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Date : 20040301

Dossier : A-201-03

Référence : 2004 CAF 80

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                      LA SUCCESSION DE MYRTH MAY STUART

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                       Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 28 janvier 2004.

                                   Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 1er mars 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                         LA JUGE SHARLOW


Date : 20040301

Dossier : A-201-03

Référence : 2004 CAF 80

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                      LA SUCCESSION DE MYRTH MAY STUART

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MALONE

Introduction


[1]                Il s'agit d'un appel d'un jugement du juge Rip (le juge) de la Cour canadienne de l'impôt rejetant un appel d'une cotisation d'impôt sur le revenu pour l'année 1994. (Voir Stuart Estate c. Canada, [2003] 3 C.T.C. 2232, 2003 DTC 329.) Parmi les questions examinées par le tribunal inférieur, la seule qui demeure en litige est celle de savoir si le juge a commis une erreur dans son interprétation ou son application de l'alinéa e) de la définition de « résidence principale » donnée à l'article 54 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi).

Les faits

[2]                Les faits ne sont pas contestés. De 1947 à 1994, Myrth May Stuart a résidé dans la ville de Surrey, en Colombie-Britannique (la ville), dans une petite maison située sur un fonds de terre de 1,31726 hectare (environ 3,255 acres) (le fonds de terre). Mme Stuart en est devenue l'unique propriétaire en 1957, en l'achetant à la succession de son mari, décédé en 1954. Pendant toute cette période, le zonage du fonds de terre était réservé « aux maisons individuelles » .

[3]                En 1992, Mme Stuart avait 92 ans et vivait seule. Elle pouvait compter sur les conseils de sa fille, avocate, de son gendre, qui avaient des connaissances en finances, et d'un voisin à qui elle parlait à l'occasion et qui travaillait dans une banque. Son revenu était modeste, s'élevant à 10 000 $ environ et provenant de pensions du gouvernement. En août 1992, Mme Stuart a signé une offre de vente à un promoteur, pour une somme de 1,8 million $, et ce promoteur a alors entamé un long processus de demande devant la ville pour changer le zonage du fonds de terre afin qu'il s'applique aux « maisons multifamiliales » . Le promoteur avait accepté de faire changer le zonage à ses propres frais. Ce processus a pris fin en février 1994 et la vente s'est concrétisée en avril.


[4]                Mme Stuart n'a pas produit de déclaration de revenu en 1994. Elle est morte en 1995. Par la suite, le ministre du Revenu national (le ministre) a été mis au courant de la vente du fonds de terre. En évaluant la responsabilité fiscale de Mme Stuart pour 1994, le ministre a décidé que 45 % seulement du fonds de terre (0,592726 hectare) était visé par la définition de « résidence principale » donnée à l'alinéa 54e) de la Loi. La succession en a appelé de cette cotisation devant la Cour canadienne de l'impôt au motif que la résidence principale de Mme Stuart englobait toute la propriété.

Les dispositions législatives

[5]                En général, le gain en capital réalisé par un résident canadien à la vente de sa résidence principale est exempté de l'impôt sur le revenu. La définition législative de l'expression « résidence principale » limite toutefois l'étendue du fonds de terre qui donne droit à cette exemption. La limite est exprimée dans les mots suivants de l'alinéa e) de l'article 54 de la Loi où l'expression « résidence principale » est définie :

e) la résidence principale d'un contribuable pour une année d'imposition est réputée comprendre ... le fonds de terre sous-jacent au logement ainsi que la partie du fonds de terre adjacent qu'il est raisonnable de considérer comme facilitant l'usage du logement comme résidence; toutefois, dans le cas où la superficie totale du fonds de terre sous-jacent et de cette partie excède un demi-hectare, l'excédent n'est réputé faciliter l'usage du logement comme résidence que si le contribuable établit qu'il était nécessaire à cet usage ...

(e) the principal residence of a taxpayer for a taxation year shall be deemed to include ... the land subjacent to the housing unit and such portion of any immediately contiguous land as can reasonably be regarded as contributing to the use and enjoyment of the housing unit as a residence, except that where the total area of the subjacent land and of that portion exceeds ½ hectare, the excess shall be deemed not to have contributed to the use and enjoyment of the housing unit as a residence unless the taxpayer establishes that it was necessary to such use and enjoyment ...


[6]                Devant le juge, la succession de Mme Stuart a fait valoir ce qui suit : que l'on examine la situation objectivement ou subjectivement, la résidence principale de Mme Stuart occupait la totalité de la propriété parce qu'en réalité ce fonds de terre était considéré comme un lot unique et devait être vendu comme une seule entité. Les parties ont allégué qu'il en était ainsi parce qu'à l'époque de l'offre de vente, la ville n'aurait pas approuvé un lotissement en quatorze parcelles, malgré les lois de zonage de l'époque, puisque l'endroit était mieux adapté à la construction domiciliaire à forte densité. La succession a également fait valoir que Mme Stuart n'avait pas les moyens de financer une demande de lotissement et que, dans tous les cas, la totalité du fonds de terre était nécessaire pour faciliter l'usage du logement comme résidence parce que, avec son revenu modeste, Mme Stuart était forcée de compter sur les fruits et légumes qu'elle faisait pousser sur sa propriété afin de survivre financièrement et de conserver son indépendance.

[7]                Ces deux arguments ont été rejetés par le juge. Tout d'abord, il a estimé qu'il n'y avait pas de preuve « convaincante » de la part de la ville ou d'autres experts pour laisser entendre que l'agent d'approbation de la ville n'aurait pas approuvé une proposition de lotissement de la part de Mme Stuart. Quant à l'argument portant sur le fait que son âge, son inexpérience et ses finances empêchaient Mme Stuart de procéder au lotissement de la propriété, le juge a statué ceci : [traduction] « il est probable que si Mme Stuart avait voulu vendre la propriété, un promoteur, comme First Allied peut-être, souhaitant s'en porter acquéreur, aurait assumé les coûts du lotissement. Il n'y a aucune preuve du contraire et en fait, c'est First Allied qui a été obligé en vertu du contrat d'acquitter les frais du lotissement » .

La norme de contrôle

[8]                La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si le juge a commis une erreur dans son interprétation ou son application de l'alinéa e) de l'article 54 de la Loi où figure la définition de résidence principale. Le critère énoncé dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235 s'applique. Pour les questions de droit, il s'agit de la décision juste, autrement la norme de contrôle est celle de l'erreur manifeste et dominante.


Analyse

[9]                Il est bien établi que la période pertinente pour déterminer quelle partie du terrain excédant le demi-hectare (1,235 acre) était nécessaire pour faciliter l'usage du logement comme résidence est la date de l'aliénation. (Voir R. c. Yates, 83 DTC 5158 (C.F. 1re inst.), conf. à 86 DTC 6296 (C.A.F.).)

[10]            Devant la présente Cour, la succession a fait valoir que le juge avait commis deux erreurs de droit. La première se fonde sur l'inférence tirée par le juge selon laquelle le promoteur acquéreur aurait accepté de payer les frais du lotissement. En l'espèce, le promoteur avait accepté de payer les frais de rezonage parce qu'il voulait construire 122 logements sur la propriété. Toutefois, le lotissement ne lui aurait permis de construire que 14 maisons unifamiliales. On fait valoir au nom de la succession que le lotissement en 14 parcelles pour maisons unifamiliales est un concept très différent de celui du rezonage pour la construction domiciliaire à forte densité, faisant intervenir des notions économiques différentes. Selon l'avocat de la succession, il n'y a pas de preuve que le promoteur ou un autre tiers aurait accepté un contrat de lotissement et que, par conséquent, il n'y a pas de fondement à l'inférence tirée par le juge.


[11]            Je ne peux accepter l'argument faisant valoir qu'il n'y a aucune preuve appuyant l'inférence selon laquelle le promoteur ou un tiers aurait pu payer les frais du lotissement. La propriété était située dans un quartier de la ville en expansion rapide, et ce quartier fait partie de l'agglomération de Vancouver. Le promoteur a effectivement payé pour le rezonage, et l'inférence tirée par le juge selon laquelle un tiers promoteur paierait les frais d'une demande de lotissement est raisonnablement appuyée par l'ensemble de la preuve et n'est pas contraire au poids accablant de la preuve (voir Rich c. La Reine, 2003 DTC 5115, à la page 5220 (C.A.F.)). Par conséquent, je ne vois pas d'erreur sur ce point.

[12]            Le deuxième argument invoqué par la succession de Mme Stuart se fonde sur une interprétation particulière des mots qui terminent la définition de la Loi, que je répète ici pour faciliter la consultation :   

e) ... dans le cas où la superficie totale du fonds de terre sous-jacent et de cette partie excède un demi-hectare, l'excédent n'est réputé faciliter l'usage du logement comme résidence que si le contribuable établit qu'il était nécessaire à cet usage ...

(e) ... where the total area of the subjacent land and of that portion exceeds ½ hectare, the excess shall be deemed not to have contributed to the use and enjoyment of the housing unit as a residence unless the taxpayer establishes that it was necessary to such use and enjoyment ...

[13]            On fait valoir pour le compte de la succession que le contribuable doit être considéré comme ayant établi la nécessité exigée si le terrain ne peut être loti, soit parce qu'une loi interdit le changement de zonage (comme dans la décision Yates, précitée), soit parce qu'il y a des obstacles pratiques à ce changement, par exemple un manque de fonds. La succession prétend qu'une apparence de nécessité a été établie en s'appuyant sur la situation personnelle de Mme Stuart, que le ministre n'a pas réfuté (voir Cardella c. Canada, 2001 DTC 5251 (C.A.F.)), et que la seule conclusion possible était que Mme Stuart n'aurait pas procédé au lotissement de sa propriété.


[14]            Le ministre a accepté que 45 % (0,592767 hectare) de la propriété de 1,31726 hectare facilitait l'usage du logement de Mme Stuart comme résidence. En vertu de l'alinéa 54e), il incombait à la succession d'établir que le reste de la propriété était nécessaire à l'usage du logement comme résidence.

[15]            La preuve qui est pertinente à la question de savoir quelle partie du fonds de terre au-delà du demi-hectare alloué est nécessaire pour faciliter l'usage du logement comme résidence est en majeure partie objective, et doit être liée aux caractéristiques juridiques et physiques de la propriété. Sans prétendre être exhaustif, je dirais que les facteurs pertinents incluraient certainement les restrictions de zonage touchant l'usage ou la vente de la propriété, l'accès aux routes et aux services publics nécessaires, ainsi que les obstacles géographiques ou topographiques au lotissement.


[16]            La preuve des ressources financières du propriétaire du terrain est d'une importance marginale. L'exemple suivant proposé par le ministre en fait la preuve. Deux propriétés résidentielles attenantes et par ailleurs identiques sont vendues. Chacune est d'une superficie supérieure à un demi-hectare. Il n'y a aucun obstacle juridique ou physique au lotissement de chacune des propriétés. La première propriété appartient à un contribuable comme Mme Stuart qui ne pourrait payer les frais préliminaires de lotissement. La propriété attenante, toutefois, appartient à un contribuable bien nanti. L'avocat de la succession fait valoir que le propriétaire du premier fonds de terre doit être considéré comme ayant établi que toute la propriété est nécessaire pour faciliter l'usage du logement comme résidence, de sorte que la totalité du gain réalisé à la vente de la première propriété serait exempt d'impôt, alors que le gain sur la vente de la deuxième propriété serait imposable sur la portion de la propriété qui excède le demi-hectare. Je ne vois aucune raison logique de faire cette différence de traitement fiscal, étant donné que la question se pose dans le contexte d'une disposition législative qui traite de l'usage réel ou potentiel de la propriété, et non pas de l'argent dont dispose le propriétaire.

[17]            Dans ce cas, le juge a rejeté sommairement l'argument selon lequel il était impossible pour Mme Stuart de lotir la propriété en raison de sa situation personnelle. Il ne s'agit pas d'une erreur de droit, mais plutôt d'une décision indiquant que la preuve ne détruit pas l'hypothèse du ministre. Par conséquent, le juge a correctement conclu que le critère de nécessité n'avait pas été respecté.

[18]            Il faut résoudre une autre question. Le juge a accordé au ministre les frais avocat-client pour la durée d'un jour et demi perdu en raison d'un ajournement au cours du procès causé par le fait que la succession avait tardé à produire des documents. La succession conteste cette adjudication au motif qu'elle n'a pas été autorisée à présenter ses observations sur les dépens. Le ministre a accepté de renvoyer cette question au juge pour audition.

[19]            Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir l'appel, mais uniquement sur la question des frais avocat-client. Le jugement de la Cour canadienne de l'impôt en date du 26 mars 2003 devrait être infirmé sur la question des frais uniquement et cette question devrait être renvoyée à la Cour canadienne de l'impôt pour être entendue de nouveau par le juge une fois que les parties auront été


entendues. Au vu du fait que le ministre a obtenu gain de cause sur la question principale, il devrait avoir droit aux frais de l'appel.

                                                                                                                                      _ B. Malone _              

                                                                                                                                                     Juge                      

« Je souscris à ces motifs,

       Marshall Rothstein, juge »

« Je souscris à ces motifs,

       Karen Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-201-03

INTITULÉ :                                                    LA SUCCESSION DE MYRTH MAY STUART

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 28 janvier 2004

CORAM :                                                       LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                          LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                                   LE 1er MARS 2004

COMPARUTIONS :

JOEL NITIKMAN                                           POUR L'APPELANTE

CARL JANUSZCZAK                                     POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fraser Milner Casgrain LLP                               POUR L'APPELANTE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                              POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada


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