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Date : 20040121

Dossier : A-274-03

Référence : 2004 CAF 19

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                                 BARBARA DOBLEJ

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   et

                              COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA

                                                                                                                                                   défenderesse

                                    Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 15 janvier 2004

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                          LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE STRAYER

                                                                                                                               LA JUGE SHARLOW


Date : 20040121

Dossier : A-274-03

Référence : 2004 CAF 19

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                                 BARBARA DOBLEJ

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   et

                              COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA

                                                                                                                                                   défenderesse

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]                 Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision d'une juge-arbitre en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 [la Loi].

FAITS


[2]                 Les faits sont relativement clairs. La demanderesse, une Indienne visée par un traité, occupait le poste de secrétaire de direction d'un arrondissement scolaire hors réserve. Elle n'a pas travaillé pendant les mois d'été et elle a fait une demande de prestations d'assurance-emploi. Pendant qu'elle touchait des prestations, elle recevait 500 $ par mois à titre de conseillère de bande.

QUESTION EN LITIGE

[3]                 Il s'agit de savoir si la somme de 500 $ par mois qu'elle touchait à titre de conseillère de bande constituait une rémunération dont il fallait tenir compte conformément à l'ancien article 15 du Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332 [le Règlement] afin de diminuer les prestations d'assurance-emploi auxquelles elle avait droit en vertu du sous-alinéa 19(3)a)(i) de la Loi.

[4]                 La demanderesse prétend que la somme de 500 $ qu'elle touchait à chaque mois était des honoraires qui ne devaient pas être déduits de ses prestations. Le conseil arbitral lui a donné raison et il a accueilli son appel. La juge-arbitre a accueilli l'appel interjeté par la Commission à l'encontre du conseil arbitral et elle a décidé que les honoraires que touchait la demanderesse étaient une rémunération tirée d'un emploi dont le montant devait être déduit.

[5]                 La demanderesse affirme que la décision de la juge-arbitre doit être infirmée et que celle du conseil arbitral doit être rétablie. Je ne puis souscrire à cette opinion. Je vais examiner brièvement chacun des arguments de la demanderesse.


ANALYSE

Les montants touchés devaient-ils être déduits?

[6]                 La demanderesse affirme que le conseil arbitral a conclu que les montants qu'elle avait reçus à titre de conseillère de bande étaient des honoraires plutôt qu'un salaire. Elle allègue que la juge-arbitre n'aurait pas dû modifier cette conclusion de fait.

[7]                 Cependant, dans ses motifs, le conseil arbitral ne donne que sa conclusion; c'est-à-dire que, dans ses motifs, le conseil ne décrit pas le raisonnement qui l'a amené à cette conclusion. Dans ces circonstances, la juge-arbitre devait d'abord s'intéresser à la question juridique de savoir si un paiement est une rémunération tirée d'un emploi au sens du terme « emploi » au paragraphe 35(1) du Règlement. Elle pouvait ensuite décider, compte tenu de la preuve en l'espèce, si les honoraires étaient une rémunération tirée d'un emploi.

[8]                 La juge-arbitre s'est tout d'abord penchée sur la question de savoir si le rôle de conseillère de bande de la demanderesse était un emploi. À l'alinéa 35(1)c) du Règlement, la notion d' « emploi » est définie comme suit :

« emploi »

            ...

c) l'occupation d'une fonction ou charge au sens du paragraphe 2(1) du Régime de pensions du Canada.

"employment" means

            ...

(c) the tenure of an office as defined in subsection 2(1) of the Canada Pension Plan.

Le paragraphe 2(1) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8, définit en ces termes les notions de « fonction » et de « fonctionnaire » :


« fonction » ou « charge » Le poste qu'occupe un particulier, lui donnant droit à un traitement ou à une rémunération déterminée ou constatable. Sont visés par la présente définition une charge judiciaire, la charge de ministre, de lieutenant-gouverneur, de membre du Sénat ou de la Chambre des communes, de membre d'une assemblée législative ou d'un conseil législatif ou exécutif et toute autre charge dont le titulaire est élu par vote populaire ou est élu ou nommé à titre de représentant, y compris le poste d'administrateur de personne morale;

« fonctionnaire » s'entend d'une personne détenant une telle fonction ou charge.

"office" means the position of an individual entitling him to a fixed or ascertainable stipend or remuneration and includes a judicial office, the office of a minister of the Crown, the office of a lieutenant governor, the office of a member of the Senate or House of Commons, a member of a legislative assembly or a member of a legislative or executive council and any other office the incumbent of which is elected by popular vote or is elected or appointed in a representative capacity, and also includes the position of a corporation director, and "officer" means a person holding such an office;

[9]                 La juge-arbitre a conclu qu'à titre de conseillère de bande, la demanderesse tombait sous le coup du paragraphe 2(1) du Régime de pensions du Canada parce qu'elle avait été élue par vote populaire.

[10]            La demanderesse conteste la conclusion en alléguant que le paragraphe 2(1) ne s'applique pas aux conseillers des bandes indiennes. Toutefois, le conseil arbitral et la juge-arbitre ont conclu qu'elle avait été élue. Cela était suffisant pour qu'elle soit visée par le paragraphe 2(1) du Régime de pensions du Canada.

[11]            Toutefois, la demanderesse fait valoir que son poste de conseillère de bande ne lui donnait pas « droit » à la somme de 500 $ qu'elle touchait tous les mois. Elle affirme qu'il s'agissait plutôt d'un paiement que lui faisait volontairement la bande.


[12]            La demanderesse admet que, selon la preuve dont le conseil arbitral a été saisi, le chef et le conseil avaient décidé qu'ils se verseraient eux-mêmes la somme de 500 $ par mois. Selon la preuve documentaire, la somme de 500 $ a été payée à tous les mois, de février 1999 à octobre 2001. La juge-arbitre a conclu que l'expression « donnant droit » du paragraphe 2(1) exigeait uniquement qu'il y ait une attente selon laquelle les paiements seraient faits et reçus. La juge-arbitre a conclu que peu importe le nom donné aux montants payés, il s'agissait de montants égaux versés régulièrement que la bande s'attendait à payer et que les conseillers s'attendaient à recevoir. Par conséquent, les honoraires étaient une rémunération déterminée ou constatable à laquelle les conseillers avaient droit en raison de leur charge. La juge-arbitre pouvait tirer cette conclusion compte tenu de la preuve et décider que la somme de 500 $ était une rémunération tirée d'un emploi dont il fallait tenir compte en vertu de l'article 15 du Règlement en fixant le montant qu'il fallait déduire en conformité avec le sous-alinéa 19(3)c)(i).

Le paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens interdit-il de tenir compte des honoraires?

[13]            La demanderesse soutient que le paragraphe 89(1) et l'alinéa 90(1)a) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, empêchent la déduction des montants qu'elle a reçus à titre de conseillère de bande de ses prestations d'assurance-emploi. Le paragraphe 89(1) et l'alinéa 90(1)a) prévoient :


89. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l'objet d'un privilège, d'un nantissement, d'une hypothèque, d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécution en faveur ou à la demande d'une personne autre qu'un Indien ou une bande.

89. (1) Subject to this Act, the real and personal property of an Indian or a band situated on a reserve is not subject to charge, pledge, mortgage, attachment, levy, seizure, distress or execution in favour or at the instance of any person other than an Indian or a band.

90. (1) Pour l'application des articles 87 et 89, les biens meubles qui ont été :

a) soit achetés par Sa Majesté avec l'argent des Indiens ou des fonds votés par le Parlement à l'usage et au profit d'Indiens ou de bandes;

sont toujours réputés situés sur une réserve.

90. (1) For the purposes of sections 87 and 89, personal property that was

(a) purchased by Her Majesty with Indian moneys or moneys appropriated by Parliament for the use and benefit of Indians or bands,

shall be deemed always to be situated on a reserve.

[14]            La demanderesse affirme qu'en appliquant le critère bien connu des facteurs de rattachement (voir Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877) ou, subsidiairement, l'alinéa 90(1)a), les montants qu'elle a touchés sont situés sur une réserve. Selon moi, l'alinéa 90(1)a) ne s'applique pas, mais je vais reconnaître, sans prendre de décision, qu'en vertu du critère des facteurs de rattachement, les montants qu'elle a reçus sont situés sur une réserve.

[15]            La demanderesse prétend que si ses honoraires constituent une rémunération tirée d'un emploi, en fin de compte, les prestations d'assurance-emploi qu'elle touchera seront moins élevées que les prestations auxquelles elle aurait droit en cas contraire. Elle affirme donc que la déduction de ses prestations qui en résulterait serait l'équivalent d'un privilège ou d'une réquisition contrairement au paragraphe 89(1).


[16]            Lus dans leur contexte, les termes du paragraphe 89(1) protègent les biens d'un Indien situés sur une réserve contre leur saisie. Par contre, la déduction de la rémunération en vertu de la Loi a pour effet de réduire le montant des prestations versées en vertu d'un régime d'assurance. Ce sont les prestations qui diminuent et non les paiements de la Bande qui sont saisis. Dans l'arrêt Williams, le juge Gonthier a accepté la conclusion du juge La Forest dans Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, selon laquelle le paragraphe 89(1) avait pour objet de protéger les biens d'un Indien situés sur une réserve de manière à ce que ces biens ne soient pas saisis par des créanciers. Le juge a dit, à la page 885 :

Le juge La Forest a analysé en profondeur la question de l'objet des art. 87, 89 et 90 dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85. Il a conclu que ces articles visent à préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d'imposer des taxes, ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l'utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées.

Le paragraphe 89(1) a pour objet d'empêcher toute atteinte directe aux biens d'un Indien situés sur une réserve. On ne saurait l'interpréter de manière à empêcher la diminution des prestations gouvernementales payables à un Indien compte tenu du montant ou de la valeur d'un bien situé sur une réserve.

Autres arguments


[17]            La demanderesse a fait valoir que la Loi sur l'assurance-emploi ne prévoit pas que les prestations d'assurance-emploi puissent être moins élevées en raison de la déduction de la rémunération tirée d'un emploi non assurable. Au contraire, même si la charge de conseiller de bande est un emploi non assurable, aux termes du paragraphe 35(1) du Règlement, le terme emploi s'entend de tout emploi, assurable ou non assurable, y compris tout emploi à titre de travailleur indépendant. La disposition est ainsi libellée :

« emploi »

a) Tout emploi, assurable, non assurable ou exclu, ...

b) tout emploi à titre de travailleur indépendant, ...

"employment" means

(a) any employment, whether insurable, not insurable or excluded employment, ...

(b) any self-employment, ...

La question de savoir si la rémunération est assurable n'est donc pas importante en décidant s'il faut en tenir compte pour diminuer les prestations d'assurance-emploi qui seraient payables autrement.

[18]            La demanderesse fait également valoir que l'assurance-emploi n'est pas l'aide sociale, qu'elle a payé des cotisations et qu'elle a le droit de toucher des prestations. C'est exact, mais d'habitude, les régimes d'assurance sont assujettis à des déductions et à des exclusions. Le paiement d'une cotisation ne confère pas à la personne assurée le droit absolu de toucher les prestations maximales. En l'espèce, la déduction des autres revenus est une condition du programme d'assurance-emploi qui s'applique à tous les employés et qui aura pour effet de diminuer les prestations payables autrement.


CONCLUSION

[19]            La demande est rejetée avec dépens.

                                                                              _ Marshall Rothstein _             

                                                                                                             Juge                             

« Je souscris aux présents motifs

B.L. Strayer, juge »

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                     A-274-03

INTITULÉ :                                    BARBARA DOBLEJ

c.

COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI

LIEU DE L'AUDIENCE :            WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 15 JANVIER 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :       LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                     LE JUGE STRAYER

LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                  LE 21 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Harley I. Schachter                           POUR LA DEMANDERESSE

Julie Rogers-Glabush                        POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Duboff Edwards Haight and Schachter

Winnipeg (Manitoba)                        POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LA DÉFENDERESSE



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