Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20030605

Dossier : A-554-02

Référence : 2003 CAF 256

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                          SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS

                                                        ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

                                                                                                                                                       appelante

                                                                                   et

             960122 ONTARIO LTD., faisant affaire sous le nom de BLUE MOUNTAIN

                                                                GATEWAY TAVERN

                                                                                                                                                           intimée

                          Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 juin 2003.

                        JUGEMENT rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 5 juin 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                        LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                    LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

MOTIFS CONCORDANTS :

MOTIFS CONCORDANTS QUANT AU RÉSULTAT SEULEMENT :

MOTIFS DISSIDENTS :


Date : 20030605

Dossier : A-554-02

Référence : 2003 CAF 256

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                          SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS

                                                        ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

                                                                                                                                                       appelante

                                                                                   et

                960122 ONTARIO LTD., faisant affaire sour le nom de BLUE MOUNTAIN

                                                                GATEWAY TAVERN

                                                                                                                                                           intimée

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

Faits

[1]                 L'appelante est une société qui accepte d'acquérir, par voie de cession, le droit d'auteur que détiennent des auteurs et compositeurs canadiens sur une oeuvre dans le but de protéger les droits de ces personnes à l'égard de cette oeuvre.

[2]                 En l'espèce, l'appelante a intenté, en octobre 2000, une action contre l'intimée pour violation du droit d'auteur.


[3]                 Le 2 avril 2001, Madame le juge Heneghan a accordé à l'appelante un jugement par défaut contre l'intimée.

[4]                 Le juge Heneghan indiquait dans son jugement que l'intimée avait violé le droit d'auteur de l'appelante et l'intimée s'est vu ordonner de verser des dommages-intérêts ainsi que les profits tirés de cette violation; le montant des dommages-intérêts et des profits devait être déterminé dans le cadre d'un renvoi.

[5]                 Le jugement prévoyait aussi, entre autres, l'obligation pour l'intimée de signifier à l'appelante et de déposer un exposé des questions en litige et un affidavit de documents, à défaut de quoi l'appelante aurait droit d'obtenir, sur requête ex parte, la tenue d'un renvoi sans préavis à l'intimée et sans que la présence de cette dernière ne soit requise.

[6]                 L'intimée a fait défaut de déposer l'exposé des questions en litige et de signifier l'affidavit de documents et, le 10 mai 2002, Madame le juge McGillis, sur requête de l'appelante, a statué que cette dernière pouvait procéder par renvoi ex parte.

[7]                 Par ordonnance du juge en chef adjoint datée du 24 mai 2002, M. Roger R. Lafrenière, protonotaire, a été désigné pour agir à titre d'arbitre dans le cadre de la procédure.


[8]                 Par ordonnance datée du 18 juillet 2002, l'arbitre a fixé la date de l'audition du renvoi et a enjoint à l'appelante de signifier à l'intimée en mains propres une copie de son ordonnance et de toute preuve par affidavit sur laquelle l'appelante entendait se fonder lors de l'audition du renvoi.

[9]                 Le 26 août 2002, l'appelante a demandé à la Section de première instance, par voie de requête, d'annuler l'ordonnance de l'arbitre au motif qu'il avait commis une erreur en obligeant l'appelante à signifier à l'intimée un avis du renvoi et que, selon son argument, cela avait pour effet de modifier l'ordonnance du juge McGillis portant que l'appelante avait droit à un renvoi ex parte. Le 19 septembre 2002, le juge des requêtes a rejeté la demande de l'appelante pour le motif qu'il ne pouvait en être appelé de l'ordonnance interlocutoire d'un juge. Il a également statué qu'en tout état de cause, l'ordre donné par l'arbitre de signifier un avis n'opérait pas de modification de l'ordonnance de la juge McGillis.


[10]            On nous a dit dans le cadre de l'appel que cette affaire revêtait une certaine importance pour l'appelante. Celle-ci intente une grand nombre d'actions contre tous ceux qui contreviennent à son droit d'auteur en faisant jouer ou en interprétant des oeuvres musicales sans lui payer les droits applicables. Lorsque l'appelante intente une telle action, il arrive souvent que les parties n'y répondent pas et qu'un jugement soit rendu par défaut. L'appelante affirme que beaucoup de ces personnes sont constamment en déplacement et que l'obligation de leur signifier des avis supplémentaires en cours d'instance représente une difficulté puisque dans bien des cas, ces personnes sont introuvables, ce qui entraîne inutilement des délais et des dépenses pour l'appelante.

Questions en litige

1.         Peut-on interjeter appel de l'ordonnance interlocutoire d'un arbitre?

2.        L'ordonnance de l'arbitre a-t-elle eu pour effet de modifier l'ordonnance du juge McGillis; le cas échéant, l'arbitre a-t-il, ce faisant, outrepassé sa compétence?

Dispositions législatives et règles applicables         



L'article 27. (1) Appels des jugements de la Section de première instance - Il peut être interjeté appel, devant la Cour d'appel fédérale, des décisions suivantes de la Section de première instance : ...

c) jugement interlocutoire ; ...

La règle 4. Principe général - En cas de silence des présentes règles ou des lois fédérales, la Cour peut, sur requête, déterminer la procédure applicable par analogie avec les présentes règles ou par renvoi à la pratique de la cour supérieure de la province qui est la plus pertinente en l'espèce.

La règle 51. (1) Appel - L'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.

La règle 153.(2) Directives - Malgré les règles 155 à 160, la Cour peut à tout moment donner des directives concernant le déroulement d'un renvoi.

La règle 159. (1) Pouvoirs de l'arbitre - Sous réserve du paragraphe (2), l'arbitre possède les mêmes pouvoirs et la même autorité, en matière de pratique et de procédure, qu'un juge de la Cour présidant l'instruction d'une action.

Section 27. (1) Appeals from Trial Division - An appeal lies to the Federal Court of Appeal from ...

(c) any interlocutory judgment,

...of the Trial Division

Rule 4. Matters not provided for - On motion, the Court may provide for any procedural matter not provided for in these Rules or in an Act of Parliament by analogy to these Rules or by reference to the practice of the superior court of the province to which the subject-matter of the proceeding most closely relates.

Rule 51. (1) Appeal - An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Trial Division.

Rule 153.(2) Directions on reference - Notwithstanding rules 155 to 160, the Court may at any time give directions regarding the conduct of a reference

Rule 159. (1) Powers of referee - Subject to subsection (2), a referee shall have the same power and authority in matters of practice and procedure as would a judge of the Court presiding at the trial of an action.

La règle 163. (1) Arbitre qui n'est pas un juge - Une partie peut, par voie de requête, en appeler à la section de la Cour qui a ordonné le renvoi des conclusions du rapport de l'arbitre qui n'est pas un juge.

La règle 399. (1) Annulation sur preuve prima facie - La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l'une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n'aurait pas dû être rendue :

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

b) toute ordonnance rendue en l'absence d'une partie qui n'a pas comparu par suite d'un événement fortuit ou d'une erreur ou à cause d'un avis insuffisant de l'instance.

Rule 163. (1) Appeal of referee's findings - A party may appeal the findings of a report of a referee who is not a judge on motion to the division of the Court that ordered the reference.

Rule 399. (1) Setting aside or variance - On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

(a) ex parte; or

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding, if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.

Analyse

[11]            L'appelante a fait remarquer à la Cour qu'il n'existait aucune disposition précise dans la Loi sur la Cour fédérale ou les Règles de la Cour fédérale qui traite directement du droit d'en appeler de l'ordonnance interlocutoire rendue par un arbitre.

[12]            Il est possible d'interjeter appel, devant la Cour d'appel, d'un jugement interlocutoire rendu par la Section de première instance en vertu de l'alinéa 27(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale.


[13]            Aux termes du paragraphe 159(1) des Règles de la Cour fédérale, l'arbitre possède les mêmes pouvoirs et la même autorité, en matière de pratique et de procédure, qu'un juge de la Cour présidant l'instruction d'une action.

[14]            Aux termes de la règle 51(1), l'ordonnance d'un protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.

[15]            Bien que l'appelante ait fait valoir qu'en raison de la qualité de protonotaire de M. Lafrenière la présente situation devrait être régie par la règle 51(1), laquelle prévoit qu'il peut être interjeté appel de la décision d'un protonotaire, nous sommes d'avis qu'en l'espèce le protonotaire agissait en tant qu'arbitre et qu'il s'agit par conséquent de décider si la décision d'un arbitre peut faire l'objet d'un appel interlocutoire.

[16]            Puisqu'il est possible d'interjeter appel d'un jugement interlocutoire de la Section de première instance et que la règle 159(1) confère à l'arbitre, en matière de pratique et de procédure, les mêmes pouvoirs et la même autorité qu'un juge de la Section de première instance, la logique semblerait dicter qu'il est possible d'en appeler de l'ordonnance interlocutoire d'un arbitre. L'appelante a fait valoir que s'il en était autrement, l'arbitre pourrait procéder à l'instruction d'un renvoi en faisant complètement fi du cadre fixé sans qu'aucun recours ne soit possible.


[17]            Je suis d'avis que la règle 4 offre une solution à cette question. Celle-ci énonce qu'en cas de silence des règles, la Cour peut déterminer la procédure applicable par analogie avec les règles ou par renvoi aux règles. Un examen des règles révèle très clairement qu'il peut être interjeté appel de l'ordonnance interlocutoire d'un juge ou d'un protonotaire. Il serait peu logique que les ordonnances interlocutoires rendues par les arbitres ne puissent faire l'objet d'un appel. Ainsi, il me semble que l'on peut se fonder sur la règle 4 pour affirmer que, par analogie, il devrait être possible d'en appeler de l'ordonnance d'un arbitre.

[18]            Je suis donc d'avis que le savant juge des requêtes a commis une erreur en statuant qu'il ne pouvait être interjeté appel de l'ordonnance rendue par l'arbitre en l'espèce.

[19]            Cette conclusion est, selon moi, étayée par la règle 153(2) qui permet à la Cour de donner à tout moment des directives concernant le déroulement d'un renvoi. L'ordonnance dont il est question en l'instance a manifestement été rendue pendant le déroulement de la procédure de renvoi et il serait pour le moins étrange que la Cour puisse donner des directives sur le déroulement d'un renvoi sans pouvoir cependant être saisie d'un appel interlocutoire de la décision de l'arbitre.

[20]            Il importe également de remarquer que suivant la règle 163, les parties peuvent en appeler des conclusions du rapport d'un arbitre.


Modification de l'ordonnance du juge McGillis

[21]            Il ne fait aucun doute que le déroulement d'un renvoi est régi par l'ordonnance ou le jugement qui est à l'origine de ce renvoi. Même un juge, lorsqu'il siège en tant qu'arbitre, n'est pas investi du pouvoir de modifier une ordonnance qui établit le cadre d'un renvoi. Lorsqu'il instruit un renvoi, l'arbitre doit respecter le libellé précis de l'ordonnance ou du jugement au terme duquel le renvoi est accordé : Merck c. Apotex 1997 77 C.P.R. (3d) 451, à la p. 546.

[22]            Par conséquent, l'arbitre n'a généralement pas le pouvoir de modifier le cadre de référence d'un renvoi.

[23]            La règle 399(1) présente le seul moyen évident par lequel la modification de l'ordonnance du juge McGillis, en ce qui a trait à la nature ex parte de l'instance, aurait pu être obtenue. En vertu de cette règle, la Cour peut annuler ou modifier une ordonnance rendue sur requête ex parte si la partie contre laquelle elle a été rendue en fait la demande à la Cour et qu'elle présente une preuve prima facie démontrant pourquoi l'ordonnance n'aurait pas dû être rendue. En l'espèce, l'intimée n'a pas présenté de requête à cet effet et il ne semble pas exister de fondement qui puisse justifier la présentation d'une telle requête.


[24]            Le juge des requêtes était apparemment d'avis que l'ordonnance du juge McGillis, selon laquelle la plaignante avait droit à un renvoi « pouvant avoir lieu ex parte » n'était pas modifiée par l'ordre d'un arbitre de signifer à un défendeur un avis d'audition. Il lui semblait que l'ordonnance du protonotaire portait uniquement sur le déroulement du renvoi, ce qui constitue une question de pratique et de procédure relevant de la discrétion de l'arbitre.

[25]            Pour ma part, je suis d'avis que l'emploi des mots ex parte dans l'ordonnance de la juge McGillis se rapportait non seulement à l'audition en soi mais également à l'obligation de donner un avis de l'audition.

[26]            Les mots latins ex parte, si on en fait une traduction littérale, désignent ce qui provient d'un seul côté ou d'une seule partie. D'un point de vue judiciaire, les mots ex parte renvoient à la procédure ayant lieu à la demande d'une seule partie et pour son seul bénéfice, sans en aviser les personnes qui pourraient être touchées de façon préjudiciable, et sans leur donner l'occasion de contester. (Manitoba (AG) c. Canada (National Energy Board) (1974), T-2669-74, en date du 9 août 1974, C.F. 1re inst., non publié, à la p. 9.)

[27]            Il a été jugé que l'élément qui définit l'instance ex parte est l'absence de tout avis donné à l'autre partie : voir Metropolitan Life Insurance c. Hover (1999), non publié, dossier du tribunal no 16735, 16 avril 1999 au par. 22 (C.A. Alb.).


[28]            Par conséquent, je suis d'avis que l'arbitre, en obligeant l'appelant à remettre à l'intimée un avis du renvoi, a effectivement modifié l'ordonnance du juge McGillis par laquelle l'appelante avait obtenu le droit à un renvoi ex parte. L'arbitre n'avait pas la compétence pour ce faire.

Conclusion

[29]            J'accueillerais l'appel et j'annulerais l'ordonnance du juge des requêtes, rendue le 19 septembre 2002, de même que l'ordonnance de l'arbitre, rendue le 18 juillet 2002, et j'ordonnerais que l'audition du renvoi sur cette affaire ait lieu ex parte sans avis à l'intimée conformément à l'ordonnance du juge McGillis prononcée le 10 mai 2002.   

           « Edgar Sexton »                                                                                                                                          Juge        

      « Allen M. Linden »          

        Juge

    « Marshall E. Rothstein »      

        Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 A-554-02

INTITULÉ :              Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de       musique c. 960122 Ontario Ltd. et al.

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 2 juin 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LES JUGES LINDEN, ROTHSTEIN ET SEXTON

MOTIFS CONCORDANTS :                       

DATE DES MOTIFS :                                     Le 5 juin 2003

COMPARUTIONS :

Kenneth A. Dangerfield

Colleen M.P. Stanley                                            POUR L'APPELANTE

Aucune comparution                                             POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Boughton, Peterson, Yang, Anderson                  POUR L'APPELANTE

(Vancouver)

SOCAN - contentieux

(Toronto)

Aucune comparution                                             POUR L'INTIMÉE     

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