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Dossier : A-165-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 27 NOVEMBRE 2000

CORAM :       MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

MONSIEUR LE JUGE McDONALD

MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                         PURANDHAR SETLUR

                                                                                                                                              appelant

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

JUGEMENT

L'appel est accueilli et l'affaire est renvoyée pour réexamen par un comité d'appel différemment constitué de la Commission de la fonction publique du Canada. L'appelant a droit à ses dépens à tous les paliers.

          « Marshall Rothstein »          

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20001127

Dossier : A-165-99

CORAM :       MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

MONSIEUR LE JUGE McDONALD

MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                         PURANDHAR SETLUR

                                                                                                                                              appelant

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

AUDITION tenue à Toronto (Ontario), le jeudi 26 octobre 2000

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le lundi 27 novembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :                                          LE JUGE McDONALD

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                         LE JUGE SHARLOW


Date : 20001127

Dossier : A-165-99

CORAM :       MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

MONSIEUR LE JUGE McDONALD

MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                         PURANDHAR SETLUR

                                                                                                                                              appelant

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE McDONALD


[1]         L'appelant interjette appel d'une ordonnance de la Section de première instance rejetant sa demande de contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire par laquelle la présidente d'un comité d'appel de la Commission de la fonction publique du Canada a refusé de se récuser de l'audition des appels interjetés par l'appelant devant le comité en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique[1]. La décision de la présidente de ne pas se récuser faisait suite à une série d'incidents survenus dans le cadre d'une procédure d'appel devant le comité qui, selon les prétentions de l'appelant, avaient engendré une crainte raisonnable de partialité de la part de la présidente. L'issue du présent appel dépend de la qualification appropriée de ces incidents. Par conséquent, il convient d'examiner attentivement les faits qui ont mené à la décision de la présidente.

Les faits

[2]         L'appelant travaillait comme employé de bureau pour Revenu Canada depuis environ dix ans lorsque, en novembre 1996, il a postulé deux postes décrits comme des postes de vérificateur de l'impôt/agent de vérification-TPS (PM2), également pour Revenu Canada, dans le cadre d'un concours interne. Il a été présélectionné pour ces postes et un examen écrit lui a été administré le 26 novembre 1996. On l'a ensuite convoqué à un examen oral en janvier 1997. L'appelant n'a finalement pas été inscrit sur la liste d'admissibilité pour l'un ou l'autre des postes qu'il postulait. Il a porté en appel les décisions de l'exclure des listes d'admissibilité. L'audition des appels devant la présidente du comité d'appel a débuté le 7 août 1997 et s'est poursuivie le 25 août et le 4 septembre, date à laquelle elle a été ajournée. L'audition a repris le 6 octobre, puis s'est poursuivie le 7 et le 23 octobre, ainsi que le 3 et le 24 novembre.


[3]         L'appelant était représenté par un avocat devant la présidente. Revenu Canada était représenté par Mme Ruth Fox, conseillère en ressources humaines. Au début de l'audition, Mme Fox s'est dite surprise que l'appelant ait retenu les services d'un avocat et a dit que Revenu Canada s'en trouvait désavantagé. L'avocat de l'appelant a répondu en suggérant à Mme Fox que Revenu Canada se fasse aussi représenter par un avocat devant le comité. Il n'a apparemment pas été donné suite à ce conseil et l'audition s'est poursuivie jusqu'à l'ajournement du 4 septembre 1997.

[4]         Au cours du mois d'août, l'appelant a demandé à son avocat de demander des copies des enregistrements de l'audition. Il semble que l'avocat ait téléphoné à Mme Odette Alain, au bureau de la Commission de la fonction publique du Canada, et présenté une demande au nom de son client. Après consultation du greffe à Ottawa, Mme Alain a informé l'avocat de l'appelant que les enregistrements ne seraient pas disponibles pendant l'audition, mais uniquement lorsqu'elle serait terminée[2]. Le matin du 4 septembre 1997, l'appelant a demandé à nouveau les enregistrements de l'audition à la présidente. Celle-ci a répondu ce qui suit :

[Traduction] Oui, eh bien, je pense que votre représentant a téléphoné concernant les enregistrements. Ils seront disponibles à la fin de -- une fois la décision rendue[3].


[5]         Avant que l'audition se poursuive le 6 octobre 1997, la présidente a communiqué avec Mme Fox et avec l'avocat de l'appelant pour fixer de nouvelles dates d'audience. Elle a parlé à l'avocat de l'appelant et laissé un message à l'intention de Mme Fox. Cette dernière a retourné l'appel de la présidente. Au cours de leur conversation, Mme Fox a soulevé des questions qui la préoccupaient, ainsi que le président du jury de sélection, John Tkaczyk, concernant [Traduction] « le ton de l'audition, la manière dont les allégations de l'appelant étaient présentées et les attaques contre l'intégrité de M. Tkaczyk » [4]. La présidente a indiqué à Mme Fox qu'il ne convenait pas qu'elle aborde ces questions officieusement, mais s'est engagée à les soulever à la reprise de l'audition. Selon la preuve par affidavit, la présidente a aussi suggéré à Mme Fox de communiquer avec les cadres supérieurs des ressources humaines de Revenu Canada au sujet de ses préoccupations.

[6]         À la reprise de l'audition, le 6 octobre 1997, la présidente a informé l'avocat de l'appelant des préoccupations exprimées par Mme Fox et a demandé à Mme Fox si elle désirait en parler à ce moment. L'avocat de l'appelant a fait remarquer qu'il se serait attendu que Mme Fox discute avec lui personnellement de toutes les préoccupations qu'elle pouvait avoir concernant la procédure. Mme Fox n'a rien ajouté au sujet de ses préoccupations à ce moment et a continué à représenter Revenu Canada jusqu'à la fin du mois d'octobre 1997.

[7]         Dans une lettre transmise par télécopie en date du 30 octobre 1997, Me R. Jaworski, avocat à Justice Canada, a avisé la Section des appels que Revenu Canada avait retenu ses services pour représenter le ministère dans l'appel de l'appelant. Me Jaworski a demandé l'ajournement de l'audition pour examiner la preuve et les témoignages présentés jusqu'alors devant le comité et pour étudier le droit applicable. Me Jaworski a aussi demandé les enregistrements des témoignages antérieurs, qu'il a offert de partager avec l'avocat de l'appelant. Une copie de cette lettre a été envoyée à l'avocat de l'appelant le 30 ou le 31 octobre 1997.


[8]         Le 31 octobre 1997, l'avocat de l'appelant a envoyé une lettre à la Section des appels pour confirmer qu'il avait reçu la lettre de Me Jaworski et s'opposer à sa demande concernant les enregistrements de l'audition parce que l'appelant les avait déjà demandés et s'était vu opposer un refus. Dans une lettre en date du même jour, la présidente a informé Me Jaworski que des copies des enregistrements seraient remises aux deux parties le plus tôt possible et que, compte tenu de l'opposition de l'appelant à l'ajournement, elle entendrait les prétentions des parties sur ce point à la reprise de l'audition le 3 novembre 1997.

[9]         À l'audition, le 3 novembre, l'avocat de l'appelant a soutenu que Revenu Canada ne devait pas bénéficier d'un ajournement aussi tardivement, parce qu'il avait manifestement choisi de ne pas se faire représenter par un avocat plus tôt. L'avocat de l'appelant a réitéré son objection à la communication des enregistrements de l'audition. La présidente a décidé de communiquer les enregistrements et d'accorder l'ajournement demandé par Me Jaworski. À ce moment, l'avocat de l'appelant a demandé à la présidente de se récuser. La présidente a fixé au 24 novembre l'audition des prétentions des parties sur la question de sa récusation.


[10]       Le 9 novembre, la présidente a reçu dans sa boîte vocale un message de M. Louis Vigneault, chef d'équipe au service des ressources humaines de Revenu Canada, qui lui demandait son avis relativement à l'obligation du président du jury de sélection, M. John Tkaczyk, de comparaître le 24 novembre 1997. Cette comparution préoccupait apparemment M. Vigneault parce que M. Tkaczyk devait assister à une conférence à Vancouver ce jour-là. Selon la preuve par affidavit, la présidente a laissé un message dans la boîte vocale de M. Vigneault pour l'avertir qu'il était irrégulier de sa part de communiquer avec elle et lui suggérer, s'il existait réellement un conflit d'horaire, d'en informer toutes les parties immédiatement par télécopie.

[11]       À l'audition du 24 novembre, l'avocat de l'appelant a fait valoir qu'il existait une crainte raisonnable de partialité en raison du traitement différentiel accordé aux parties concernant la communication des enregistrements et de la prétendue attitude négative de la présidente envers l'appelant après son entretien téléphonique avec Mme Fox. Me Jaworski, l'avocat de Revenu Canada, a reconnu que la communication entre le ministère et la présidente n'aurait pas dû avoir lieu et que les communications de la présidente avec Mme Fox et M. Vigneault avaient créé une apparence de partialité. En fait, Me Jaworski a souligné que l'affidavit préparé par l'appelant pour l'audition sur la récusation [Traduction] « mentionnait le fait que les conseillers en ressources humaines ont l'habitude de joindre les présidents et de discuter de questions concernant les auditions en l'absence des candidats et de leurs représentants et, malheureusement, il semble que mon client l'ai fait à une deuxième reprise en l'espèce. » [5] Me Jaworski a donc fait valoir qu'il pouvait [Traduction] « comprendre qu'une autre personne - qu'un observateur puisse ressentir un certaine crainte ... que le ministère tente de vous influencer ... » [6] Me Jaworski a conclu que la meilleure façon d'éviter toute nouvelle question concernant l'impartialité était que la présidente se récuse et qu'une nouvelle personne préside une nouvelle audition.


La décision de la présidente

[12]       Le 17 décembre 1997, la présidente a décidé de ne pas se récuser. Elle a statué que les enregistrements des auditions des appels ne sont habituellement pas communiqués à moins que des motifs valables le justifient. La présidente estimait qu'un changement d'avocat, pour l'une ou l'autre partie, serait un exemple de motif acceptable pour demander la communication des enregistrements. Toutefois, elle a affirmé que l'appelant, lorsqu'il avait demandé la communication des enregistrements, n'avait fourni aucun motif à l'appui de sa demande. Par contre, la demande de Me Jaworski était nécessaire parce qu'il avait manqué cinq jours de témoignages devant le comité.

[13]       La présidente regrettait que Mme Fox et M. Vigneault lui aient téléphoné. Toutefois, elle a conclu que ces deux appels ne portaient que sur des questions administratives et que le fond de l'affaire n'avait pas été abordé à l'occasion de ces appels. Par conséquent, ils ne visaient pas à influencer le cours de l'audition. La présidente a aussi souligné que ces deux personnes avaient été avisées de l'irrégularité de ces communications et que l'appelant en avait été informé [Traduction] « rapidement » .

[14]       Pour ces motifs, la présidente a conclu que sa décision de communiquer les enregistrements de l'audition et les communications qu'elle avait eues avec Mme Fox et M. Vigneault en l'absence de la partie adverse ne suffisaient pas pour donner naissance à une crainte raisonnable de partialité de sa part.


La décision du juge de première instance

[15]       L'appelant a demandé à la Section de première instance d'infirmer et d'annuler la décision de la présidente. Le 17 février 1999, la Cour a rejeté sa demande. Le juge de première instance a confirmé la décision de la présidente d'accorder un ajournement à Revenu Canada pour permettre à Me Jaworski de se familiariser avec le dossier, en soulignant qu'une partie conserve le droit de se faire représenter par un avocat à toutes les étapes d'une procédure. La présidente avait simplement l'obligation de veiller à ce qu'un ajournement ne cause pas de préjudice à l'autre partie. Sur ce point, le juge de première instance était d'accord pour dire que l'ajournement ne causait pas de tel préjudice.

[16]       Le juge de première instance a aussi rejeté la prétention de l'appelant selon laquelle la présidente avait appliqué deux poids deux mesures à la communication des enregistrements de l'audition. Il a fait remarquer que l'appelant n'avait invoqué aucun motif à l'appui de sa demande au moment où il l'avait formulée en l'absence de son avocat le 4 septembre 1997. La décision de la présidente de communiquer les enregistrements à la demande de Me Jaworski s'appuyait sur des motifs valables et ne résultait donc pas de l'application de deux poids deux mesures.


[17]       En ce qui concerne les communications de la présidente avec Mme Fox et M. Vigneault en l'absence de la partie adverse, le juge de première instance a conclu que la présidente avait fourni « une explication complète, claire et crédible » à leur égard et qu'elles n'avaient causé aucun préjudice à l'appelant. Le juge de première instance a mentionné l'arrêt de principe sur ce qui constitue une atteinte irrégulière à l'indépendance judiciaire[7], mais il a fait une distinction entre cette affaire et les faits qui lui étaient soumis, parce que la présidente n'est pas juge, mais membre d'un tribunal administratif qui est maître de sa propre procédure afin de veiller à ce que justice soit faite en conformité avec l'équité procédurale.

[18]       Enfin, le juge de première instance a refusé d'accorder quelque poids que ce soit à l'opinion exprimée par Me Jaworski à l'audience sur la récusation, selon laquelle la présidente devait se récuser. Il a jugé que Me Jaworski avait formulé cette opinion parce qu'il était « contrarié à l'époque par l'irrégularité de la conduite de deux employés de son client et plus particulièrement par le fait que M. Vigneault a tenté de communiquer avec la présidente sans l'avertir » [8].

Analyse

[19]       Le critère d'appréciation d'une crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge De Grandpré, dissident, dans l'affaire Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie[9], à la page 394 :


[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

La Cour suprême a approuvé ce critère à de nombreuses occasions, notamment dans l'arrêt récent Mavis Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[10]. Par conséquent, dans la mesure où un membre bien informé de la collectivité, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, aurait une crainte raisonnable que la présidente du comité n'agisse pas de façon impartiale en l'espèce, la présidente devait se récuser.

Les communications en l'absence de la partie adverse

[20]       Je dois préciser que la présidente a déclenché les événements en décidant de communiquer séparément avec les parties pour fixer de nouvelles dates pour l'audition. Bien qu'elle ait affirmé que Mme Fox était à l'origine de son entretien avec elle, mentionné au paragraphe 5, il est clair que Mme Fox a simplement retourné l'appel de la présidente. Même si celle-ci a réprimandé Mme Fox pour avoir soulevé des questions concernant la teneur de l'audition en l'absence de l'appelant et de son avocat, la présidente lui a néanmoins conseillé de consulter les cadres supérieurs des ressources humaines sur les réserves qu'elle éprouvait relativement à la procédure.

[21]       La présidente a insisté sur le fait que l'appelant a été informé des communications «    rapidement » . Toutefois, il ressort de la transcription que c'est Me Jaworski, et non la présidente, qui a mis l'appelant et son avocat au courant de l'intervention de M. Vigneault.


[22]       Un greffier a été affecté à l'affaire et aucune explication n'a été fournie quant à savoir pourquoi la présidente, plutôt que le greffier, a communiqué personnellement avec les parties concernant des questions de procédure, ni pourquoi elle leur a téléphoné séparément plutôt que de leur parler en même temps dans le cadre d'une conférence téléphonique.

Les enregistrements de l'audition

[23]       La présidente a justifié sa décision de communiquer les enregistrements à la demande de Me Jaworski en affirmant qu'il existait de bonnes raisons de les communiquer. Plus précisément, Me Jaworski avait été désigné après le début de l'audition et il avait besoin de temps pour se familiariser avec les témoignages déjà entendus pendant cinq jours. La présidente a indiqué que l'appelant, pour sa part, n'avait offert aucun motif à l'appui de sa demande plus tôt au cours de l'audition. Toutefois, il ressort clairement de la transcription qu'aucune occasion n'a été donnée à l'appelant de faire valoir quelque motif que ce soit à l'appui de sa demande. La présidente ne lui a jamais demandé quels étaient ses motifs et a tranché la question en disant que les enregistrements ne seraient disponibles qu' « une fois la décision rendue » . Étant donné qu'elle n'a pas demandé à l'appelant pourquoi il désirait obtenir les enregistrements, que son avocat était absent pour cause de maladie et qu'elle a rejeté sommairement sa demande, je ne puis retenir l'explication donnée par la présidente dans sa décision, selon laquelle l'appelant n'a offert aucun motif à l'appui de sa demande de communication des enregistrements.


Les observations de l'avocat de Revenu Canada sur la crainte de partialité de la part de la présidente

[24]       La présidente et le juge de première instance n'ont accordé aucun poids à l'opinion exprimée par Me Jaworski à l'audition portant sur la récusation, selon laquelle la présidente devait se récuser. La présidente n'a pas traité de l'opinion de Me Jaworski dans sa décision. Le juge de première instance a toutefois dit expressément qu'il n'était pas lié par l'opinion de Me Jaworski parce qu'elle découlait du fait qu'il était contrarié par la conduite des employés de son client qui avaient communiqué officieusement avec la présidente.


[25]       Je ne vois pas en quoi peuvent importer les motifs qui ont incité Me Jaworski à présenter ses observations lors de l'audition sur la récusation. Peu importe à quel point Me Jaworski a pu être contrarié, cela ne change rien à son opinion portant qu'une crainte raisonnable de partialité contre l'appelant avait pris naissance. Me Jaworski n'a jamais dit que son opinion découlait du fait qu'il était contrarié. Au contraire, la transcription révèle qu'il s'est formé cette opinion après [Traduction] « mûre réflexion » et qu'il était particulièrement préoccupé par la communication entre la présidente et M. Vigneault. Compte tenu du rôle de Me Jaworski en sa qualité d'avocat de la partie adverse et de sa compréhension personnelle des questions en jeu à l'audition, il aurait fallu accorder un certain poids au fait qu'il était d'accord pour dire qu'il existait une crainte raisonnable de partialité. Je ne dis pas qu'en l'absence d'autres éléments de preuve, le simple fait que les deux avocats devant un tribunal s'entendent sur l'existence d'une crainte raisonnable de partialité est concluant ou nécessairement convaincant. Toutefois, le tribunal aurait dû accorder de l'attention et un certain poids aux observations concordantes des avocats sur cette question, car elles s'ajoutaient à d'autres faits objectifs fondant ces opinions, telles les communications en l'absence de la partie adverse et une attitude différente de la présidente face à la demande de communication des enregistrements de l'audition.

[26]       La détermination du juge de première instance à mettre au jour des sentiments subjectifs de contrariété de la part de Me Jaworski est franchement déroutante, tout comme le fait qu'il se soit concentré sur l'importance du préjudice réel causé à l'appelant isolément par chacun des incidents à l'origine de sa crainte de partialité. Il n'a pas tenu compte de l'impression cumulative créée par ces incidents. Il semble que la présidente et le juge de première instance aient tous deux perdu de vue le critère de l' « observateur raisonnable » dont l'arrêt Office national de l'énergie commande l'application. Le juge de première instance a adopté une approche particulièrement étroite en concluant que chaque incident, en soi, n'avait pas causé de préjudice à l'appelant.

[27]       L'appelant n'a pas à prouver et la Cour n'a pas à déceler une véritable partialité. L'appelant doit plutôt convaincre la Cour qu'il existe, dans les circonstances, une crainte raisonnable de partialité. Compte tenu des faits objectifs et des observations concordantes des avocats selon lesquelles une crainte raisonnable de partialité a pris naissance, l'appelant s'est acquitté de ce fardeau.


[28]       L'intimé dans l'instance était le procureur général du Canada. À l'origine, la Cour croyait que l'avocat du procureur général du Canada représentait Revenu Canada, la partie opposée à l'appelant devant le comité d'appel. Ce n'est qu'après avoir interrogé l'avocat qu'il s'est avéré qu'il représentait la Commission de la fonction publique et non Revenu Canada. Le fait que Revenu Canada ne soit pas représenté séparément devant la Cour pose un problème en l'espèce compte tenu de la position qu'a défendue Revenu Canada devant le comité d'appel en reconnaissant l'existence d'une crainte raisonnable de partialité.

[29]       Je suis d'avis que le juge de première instance a commis une erreur en n'utilisant pas le bon critère d'appréciation d'une crainte raisonnable de partialité. Un examen complet et équitable des incidents survenus démontre que la crainte de partialité de la part de la présidente ressentie par l'appelant est raisonnable.

[30]       Tout tribunal qui, comme le comité d'appel, désire éviter que des demandes de récusation viennent embourber sa procédure, serait bien avisé de réviser sa façon de communiquer avec les parties sur des questions de procédure. Le recours aux services du greffier et à des appels conférence à ces fins est fortement recommandé. Si une partie à un litige doit fournir des motifs lorsqu'elle demande des enregistrements, le tribunal doit lui demander de les exposer avant de rejeter sommairement sa demande.


Dispositif

[31]       L'appel doit être accueilli et l'affaire renvoyée pour réexamen par un comité d'appel différemment constitué de la Commission de la fonction publique du Canada. L'appelant a droit à ses dépens à tous les paliers.

                                                                                                                                « F.J. McDonald »             

                                                                                                                                                  J.C.A.

« Je souscris à ces motifs,

Marshall Rothstein »

« Je souscris à ces motifs,

K. Sharlow »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                A-165-99

INTITULÉ DE LA CAUSE : PURANDHAR SETLUR c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :     le 26 octobre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE McDONALD

Y ONT SOUSCRIT :        le juge Rothstein

le juge Sharlow

EN DATE DU :             27 novembre 2000

ONT COMPARU :

Purandhar Setlur         Appelant, en son propre nom

Me Caroline Engmann      Pour l'intimé

Me Gillian Patterson

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Morris Rosenberg            Pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada



     [1] L.R.C. (1985), ch. P-33.

     [2] Affidavit de Purundhar Setlur signé le 24 novembre 1997, Dossier d'appel, vol. 1, p. 15.

     [3] Transcription de l'audience du 4 septembre 1997, vol. 3, p. 7.

     [4] Affidavit de Ruth Nickle Fox signé le 20 février 1998, recueil, onglet 7, par. 3.

     [5] Transcription de l'audience du 24 novembre 1997, p. 17.

     [6] Ibid.

     [7] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391.

     [8] Motifs du juge de première instance prononcés le 22 février 1999, au paragraphe 41.

     [9] [1978] 1 R.C.S. 369.

     [10] [1999] 2 R.C.S. 817, par. 45 à 48.

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