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Date : 20040325

Dossier : A-655-02

Référence : 2004 CAF 128

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                               ROBERT FRASER

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                    Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 24 mars 2004

                                    Jugement rendu à Edmonton (Alberta), le 25 mars 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                         LE JUGE MALONE


Date : 20040325

Dossier : A-655-02

Référence : 2004 CAF 128

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                               ROBERT FRASER

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]                M. Fraser conteste un jugement rendu par la Cour de l'impôt sous le régime de la procédure informelle dans lequel celle-ci a refusé la déduction qu'il avait réclamée à l'égard des montants de pension alimentaire pour enfants qu'il avait payés à la mère de son enfant en 1999 : Fraser c. Canada, [2003] 1 C.T.C. 2563, 2004 D.T.C. 2154 (C.C.I.).


[2]                M. Fraser et la mère de son enfant n'ont jamais été mariés et ils n'ont jamais vécu dans une relation assimilable à une union conjugale. Les paiements de pension alimentaire pour l'enfant ont été effectués en vertu d'une entente alimentaire que M. Fraser et la mère de l'enfant ont conclue le 30 juin 1992, et ce, conformément à l'article 6 de la Parentage and Maintenance Act, S.A. 1990, ch. P-0.7, de l'Alberta. Pour satisfaire aux exigences de cette disposition, M. Fraser devait reconnaître qu'il était le père de l'enfant.

[3]                Le paragraphe 1(2) de la Maintenance Enforcement Act, S.A. 1985, ch. M -0.5, de l'Alberta est rédigé en partie comme suit :

[traduction]

1(2) Une entente conclue en vertu de l'article 6 de la Parentage and Maintenance Act [...] est réputée être une ordonnance alimentaire en vertu de la présente loi.

[4]                Le 9 juillet 1992, l'entente alimentaire a été déposée auprès du directeur de l'application des ordonnances alimentaires de l'Alberta. Le 4 août 1992, elle a été déposée auprès de la Cour du Banc de la Reine conformément au paragraphe 12(1) de la Maintenance Enforcement Act de l'Alberta, qui est rédigé en partie comme suit :

[traduction]

12(1) Le Directeur [...] peut déposer auprès de la Cour du Banc de la Reine une ordonnance alimentaire qui n'a pas par ailleurs été déposée auprès de la Cour et, une fois l'ordonnance alimentaire déposée, les passages de celle-ci se rapportant aux questions d'entretien sont réputés représenter un jugement de la Cour du Banc de la Reine.


[5]                Il est bien établi qu'aux fins de la Maintenance Enforcement Act de l'Alberta, au moment où elle a été déposée auprès de la Cour du Banc de la Reine, l'entente alimentaire est devenue un jugement de cette cour ayant la même portée juridique qu'un jugement rendu par celle-ci. Il est également reconnu que la Cour du Banc de la Reine peut rendre des ordonnances de pension alimentaire pour enfants dans des situations semblables à la celle de M. Fraser.

[6]                M. Fraser peut déduire les montants de pension alimentaire versés pour un enfant dans le calcul de son revenu aux fins de l'impôt seulement si les montants en question satisfont à la définition de _ pension alimentaire _ qu'on trouve à l'alinéa 56.1(4)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, et dont les passages pertinents sont reproduits ci-après (non souligné dans l'original) :

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

[...]

"support amount" means an amount payable or receivable as an allowance on a periodic basis for the maintenance of the recipient, children of the recipient or both the recipient and children of the recipient, if the recipient has discretion as to the use of the amount, and

                             . . .

b) le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province.

(b) the payer is a natural parent of a child of the recipient and the amount is receivable under an order made by a competent tribunal in accordance with the laws of a province.

[7]                En l'espèce, l'unique question en litige est de savoir si l'entente alimentaire conclue par M. Fraser est devenue une _ ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province _ lorsqu'elle a été déposée auprès du directeur de l'application des ordonnances alimentaires de l'Alberta, puis auprès de la Cour du Banc de la Reine.


[8]                Le juge de la Cour de l'impôt a répondu par la négative à cette question, refusant ainsi la déduction de la pension alimentaire pour enfants payée par M. Fraser. Selon lui, le champ d'application des dispositions déterminatives des paragraphes 1(2) et 12(1) de la Maintenance Enforcement Act de l'Alberta était limité à cette loi et n'englobait pas la définition de _ pension alimentaire _ de l'alinéa 56.1(4)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. En toute déférence, je ne souscris pas à son opinion.

[9]                Le passage pertinent de la définition de l'expression _ pension alimentaire _ qu'on trouve dans la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit que la pension alimentaire pour enfants doit avoir été payée aux termes d'une _ ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province _. Le législateur a ainsi précisé que la question de l'existence d'une ordonnance correspondant à cette description relève de la loi provinciale.


[10]            Les lois concernant les pensions alimentaires pour enfants ainsi que les lois prescrivant les formalités d'obtention, auprès de tribunaux, d'ordonnances de pension alimentaire pour enfants relèvent de la compétence législative des provinces. À mon avis, l'expression _ en conformité avec les lois d'une province _ est suffisamment large pour englober toutes les lois de la province concernant l'obligation légale de verser une pension alimentaire pour enfants, y compris les lois provinciales régissant la procédure de mise à exécution d'une telle obligation. L'interprétation proposée par la Couronne aurait pour effet de limiter la portée de cette expression en en excluant certains aspects procéduraux relatifs aux pensions alimentaires pour enfants de la loi provinciale. Je ne vois aucune raison d'adopter une interprétation aussi restreinte.

[11]            Nous ne sommes pas en présence d'une situation où le législateur d'une province a tenté de modifier la Loi de l'impôt sur le revenu ou la portée de celle-ci dans le but d'atteindre un objectif provincial incompatible avec les objectifs de la Loi de l'impôt sur le revenu. Au contraire, l'assemblée législative de l'Alberta a simplement rationalisé la procédure d'obtention des ordonnances alimentaires auprès des tribunaux, de façon à ce qu'un jugement _ réputé _ de la Cour du Banc de la Reine soit, comme c'est le cas en l'espèce, considéré comme l'équivalent juridique d'un _ vrai _ jugement sur consentement de cette cour. La seule différence pratique est que l'obtention d'une ordonnance sur consentement nécessite probablement plus de temps et d'argent de la part des parties et plus de ressources judiciaires.

[12]            Les motifs énoncés ci-dessus sont suffisants pour justifier que le présent appel soit accueilli. Toutefois, l'avocat de la Couronne a demandé à la Cour de se prononcer sur un argument subsidiaire fondé sur l'article 34 de la Maintenance Enforcement Act de l'Alberta (maintenant abrogé) qui a été soulevé devant la Cour de l'impôt. À l'époque en cause, l'article 34 était libellé comme suit :


[traduction]

34. Pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada), un conjoint s'entend notamment d'une personne qui est tenue de verser périodiquement une pension alimentaire en vertu d'un accord écrit ou d'une ordonnance alimentaire.

[13]            L'avocat de la Couronne a fait valoir devant la Cour de l'impôt et devant la Cour que cette disposition était inconstitutionnelle. L'avocat de la province d'Alberta a comparu devant la Cour de l'impôt et a reconnu que, contrairement aux apparences, l'article 34 de la Maintenance Enforcement Act de l'Alberta n'avait pas pour effet de modifier la définition du terme _ époux _ qu'on trouve dans la Loi de l'impôt sur le revenu. La province d'Alberta n'a pas comparu dans le cadre du présent appel, bien qu'elle en ait été dûment avisée. Dans le cadre de son argumentation orale devant la Cour, l'avocat de M. Fraser a franchement admis qu'il ne pouvait pas faire valoir que M. Fraser pouvait s'appuyer, à titre subsidiaire, sur l'article 34 pour demander la déduction des montants de pension alimentaire pour enfants qu'il avait payés. Ainsi, ni la province d'Alberta ni M. Fraser ne cherchent à faire valoir que l'article 34 de la Maintenance Enforcement Act de l'Alberta est valide. Comme cette question n'a aucune incidence sur l'issue de la présente affaire, je ne me prononcerai pas sur elle.


[14]            J'infirmerais le jugement de la Cour de l'impôt, je le remplacerais par un jugement faisant droit à l'appel en matière d'impôt sur le revenu de M. Fraser et je renverrais l'affaire au ministre afin qu'il établisse de nouvelles cotisations en tenant compte du fait que les paiements de pension alimentaire pour enfants versés par M. Fraser en 1999 sont déductibles. Les parties ayant convenu que la Couronne paiera à M. Fraser une somme raisonnable à titre de dépens du présent appel, je n'adjugerais aucuns dépens.

              _ Karen R. Sharlow _              

    Juge

_ Je souscris aux présents motifs

    M.E. Rothstein, juge _

_ Je souscris aux présents motifs

    B. Malone, juge _

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-655-02

INTITULÉ :                                                                            ROBERT FRASER

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    LE 24 MARS 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 25 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Carman McNary

POUR LE DEMANDEUR

Margaret Irving

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fraser Milner Casgrain - Edmonton (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg,

Sous-procureur général du Canada - Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR


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