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Date : 20000623


Dossier : A-195-00


CORAM :      LE JUGE ROBERTSON

         LE JUGE NOËL

         LE JUGE McDONALD

ENTRE :

     SIEMENS WESTINGHOUSE INCORPORATED,

     requérante,

     - et -


LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET

DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA,

MIL SYSTEMS, UNE DIVISION DE DAVIE

INDUSTRIES INC., ET FLEETWAY INC.,


intimés,


- et -


LE TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR,


intervenant.




Audience tenue à Toronto (Ontario), le lundi 29 mai 2000

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le vendredi 23 juin 2000


MOTIFS DU JUGEMENT DU      JUGE ROBERTSON, J.C.A.

AUXQUELS ONT SOUSCRIT      LE JUGE NOËL, J.C.A.

                     ET LE JUGE McDONALD, J.C.A.





Date : 20000623


Dossier : A-195-00


CORAM :      LE JUGE ROBERTSON

         LE JUGE NOËL

         LE JUGE McDONALD

ENTRE :

     SIEMENS WESTINGHOUSE INCORPORATED,

     requérante,

     - et -


LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET

DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA,

MIL SYSTEMS, UNE DIVISION DE DAVIE

INDUSTRIES INC., ET FLEETWAY INC.,


intimés,


- et -


LE TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR,


intervenant.



MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROBERTSON

[1]          Le 8 octobre 1998, le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada ( « Travaux publics » ) a attribué à Siemens Westinghouse Incorporated ( « Siemens » ) un marché ayant pour objet la fourniture de services techniques demandés par le ministère de la Défense nationale ( « Défense nationale » ) à l'égard de certains navires de guerre. Siemens avait proposé un prix inférieur à celui de ses concurrents, MIL Systems (une division de Davie Industries Inc.) et Fleetway Inc. En réponse, ces deux soumissionnaires non retenus ont déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur le 21 octobre 1998, conformément à l'article 30.14 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur. Le 6 mars 1999, le Tribunal a confirmé le bien-fondé de la plainte commune pour deux motifs. D'abord, il a jugé que la proposition de Siemens ne comportait pas les données nécessaires pour établir l'expérience de travail exigée et que, par voie de conséquence, Travaux publics n'aurait pas dû se fonder sur des renseignements qui ne se trouvaient pas dans cette proposition pour décider si Siemens avait respecté cette condition obligatoire. Bref, le Tribunal a conclu que Travaux publics avait apporté une modification à une soumission et que, par conséquent, la soumission de Siemens aurait dû être jugée « irrecevable » . En deuxième lieu, le Tribunal a conclu que Défense nationale avait appliqué une méthodologie d'évaluation sensiblement différente de celle qui est prévue dans les documents d'invitation à soumissionner. Compte tenu de ces deux conclusions, le Tribunal « a recommandé » que le contrat de Siemens soit résilié et que les propositions déposées par les plaignantes seulement soient réévaluées conformément à la méthodologie originale. Siemens a présenté une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision du Tribunal, tout comme l'a fait Travaux publics dans une demande distincte (A-221-00). Les deux demandes ont subséquemment été réunies.

[2]          Pour les motifs exposés ci-après, j'estime qu'il n'existe aucune raison en droit de modifier la conclusion du Tribunal en ce qui concerne le changement touchant la méthodologie d'évaluation et sa directive portant que les offres devraient être réévaluées conformément à la méthodologie originale. Toutefois, j'estime humblement que le Tribunal a commis une erreur lorsqu'il a conclu que l'offre de Siemens n'était pas recevable et que Travaux publics a apporté une modification à une soumission, ce qui constitue une faute. Il s'ensuit que Siemens a le droit d'exiger que sa proposition soit réévaluée en même temps que celles des plaignantes. Cette conclusion contraire nécessite l'examen de la norme de révision à appliquer à l'égard de la décision du Tribunal. Avant d'examiner cette question, il convient de présenter un compte rendu plus détaillé des faits pertinents.

[3]          Le 15 juin 1998, Travaux publics a reçu de Défense nationale une demande au montant de 34 600 000 $ relativement à des services de soutien liés à certains navires de guerre. Le 17 juillet 1998, Travaux publics a affiché une « lettre d'intérêt » sur son site d'appel d'offres électronique. Cette lettre vise notamment à présélectionner les soumissionnaires potentiels en fonction de l'expérience exigée. Ceux qui ne sont pas présélectionnés ne reçoivent pas les documents d'invitation à soumissionner nécessaires qui, au fédéral, sont désignés sous l'appellation « Demande de propositions » . En réponse à la lettre d'intérêt du 17 juillet, une soumission a été présentée au nom d'une coentreprise formée de quatre sociétés, dont Donelad Hydronautics Limited ( « Donelad » ) et Westinghouse Canada Inc. Cette dernière société a subséquemment été fusionnée avec Siemens Inc. pour devenir Siemens Westinghouse Incorporated, la requérante en l'espèce. Travaux publics a finalement présélectionné cette coentreprise en se fondant sur l'expérience que Donelad et Siemens ont acquise à titre de sous-traitants dans le cadre du « Projet de carénage de mi-vie du navire auxiliaire des Forces canadiennes (NAFC) Quest » , qui avait été exécuté à Marystown (Terre-Neuve). [Les plaignantes contestent le fait que la coentreprise satisfaisait aux exigences en raison de l'expérience de Siemens; cependant, il n'est pas nécessaire d'examiner cette question pour trancher le présent appel.]. Travaux publics a également reçu une demande de présélection d'une autre coentreprise composée de MIL et Fleetway. Cette coentreprise a été présélectionnée. Le 4 novembre 1998, Travaux publics a remis aux deux coentreprises les documents d'invitation à soumissionner nécessaires.

[4]          Après la délivrance des documents d'invitation à soumissionner, Travaux publics a reçu des demandes de Siemens et de Fleetway. Fleetway a demandé d'être présélectionnée comme soumissionnaire indépendant à l'égard du marché. Pour sa part, Siemens a fait savoir à Travaux publics que, si le marché était attribué à la coentreprise avec laquelle elle était liée, elle devrait être désignée à titre d'entrepreneur principal. Travaux publics a répondu à cette demande en informant Siemens qu'elle devrait à nouveau établir son admissibilité afin de respecter les conditions de la lettre d'intérêt. Des lettres ont été échangées entre Siemens et Travaux publics en ce qui a trait à l'expérience de la première. Siemens a mentionné les travaux qu'elle avait elle-même entrepris dans le cadre du projet de carénage de mi-vie du NAFC Quest ainsi que les travaux de Donelad. Il convient de souligner que, contrairement à ce que prévoient les règles strictes concernant la clôture des soumissions, les soumissionnaires potentiels sont autorisés à répondre à une lettre d'intérêt après la date de clôture de celle-ci et même après la délivrance d'une demande de propositions, pourvu que le temps à écouler avant la date de clôture permette l'acceptation des offres.

[5]          Le 17 février 1999, Siemens a été avisée qu'elle était présélectionnée. Fleetway a également été avisée dans le même sens pour elle-même. Par conséquent, Travaux publics et Défense nationale devaient examiner trois propositions : celle de Siemens, celle de Fleetway et celle de la coentreprise MIL/Fleetway.

[6]          Conformément aux conditions de la demande de propositions, les soumissionnaires ont été avisés que les propositions seraient évaluées relativement à toutes les exigences obligatoires, comme l'expérience, et devaient obtenir le minimum de points requis pour le mérite technique. Ils ont également été avisés que la proposition conforme la moins disante serait recommandée en vue de l'adjudication d'un marché. En ce qui concerne le mérite technique, les points devaient être attribués sur une échelle qui variait de 100 à 350 pour chacune des huit catégories mentionnées à l'annexe « H » des documents d'invitation à soumissionner :

             1) Exigences générales (350)
             2) Plan d'organisation de la gestion de projet (350)
             3) Plan des services d'agence de conception de classe (800)
             4) Plan des services d'agence de données techniques (400)
             5) Plan du programme de l'assurance de la qualité (300)
             6) Plan d'accès à la liaison de données (100)
             7) Plan de transition (300)
             8) Demandes de tâches-échantillons (1 100)

[7]          Selon le paragraphe 1.8 de la section C de la demande de propositions, les soumissionnaires devaient obtenir au moins 60 p. 100 des points pour chacune des catégories et une cote globale d'au moins 70 p. 100.

[8]          Entre la date à laquelle la demande de propositions a été délivrée pour la première fois le 4 novembre 1998 et la date de clôture du 26 février 1999, Défense nationale a mis la dernière main, le 19 février 1999, à un guide de l'évaluateur technique. Dans ce guide, les catégories d'évaluation figurant à l'annexe « H » ont été ventilées en 549 sous-catégories qui devaient faire l'objet d'une évaluation individuelle selon une cote réussite/échec. Pour déterminer le nombre de points à accorder pour chaque sous-catégorie particulière, l'évaluateur multipliait le nombre maximal de points pouvant être obtenus par un facteur de 0,8 pour chaque réussite et de 0,3 pour chaque échec en fonction des exigences techniques. En ce qui concerne la capacité technique globale, un facteur de 0,85 était attribué à chaque réussite et un facteur de 0,35 à chaque échec (voir, de façon générale, le dossier de la demande conjointe, p. 627 et s.). Les trois soumissions ont été évaluées par Défense nationale selon cette méthodologie et ont toutes été jugées conformes, la moyenne globale minimale de 70 p. 100 ayant été attribuée à chacune. Dans une lettre envoyée par télécopieur le 8 octobre 1999, Travaux publics a avisé Siemens que le marché en question lui avait été adjugé.

[9]          MIL et Fleetway ont toutes deux déposé auprès du Tribunal des plaintes dont le bien-fondé a été confirmé pour deux raisons, tel qu'il est mentionné plus haut. En ce qui concerne les deux demandes de contrôle judiciaire découlant de la décision du Tribunal, il est admis de part et d'autre que la norme d'examen applicable est celle du « caractère manifestement déraisonnable » , compte tenu du jugement que la Cour a rendu dans l'affaire Symtron Systems Inc. c. Canada (Procureur général), [1999] 2 C.F. 514 (C.A.F.), et qui a été appliqué dans Canada (procureur général) c. Corel Corp., [1999] A.C.F. no 525, 21 avril 1999 (C.A.F.), et dans l'affaire Jastram Technologies Inc. c. Canada (ministre des Travaux publics), [2000] A.C.F. no 367, 19 mars 2000 (C.A.F.).

[10]          Compte tenu du fait que la norme d'examen qui s'applique en l'espèce est celle du caractère manifestement déraisonnable, c'est-à-dire le critère de la décision « manifestement irrationnelle » , j'examinerai chacun des deux motifs que le Tribunal a invoqués pour confirmer le bien-fondé des plaintes déposées par MIL et Fleetway, en commençant par la méthodologie d'évaluation qu'ont adoptée et appliquée Travaux publics et Défense nationale après la délivrance de la demande de propositions.

[11]          Conformément à la Loi de mise en oeuvre de l'Accord sur le commerce intérieur, L.C. 1996, ch. 17, l'Accord sur le commerce intérieur a force de loi nationale et lie le gouvernement fédéral en ce qui concerne l'adjudication des marchés d'approvisionnement. Le paragraphe 506(6) de cet Accord prévoit que les documents d'invitation à soumissionner « doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l'évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d'évaluation des critères » . À mon avis, la conclusion du Tribunal selon laquelle la modification apportée à la méthodologie d'évaluation conformément au guide constituait un changement majeur est inattaquable. Examinée de façon raisonnable, la modification pouvait favoriser les soumissionnaires moins expérimentés. En théorie, le soumissionnaire présélectionné, mais relativement peu expérimenté pouvait profiter de la modification, parce qu'il obtenait la garantie qu'au moins 35 p. 100 et au plus 85 p. 100 des points lui seraient attribués, même s'il mérite moins en raison de son manque d'expérience. En revanche, le soumissionnaire plus expérimenté risquait, en théorie, d'être défavorisé par ce système de pointage, dans la mesure où son expérience lui aurait permis d'obtenir des résultats supérieurs au minimum et au maximum. De plus, le Tribunal n'a pas eu tort de conclure qu'il était impossible de déterminer avec certitude si l'une ou l'autre des propositions pouvait être jugée admissible selon la méthode d'évaluation décrite dans la demande de propositions.

[12]          À mon avis, la question clé à trancher en l'espèce est celle de savoir si le Tribunal a commis une erreur en concluant que la proposition de Siemens n'était pas recevable, parce qu'elle ne comportait pas de données établissant l'expérience de travail connexe, comme l'exige l'alinéa 1.3a) de la section C de la demande de propositions et, par voie de conséquence, que Travaux publics a apporté une modification à la soumission en se fondant sur des renseignements non fournis dans la proposition de Siemens pour décider que cette condition obligatoire avait été respectée. Pour répondre à cette question, je ne tiendrai pas compte du fait que la coentreprise Siemens/Donelad avait déjà été présélectionnée d'après la lettre d'intérêt et que les exigences imposées selon l'alinéa 4a) de ce document en ce qui concerne l'expérience sont identiques à celles qui sont prévues à l'alinéa 1.3a) de la demande de propositions. La question la plus pertinente pour l'instant est celle de savoir si Siemens a fourni de son propre chef dans sa proposition, à titre de soumissionnaire, les données requises au sujet de son expérience et si l'alinéa 1.3a) a été respecté en ce qui concerne les éléments de preuve exigés. Voici le libellé de cette disposition :

1.3      Le soumissionnaire doit fournir, avec sa proposition, la preuve qu'il détient les titres et qualités ainsi que l'expérience dont il est fait mention ci-après :
         a) avoir exécuté (c.-à-d. dans les 5 dernières années) ou effectue présentement la gestion d'au moins un (1) marché d'une valeur de un (1) million de dollars ou plus, dans les domaines du soutien d'ingénierie et de la gestion des données techniques des navires des Forces canadiennes.

[13]          Cette disposition indique clairement que les soumissionnaires devaient fournir une preuve de leur expérience passée ou courante en matière de gestion d'un marché d'une valeur d'au moins 1 000 000 $ dans les domaines du soutien d'ingénierie et de la gestion des données techniques des navires des Forces canadiennes. Ni le Tribunal non plus que la Cour n'ont obtenu de copie complète de la proposition de Siemens. Toutefois, le Tribunal a demandé à Travaux publics de fournir une copie de toutes les parties pertinentes de cette proposition sur lesquelles le ministère s'est fondé pour déterminer la mesure dans laquelle Siemens respectait les exigences découlant de l'alinéa 1.3a) de la demande de propositions. Travaux publics a identifié et fourni les parties suivantes de la proposition de Siemens :

         1) Section 2.0, "Profil de la société", et particulièrement le paragraphe 2.4;
         2) Section 2.5, "Capacités maritimes", particulièrement le paragraphe 2.5.11;
         3) Section 1.2, "Expérience de projets semblables", aux paragraphes 1.2.1 et 1.2.2 et 1.2.5, particulièrement pour ce qui touche le contrat du NAFC QUEST;
         4) Section 1.6, "Expérience en intégration et conception navales de navires de guerre" pour ce qui se rapporte au contrat du NAFC QUEST.

[14]          Il semble être admis de part et d'autre que seules les sections 1.6 et 2.5 concernent l'expérience de Siemens plutôt que celle de Donelad. Pourtant, le Tribunal a rejeté ces parties de la proposition de Siemens comme preuve du fait que l'alinéa 1.3a) avait été respecté, étant donné que Siemens n'a pas précisé dans sa proposition que son expérience liée au contrat du NAFC Quest était mentionnée en réponse à cette condition obligatoire. Je ne puis accepter cette conclusion pour deux raisons. D'abord, ni le Tribunal non plus que la Cour n'ont été saisis d'une copie complète de la proposition de Siemens; par conséquent, aucun d'eux n'est en mesure de dire avec certitude si cette allégation explicite a été formulée ou non. Tout ce que nous savons, c'est que Travaux publics a dû indiquer les parties de la proposition de Siemens qu'il avait examinées pour décider la mesure dans laquelle celle-ci respectait la condition exigée à l'alinéa 1.3a) en ce qui concerne l'expérience. En deuxième lieu, pourquoi Siemens décrirait-elle des travaux exécutés dans le cadre d'un autre projet, si ce n'est pour présenter des éléments de preuve satisfaisant à l'exigence liée à l'expérience?

[15]          Dans la même veine, les plaignantes font valoir que, étant donné que Siemens n'a pas mentionné expressément dans sa proposition que le contrat du NAFC Quest a une valeur d'au moins 1 000 000 $, sa proposition aurait dû être jugée non recevable. Je ne puis souscrire à cet argument. Le contrat du NAFC Quest a été mentionné en réponse à une demande d'éléments de preuve établissant que Siemens était partie à un contrat d'une valeur d'au moins 1 000 000 $. Dans ce contexte, la mention du contrat en question doit certainement être considérée comme une déclaration explicite du fait que celui-ci respectait l'exigence liée à la valeur pécuniaire.

[16]          Après avoir admis que, dans sa proposition, Siemens décrit l'ampleur de l'expérience qu'elle-même a acquise dans le cadre du contrat du NAFC Quest et non seulement celle de Donelad, je dois encore décider si ces allégations suffisent en soi pour rendre la proposition de Siemens recevable. Le Tribunal a conclu que, pour déterminer la mesure dans laquelle Siemens respectait l'exigence relative à l'expérience, Travaux publics devait nécessairement examiner le contrat de sous-traitance que Siemens a obtenu dans le cadre du contrat de carénage mi-vie du NAFC Quest (la « commande de Marystown » ). Travaux publics a reconnu qu'il s'est fondé sur les renseignements se trouvant en sa possession, soit la commande de Marystown, pour évaluer la proposition de Siemens. Si j'ai bien compris les motifs du Tribunal, le fait que la commande de Marystown n'était pas jointe à la proposition de Siemens rendait celle-ci irrecevable et Travaux publics ne pouvait la corriger en se fondant sur des renseignements qui se trouvaient déjà en sa possession. Voici comment le Tribunal s'exprime aux pages 18 et 19 de ses motifs :

         Le Tribunal est d'avis que, étant donné que la proposition de SWTS n'incluait pas, au moment de la clôture des soumissions, les éléments de preuve requis à l'alinéa 1.3a) de la section C de la DP, le Ministère et le MDN ont agi incorrectement lorsqu'ils ont introduit des renseignements supplémentaires et qu'ils se sont fondés sur lesdits renseignements que ne fournissaient pas la proposition de SWTS et ont ainsi déclaré recevable la proposition. La section C de la DP énonce clairement les conséquences associées à la présentation d'une proposition non assortie d'éléments de preuve suffisants. Un tel motif, à lui seul, aurait dû entraîner l'élimination de la proposition de SWTS.

[17]          Bref, la question est celle de savoir si la proposition de Siemens était irrecevable du fait qu'aucune copie de la commande de Marystown n'y était jointe et, par voie de conséquence, si Travaux publics a procédé à une modification de ladite soumission en examinant ce document. À mon avis, le Tribunal a commis deux erreurs importantes et manifestes en rendant une décision défavorable à Siemens sur ce point. D'abord, il n'a pas compris qu'à moins d'indication contraire, la demande de propositions n'oblige pas les soumissionnaires à fournir des documents établissant les faits ou les affirmations mentionnés dans leurs propositions. En deuxième lieu, le Tribunal n'a pas compris que le paragraphe 1.7 de la section C de la demande de propositions autorise expressément Travaux publics à vérifier toutes les déclarations que font les soumissionnaires au sujet de leur expérience. À mon sens, ce droit permet nécessairement à Travaux publics d'examiner d'autres éléments de preuve que les documents de la soumission pour confirmer certains aspects de l'expérience de l'entrepreneur. Bref, je n'accepte pas l'argument selon lequel Travaux publics n'est pas autorisé à vérifier les renseignements fournis et, à cette fin, à utiliser les renseignements qu'il a déjà en mains.

[18]          Mes conclusions reposent sur l'interprétation qu'il convient de donner à la « Section C - Critères d'évaluation » de la demande de propositions. À l'instar du Tribunal, la Cour reconnaît que l'une des pierres angulaires de l'intégrité de tout système d'appel d'offres réside dans la nécessité de veiller à ce que les fournisseurs potentiels respectent toutes les conditions obligatoires des documents d'invitation à soumissionner : voir Re I.B.M. Canada Ltd., [1999] C.I.T.T. no 87, par. 34-35. Je reconnais également que les entités acheteuses doivent évaluer de façon rigoureuse et minutieuse la mesure dans laquelle un soumissionnaire a satisfait aux conditions obligatoires. Cependant, cela ne signifie pas que les conditions obligatoires doivent être interprétées de manière isolée et disjonctive. Comme le Tribunal l'a décidé dans R.E.D. Electronics Inc., [1995] C.I.T.T. no 44 au par. 13, elles doivent « être interprétées comme un ensemble en tenant compte de l'objet et des objectifs globaux de la DDP [demande de propositions] » . C'est pourquoi il est nécessaire de reproduire certaines parties importantes de la section C :

         [TRADUCTION]
         Pour qu'elle soit considérée recevable, une proposition doit a) satisfaire à tous les critères obligatoires énoncés dans la présente demande de propositions et b) obtenir le minimum de points requis pour le mérite technique. Les propositions qui ne satisfont pas aux exigences a) ou b) mentionnées ci-dessus ne seront pas considérées plus avant et seront déclarées irrecevables.
         Les propositions qui ne sont pas accompagnées des preuves à l'appui requises pour les conditions obligatoires ou qui ne sont pas conformes à l'une des conditions obligatoires énoncées dans le document de demande de propositions (DP) ou ses annexes seront déclarées irrecevables.
         La proposition la moins disante sera recommandée en vue de l'adjudication d'un marché.
         1.0      CONDITIONS OBLIGATOIRES
         1.1      Une condition comportant les mots et expressions « doit » , « est nécessaire » , « est obligatoire » , « est essentiel » ou toute autre expression similaire est une condition obligatoire, à moins qu'elle ne soit explicitement décrite à titre de condition non obligatoire ou facultative. Les conditions comportant les termes « peut » , « devrait » , « pourrait » , « est souhaitable » ou « est recommandé » doivent être considérées comme des conditions facultatives.
         1.2      Le soumissionnaire doit fournir une attestation indiquant clairement qu'il respecte tous les articles, clauses et conditions qui figurent dans le présent document et l'énoncé des travaux (ET) ou qui sont mentionnés dans la présente demande et dans toute modification ainsi que dans les questions et réponses communiquées au cours de la période de soumission. Les mots comme « conformité et intention » , « compris » ou d'autres mots semblables sont inacceptables et la proposition qui les renferme ne sera pas examinée plus avant.
         1.3      Le soumissionnaire doit fournir, avec sa proposition, la preuve qu'il détient les titres et qualités ainsi que l'expérience dont il est fait mention ci-après :
         a)      Avoir exécuté (c.-à-d. dans les 5 dernières années) ou effectue présentement la gestion d'au moins un (1) marché d'une valeur de un (1) million de dollars ou plus, dans les domaines du soutien d'ingénierie et de la gestion des données techniques des navires des Forces canadiennes;
         b)      Fournir les services d'un gestionnaire de projet ayant une expérience considérable (cinq ans au cours des huit dernières années) en matière de gestion de projets de conception, d'ingénierie et de dessin technique découlant d'un marché évalué à au moins 1 000 000 $...
             Remarque :      La preuve relative à la compétence du personnel doit être fournie au moyen d'un diplôme ou d'un certificat (dans le domaine concerné) d'un établissement d'enseignement reconnu ou au moyen d'une attestation TQ6B, à tout le moins (dans le cas des technologues seulement) des Forces canadiennes. La preuve relative à l'expérience doit être fournie au moyen du curriculum vitae détaillé de chaque personne proposée.
         1.6      Le Les soumissionnaires qui présentent des propositions comme membres de coentreprises doivent fournir un document (c'est-à-dire un certificat) attestant que cette coentreprise existe à la date de présentation de leur proposition.
         1.7      A9001T              31/03/95          Attestation de l'éducation/ l'expérience
             Pour être jugées recevables, les soumissions doivent comporter l'attestation suivante :
             « Le soumissionnaire atteste par les présentes que toutes les déclarations formulées au sujet de la formation et de l'expérience sont vraies et que
             chaque personne qu'il propose pour l'exécution des travaux travaille pour lui en qualité d'employé ou conformément à un contrat de services écrit.
                        
                     signature
                     "
                     date
             Le Canada se réserve le droit de vérifier l'attestation qui précède et de déclarer que la soumission n'est pas recevable pour l'un ou l'autre des motifs suivants :
             -une des déclarations est fausse ou non vérifiable;
             -une des personnes proposées n'est pas disponible alors que le Canada se fonde sur la déclaration relative à la formation et à l'expérience de cette personne pour évaluer la soumission et adjuger le marché.

                                                     [non souligné à l'original]

[19]          Les plaignantes font valoir que la commande de Marystown aurait dû être jointe à la proposition de Siemens, parce que le deuxième paragraphe de la section C énonce qu'une proposition sera jugée irrecevable si elle n'est pas accompagnée des preuves à l'appui requises pour les conditions obligatoires. À mon humble avis, cet argument ne peut être retenu pour plusieurs raisons.

[20]          D'abord, l'interprétation que proposent les plaignantes signifie qu'il serait nécessaire de fournir des documents à l'appui de chaque déclaration de fait énoncée dans une proposition, ce qui est un résultat non justifié. Ainsi, l'alinéa 1.3b) énonce que le soumissionnaire doit fournir des éléments de preuve établissant que son gestionnaire de projet possède une expérience considérable en matière de gestion de projets de conception évalués à au moins 1 000 000 $. Selon les plaignantes, Siemens serait tenue de joindre à sa proposition des documents établissant qu'elle a retenu les services d'un gestionnaire de projets ayant l'expérience requise (p. ex. contrat d'emploi). Ce n'est pas ce que la demande de propositions prévoit.

[21]          En fait, l'argument des plaignantes ne tient pas compte du fait que la section C de la demande de propositions énonce clairement les circonstances dans lesquelles des pièces justificatives sont nécessaires. Ainsi, le paragraphe 1.6 prévoit que les propositions provenant de coentreprises doivent être accompagnées d'une preuve, sous forme de certificat, de l'existence de la coentreprise à la date de la présentation de la soumission. De plus, selon la note figurant après le paragraphe 1.3, la preuve relative à la compétence du personnel doit être fournie au moyen d'un diplôme ou d'un certificat, tandis que la preuve se rapportant à l'expérience exigée doit être présentée au moyen d'un curriculum vitae détaillé. Toutefois, aucune clause n'énonce l'obligation de fournir des documents au sujet de l'expérience antérieure du soumissionnaire. Sur le plan de l'interprétation, le Tribunal a commis une erreur en intégrant cette exigence dans les documents d'invitation à soumissionner.

[22]          Enfin, l'argument des plaignantes va à l'encontre du paragraphe 1.7 de la demande de propositions, qui permet à Travaux publics de vérifier l'exactitude des faits attestés par le soumissionnaire. Dans ses motifs, le Tribunal a insisté sur le pouvoir restreint de Travaux publics en ce qui a trait à la demande d'éclaircissements, mais il ne semble pas avoir tenu compte de la clause concernant la vérification.

[23]          Dans sa proposition, Siemens a mentionné le contrat du NAFC Quest comme preuve du fait qu'elle respectait la condition relative à l'expérience. Il s'ensuit que Travaux publics avait le droit, en vertu de l'article 1.7 de la section C de la demande de propositions, de vérifier ce renseignement à l'aide d'autres données dont il disposait. En réponse, les plaignantes font valoir que cette disposition s'applique uniquement aux déclarations formulées au sujet des employés du soumissionnaire et non au sujet du soumissionnaire lui-même. À mon avis, cette distinction ne fait aucun sens et, en tout état de cause, va à l'encontre des dispositions explicites de la demande de propositions. L'article 1.3 oblige le soumissionnaire à fournir des éléments de preuve concernant l'expérience de l'ensemble de son entreprise et de certains employés clés et non simplement concernant ce dernier groupe. De plus, selon l'article 1.7, le soumissionnaire doit fournir une attestation écrite portant que [TRADUCTION] « toutes les déclarations formulées au sujet de la formation et de l'expérience sont vraies... » , et non « toutes les déclarations formulées au sujet de la formation et de l'expérience des employés sont vraies » . Bref, le droit de vérification découlant de la demande de propositions touche les déclarations formulées tant au sujet de l'expérience du soumissionnaire qu'au sujet de celle des employés.

[24]          En conclusion, j'estime que, selon l'interprétation qu'il convient de donner à la demande de propositions, Travaux publics n'a pas apporté de modification à une soumission en examinant la commande de Marystown; par conséquent, la conclusion du Tribunal à ce sujet doit être considérée comme une conclusion manifestement déraisonnable.

[25]          La demande de contrôle judiciaire présentée en l'espèce et dans le dossier A-221-00 devrait être accueillie en partie, un seul groupe de dépens devant être adjugés. Une copie des présents motifs sera versée dans le dossier A-221-00 et sera considérée comme les motifs de la Cour dans ce dossier. La partie de la décision dans laquelle le Tribunal recommande une nouvelle évaluation des soumissions de MIL et de Fleetway seulement devrait être infirmée et l'affaire devrait être renvoyée au Tribunal de façon que la recommandation relative à la réévaluation des soumissions conformément à la méthodologie énoncée dans la demande de propositions couvre la soumission présentée par Siemens.

     « J.T. Robertson »

     J.C.A.


« Je souscris aux motifs exprimés par le juge Robertson.

Marc Noël, J.C.A. »


« Je souscris aux motifs exprimés par le juge Robertson.

F.J. McDonald, J.C.A. »



Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.



Date : 20000623


Dossier : A-195-00

OTTAWA (ONTARIO), le vendredi 23 juin 2000             

CORAM :      LE JUGE ROBERTSON

         LE JUGE NOËL

         LE JUGE McDONALD


ENTRE :

     SIEMENS WESTINGHOUSE INCORPORATED,

     requérante,

     - et -


LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES

SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA,

MIL SYSTEMS, UNE DIVISION DE DAVIE

INDUSTRIES INC., ET FLEETWAY INC.,


intimés,


- et -


LE TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR,


intervenant.


JUGEMENT

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. La partie de la décision dans laquelle le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande la réévaluation des soumissions de MIL Systems et de Fleetway Inc. seulement est infirmée et l'affaire est renvoyée au Tribunal de façon que la recommandation relative à la réévaluation des soumissions conformément à la méthodologie énoncée dans la demande de propositions couvre la soumission présentée par Siemens Westinghouse Incorporated. La requérante a droit à un seul groupe de dépens dans le présent dossier et dans le dossier A-221-00 à l'encontre des intimées MIL Systems et Fleetway Inc.



     « J.T. Robertson »

     J.C.A.




Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

    


Date : 20000623


Dossier : A-221-00

OTTAWA (ONTARIO), le vendredi 23 juin 2000

CORAM :      LE JUGE ROBERTSON

         LE JUGE NOËL

         LE JUGE McDONALD

ENTRE :


LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES

SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


requérants,

- et -


MIL SYSTEMS, une division de Davie Industries Inc.,

FLEETWAY INC. et SIEMENS WESTINGHOUSE INC.,


intimées,

- et -


LE TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR,


intervenant.



JUGEMENT

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. La partie de la décision dans laquelle le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande la réévaluation des soumissions de MIL Systems et de Fleetway Inc. seulement est infirmée et l'affaire est renvoyée au Tribunal de façon que la recommandation relative à la réévaluation des soumissions conformément à la méthodologie énoncée dans la demande de propositions couvre la soumission présentée par Siemens Westinghouse Incorporated. Les requérants ont droit à un seul groupe de dépens dans le présent dossier et dans le dossier A-195-00 à l'encontre des intimées MIL Systems et Fleetway Inc.



     « J.T. Robertson »

     J.C.A.




Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                          A-195-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Siemens Westinghouse Incorporated c. Le ministre des Travaux publics et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :                                  Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :                                  le lundi 29 mai 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

PRONONCÉS PAR :                                  le juge Robertson, J.C.A.
AUXQUELS ONT SOUSCRIT :                          le juge Noël et le juge McDonald

ONT COMPARU :

Me Ronald Lunau

Me Jennifer Ross                                          pour l'appelante

Me Michael Chiavaglia

Me Elizabeth Richards                                      pour les intimés
Me Gilles Legault                                          pour l'intervenant

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson

Ottawa (Ontario)                                          pour l'appelante

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                          pour les intimés

Tribunal canadien du commerce extérieur

Ottawa (Ontario)                                          pour l'intervenant

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                                      A-221-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :                      Le ministre des Travaux publics et al. c. MIL Systems et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :                              le lundi 29 mai 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

PRONONCÉS PAR :                              le juge Robertson, J.C.A.
AUXQUELS ONT SOUSCRIT :                      le juge Noël et le juge McDonald

ONT COMPARU :

Me Michael Chivaglia

Me Elizabeth Richards                                   pour les appelants

Me David Sherriff-Scott

Me George Hunter                                      pour les intimées

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                      pour les appelants

Borden, Ladner, Gervais, LLP

Ottawa (Ontario)                                      pour les intimées
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