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Date : 20040426

Dossier : A-691-02

Référence : 2004 CAF 165

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                       L'ASSOCIATION DES EMPLOYÉ(E)S EN SCIENCES SOCIALES

                                                                                                                                        défenderesse

                                                                             et

LE SYNDICAT CANADIEN DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS ET TECHNIQUES

défendeur

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2003

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 avril 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                     LE JUGE PELLETIER


Date : 20040426

Dossier : A-691-02

Référence : 2004 CAF 165

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                       L'ASSOCIATION DES EMPLOYÉ(E)S EN SCIENCES SOCIALES

                                                                                                                                        défenderesse

                                                                             et

LE SYNDICAT CANADIEN DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS ET TECHNIQUES

défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire déposée par le procureur général du Canada (le demandeur) d'une décision prise par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) le 22 novembre 2002.


[2]                La question en litige est de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que les deux plaintes de pratique déloyale de travail déposées par les syndicats défendeurs en l'espèce, en conformité avec l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 1985, ch. P-35 (la Loi), contre le Secrétaire du Conseil du trésor et Tom Smith, directeur de l'Administration de la paye, Division des relations de travail, Direction des ressources humaines du Conseil du trésor (le Conseil du trésor), étaient bien fondées.

[3]                Dans leurs plaintes, les défendeurs ont allégué que le Conseil du trésor avait fait des distinctions injustes à l'égard de leurs membres à cause de leur appartenance aux syndicats, contrairement aux articles 8 et 9 de la Loi. Plus précisément, les défendeurs ont allégué qu'entre 1998 et 2002, le Conseil du trésor avait accordé un traitement de faveur à leurs employés exclus et non représentés (les employés non syndiqués) au regard de la mise en oeuvre de révisions de salaire avec effet rétroactif. Les défendeurs affirment que leurs plaintes découlent de la décision du Conseil du trésor de modifier la manière dont s'effectuait le calcul du salaire de personnes qui avaient été promues, déployées ou mutées pendant la période visée par l'application rétroactive d'une convention collective renouvelée.


Contexte

[4]                Le litige vient du fait que les conventions collectives sont souvent signées après la date d'expiration de la convention précédente. Bien qu'expirée, l'ancienne convention continue de s'appliquer, en vertu de l'article 52 de la Loi, jusqu'à la signature d'une nouvelle convention. À partir de ce moment-là, la nouvelle convention s'applique rétroactivement à compter de la date d'expiration de l'ancienne.

[5]                L'application rétroactive d'une nouvelle convention collective entraîne notamment le calcul des salaires comme si la nouvelle convention était entrée en vigueur dès l'expiration de l'ancienne. Par conséquent, il faut effectuer un calcul rétroactif de manière à préciser la différence entre les salaires payés en vertu de l'ancienne convention et les salaires qui auraient dû être payés si la nouvelle convention était entrée en vigueur dès l'expiration de l'ancienne.

[6]                La question devient plus complexe lorsqu'un employé a été nommé à un autre poste pendant la période visée par l'application rétroactive d'une nouvelle convention. Elle est complexe parce que d'habitude, le salaire du nouveau poste est différent de celui de l'ancien et que ce nouveau salaire sera établi en fonction de l'ancien salaire de l'employé.


[7]                Par voie de conséquence, à cause de l'entrée en vigueur d'une nouvelle convention et de son application rétroactive, il peut devenir nécessaire de modifier le salaire de l'ancien poste et celui du nouveau pour replacer l'employé dans la situation qui aurait été sienne si une période de temps ne s'était pas écoulée entre les deux conventions, l'ancienne et la nouvelle.

[8]                Avant la décision de la Cour dans Canada c. Lajoie, [1992] 14 N.R. 233, que j'examine plus en détail aux paragraphes 13 et suivants des présents motifs, lorsqu'un employé était promu ou muté pendant la période visée par l'application rétroactive d'une nouvelle convention, son salaire était calculé de nouveau si la nouvelle convention prévoyait l'application rétroactive des augmentations de salaire. Ce nouveau calcul entraînait soit une augmentation soit une diminution du salaire de l'employé (voir les paragraphes 15 et 16 plus loin qui décrivent le premier calcul qui avait été effectué par le Conseil du trésor dans le cas de M. Lajoie).

[9]                Il faut mentionner que les dispositions de la Politique du Secrétariat du Conseil du trésor (la Politique) qui sont entrées en vigueur le 1er septembre 1990 (DORS/67-118) s'appliquent à tous les employés exclus et non représentés du gouvernement et qu'elles s'appliquent également, par incorporation aux conventions collectives négociées par les divers syndicats et le Conseil du trésor, aux employés syndiqués.

[10]            Les articles 24 à 26 de la Politique visent la rémunération lors d'une promotion, d'une rétrogradation ou d'une mutation par nomination. L'article 27 vise la nomination ou la mutation à la date d'augmentation du traitement. Ces dispositions sont ainsi libellées :


Taux de rémunération à la promotion

24.(1) La nomination d'un employé désigné à l'article 23 constitue une promotion lorsque le taux de rémunération maximal applicable au poste auquel cette personne est nommée dépasse le taux de rémunération maximal applicable au niveau de titularisation de l'employé avant cette nomination :

a) d'un montant au moins égal à la plus faible augmentation prévue pour le poste auquel elle est nommée, lorsque le poste comporte plus d'un taux de rémunération; ou

b) d'un montant au moins égal à quatre pour cent du taux maximal pour le poste qu'elle occupait immédiatement avant cette nomination, lorsque le poste auquel elle est nommée ne comporte qu'un seul taux de rémunération.

24.(2) Sous réserve des articles 27 et 28, à la promotion, le taux de rémunération sera le taux le plus proche du taux de rémunération auquel l'employé avait droit à son niveau de titularisation immédiatement avant la nomination qui lui vaut une augmentation tel que le stipule le paragraphe 1) du présent article; ou d'un montant au moins égal à quatre pour cent du taux maximal pour le poste auquel il est nommé, lorsque la rémunération du poste auquel se fait la nomination est fondée sur le rendement.

Taux de rémunération à la rétrogradation

25.(1) Une personne est rétrogradée lorsque, en vertu de l'article 50A), elle est nommée à un poste auquel s'applique le présent règlement, qui comporte un taux de rémunération maximal moindre que le taux maximal applicable à son niveau de titularisation précédent.

25.(2) Sous réserve des articles 27 et 28, lorsqu'une personne désignée à l'article 23 est rétrogradée, elle touche le taux de rémunération qui se rapproche le plus sans lui être supérieur, du taux de rémunération auquel elle avait droit à son niveau de titularisation immédiatement avant la nomination.

Taux de rémunération à la mutation ou mutation par nomination

26.(1) Une personne désignée à l'article 23 est mutée ou mutée par nomination lorsque sa mutation ou nomination à un poste auquel le présent règlement s'applique ne constitue ni une promotion ni une rétrogradation.

26.(2) Sous réserve des articles 27 et 28, la personne mutée ou mutée par nomination recevra le taux de rémunération qui se rapproche le plus, sans lui être inférieur, du taux de rémunération auquel elle avait droit à son niveau de titularisation immédiatement avant sa mutation ou nomination ou, si pareil taux n'existe pas, elle recevra le taux de rémunération maximum prévu pour le poste auquel elle est mutée ou nommée.

26.(3) Lorsqu'une personne employée dans un service de la partie I est mutée ou mutée par nomination à un poste visé par le présent règlement au cours de sa période de stage, elle doit être payée pour son nouveau poste au taux qu'elle aurait touché si elle y avait été mutée ou nommée le jour de sa mutation ou nomination à son niveau de titularisation précédent.


Nomination ou mutation le jour de l'augmentation de traitement

27. Lorsqu'un employé est promu, muté ou muté par nomination le jour où une augmentation d'échelon lui serait autrement devenue payable, son taux de rémunération le jour précédant immédiatement sa nomination ou mutation est réputé être le taux de rémunération qu'il aurait reçu si l'augmentation de rémunération lui était devenue payable ce jour-là.

[11]            Les dispositions pertinentes de l'entente entre le Conseil du trésor et la défenderesse, l'Association des employé(e)s des sciences sociales, sont les articles 27.01, 27.03 et 27.04 qui prévoient :

CONVENTION :

27.01Sauf selon qu'il est stipulé dans le présent article, les conditions régissant l'application de la rémunération aux employés ne sont pas modifiées par la présente convention.

[...]

27.03

a)              Les taux de rémunération indiqués à l'appendice « A » entrent en vigueur aux dates qui y sont stipulées.

b)              Lorsque les taux de rémunération indiqués à l'appendice « A » entrent en vigueur avant la date de signature de ladite convention, les modalités suivantes s'appliquent :

(i)             pour les fins des sous-alinéas (ii) à (v), l'expression « période de rémunération rétroactive » désigne la période qui commence à la date d'entrée en vigueur de la révision rétroactive à la hausse des taux de rémunération et se termine le jour de la signature de la convention collective ou le jour où la décision arbitrale est rendue à cet égard;

(ii)            la révision rétroactive à la hausse des taux de rémunération s'applique aux employés, aux anciens employés ou, en cas de décès, à la succession des anciens employés qui faisaient partie de l'unité de négociation pendant la période de rétroactivité;

(iii)           les taux de rémunération sont payés en un montant équivalant à ce qui aurait été versé si la convention collective avait été signée ou si une décision arbitrale avait été rendue à cet égard à la date d'entrée en vigueur de la révision des taux de rémunération;

[...]


27.04Lorsqu'une augmentation d'échelon de rémunération et une révision de rémunération se produisent à la même date, l'augmentation d'échelon de rémunération est apportée en premier et le taux qui en découle est révisé conformément à la révision de la rémunération.

[...]

                                                                                                (Non souligné dans l'original.)

Soulignons que la convention collective entre le Conseil du trésor et le défendeur, le Syndicat canadien des employés professionnels et techniques, contient des dispositions semblables.

[12]            Les dispositions applicables du Règlement et des conventions collectives ont été reproduites dans le but de mettre en lumière la complexité du calcul et les difficultés qui pourraient survenir dans un cas précis.

La décision Lajoie

[13]            J'en viens maintenant à la décision de la Cour dans l'affaire Lajoie, précitée, qui est au coeur du litige entre les parties.

[14]            Insatisfait des résultats obtenus par suite de la méthode de calcul de son salaire, un employé syndiqué, Jacques Lajoie, a déposé des griefs concernant le calcul de la rémunération rétroactive à laquelle il avait droit, calcul qui avait été effectué par son employeur par suite de la signature d'une nouvelle convention collective.

[15]            L'arbitre a été saisi de la question de l'application rétroactive de la nouvelle convention au nouveau poste de M. Lajoie. Voici les faits : M. Lajoie a été promu le 29 juillet 1987 à un poste de AU-02, et son salaire annuel a été établi à 38 377 $, soit le deuxième niveau de l'échelle de salaire de la catégorie AU-02. Avant sa promotion, M. Lajoie occupait un poste de PM-03 et touchait un salaire de 36 534 $. Le 1er août 1988, M. Lajoie a été muté à un poste bilingue de AU-02, et son salaire a été établi à 39 697 $, savoir le troisième niveau de l'échelle de rémunération de la catégorie AU-02. Lors de la promotion de M. Lajoie, c'est-à-dire le 29 juillet 1987, la convention collective, qui régissait officiellement les conditions d'emploi des personnes qui occupaient un poste de AU, était expirée depuis le 20 avril 1987. Le 18 août 1988, le Conseil du trésor et l'agent négociateur ont signé une nouvelle convention collective qui prévoyait que les employés du groupe AU-02 toucheraient une augmentation rétroactive de salaire en deux étapes, savoir jusqu'au 21 avril 1987 et au 21 mai 1988.

[16]            Il appert, selon les faits, que M. Lajoie a été nommé à un nouveau poste à un taux de rémunération qui correspondait au deuxième niveau de l'échelle de salaire du poste. Par suite de l'application rétroactive de la nouvelle convention, l'employeur a effectué un nouveau calcul et il a décidé que M. Lajoie devait toucher le salaire du premier niveau de l'échelle. L'employeur a donc modifié le taux de rémunération de l'employé et du même coup, les perspectives d'avenir de ce dernier.

[17]            L'arbitre a reconnu le bien-fondé des griefs de M. Lajoie (voir Lajoie c. Conseil du trésor (1991), CRTFP 203) et le procureur général, par voie de demande de contrôle judiciaire, a demandé que soit annulée la décision de l'arbitre. Dans une décision datée du 10 novembre 1992, la Cour a confirmé la décision de l'arbitre rejetant la méthode de calcul de l'employeur en la remplaçant par une approche plus avantageuse pour M. Lajoie. Aux pages 231 et 232 (paragraphes 11 et 12) de la décision Lajoie, le juge Hugessen, s'exprimant au nom de la Cour, décrit la nature du litige entre les parties adverses :

[11]          La dispute entre les parties porte sur l'effet de ces dispositions et sur l'application du Règlement sur les conditions d'emploi de la fonction publique, précité. L'employeur prétend que dès la signature de la nouvelle convention collective il fallait réouvrir tout le dossier afin, d'abord, de voir si la nomination de l'intimé, en date du 29 juillet 1987, constitue encore une promotion et, ensuite, pour recalculer les augmentations auxquelles il avait droit au moment de cette nomination et au moment de sa mutation une année plus tard. Selon l'employeur ce calcul place l'intimé au premier échelon du groupe AU-02 au 29 juillet 1987 avec droit à une rémunération de 38 528 $ (première colonne, ligne B de la grille). Par la suite, selon l'employeur, l'employé avait droit à une augmentation à 39 973 $ en date du 21 mai 1988 (première colonne, ligne D) pour finalement être muté le 1er août 1988 au deuxième échelon avec un salaire de 41 389 $ (deuxième colonne, ligne D).

[12]          Pour sa part, l'employé voit les choses différemment. Pour lui, il a été nommé le 29 juillet 1987 à un poste au deuxième échelon du AU-02 avec un salaire de 38 377 $. Pour les fins du calcul de la rétroactivité, cette nomination et le salaire qui y était attaché le placent carrément au point de départ qui se trouve__à la deuxième colonne de la première ligne de la grille. ( « De :__$__...__38377 ... » ). À partir de là, il a droit à un traitement de 39 983 $ pour toute période après le 21 avril 1987 allant jusqu'au 21 mai 1988 quand son salaire passe à 41 389 $ (lignes B et D de la deuxième colonne). Enfin, sa mutation au troisième échelon le 1er août 1988 lui donne droit à un salaire de 42 812 $ (troisième colonne, ligne D).

                                                                                                (Non souligné dans l'original.)

[18]            Après avoir soigneusement examiné les dispositions pertinentes de la convention collective et du Règlement, le juge Hugessen fait remarquer, aux pages 232 à 235 (aux paragraphes 14 et 17 à 19) :


[14]          D'abord il me paraît difficile d'interpréter les articles 65 et 66 du Règlement de manière à permettre une révision rétroactive de tous les effets d'une nomination chaque fois qu'une convention collective donne aux employés des augmentations rétroactives de salaire. L'article 65, à mon avis, doit être interprété de manière à permettre, tant à l'employeur qu'à l'employé, de savoir immédiatement si une nouvelle nomination constitue une promotion (article 65(1)), une réduction de rang (article 65(2)) ou une simple mutation (article 65(3)). Toute autre conclusion mènerait, me semble-t-il, à la confusion la plus complète : l'employeur qui croit avoir discipliné un employé pour incompétence en le réduisant de rang se rend compte deux ans plus tard que par l'effet de la rémunération rétroactive il s'agissait réellement d'une mutation ou même d'une promotion; par contre, l'employé qui accepte avec enthousiasme ce qui lui paraît être une promotion découvre, à sa grande déception deux ans plus tard, qu'il s'agissait réellement d'une réduction de rang.

[...]

[17]          Au surplus, il n'y a rien dans les textes applicables qui dicte les résultats recherchés par le gouvernement. Au contraire, la convention à l'article 27.03 c) iii) indique que la révision rétroactive de la rémunération est une fiction conventionnelle qui exige que certains montants soient payés à titre de rémunération comme si la convention avait été signée à une date antérieure. Selon le texte même, cette fiction s'applique seulement aux paiements, non pas aux autres incidents des relations entre l'employeur et ses employés. En d'autres termes, la convention parle d'un geste que l'employeur s'oblige à poser dans le futur; elle ne change pas ce qui s'est déjà produit dans le passé. La nomination à un poste et à un échelon n'est pas modifiée par un paiement que l'employeur s'oblige à verser sur la base d'une hypothèse qu'il reconnaît être contraire à la réalité.

[18]          Finalement, l'article 27.04 semble consacrer le principe qu'il faut d'abord tenir compte de toute modification possible de l'échelon avant de passer à la révision de la rémunération. Le même principe est aussi reflété à l'article 66(3) du Règlement. Le point de départ de toute révision salariale est l'échelon du salaire actuel; dans le cas d'une nouvelle nomination cet échelon est nécessairement établi au moment même où la nomination est offerte par l'employeur et acceptée par l'employé.

[19]          En résumé, pour l'intimé, la révision salariale prenait effet au 29 juillet 1987, la date de sa nomination au poste AU-02. Pour calculer cette révision, il fallait déterminer quel salaire il recevait en fait à cette date. Pour lui, comme pour tous les autres membres de son unité de négociation, il s'agissait évidemment du salaire établi en vertu de l'ancienne convention collective. Pour lui, comme pour tous les autres, cette convention avait continué d'être en vigueur. Selon cette convention, l'intimé touchait, au 29 juillet 1987, un traitement annuel de 38 377 $ et c'est à partir de ce chiffre qu'il fallait calculer ses nouveaux taux de rémunération.

                                                                                                (Non souligné dans l'original.)

[19]            Les parties ne s'entendent pas sur l'importance de la décision Lajoie. J'y reviendrai. Il est maintenant toutefois opportun de citer les paragraphes 15 et 18 de la décision de la Commission dans lesquels celle-ci explique la différence entre la méthode de calcul appliquée par le Conseil du trésor avant l'affaire Lajoie et la méthode qu'il applique et qui tient compte de la décision Lajoie :

[15]          L'AESS [la défenderesse, l'Association des employé(e)s des sciences sociales] pensait que la rémunération rétroactive était toujours calculée, comme dans le passé, conformément au sous-alinéa 27.03b)(iii), ce qui signifie qu'il fallait se fonder sur les nouveaux taux de rémunération rétroactive pour le recalcul des taux de rémunération en cas de promotion, de reclassification ou d'intérim dans un poste d'un niveau supérieur, c'est-à-dire employer la « méthode de recalcul standard » .

[...]

[18]          L'application de la méthode Lajoie signifiait que l'employeur ne reconstituait plus l'historique des promotions, des reclassifications ou des nominations intérimaires des fonctionnaires. Pour la vaste majorité d'entre eux, cela signifiait que leur rémunération rétroactive était moins élevée, que leur traitement actuel (et futur) était moins élevé aussi et (ou) qu'ils se situaient à un niveau moins élevé dans l'échelle des taux de rémunération.

[20]            Il faut mentionner que les dispositions pertinentes du Règlement et de la convention entre le Conseil du trésor et le syndicat devant la Cour dans l'affaire Lajoie étaient, à toutes fins pratiques, identiques aux dispositions en cause en l'espèce.

Après l'arrêt Lajoie


[21]            En 1997, après un gel des salaires de cinq ans, les négociations collectives ont repris au sein de la fonction publique. Depuis, le gouvernement et les syndicats, défendeurs en l'espèce, ont signé trois conventions collectives. Pendant les négociations qui ont entraîné la signature de ces conventions, les parties n'ont pas discuté de la décision Lajoie ni de ses répercussions sur la méthode de calcul des augmentations rétroactives de salaire.

[22]            Pendant la période d'application de la première convention collective entre le Conseil du trésor et les défendeurs, le Conseil du trésor n'a pas appliqué la méthode Lajoie, apparemment parce que les employés responsables de la paye soit ignoraient l'existence de la décision soit l'avaient oubliée. Toutefois, à compter de la deuxième convention collective, l'employeur a commencé à appliquer la décision Lajoie à chaque fois qu'il devait effectuer un calcul rétroactif des augmentations de salaire.

[23]            Pendant l'audience tenue devant la Commission, la pièce S-2, un bulletin d'information du Conseil du trésor daté du 31 janvier 2001 qui s'adressait aux gestionnaires en rémunération et chefs des relations de travail a été présenté en preuve. Dans ce document, le Conseil du trésor voulait clarifier, pour ses gestionnaires, l'application de la décision Lajoie. Voici le document :

DATE :    Le 31 janvier 2001

AUX :      Gestionnaires en rémunération

Chefs des Relations de travail

OBJET : Décision Lajoie

Le présent bulletin vise à fournir des précisions sur l'application de la décision Lajoie (décision no 149 N.R. 223 de la Cour d'appel fédérale) à l'occasion de la mise en oeuvre de révisions rétroactives de salaires.

Conformément à la décision Lajoie, les taux de rémunération découlant de promotions, de mutations, de déploiements ou de situations intérimaires ne sont pas recalculés pour la période de rétroactivité de la révision d'une échelle de rémunération. Le nouveau taux de rémunération à mettre en oeuvre est celui se trouvant juste en dessous de l'ancien taux de rémunération révisé. Cela s'applique à toutes les révisions rétroactives du taux de rémunération des employés représentés.


Dans le bulletin du Conseil du Trésor du 8 novembre 2000 intitulé Augmentation économique pour les groupes exclus et non représentés PE, OM, CA et MM, on vous a informés que la décision Lajoie s'appliquait et qu'un recalcul était effectué à l'occasion de la mise en oeuvre de révisions rétroactives du taux de rémunération d'employés exclus ou non représentés. Ces employés bénéficient donc du meilleur des deux taux de rémunération révisés.

Ce sont les conditions associées au poste le plus élevé qui s'appliquent lorsqu'un employé représenté est promu, déployé ou muté à un poste exclu ou non représenté ou qu'il occupe ce poste par intérim ou lorsqu'un employé exclu ou non représenté est promu, déployé ou muté à un poste représenté ou qu'il occupe ce poste par intérim, et qu'il faut déterminer lequel des deux taux de rémunération révisés s'applique. Seule la décision Lajoie s'applique lorsque le poste le plus élevé est représenté, et le meilleur entre un recalcul et la décision Lajoie s'appliquent lorsque le poste le plus élevé est exclu ou non représenté.

Veuillez noter que le libellé de certaines conventions collectives, notamment celui de l'actuelle convention du groupe de l'Électronique (EL) (à savoir « La rémunération d'intérim sera recalculée à la suite de toute augmentation de rémunération ou de tout rajustement de l'échelle des taux du poste d'attache de l'employé-e ou de tout rajustement de l'échelle de taux du poste d'un niveau supérieur » ), ne contredit pas la décision Lajoie, qui continue de s'appliquer à la partie rétroactive de la révision des taux de rémunération. Des recalculs ne sont effectués que lorsque des rajustements de taux de rémunération entrent en vigueur à une date ultérieure à la date de signature de la convention collective.

Divers exemples ont été joints à la présente pour que vous puissiez vous y référer.

Les gestionnaires en rémunération qui ont des questions à propos du présent bulletin peuvent s'adresser aux responsables de la rémunération de leur organisation, qui peuvent, au besoin, communiquer avec l'Administration de la paye pour les employés représentés ou avec les Cadres supérieurs et groupes exclus pour les employés exclus ou non représentés.

Tom Smith

Directeur, Administration de la paye, Division des relations de travail, Direction des Ressources humaines

                                                                                                (Non souligné dans l'original.)


[24]            Il est fait mention, dans le document ci-dessus, d'un bulletin du Conseil du trésor daté du 8 novembre 2000, dans lequel le Conseil du trésor avisait ses directeurs des ressources humaines que les employés non syndiqués qui avaient été promus, transférés ou mutés pendant une période assujettie à l'application rétroactive des augmentations de salaire devaient être rémunérés en conformité avec la méthode imposée par la Cour dans Lajoie, « sauf lorsqu'un tel traitement équivaut à un avantage inférieur à celui auquel a droit l'employé une fois recalculé son taux de rémunération associé à la promotion, au transfert, à la mutation ou à la rémunération d'intérim [...] » . Voici la partie pertinente du bulletin :

Le Conseil du trésor autorise aussi que, relativement à l'application rétroactive des taux de rémunération révisés, tous les employés exclus et non représentés (incluant les cadres) qui ont été promus, transférés ou mutés, ou qui ont commencé à toucher une rémunération d'intérim pendant la période de rétroactivité soient rémunérés conformément aux dispositions de la décision Lajoie de la Cour d'appel fédérale (décision 149 N.R. 223), sauf lorsqu'un tel traitement équivaut à un avantage inférieur à celui auquel a droit l'employé une fois recalculé son taux de rémunération associé à la promotion, au transfert, à la mutation ou à la rémunération d'intérim. L'annexe E renferme des exemples de la manière d'appliquer la décision Lajoie ou le traitement recalculé.

Ce document, pièce S-3, a été produit en preuve devant la Commission.

[25]            En août et en septembre 2001, les défendeurs ont appris, de plusieurs de leurs membres, que la manière dont leur employeur déterminait leur salaire rétroactif après une promotion ou une affectation intérimaire semblait arbitraire. En octobre 2001, les défendeurs ont appris l'existence de la pièce S-2. C'est la raison pour laquelle les plaintes ont été déposées et que la Cour est saisie de la présente demande de contrôle judiciaire.

[26]            Enfin, concernant les faits en cause, il me faut mentionner que, depuis le 6 mars 2002, le Conseil du trésor applique la décision Lajoie à tous ses employés, tant syndiqués que non syndiqués.


Dispositions législatives

[27]            Voici les dispositions applicables de la Loi :


8. (2) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit :

a) de refuser d'employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de faire des distinctions injustes fondées, en ce qui concerne l'emploi ou l'une quelconque des conditions d'emploi d'une personne, sur l'appartenance de celle-ci à une organisation syndicale ou sur l'exercice d'un droit que lui accorde la présente loi;

8. (2) Subject to subsection (3), no person shall

(a) refuse to employ, to continue to employ, or otherwise discriminate against any person in regard to employment or to any term or condition of employment, because the person is a member of an employee organization or was or is exercising any right under this Act;

b) d'imposer - ou de proposer d'imposer -, à l'occasion d'une nomination ou d'un contrat de travail, une condition visant à empêcher un fonctionnaire ou une personne cherchant un emploi d'adhérer à une organisation syndicale ou d'exercer un droit que lui accorde la présente loi;

(b) impose any condition on an appointment or in a contract of employment, or propose the imposition of any condition on an appointment or in a contract of employment, that seeks to restrain an employee or a person seeking employment from becoming a member of an employee organization or exercising any right under this Act; or

c) de chercher, notamment par intimidation, par menace de destitution ou par l'imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger un fonctionnaire :

(c) seek by intimidation, threat of dismissal or any other kind of threat, by the imposition of a pecuniary or any other penalty or by any other means to compel an employee

(i) à adhérer - ou s'abstenir ou cesser d'adhérer -, ou encore, sauf disposition contraire dans une convention collective, à continuer d'adhérer à une organisation syndicale,

(i) to become, refrain from becoming or cease to be, or, except as otherwise provided in a collective agreement, to continue to be a member of an employee organization, or

(ii) à s'abstenir d'exercer tout autre droit que lui accorde la présente loi.

[...]

(ii) to refrain from exercising any other right under this Act.

[...]

9. (1) Sauf dans les conditions et cas prévus par la présente loi, un règlement, une convention collective ou une décision arbitrale, il est interdit à une personne occupant un poste de direction ou de confiance, qu'elle agisse ou non pour le compte de l'employeur, de faire des distinctions injustes à l'égard d'une organisation syndicale.

[...]

9. (1) Except in accordance with this Act or any regulation, collective agreement or arbitral award, no person who occupies a managerial or confidential position, whether or not the person acts on behalf of the employer, shall discriminate against an employee organization.

[...]


23. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l'employeur ou une organisation syndicale ou une personne agissant pour le compte de celui-là ou de celle-ci n'a pas, selon le cas :a) observé les interdictions énoncées aux articles 8, 9 ou 10;

b) mis à effet une disposition d'une décision arbitrale;

c) mis à effet une décision d'un arbitre sur un grief;

d) respecté l'un des règlements pris en matière de griefs par la Commission conformément à l'article 100.

23. (1) The Board shall examine and inquire into any complaint made to it that the employer or an employee organization, or any person acting on behalf of the employer or employee organization, has failed

(a) to observe any prohibition contained in section 8, 9 or 10;

(b) to give effect to any provision of an arbitral award;

(c) to give effect to a decision of an adjudicator with respect to a grievance; or

(d) to comply with any regulation respecting grievances made by the Board pursuant to section 100.

     (2) Dans les cas où, en application du paragraphe (1), elle juge l'employeur, une organisation syndicale ou une personne coupable d'un des manquements qui y sont énoncés, la Commission peut, par ordonnance, lui enjoindre d'y remédier ou de prendre toute mesure nécessaire à cet effet dans le délai qu'elle estime approprié.

     (2) Where, under subsection (1), the Board determines that the employer, an employee organization or a person has failed in any manner described in that subsection, the Board may make an order directing the employer, employee organization or person to observe the prohibition, give effect to the provision or decision or comply with the regulation, as the case may be, or take such action as may be required in that behalf within such specified period as the Board may consider appropriate.


[28]            Les paragraphes 7(1) et 11(2) de la Loi sur la gestion des affaires publiques, L.C. 1985, ch. F-11, sont également pertinents :


7. (1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l'égard des questions suivantes :

[...]

e) la gestion du personnel de l'administration publique fédérale, notamment la détermination de ses conditions d'emploi;

[...]

7. (1) The Treasury Board may act for the Queen's Privy Council for Canada on all matters relating to

[...]

(e) personnel management in the public service of Canada, including the determination of the terms and conditions of employment of persons employed therein;

[...]


11. (2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique :

[...]

I) réglementer les autres questions, notamment les conditions de travail non prévues de façon expresse par le présent paragraphe, dans la mesure où il l'estime nécessaire à la bonne gestion du personnel de la fonction publique.

11. (2) Subject to the provisions of any enactment respecting the powers and functions of a separate employer but notwithstanding any other provision contained in any enactment, the Treasury Board may, in the exercise of its responsibilities in relation to personnel management including its responsibilities in relation to employer and employee relations in the public service, and without limiting the generality of sections 7 to 10,

[...]

(I) provide for such other matters, including terms and conditions of employment not otherwise specifically provided for in this subsection, as the Treasury Board considers necessary for effective personnel management in the public service.


Décision de la Commission

[29]            La décision de la Commission comporte 80 pages et 100 paragraphes, mais très peu de ces paragraphes proposent une analyse qui appuie la conclusion de la Commission. Au mieux, on pourrait qualifier le raisonnement décrit aux paragraphes 86 à 94 et qui a permis à la Commission de tirer ses conclusions, de raisonnement circulaire :

[86]          La question que je dois trancher consiste à déterminer si Frank Claydon, Tom Smith et le Secrétariat du Conseil du Trésor ont contrevenu à la LRTFP quand l'employeur a appliqué la politique énoncée aux pièces S-2 (C-4) et S-3 (C-5) aux fonctionnaires représentés par l'AESS et le SCEPT.

[87]          La pièce S-2 se lit comme il suit : [Note : la pièce est reproduite au paragraphe 21 des présents motifs.]

[88]          À sa face même, la pièce S-2 fait une distinction injuste entre les fonctionnaires syndiqués et non syndiqués.

[89]          La preuve a révélé que, en cas de restructuration des échelles de rémunération, l'application de l'arrêt Lajoie, tel que l'employeur l'interprète, a des répercussions néfastes sur les fonctionnaires. Il s'ensuit que l'application de la méthode Lajoie seulement dans le cas des fonctionnaires syndiqués et celle de cette méthode ou mieux aux fonctionnaires non syndiqués et exclus est discriminatoire.

[90]          Même si l'employeur peut négocier des conventions collectives établissant des conditions de travail différentes de celles qu'il établit pour ses fonctionnaires exclus et non syndiqués, ces conditions doivent être négociées, dans le cas des fonctionnaires syndiqués, et il doit avoir des raisons d'exploitation valables pour accorder aux fonctionnaires exclus et non syndiqués les conditions qu'il leur consent.

[91]          Dans cette affaire, la preuve a révélé que l'application de l'arrêt Lajoie dans le cas des fonctionnaires membres des unités de négociation représentées par l'AESS et par le SCEPT n'a pas été discutée au cours des négociations qui ont mené à leurs conventions collectives respectives. On ne peut donc pas dire que l'application de l'arrêt Lajoie était une condition d'emploi négociée. L'employeur n'a avancé aucune raison valide afin d'expliquer pourquoi cet arrêt s'appliquerait seulement aux fonctionnaires non syndiqués, si cette méthode est plus avantageuse pour eux que la méthode de recalcul standard, alors qu'il s'appliquerait aux fonctionnaires syndiqués sans égard à ce qui en résulterait pour eux.


[92]          La preuve des défendeurs se résume à affirmer que l'arrêt Lajoie a été rendu par la Cour d'appel fédérale et que les agents négociateurs avaient la responsabilité d'en connaître l'existence et de savoir qu'il s'appliquait à eux même s'ils n'y étaient pas parties. L'employeur a décidé sciemment de ne pas soulever cet arrêt au cours des négociations; l'application des principes qui y sont énoncés ne devait être discutée que si la question était soulevée par les agents négociateurs. L'employeur est loin d'avoir établi que l'application de l'arrêt Lajoie dans le cas des fonctionnaires membres des unités de négociation représentées par l'AESS et le SCEPT était une condition d'emploi négociée. Même si l'on pourrait dire qu'elle l'était implicitement, l'employeur n'a donné aucune explication pour justifier sa décision que l'arrêt Lajoie ne s'appliquerait pas aux ES et TR exclus et à leurs collègues non syndiqués à moins qu'elle soit plus avantageuse pour eux que la méthode de recalcul que l'AESS et le SCEPT étaient convaincus d'avoir prorogée dans leurs conventions collectives.

[93]          Puisque les défendeurs et l'employeur n'ont donné aucune raison d'exploitation légitime pour cette différence de traitement des fonctionnaires syndiqués et non syndiqués, la discrimination contrevient à la LRTFP, puisqu'elle est exercée contre les fonctionnaires membres des unités de négociation représentées par l'AESS et par le SCEPT parce qu'ils se prévalaient ou se prévalent d'un droit quelconque que la Loi leur confère, autrement dit du droit de participation à la négociation collective.

[94]          Les actes de discrimination qui contreviennent aux articles 8 et 9 de la LRTFP doivent avoir une intention coupable ou antisyndicale. En l'espèce, l'intention peut être déduite du fait que l'employeur n'a pas donné d'explication ni de raison d'exploitation impérieuse ou légitime pour justifier ses actions. Il n'a donné aucune raison valide pour expliquer cette différence de traitement. Je ne peux donc qu'en déduire que l'effet néfaste de la discrimination contre les fonctionnaires membres des unités de négociation représentées par le SCEPT et l'AESS était voulu de même que ses répercussions sur leurs agents négociateurs.

[30]            Il appert des paragraphes susmentionnés de la décision que la Commission a conclu que les défendeurs s'étaient acquittés du fardeau de la preuve en établissant que l'employeur avait traité les défendeurs et leurs membres d'une manière différente, contrairement aux articles 8 et 9 de la Loi. Voici le raisonnement de la Commission qui l'a amenée à tirer ses conclusions.

[31]            Premièrement, la Commission a mentionné que l'application de la méthode « Lajoie ou mieux » aux employés non syndiqués était, à sa face même, discriminatoire.


[32]            Deuxièmement, tout en reconnaissant que l'employeur pouvait négocier des modalités d'emploi avec les employés syndiqués qui étaient différentes de celles qu'il négociait avec les employés non syndiqués, la Commission a dit que les modalités applicables aux employés syndiqués devaient être négociées et qu'il fallait « une raison d'exploitation légitime pour cette différence [plus favorable] de traitement des fonctionnaires syndiqués et non syndiqués » .

[33]            Troisièmement, la Commission a conclu que puisque la décision Lajoie n'avait jamais fait l'objet de discussion ni de négociation avec les employés syndiqués, son application n'était pas une condition négociée. La Commission a ajouté que même si la décision Lajoie était une modalité d'emploi négociée, le Conseil du trésor n'avait pas justifié son application aux seuls employés syndiqués.

[34]            Quatrièmement, puisque le Conseil du trésor n'avait donné aucune raison valable d'appliquer la méthode de calcul de Lajoie aux seuls employés syndiqués, il n'avait pas justifié la différence de traitement. La distinction était donc discriminatoire et contraire à la Loi.


[35]            Enfin, la Commission a mentionné, à bon escient, que pour qu'une plainte fondée sur les articles 8 et 9 de la Loi soit accueillie, il incombait aux défendeurs d'établir l'intention ou la volonté antisyndicale. Toutefois, la Commission a dit qu'il était possible de conclure à la volonté antisyndicale puisque le Conseil du trésor n'avait pas justifié la différence de traitement, c'est-à-dire qu'il n'avait pas « donné d'explication ni de raison d'exploitation impérieuse ou légitime pour justifier ses actions » .

Motifs de la demande et norme de contrôle

[36]            Le procureur général sollicite une ordonnance en vue d'annuler la décision de la Commission. Il prétend que la Commission a commis les erreurs suivantes :

1.         La Commission n'a pas tenu compte des principes de base de la négociation collective puisque la Loi n'oblige pas le Conseil du trésor à offrir les mêmes conditions d'emploi à ses employés syndiqués et non syndiqués.

2.         La Commission n'avait pas compétence pour décider que le Conseil du trésor devait justifier la différence de traitement entre ses employés syndiqués et ses employés non syndiqués.

3.         La Commission a commis une erreur en concluant à l'existence d'une volonté antisyndicale au seul motif que le Conseil du trésor n'avait pas justifié la différence de traitement entre les employés syndiqués et les employés non syndiqués.


[37]            Le procureur général affirme qu'à cause de ces erreurs, la décision de la Commission est manifestement déraisonnable. La norme de contrôle applicable n'est pas en litige. Les deux parties sont d'avis que la norme applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Je suis d'accord.

Analyse

[38]            Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la Commission est manifestement déraisonnable. Selon moi, il n'y avait tout simplement aucune preuve étayant la conclusion de la Commission. En tirant cette conclusion, la Commission a commis plusieurs erreurs que nous abordons maintenant.

[39]            La première erreur commise par la Commission apparaît aux paragraphes 88 et 89 de sa décision. La Commission a conclu que la différence de traitement, par le Conseil du trésor, des employés syndiqués et non syndiqués, savoir l'application de la méthode Lajoie seulement dans le cas des employés syndiqués était, à sa face même, discriminatoire. Selon moi, cette conclusion contredit totalement la Loi, la doctrine et la jurisprudence.

[40]            Premièrement, conformément aux articles 7 et 11 de la Loi sur la gestion des finances publiques, le Conseil du trésor avait le droit de fixer les modalités d'emploi de ses employés non syndiqués. Quant aux employés syndiqués du gouvernement, leurs modalités d'emploi découlent du processus de négociation collective.

[41]            Deuxièmement, il n'y a aucun doute que le paragraphe 9(1) de la Loi qui interdit à un employeur de faire des distinctions injustes à l'égard d'une organisation syndicale (en anglais, « from discriminating against an employee organization » ), ne lui interdit pas de faire des distinctions entre divers groupes d'employés qu'ils soient syndiqués ou non. Même si le paragraphe 9(1) prévoit que les distinctions découlant du processus de négociation collective qui se retrouvent dans les conventions collectives ne sont pas discriminatoires, la disposition ne mentionne pas les employés non syndiqués et leurs modalités d'emploi. J'estime qu'il ne faut pas interpréter la disposition comme voulant empêcher un employeur de traiter différemment ses employés syndiqués et ses employés non syndiqués. Lui donner une interprétation différente voudrait dire que chaque fois qu'un employé non syndiqué obtient des modalités d'emploi qui sont plus favorables que celles qui ont été négociées au nom des employés syndiqués, par exemple, plus de jours de vacances annuelles, la rémunération au rendement ou un salaire plus élevé, l'employé syndiqué pourrait prétendre qu'il s'agit de discrimination fondée sur l'appartenance à un syndicat. Ce n'est pas possible.

[42]            Il s'ensuit donc que les distinctions faites entre les conditions d'emploi des employés syndiqués et celles des employés non syndiqués sont parfaitement légitimes et ne peuvent donner lieu à une plainte de discrimination fondée sur les articles 8 et 9 de la Loi, sauf s'il est démontré que l'objet de la distinction est de nuire aux syndicats et à leurs membres. Dans Re Ontario Hydro and Canadian Union of Public Employees, Local 1000 (1/994), 40 L.A.C. (4th) 135, aux pages 146 et 147, la Commission dit clairement :


[traduction] Il est surprenant qu'il y ait si peu d'affaires de ce genre, mais cela résulte peut-être tout simplement du fait qu'on a généralement accepté que les clauses actuelles de non-discrimination, interprétées strictement ou largement, n'avaient jamais été conçues pour interdire le traitement préférentiel des membres d'une unité de négociation par rapport à ceux d'une autre unité, ni celui des employés exclus par rapport à ceux d'une ou de plusieurs unités de négociation. L'essence même de la négociation collective fait que ces différences doivent être négociées séparément à l'égard de chaque unité de négociation et qu'elles relèvent de la politique de l'entreprise en ce qui concerne les employés non syndiqués. Dans un contexte juridique comme celui-là, c'est un fait patent qu'il y a des résultats très différents pour des groupes représentés différemment. Dans le cas d'Hydro Ontario, cela se manifeste déjà clairement en raison des différences entre la convention collective de la société et celle du syndicat ainsi que des conditions d'emploi très différentes qui s'appliquent aux non-syndiqués et aux syndiqués.

On n'a jamais interprété ni même proposé d'interpréter les clauses interdisant la discrimination en raison de l'adhésion à un syndicat de façon à interdire à l'employeur d'offrir aux employés non syndiqués des conditions d'emploi très différentes de celles des membres des unités de négociation, même si elles sont effectivement beaucoup plus avantageuses pour les non-syndiqués. [...]                         

                                                                                                (Non souligné dans l'original.)

[43]            Cette opinion est également celle qu'ont exprimée les auteurs Brown et Beatty dans leur ouvrage, Canadian Labour Arbitration, 3e éd., feuilles mobiles, au paragraphe 8:1000 du chapitre « Entitlement to Wages » :

[traduction] [...] prétendre que des employés syndiqués devraient être admissibles aux mêmes avantages sociaux que des non-syndiqués [...] est un argument à présenter à la table de négociation et non à l'arbitrage.

[44]            Dans Re Major Foods Ltd. and Retail, Wholesale & Department Store Union, Local 1065 (1989), 7 L.A.C. (4th) 129, un arbitre du travail a conclu sans peine que l'établissement de conditions et de modalités d'emploi qui différencient les employés syndiqués et les employés non syndiqués ne constituait pas de la discrimination fondée sur l'appartenance syndicale :


[traduction] La Loi sur les relations industrielles renferme une disposition à toutes fins utiles identique à cette clause de la convention collective (paragraphe 3(2)) : elle interdit à l'employeur toute discrimination à l'endroit de quiconque, à l'égard de n'importe quelle condition d'emploi, en raison de son adhésion à un syndicat. Si l'avocat du syndicat avait raison, le même raisonnement s'appliquerait à l'interprétation du paragraphe 3(2), de sorte que l'employeur qui établirait des conditions d'emploi différentes pour ses employés syndiqués et non syndiqués commettrait une infraction. De toute évidence, ce n'est pas ce que la loi prévoit, et ce n'est pas de cette façon que les commissions des relations de travail et les tribunaux l'interprètent non plus. (Voir Adams, Canadian Labour Law (1985), pages 489 à 495.) [...]

                                                                                                (Non souligné dans l'original.)

[45]            Dans Re Husky Oil Operations Ltd. And C.E.P., Loc. 1997 (1999), 84 L.A.C. (4th) 162, un arbitre du travail devait entendre la prétention d'un syndicat selon laquelle l'employeur devait verser une prime de productivité à ses membres semblable à la prime qui avait été accordée aux employés non syndiqués, prime que la convention collective ne prévoyait pas expressément. En rejetant cette prétention, l'arbitre a dit, à la page 170 :

[traduction] Il me semble axiomatique qu'une convention collective prévoit des avantages différents de ceux que l'employeur accorde aux non-syndiqués. Autrement, une convention collective ne servirait pas à grand-chose d'autre qu'à établir des normes minimales. Il n'y a certainement rien dans la jurisprudence qui laisse entendre que les employés assujettis à une convention collective puissent aussi exiger qu'on leur accorde d'autres avantages quelconques qu'ils pourraient souhaiter. Si ce syndicat avait gain de cause dans son grief devant la Commission, il pourrait invoquer le même raisonnement pour exiger par exemple qu'on accorde à ses membres les dix jours de congé personnel par année que l'employeur offre actuellement aux non-syndiqués.

                                                                                                (Non souligné dans l'original.)

[46]            La Commission a donc commis une erreur quand elle a décidé que l'application de la décision Lajoie aux seuls employés syndiqués était, à sa face même, discriminatoire.

[47]            La première erreur de la Commission l'a amenée à en commettre une deuxième, savoir que le Conseil du trésor devait justifier la différence de traitement. À son tour, cette erreur a entraîné une dernière erreur, savoir que, parce que le Conseil du trésor n'avait donné aucune raison d'exploitation impérieuse, on pouvait en déduire l'existence de discrimination ou de volonté antisyndicale de sa part. Nous allons maintenant examiner ces erreurs.

[48]            La deuxième erreur de la Commission se trouve aux paragraphes 90 et 91 de sa décision, lorsqu'elle dit que si l'employeur offre de meilleures conditions de travail aux employés non syndiqués, il doit avoir des raisons valables de le faire. Au paragraphe 90 de sa décision, la Commission dit : « il doit avoir des raisons d'exploitation valables pour accorder aux fonctionnaires exclus et non syndiqués les conditions qu'il leur consent » alors qu'au paragraphe 91, elle mentionne que « [l]'employeur n'a avancé aucune raison valide afin d'expliquer pourquoi cet arrêt s'appliquerait seulement aux fonctionnaires non syndiqués, si cette méthode est plus avantageuse pour eux que la méthode de recalcul standard, alors qu'il s'appliquerait aux fonctionnaires syndiqués sans égard à ce qui en résulterait pour eux » .

[49]            Commençons par la proposition selon laquelle le Conseil du trésor n'est pas tenu de justifier la différence de traitement entre ses employés syndiqués et ses employés non syndiqués. Puisqu'il était tout à fait légitime que le Conseil du trésor fasse une distinction entre ces groupes d'employés, je ne vois pas pourquoi il devait justifier la distinction. Aucune disposition de la Loi ni aucune jurisprudence ne vient appuyer l'opinion de la Commission.


[50]            Cela ne veut pas dire que la Commission ne peut jamais conclure que l'absence de justification est un élément pertinent lorsqu'elle veut décider si le traitement différent entre des groupes d'employés découle d'un sentiment antisyndical. Toutefois, la Commission ne pouvait, comme elle l'a fait, conclure à l'existence d'un sentiment antisyndical en se fondant uniquement sur le fait que le Conseil du trésor n'a pas justifié la différence de traitement. Autrement dit, il fallait des éléments de preuve à l'appui de l'allégation des défendeurs selon laquelle la distinction était fondée sur un sentiment antisyndical . Dans ces circonstances, la Commission aurait peut-être pu conclure comme elle l'a fait. Puisque la Commission n'était saisie d'absolument aucune preuve que la distinction découlait d'un sentiment antisyndical, elle ne pouvait pas, selon moi, tirer la conclusion qu'elle a tirée.

[51]            Aux termes de l'alinéa 23(1)a) de la Loi, la Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l'employeur n'a pas, « observé les interdictions énoncées aux articles 8, 9 ou 10 » . Il n'y a absolument aucun doute qu'il appartient au plaignant, en l'espèce les défendeurs, de faire la preuve du bien-fondé de sa plainte (voir Veilleux et la Commission de la fonction publique, [1983] C.P.S.S.R.B. no 9; Prue et Bhabba, [1989] C.R.T.F.P.C. no 210; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Little, [1996] C.R.T.F.P.C. no 76 (Q.L.)).


[52]            Les défendeurs reconnaissent que le fardeau de la preuve leur incombait, mais ils soutiennent que la Commission n'a pas été déraisonnable quand elle a conclu à l'existence d'une volonté antisyndicale. Selon moi, en tirant cette conclusion en se fondant uniquement sur le fait que le Conseil du trésor n'avait pas justifié la distinction, en fait, la Commission a renversé le fardeau de la preuve. Autrement dit, à cause de la conclusion de la Commission, il appartenait au Conseil du trésor d'établir que l'objet du traitement distinct n'était pas de nuire aux syndicats et à leurs membres. Il s'agit, selon moi, d'une erreur de la part de la Commission.

[53]            Au paragraphe 94 de sa décision, la Commission a dit, à bon droit selon moi, que les actes de discrimination interdits par les articles 8 et 9 de la Loi « doivent avoir une intention coupable ou antisyndicale » . Dans la décision Re Major Foods, précitée, à la page 136, l'arbitre a dit :

Les commissions des relations de travail ont jugé que, pour qu'il y ait infraction à l'interdiction prévue par la loi, il faut prouver l'intention discriminatoire.

[54]            La décision de la Commission n'était fondée sur aucune preuve dont elle était saisie qui lui aurait permis de conclure que le Conseil du trésor avait une intention antisyndicale. Par conséquent, la seule conclusion possible que la Commission aurait pu tirer, compte tenu de la preuve, était que les défendeurs ne s'étaient pas acquittés du fardeau de la preuve qui leur incombait.


[55]            D'autres remarques s'imposent. Selon moi, la Commission a commis des erreurs parce qu'elle n'a pas bien compris le sens de la décision Lajoie. Au paragraphe 91 de ses motifs, la Commission souligne que la méthode Lajoie n'était pas une condition d'emploi valide des employés syndiqués puisque la décision n'avait jamais été soulevée pendant le processus de négociation collective.

[56]            Le procureur général reconnaît que la décision Lajoie n'a pas été mentionnée aux syndicats défendeurs et n'a pas non plus fait l'objet de discussions avec eux. Toutefois, il affirme que dans Lajoie, la Cour a tout simplement interprété les conditions d'emploi de M. Lajoie qui étaient prévues par la convention collective en cause. Les conditions d'emploi en cause en l'espèce étant, à toutes fins pratiques, les mêmes que celles de l'affaire Lajoie, le procureur général prétend que la décision s'applique et que le Conseil du trésor a eu raison de l'appliquer en effectuant le recalcul du salaire de ses employés syndiqués par suite de l'application rétroactive de la nouvelle convention collective. Aux paragraphes 12 à 16 de son mémoire des faits et du droit, le procureur général décrit l'interprétation qu'il donne à la décision Lajoie et les conséquences de cette décision :

12.           Malgré les principes avantageux édictés par cette Cour dans l'arrêt Lajoie, principes qui consistaient à dire que le calcul des salaires devaient se faire en fonction des taux de salaire qui étaient connus au moment d'une promotion ou d'une mutation et non en fonction des taux qui avaient été modifiés rétroactivement, l'application de ces principes a créé, dans certains cas, des désavantages.

13.           La décision Lajoie a été rendue en fonction des faits propres aux deux griefs présentés à l'arbitre.

14.           Puisque cette Cour a confirmé dans l'affaire Lajoie les prétentions syndicales, il faut tenir pour acquis que les effets recherchés de cette décision faisaient l'affaire de cet agent négociateur, malgré tout.


15.           Toutefois, le demandeur, qui était lié par la décision Lajoie parce qu'il s'agit d'une décision arbitrale qu'il devait mettre en oeuvre à l'égard des fonctionnaires syndiqués de la fonction publique qui ont des conventions collectives identiques à celle qui était visée dans l'affaire Lajoie, a décidé de ne modifier que ce qu'il avait le droit de modifier, soit, les conditions d'emploi des fonctionnaires non syndiqués, notamment les administrateurs du personnel (PE).

16.           L'employeur a par conséquent prévu que, dans le cas des fonctionnaires non syndiqués, donc non assujettis à une convention collective, les salaires de ces derniers seraient calculés selon la méthode la plus favorable à l'employé. Cette méthode est communément appelée « méthode Lajoie ou mieux » .

[57]            Le procureur général prétend que Lajoie impose au Conseil du trésor et aux syndicats la méthode de calcul du salaire lorsqu'une nouvelle convention collective s'applique rétroactivement. Je crois que ce que le procureur général veut dire, c'est également que la décision Lajoie justifie la distinction que fait le Conseil du trésor entre ses employés syndiqués et ses employés non syndiqués.

[58]            Les défendeurs interprètent différemment la décision Lajoie. Au paragraphe 7 de leur mémoire des faits et du droit, les défendeurs affirment :

[traduction]

7.             Dans Lajoie, la Cour a confirmé la décision d'un arbitre concernant la méthode de calcul rétroactif du salaire d'un employé muté ou promu avant la fin des négociations relatives au renouvellement d'une convention collective. L'arbitre, dont la décision a été confirmée par la Cour, a rejeté la méthode appliquée par l'employeur et y a substitué une méthode plus favorable au plaignant. Les faits et questions de Lajoie étaient particulières et complexes et il n'est pas du tout clair que cette décision s'applique à d'autres faits. Néanmoins et sans avoir avisé ni l'AESS ni le SCEPT, l'employeur s'est fondé sur son interprétation de la décision pour modifier la méthode de calcul appliquée depuis très longtemps.


[59]            J'aimerais dire, en premier lieu, que je suis enclin à convenir, avec les défendeurs, que l'application de la décision Lajoie à d'autres affaires est loin d'être claire (voir Buchmann c. Agence des douanes et du revenu du Canada, [2002] C.R.T.F.P.C. no 8; Copeland c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2003 CRTFP 19). Je n'aurais toutefois pas été disposé, si la Cour avait été saisie de cette question, à dire que l'interprétation qu'a donnée le Conseil du trésor à la décision Lajoie et, par voie de conséquence, la méthode de calcul qu'il a adoptée, ne soit pas défendable ou qu'elle ait été faite de mauvaise foi.

[60]            Aux fins des présentes toutefois, il importe peu que l'interprétation que donne le Conseil du trésor à la décision Lajoie soit exacte ou non, puisqu'il s'agit de plaintes de discrimination en vertu de l'article 23 de la Loi. Puisque la décision Lajoie n'est que l'interprétation qu'a donnée la Cour aux conditions de travail en cause dans cette affaire, conditions qui sont très semblables à celles que l'on trouve dans les conventions collectives conclues entre le Conseil du trésor et les syndicats défendeurs, je ne comprends pas le raisonnement de la Commission. Si la Commission avait été appelée à interpréter les conventions collectives ou à trancher une question relative à un grief, dans ces circonstances, la Commission aurait eu à décider si elle devait tenir compte du raisonnement de la Cour dans l'affaire Lajoie pour trancher le litige. Toutefois, dans le contexte de la question précise dont la Commission était saisie et que la Cour est, elle aussi, appelée à trancher, le bien-fondé de la décision Lajoie concernant la méthode de calcul des augmentations rétroactives n'est absolument pas pertinent.


[61]            Même si elle ne l'a pas dit précisément, la Commission semble avoir vu d'un mauvais oeil le fait que les négociateurs du Conseil du trésor n'aient pas mentionné la décision Lajoie et son application aux augmentations rétroactives de salaire pendant le processus de négociation collective. Il s'agit, selon moi, d'un autre facteur non pertinent. Si les syndicats défendeurs en l'espèce étaient d'avis que les négociateurs du Conseil du trésor n'avaient pas mené les négociations de bonne foi, ils pouvaient invoquer l'article 51 de la Loi qui prévoit que les négociations collectives doivent être menées de bonne foi. La Commission n'a pas du tout été saisie de cette question.

[62]            En outre, il va sans dire que les défendeurs pouvaient également contester la méthode de calcul des augmentations rétroactives de salaire appliquée par le Conseil du trésor par l'entremise du processus de règlement des griefs prévu par les conventions collectives.

[63]            Une dernière remarque. Au paragraphe 92 de sa décision, la Commission affirme que même si la décision Lajoie et son application avaient été une condition d'emploi négociée, le Conseil du trésor aurait tout de même été tenu de justifier le traitement de faveur qu'il avait accordé à ses employés non syndiqués. La Commission semble donc dire qu'à chaque fois que le Conseil du trésor accorde un traitement de faveur à des employés non syndiqués, elle viole les articles 8 et 9 de la Loi. En d'autres termes, un traitement de faveur accordé à un employé non syndiqué constitue, sauf si l'employeur soumet une raison d'exploitation légitime, un sentiment antisyndical . Pour les motifs déjà énoncés, cette position est, selon moi, indéfendable.


Conclusion

[64]            Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire du procureur général du Canada avec dépens, j'annulerais la décision rendue par la Commission le 22 novembre 2002 et je renverrais la question à la Commission pour nouvelle décision au motif que les plaintes déposées par les défendeurs contre le Conseil du trésor devraient être rejetées.

                                                                                  _ Marc Nadon _               

                                                                                                     Juge                        

« Je souscris aux présents motifs

Gilles Létourneau, juge »

« Je souscris aux présents motifs

J.D.Denis Pelletier, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             A-691-02

INTITULÉ :                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

c.

L'ASSOCIATION DES EMPLOYÉ(E)S DES SCIENCES SOCIALES ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :      OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 9 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :              LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :           LE 26 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Raymond Piché                         POUR LE DEMANDEUR

Neil McGraw

Peter Engelmann                        POUR LES DÉFENDEURS

Michelle Flaherty

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                      POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Engelmann Gottheil                    POUR LES DÉFENDEURS

Ottawa (Ontario)


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