il ne faut jamais oublier que, si elles ne sont pas fondées, les critiques formulées par un tribunal à l'endroit d'un témoin professionnel peuvent porter gravement atteinte à sa réputation. « La bonne renommée pour l'homme et pour la femme » , a écrit Shakespeare, « est le joyau suprême de l'âme » : Othello, III, iii, 155. Qui plus est, la nature précieuse d'une bonne réputation a été mise en relief par les plus hauts tribunaux. Comme l'a dit le juge Cory, dans un contexte différent, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440, au paragraphe 55 : « Une bonne réputation représent[e] la valeur la plus prisée par la plupart des gens » . À mon avis, on peut étendre cet énoncé aux critiques formulées à l'endroit du témoin expert de l'appelante selon lesquelles il aurait adopté une attitude loin d'être conforme à l'éthique puisqu'une analyse raisonnable de la preuve n'étaye pas une telle critique.


[34]            En résumé, outre le fait que le juge de première instance a conclu que l'attitude du Dr Sytkowski était « loin d'être conforme à l'éthique » ce qui, je l'ai indiqué, n'est pas étayé par la preuve, je ne peux trouver aucun motif justifiant que j'intervienne dans l'évaluation qu'a faite le juge du témoin expert. C'était à elle, en sa qualité de juge des faits, qu'il incombait de faire cette évaluation et, en particulier, de donner foi aux experts qu'elle trouvait les plus dignes de foi.

Décision

[35]            Je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

                  « A.J. Stone »                            

J.A.

« Je souscris.

     Julius A. Isaac »

« Je souscris.

     Karen R. Sharlow »

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                       AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       A-155-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                            HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED/ HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE c. KIRIN-AMGEN INC. ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE ;                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                               8 et 9 novembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT du juge Stone, auxquels ont souscrit les juges Isaac et Sharlow

DATE :                                                             20 décembre 2000

ONT COMPARU:

Roger T. Hughes, c.r.                                        pour l'appelante

John P. Nelligan

Stephen M. Lane

Donald M. Cameron                                          pour les intimées

R. Scott MacKendrick

Allyson J. Whyte

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Sim, Hughes, Ashton & McKay                         pour l'appelante

Toronto (Ontario)

Aird & Berlis                                                     pour les intimées

Toronto (Ontario)

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