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Date : 20041213

Dossier : A-220-04

Référence : 2004 CAF 423

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE LÉTOURNEAU

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                             PYRRHA DESIGN INC., WADE PAPIN

                                                         et DANIELLE WILMORE

                                                                                                                                              appelants

                                                                             et

                                                   623735 SASKATCHEWAN LTD.

                              exerçant son activité sous la dénomination sociale de SpareParts

                                                              et DANIEL MYSAK

                                                                                                                                                  intimés

                     Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er décembre 2004

                                  Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                      LA JUGE SHARLOW


Date : 20041213

Dossier : A-220-04

Référence : 2004 CAF 423

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE LÉTOURNEAU

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                             PYRRHA DESIGN INC., WADE PAPIN

                                                         et DANIELLE WILMORE

                                                                                                                                              appelants

                                                                             et

                                                   623735 SASKATCHEWAN LTD.

                              exerçant son activité sous la dénomination sociale de SpareParts

                                                              et DANIEL MYSAK

                                                                                                                                                  intimés

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LINDEN

[1]                La principale question que soulève le présent appel est de savoir si le juge des requêtes a eu raison de rendre un jugement sommaire rejetant la demande des appelants relativement à la violation du droit d'auteur sur des dessins de bijoux.


[2]                Le 26 mars 2002, les appelants ont déposé une déclaration dans laquelle ils alléguaient que les intimés avaient violé le droit d'auteur portant sur quelques-uns de leurs dessins de bijoux. Les appelants invoquaient la responsabilité des intimés et ils demandaient des dommages-intérêts pour violation du droit d'auteur. Les intimés ont déposé une défense datée du 2 mai 2002 dans laquelle ils niaient toute responsabilité. Le 25 septembre 2003, les intimés ont déposé un avis de requête par lequel ils demandaient un jugement sommaire rejetant l'action, vu l'article 64 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42.

[3]                Le juge des requêtes s'est dit convaincu que les bijoux en cause étaient des « objets utilitaires » au sens du paragraphe 64(2) de la Loi sur le droit d'auteur et il a rejeté la poursuite au motif qu'il ne restait aucune question pertinente à trancher.

[4]                Selon moi, la décision est erronée en droit et doit être annulée, ce qui permettrait que l'affaire soit instruite sur le fond.

Faits


[5]                L'appelante, Pyrrha Design Inc., est une compagnie de dessins de bijoux, située à Vancouver (Colombie-Britannique). Les propriétaires sont les appelants, Danielle Wilmore et Wade Papin, tous deux dessinateurs pour Pyrrha. L'intimée, 623735 Saskatchewan Ltd., qui exerce son activité sous la dénomination sociale de SpareParts, est située en Saskatchewan et a des magasins dans divers endroits au Canada, notamment dans le Grand Vancouver (Colombie-Britannique). Daniel Mysak est le président de SpareParts.

[6]                Pyrrha fabrique des bagues, des boucles d'oreilles et des pendentifs ornés de pierres de verre de couleurs vives faites de fibres optiques dont certaines ressemblent à des yeux de chat. Ces pierres sont serties dans des montures massives moulées en argent sterling qui ont un aspect moderne. Les appelants sont d'avis que les intimés violent leur droit d'auteur sur leurs bijoux originaux en les copiant et en les mettant en vente.

Analyse

[7]                Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur le droit d'auteur :



64. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 64.1.

« dessin » "design"

« dessin » Caractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d'un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs.

« fonction utilitaire » "utilitarian function"

« fonction utilitaire » Fonction d'un objet autre que celle de support d'un produit artistique ou littéraire.

« objet » "article"

« objet » Tout ce qui est réalisé à la main ou à l'aide d'un outil ou d'une machine.

« objet utilitaire » "useful article"

« objet utilitaire » Objet remplissant une fonction utilitaire, y compris tout modèle ou toute maquette de celui-ci.

(2) Ne constitue pas une violation du droit d'auteur ou des droits moraux sur un dessin appliqué à un objet utilitaire, ou sur une oeuvre artistique dont le dessin est tiré, ni le fait de reproduire ce dessin, ou un dessin qui n'en diffère pas sensiblement, en réalisant l'objet ou toute reproduction graphique ou matérielle de celui-ci, ni le fait d'accomplir avec un objet ainsi réalisé, ou sa reproduction, un acte réservé exclusivement au titulaire du droit, pourvu que l'objet, de par l'autorisation du titulaire - au Canada ou à l'étranger - remplisse l'une des conditions suivantes :

a) être reproduit à plus de cinquante exemplaires;

b) s'agissant d'une planche, d'une gravure ou d'un moule, servir à la production de plus de cinquante objets utilitaires.

64(1) In this section and section 64.1,

"article" means any thing that is made by hand, tool or machine;

"design" means features of shape, configuration, pattern or ornament and any combination of those features that, in a finished article, appeal to and are judged solely by the eye;

"useful article" means an article that has a utilitarian function and includes a model of any such article;

"utilitarian function", in respect of an article, means a function other than merely serving as a substrate or carrier for artistic or literary matter.

(2) Where copyright subsists in a design applied to a useful article or in an artistic work from which the design is derived and, by or under the authority of any person who owns the copyright in Canada or who owns the copyright elsewhere,

(a) the article is reproduced in a quantity of more than fifty, or

(b) where the article is a plate, engraving or cast, the article is used for producing more than fifty useful articles,

it shall not thereafter be an infringement of the copyright or the moral rights for anyone

(c) to reproduce the design of the article or a design not differing substantially from the design of the article by

(i) making the article, or

(ii) making a drawing or other reproduction in any material form of the article, or

(d) to do with an article, drawing or reproduction that is made as described in paragraph (c) anything that the owner of the copyright has the sole right to do with the design or artistic work in which the copyright subsists.


[8]                Ces dispositions prévoient donc qu'il peut y avoir un droit d'auteur sur le dessin d'un objet utilitaire, mais que si cet objet utilitaire est reproduit à plus de 50 exemplaires, la reproduction d'objets semblables ne constitue pas une violation du droit d'auteur. Autrement dit, lorsque le droit d'auteur existe sur des objets qui sont reproduits dans ce qu'il conviendrait d'appeler des quantités commerciales, une poursuite pour violation du droit d'auteur n'est pas possible, mais la réparation, si réparation il y a, doit être fondée sur le système d'enregistrement de la Loi sur les dessins industriels, L.R.C. 1985, ch. I-9.

[9]                En l'espèce, il a été admis, aux fins de la requête en jugement sommaire, qu'il y avait un droit d'auteur sur le dessin des bijoux et que l'appelante avait reproduit ces bijoux à plus de 50 exemplaires. La seule question en litige était de savoir si ces objets n'étaient pas protégés par la Loi sur le droit d'auteur au motif qu'il s'agissait d'un « objet utilitaire » qui est défini comme un « objet remplissant une fonction utilitaire » qui elle est définie comme la « fonction d'un objet autre que celle de support d'un produit artistique ou littéraire » . (Voir le paragraphe 64(1) de la Loi sur le droit d'auteur, précité).


[10]            Le juge des requêtes s'est laissé convaincre que les bijoux en cause étaient des « objets utilitaires » . Le principal argument invoqué par les intimés à l'appui de la conclusion du juge a été que les bijoux sont faits pour [traduction] « être portés » , qu'ils sont « utilitaires » . Les bagues se portent aux doigts, les boucles d'oreilles aux oreilles et les colliers autour du cou pour [traduction] « donner un effet visuel » . Par conséquent, les intimés ont soutenu qu'ils avaient une fonction [traduction] « autre que celle de support d'un produit artistique » . Tous les bijoux qui peuvent se porter, prétend-on, sont utilitaires et ils ne sont donc pas protégés par la Loi sur le droit d'auteur s'ils sont reproduits à plus de cinquante exemplaires.

[11]            Par contre, les appelants soutiennent que ce n'est pas parce que les bijoux se portent qu'ils sont utilitaires, pas plus que le fait d'accrocher un tableau au mur ne le rend utilitaire. Les bijoux ne sont pas comme les vêtements, ils ne procurent ni chaleur ni protection. On les porte à cause de leur apparence, de leur beauté. Si les intimés ont raison, selon les appelants, la sculpture qui orne une entrée ou le tableau qui embellit un mur est également utilitaire et il perd la protection du droit d'auteur s'il est reproduit à plus de 50 exemplaires.

[12]            En l'espèce, il a été convenu que le critère applicable afin de décider de la pertinence d'un jugement sommaire est le critère de l'absence de « question sérieuse » à instruire. (Voir la juge Tremblay-Lamer dans Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853 (C.F.1re inst.).


[13]            Selon moi, il n'est pas certain qu'il n'y avait aucune question sérieuse à instruire en l'espèce. La question de savoir si des objets semblables aux objets en l'espèce sont utilitaires, selon la loi régissant le droit d'auteur, n'a pas encore été tranchée au Canada. Une telle décision entraîne des conséquences graves. Il est nécessaire, en tranchant une telle question, de disposer d'un plus grand nombre d'éléments de preuve concernant l'utilité ou le manque d'utilité des bijoux, notamment une preuve provenant du milieu culturel et artistique. Cette question difficile n'aurait pas dû être tranchée d'une manière sommaire. Les appelants méritent d'être entendus par la Cour pour défendre leur droit de revendiquer un droit d'auteur sur leurs bijoux.

[14]            L'analyse des appelants soulève une question qu'on pourrait qualifier de sérieuse car autrement, chaque oeuvre d'art pourrait être réputée utilitaire tout simplement parce qu'on peut en profiter comme décoration. Il ne suffit pas de conclure, sans disposer d'éléments de preuve, que parce que les bijoux se portent ils sont, par le fait même, utilitaires. Il est peu probable qu'on puisse décider de l'utilité d'une oeuvre d'art en fonction uniquement de son existence; il faut une utilisation pratique en sus d'une valeur esthétique. Certains bijoux peuvent être utilitaires alors que d'autres ne le sont pas. Par exemple, une épingle de cravate ou des boutons de manchette peuvent être des bijoux utilitaires s'ils servent à attacher les vêtements, alors que d'autres objets, comme les broches ou les boucles d'oreilles, ne seront que des ornements qui n'ont aucune utilité ni valeur autre qu'intrinsèque en tant qu'oeuvres d'art. En outre, une sculpture peut avoir été créée uniquement pour être observée et admirée, mais elle peut aussi servir de presse-papiers. La question est sérieuse et elle doit être débattue lors d'un véritable procès au cours duquel les parties pourront témoigner.


[15]            Les parties ont beaucoup discuté de l'arrêt Datafile Ltd. c. DRG Inc., [1991] A.C.F. no 144 (C.A.F.), mais il est clair que, dans cet arrêt, les motifs étaient fondés sur une loi antérieure qui a été modifiée depuis. L'ancien article 46 de la Loi sur le droit d'auteur précisait : « La présente loi ne s'applique pas aux dessins susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels » . La restriction n'apparaît plus dans la loi actuelle (voir l'article 64). Il est donc évident qu'il est maintenant possible que la Loi sur le droit d'auteur s'applique aux dessins susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels, et que, dans certaines situations, on puisse maintenant obtenir une double protection.

[16]            L'appel devrait donc être accueilli et la décision du juge des requêtes devrait être annulée pour que l'affaire soit entendue au cours d'un procès complet et équitable, compte tenu de toute la preuve. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                                                                                   _ A.M. Linden _            

                                                                                                                                                     Juge                    

« Je souscris aux présents motifs

Gilles Létourneau, juge »

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        A-220-04

APPEL D'UNE ORDONNANCE RENDUE PAR MONSIEUR LE JUGE ROULEAU, COUR FÉDÉRALE, DATÉE DU 23 MARS 2004

INTITULÉ :                                       PYRRHA DESIGN ET AL.

c.

623735 SASKATCHEWAN LTD. ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 1ER DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :                        LES JUGES LÉTOURNEAU ET SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                     LE 13 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Jenny P. Millbank                                 POUR LES APPELANTS        

Cory J. Furman                                    POUR LES INTIMÉS   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conkie and Company                          POUR LES APPELANTS

Vancouver (Colombie-Britannique)                                           

Furman and Kallio                                POUR LES INTIMÉS   

Regina (Saskatchewan)                                                            


Date : 20041213

Dossier : A-220-04

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE LÉTOURNEAU

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                             PYRRHA DESIGN INC., WADE PAPIN,

                                                         et DANIELLE WILMORE

                                                                                                                                              appelants

                                                                             et

                                                   623735 SASKATCHEWAN LTD.

                                exerçant son activité sous la dénomination sociale SpareParts

                                                              et DANIEL MYSAK

                                                                                                                                                  intimés

                                                                   JUGEMENT

L'appel est accueilli. La décision du juge des requêtes est annulée pour que l'affaire puisse être entendue lors d'un procès complet et équitable, compte tenu de toute la preuve. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                                                                                   _ A.M. Linden _            

                                                                                                                                                     Juge                     

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


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