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Date : 20020529

Dossier : A-175-02

Référence : 2003 CAF 242

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                BANQUE NATIONALE DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                               défenderesse

                                       Audience tenue à Montréal (Québec), le 29 mai 2003.

                              Jugement rendu à l'audience à Montréal (Québec), le 29 mai 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                   LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20020529

Dossier : A-175-02

Référence : 2003 CAF 242

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                BANQUE NATIONALE DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                               défenderesse

                                              MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                          (Prononcés à l'audience à Montréal (Québec), le 29 mai 2003.)

LE JUGE LÉTOURNEAU


[1]                 Le procureur général du Canada se pourvoit par voie de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt rendue le 21 février 2002. Par cette décision, la Cour canadienne de l'impôt déclarait que la rémunération reçue par madame Messier-Lafleur, une employée de la Banque nationale du Canada, ne constituait pas une rémunération assurable au sens des paragraphes 2(1) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 ( « Loi » ) et du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, DORS/97-33 ( « Règlement » ).

[2]                 Cette rémunération totalisant 16 677 $ fut versée à madame Messier-Lafleur en vertu d'un régime d'assurance-invalidité de courte et de longue durée pour une période s'échelonnant du 28 novembre 1997 au 28 novembre 1998. Les paiements sous forme de rente hebdomadaire furent faits par la compagnie d'assurance-vie Manufacturers (Financière Manuvie) pour le compte de la défenderesse.

[3]                 Nous sommes d'avis que le dispositif de l'arrêt de notre Cour, rendu le 3 mai 2002 dans l'affaire Université Laval c. Le ministre du Revenu national, 2002 CAF 171, s'applique en l'espèce et qu'en conséquence la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Cet arrêt de notre Cour a dégagé les principes suivants :

1)          l'expression « à l'égard de » cet emploi qui qualifie la rémunération versée par l'employeur et que l'on retrouve au paragraphe 2(1) du Règlement revêt une acception particulièrement large;

2)          une rémunération assurable au sens du Règlement peut exister même en l'absence de prestations de services par l'employé;


3)          les indemnités d'assurance-salaire versées par l'employeur constituent de la rémunération assurable au sens de la Loi et du Règlement alors que celles versées par un tiers-assureur sont exclues de la définition de cette rémunération;

4)          le mot « verser » que l'on a traduit en anglais par "pay" (payer) a un sens plus large que le mot « payer » qui, lui-même, a reçu de la Cour suprême du Canada une signification large dans Canadian Pacifique Ltée c. P.G. Canada, [1986] 1 R.C.S. 678, à la page 687; et

5)         une indemnité est versée par un employeur dans le cadre du contrat de travail lorsqu'apparaissent les indices suivants qui ne sont pas nécessairement exhaustifs : le régime d'assurance-salaire est entièrement payé par l'employeur, le lien d'emploi subsiste pendant l'invalidité, l'indemnité payable est augmentée si le salaire est augmenté durant la période d'invalidité, le versement est effectuée par l'employeur lors des périodes normales de paie pendant les 52 premières semaines d'invalidité et par l'assureur par la suite, et enfin l'employeur décide de l'admissibilité aux prestations et signe les chèques.

[4]                 Il nous apparaît évident à la lecture de cet arrêt que la présence de tous et de chacun de ces indices n'est pas requise pour justifier une conclusion que l'indemnité est versée par l'employeur dans le cadre d'un contrat de travail.


[5]                 En l'espèce, plusieurs des indices ci-auparavant énumérés existent. À l'instar du contrat liant l'Université Laval et l'Assurance-Vie Desjardins, le contrat passé entre la défenderesse et la Financière Manuvie est de type SAS, i.e. un contrat pour l'obtention de services administratifs seulement et non un contrat d'assurance au sens usuel du terme. En d'autres mots, la Financière Manuvie n'agit pas à titre d'assureur, mais plutôt à simple titre d'administrateur du régime collectif d'assurance de la défenderesse. Elle ne peut que représenter cette dernière qui n'est aucunement déchargée de ses obligations comme employeur : voir au Dossier du demandeur, page 42, la définition d'un contrat ASO, soit services administratifs seulement (Administrative Services Only).

[6]                 En outre, le régime collectif d'assurance est entièrement financé par la défenderesse. Les coûts et les risques financiers du régime sont à la charge de cette dernière. Les poursuites en justice doivent se faire contre l'employeur et non contre la Financière Manuvie. Enfin, la défenderesse et Mme Messier-Lafleur étaient liées et régies par un contrat de louage de services pendant la période d'invalidité.


[7]                 Malgré la présence de tous ces indices, la défenderesse table, toutefois, sur deux éléments de distinction pour écarter l'application de notre décision dans l'arrêt Université Laval : elle soumet que, contrairement à ce qui avait cours dans le dossier de l'Université Laval, c'est la Financière Manuvie et non la défenderesse qui décide de l'admissibilité aux prestations et c'est aussi la Financière Manuvie qui verse la prestation d'assurance-salaire à l'employée. De là, elle conclut que l'indemnité n'est pas versée par l'employeur, mais plutôt par l'assureur.

[8]                 Nous ne pouvons souscrire à cet argument de la défenderesse que l'indemnité est versée par l'assureur car, tel que déjà mentionné, la Financière Manuvie n'agit pas en l'espèce comme assureur, mais comme administratrice du régime de l'employeur. Au surplus, le fait que le chèque soit émis par la Financière Manuvie dans le cadre de son rôle d'administratrice du régime d'assurance collective de la défenderesse n'altère en rien la réalité financière : les sommes représentant les indemnités versées à la prestataire sont payées par l'employeur, en l'occurrence la défenderesse. Les indemnités sont donc versées par la défenderesse par le truchement de son administratrice. D'ailleurs, le régime au titre de l'exposé de la couverture prévoit que « l'indemnité hebdomadaire est imposable puisque le coût de la couverture est pris en charge, en tout ou en partie, par l'employeur » : voir Dossier du demandeur, page 52.

[9]                 Reste donc cet autre élément de distinction, soit que l'admissibilité d'une personne aux prestations du régime n'est pas déterminée par la défenderesse.


[10]            La défenderesse s'appuie pour cette prétention sur les Directives du ministère du Revenu à l'intention des employeurs. Ces directives trouvent logis dans un guide annuel de l'employeur relatif aux retenues sur les paies : Guide de l'employeur-Retenues sur la paie (97-98 et 98-99) (Guide). Ce Guide n'a pas été produit devant nous, mais il appert que la détermination de l'admissibilité aux prestations par l'employeur est considérée par le ministère comme une condition pour que les prestations d'assurance-salaire soient assujetties aux cotisations à l'assurance-emploi.

[11]            Évidemment, notre Cour n'est pas liée par ce Guide dans l'interprétation de la règle de droit et, partant, de la définition du concept de rémunération assurable. Ceci dit, avec respect pour la défenderesse, nous ne voyons pas d'incompatibilité entre les faits de la présente instance et l'énoncé du Guide quant à la détermination par l'employeur de l'admissibilité aux prestations. Car non seulement la Financière Manuvie n'est-elle pas un assureur, mais elle n'est également pas un tiers, encore moins un tiers-assureur. De fait, elle agit pour et au nom de l'employeur qu'elle lie par ses décisions. Tel que cela apparaît à plusieurs endroits du contrat, elle en est le mandataire de sorte que la décision de la Financière Manuvie quant à l'admissibilité aux prestations est, en fait et en droit, la décision de l'employeur.


[12]            La Cour canadienne de l'impôt qui, au moment de rendre sa décision, n'avait pas le bénéfice de la nôtre dans la cause de l'Université Laval s'est méprise quant à la définition de la rémunération assurable prévue à la Loi et au Règlement et quant au statut juridique de la Financière Manuvie. Ce faisant, elle a commis une erreur de droit qui justifie notre intervention. Eût-elle appliqué les bons concepts juridiques aux faits en litige qu'elle n'aurait pu faire autrement que conclure que les prestations reçues par Mme Messier-Lafleur étaient des indemnités versées par la défenderesse « à l'égard de l'emploi » , donc de la rémunération assurable.

[13]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie avec dépens, la décision de la Cour canadienne de l'impôt datée du 21 février 2002 sera annulée et l'affaire sera retournée au juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt, ou au juge qu'il désignera, pour qu'elle soit décidée à nouveau en tenant pour acquis que l'appel de la défenderesse doit être rejeté avec dépens.

                                                                                                                                       "Gilles Létourneau"                 

                                                                                                                                                                 j.c.a.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                 SECTION D'APPEL

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                                       

DOSSIER :                                                 A-175-02

INTITULÉ :                                                PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

BANQUE NATIONALE DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 29 mai 2003

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

(LES JUGES DESJARDINS, LÉTOURNEAU, NOËL)

PRONONCÉS À L'AUDIENCE : LE JUGE LÉTOURNEAU

DATE DES MOTIFS :                              le 29 mai 2003

COMPARUTIONS :

Me Anne-Marie Boutin                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Me Marie-Hélène Jetté                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                                                                                 

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Ogilvy Renault                                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)

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