Date: 19980918
Dossier: A-874-97
Coram : LE JUGE DESJARDINS
LE JUGE DÉCARY
LE JUGE NOËL
Entre :
LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA,
Requérante
- et -
MUGUETTE FILIATRAULT
Intimée
Audiences tenues à Montréal (Québec) le mardi, 15 septembre 1998
et le vendredi, 18 septembre 1998.
Jugement rendu à Montréal (Québec) le vendredi, 18 septembre 1998.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR: LE JUGE DÉCARY
Date: 19980918
Dossier: A-874-97
Coram: LE JUGE DESJARDINS
LE JUGE DÉCARY
LE JUGE NOËL
Entre :
LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA,
Requérante
- et -
MUGUETTE FILIATRAULT
Intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
(Prononcé à l'audience à Montréal
le vendredi, 18 septembre 1998)
LE JUGE DÉCARY
[1] Le 3 mars 1995, la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (telle était alors sa désignation) ("la Commission"), après réexamen du dossier de la prestataire intimée, rendait une décision portant sur la détermination et la répartition de la rémunération reçue par l'intimée à titre d'indemnité de départ et de pension. Cette décision avait pour effet de créer un trop-payé de $14,747.00. Le calcul de ce trop-payé avait été fait, selon la Commission, le 14 mars 1995 et l'intimée aurait été avisée ce même jour du montant en question.
[2] Le 30 mars 1995, les procureurs de l'intimée déposaient un avis d'appel à l'encontre de cette décision. Ce même jour, mais par lettre distincte, lesdits procureurs demandaient à la Commission de défalquer la somme due en vertu des pouvoirs que lui confère l'article 60 du Règlement sur l'assurance-chômage ("le Règlement"). Les non-initiés seront heureux de savoir que le pouvoir de défalquer signifie le pouvoir de renoncer à une créance.
[3] Le 25 avril 1995, la Commission déposait ses observations à l'intention du conseil arbitral. Elle reconnaissait qu'elle avait fait erreur et demandait au conseil arbitral de lui retourner le dossier. La Commission ajoutait, dans le cadre de ses observations, ce qui suit:
La Commission a choisi de ne pas défalquer le trop-payé en question car elle estime que la prestataire devait savoir qu'elle avait reçu des sommes d'argent de son ex-employeur et qu'elle avait reçu des chèques de prestations tout en recevant les montants. |
[dossier de la requérante, à la p. 45] |
[4] Le 8 juin 1995, le conseil arbitral accueillait en partie l'appel relatif à la répartition et rescindait par ailleurs en ces termes la décision de la Commission de ne pas défalquer le montant du trop-payé:
De plus, les Membres du conseil arbitral croient que l'article 69(2) du Règlement aurait dû permettre à la Commission de défalquer le montant réclamé à l'appelante puisque l'erreur à l'origine du trop-payé émane de l'employeur. En effet, au moment de la cessation d'emploi de l'appelante, l'employeur l'a avisé qu'elle n'avait à déclarer aucun de ses gains de retraite ou de sa cessation d'emploi. Cette information avait été confirmée par les représentants syndicaux de l'appelante et celle-ci n'a donc en aucun moment, connu l'étendu de ses obligations face à la Commission d'autant plus qu'elle n'avait jamais reçu d'assurance-chômage auparavant. |
[dossier de la requérante, à la p. 49] |
[5] La Commission a interjeté appel auprès d'un juge-arbitre relativement aux deux décisions rendues par le conseil arbitral. Seule la décision relative à la défalcation est objet de débat devant nous.
[6] Le juge-arbitre a rejeté l'appel de la Commission. À son avis, la décision de la Commission en matière de défalcation était susceptible d'appel au conseil arbitral en vertu de l'article 79 de la Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. 1985, c. U-1, telle que modifiée ("la Loi"), le conseil arbitral avait le pouvoir d'intervenir dans l'exercice qu'avait fait la Commission du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 60 du Règlement et le conseil arbitral avait agi à bon escient en substituant sa décision à celle de la Commission. La Commission s'est alors adressée à cette Cour par voie de demande de contrôle judiciaire.
[7] Il convient ici de reproduire le texte des articles 44 et 79 de la Loi et de l'article 60 du Règlement:
Loi sur l'assurance-chômage
44. La Commission peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, prendre des règlements: [...]
[...] Appels 79. (1) Le prestataire ou un employeur du prestataire peut, dans les trente jours de la date où il reçoit communication d'une décision de la Commission, ou dans le délai supplémentaire que la Commission peut accorder pour des raisons spéciales dans un cas particulier, interjeter appel de la manière prescrite devant le conseil arbitral. [...] (2) La décision d'un conseil arbitral doit être consignée. Elle comprend un exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles. Règlements sur l'assurance -chômage Défalcation de prestations indûment versées
60. (1) la Commission peut défalquer une pénalité payable prévue par l'article 33 de la Loi ou une somme due en vertu des articles 35, 37 ou 38 de la Loi si, selon le cas:
(2) La Commission peut défalquer la partie de toute somme due aux termes de l'article 35 de la Loi qui se rapporte à des prestations reçues plus de 12 mois avant qu'elle avise le débiteur du versement excédentaire, si les conditions suivantes sont réunies:
|
Unemployment Insurance Act Regulations 44. The Commission may, with the approval of the Governor in Council, make regulations [...]
[...] Appeals 79. (1) The claimant or an employer of the claimant may at any time within thirty days after the day on which a decision of the Commission is communicated to him, or within such further time as the Commission may in any particular case for special reasons allow, appeal to the board of referees in the manner prescribed. [...] (2) A decision of a board of referees shall be recorded in writing and shall include a statement of the findings of the board on questions of fact material to the decision. Unemployment Insurance Regulations Write-off of Benefit Wrongly Paid 60. (1) A penalty owing under section 33 of the Act or an amount owing under section 35, 37 or 38 of the Act may be written off by the Commission if
(2) That portion of an amount owing under section 35 of the Act in respect of benefits received more than 12 months before the Commission notifies the debtor of the overpayment may be written off by the Commission if
|
[8] La Commission plaide, essentiellement, que le conseil arbitral n'était pas saisi de la question de la défalcation, la seule décision en appel devant lui étant celle relative à la répartition de la rémunération. La Commission plaide par ailleurs, sur la foi de la décision de cette Cour dans Cornish-Hardy c. Conseil arbitral (Loi de 1971 sur l'assurance-chômage), [1979] 2 C.F. 437 (C.A.F.), conf. par [1980] 1 R.C.S. 1218, qu'une décision de la Commission relative à la défalcation n'est pas une décision à l'égard de laquelle l'article 79 confère un droit d'appel.
[9] Sur le premier point, nous sommes d'avis que le conseil arbitral avait été saisi de la question de la défalcation. Il est vrai que cette question est distincte de celle de savoir s'il y a eu trop-payé et qu'elle ne se pose qu'une fois décidée la question de l'existence d'un trop-payé. Cependant, les circonstances de ce dossier sont particulières. La prestataire avait demandé à la Commission de défalquer le montant du trop-payé. La Commission a choisi le moment de ses observations au conseil arbitral dans le cadre de l'appel relatif à l'existence d'un trop-payé, pour informer la prestataire de son refus de défalquer. Il n'existe pas au dossier, que l'on sache, de "décision" formelle sur la demande de défalcation qui ait été consignée et communiquée à la prestataire. C'est la Commission elle-même qui est venue brouiller les cartes en introduisant. dans le cadre de l'appel devant le conseil arbitral sa décision relative à la défalcation. Le conseil arbitral était donc à toutes fins utiles saisi de cette décision à la demande même de la Commission. Quant au juge-arbitre, il en fut aussi saisi de par les termes mêmes de l'avis d'appel déposé par la Commission. Il s'ensuit que la question de la défalcation a fait l'objet de débat entre les parties en tenant pour acquis que le conseil arbitral, puis le juge-arbitre en avaient été saisis.
[10] Le second point est plus délicat, puisqu'il y va de l'interprétation d'une décision rendue par cette Cour en 1979 et confirmée par la Cour suprême du Canada. Le juge-arbitre, à toutes fins utiles, a décidé que cette décision avait fait son temps et qu'elle ne résistait pas au développement récent de la jurisprudence de cette Cour eu égard aux compétences respectives de la Commission et du conseil arbitral.
[11] Voici ce qu'avaient écrit le juge Martland, en Cour suprême du Canada, et le juge en chef Jackett, en cette Cour:
Les arguments présentés au nom de l'appelante n'ont pas réussi à nous persuader que la Cour d'appel fédérale a erré en droit en rejetant la demande qu'elle lui présentait. Le pourvoi est rejeté. |
[Cornish-Hardy, supra, para. 8 à la p. 1218, le juge Martland] |
J'en suis venu à la conclusion que l'article 94 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48, n'accorde pas un droit d'appel à une personne qui a demandé, sans succès, une remise en vertu de l'article 175 des Règlements, DORS/71-324, quand celui-ci est lu de concert avec l'article 58i) de la Loi en vertu duquel il a été édicté. |
L'article 94 accorde clairement un droit d'appel à un "prestataire"1 mécontent d'une décision de la Commission statuant sur une demande de prestations (article 54(1)) ou sur un nouvel examen d'une telle demande (article 57(1) et (2)). Il n'est pas nécessaire de décider si l'article 94 confère à un "prestataire" un droit d'appel à l'égard de toute autre décision de la Commission. A mon avis, il suffit de dire, d'une part, que l'article 58i ) de la Loi n'a pas pour but d'autoriser un arrangement en vertu duquel les prestataires ont droit à ce que les décisions traitant de leur demande de remise puissent faire l'objet d'un appel en vertu de l'article 94 et, d'autre part, que l'article 175 des Règlements ne prévoit aucun arrangement semblable. |
Je suis d'avis de rejeter cette demande déposée en vertu de l'article 28. |
1 "Prestataire" est défini à l'article 2 de la Loi comme "une personne qui demande ou qui a demandé des prestations en vertu de la présente loi". |
[Cornish-Hardy, supra, para. 8 aux pp. 437-38, le juge en chef Jackett] |
[12] Le juge-arbitre, à notre avis, s'est mépris sur la portée de l'évolution jurisprudentielle. Il est vrai que des décisions de l'administration qui n'étaient pas, en 1979, sujettes à contrôle judiciaire, le sont devenues. Il est vrai, également, que les pouvoirs du conseil arbitral dans l'exercice de sa compétence d'appel ont été élargis, mais l'accroissement des pouvoirs du conseil arbitral dans l'exercice de sa compétence ne saurait avoir pour effet d'accroître la compétence en tant que telle.
[13] Ce qui a été dit dans Cornish-Hardy peut l'être encore aujourd'hui. La défalcation, l'article 60 du Règlement le dit, vise le "débiteur". Le droit d'appel, l'article 79 de la Loi le dit, est conféré au "prestataire". La défalcation n'entre en jeu qu'au moment où sont définitivement réglées toutes les questions relatives à l'établissement et au paiement des prestations d'assurance-chômage. Ce n'est pas en sa qualité de prestataire qu'une personne demande une remise de dette, c'est en sa qualité de débitrice. La question qui se pose, désormais, est celle de savoir si l'État, représenté par la Commission, fera remise ou non de la somme qui lui est due. Il n'est plus rien à décider qui fasse appel à l'expertise du conseil arbitral. Le rôle de ce dernier est épuisé quand se pose la question de la défalcation. C'est cela, précisément, qui fut décidé dans Cornish-Hardy, supra, para. 8, et les motifs du juge en chef Jackett sont d'autant plus d'actualité qu'au moment où il les a rédigés, l'article 175 du Règlement (devenu, depuis, l'article 60) s'exprimait en termes de "prestataire" plutôt qu'en termes de "débiteur" (DORS/71-324). Le texte de l'article 60 a été modifié en 1990 et le mot "prestataire" a alors été remplacé par "débiteur" (DORS/90-208), entérinant ainsi, en quelque sorte, l'interprétation que lui avait donnée le juge en chef Jackett dix ans plus tôt.
[14] La Loi sur l'assurance-chômage, nous l'avons dit à plusieurs reprises, est peut-être la plus complexe des lois fédérales. Les décisions de la Commission relatives à l'éligibilité d'un prestataire sont portées en appel devant le conseil arbitral. Les décisions du Ministre du Revenu national relativement à l'assurabilité d'un prestataire sont portées en appel devant la Cour canadienne de l'impôt (voir Canada (Procureur général) v. D'Astoli (1997), 223 N.R. 368). Et voilà que le refus de la Commission de défalquer une dette est assujetti au contrôle judiciaire de la Section de première instance de la Cour fédérale, au même titre, par exemple que le refus du Ministre du Revenu national d'exercer le pouvoir que lui confère l'article 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu de renoncer aux pénalités et aux intérêts. La norme de contrôle ne sera pas nécessairement la même, vu les différences de texte, mais l'analogie n'en est pas moins pertinente.
[15] Le conseil arbitral n'avait donc pas compétence pour décider si la Commission avait à bon droit refusé de défalquer et le juge-arbitre a erré en n'annulant pas la décision du conseil arbitral à cet égard. C'est par demande de contrôle judiciaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale que la débitrice devait procéder, et non pas par appel au conseil arbitral.
[16] Puisqu'un débiteur est en droit d'attaquer par demande de contrôle judiciaire le refus de la Commission de défalquer la somme due, il va de soi que la Commission a l'obligation de consigner sa décision et de la communiquer à la personne en cause. La méthode retenue par la Commission en l'espèce " c'est à dire informer le débiteur de la décision rendue par le biais d'observations écrites soumises au conseil arbitral dans le cadre d'un appel relié à une toute autre décision " ne nous paraît pas appropriée.
[17] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision du juge-arbitre sera annulée et l'affaire sera renvoyée au juge-arbitre en chef ou au juge-arbitre qu'il désignera pour qu'il la décide en tenant pour acquis que le conseil arbitral n'a pas compétence en matière de défalcation.
"Robert Décary"
j.c.a.